The Chronography of Robert of Torigni, Thomas N. Bisson (éd. et trad. angl.)
The Chronography of Robert of Torigni, éd. et trad. angl. Thomas N. Bisson, Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 2020, 2 vol., t. 1, cxii et 393 p., et t. 2, xl et 455 p.
Texte intégral
1Professeur d’histoire médiévale à l’université de Harvard jusqu’en 2009, Thomas N. Bisson a mis magnifiquement à profit son éméritat pour élaborer, sur un millier de pages, l’excellente édition de l’œuvre historique de l’abbé normand Robert de Torigni, sa traduction anglaise et une longue introduction sur la biographie du chroniqueur, la nature de son travail et ses manuscrits. Spécialiste reconnu du xiie s., qu’il perçoit comme une période trouble, il a jadis publié de nombreux livres et articles sur la Catalogne et le Languedoc, mais aussi des études plus synthétiques sur les tensions entre la royauté, la noblesse et la paysannerie. C’est aussi un éditeur solide de textes, auquel nous devons la publication, en 1984, des Fiscal accounts of Catalonia under the Early Count-Kings (Berkeley, University of California Press, 2 vol.), la précoce comptabilité fiscale des comtes de Barcelone au cours des années 1151-1213.
2Le riche fonds historiographique de l’abbaye normande du Mont-Saint-Michel, dont les manuscrits sont principalement déposés à la Bibliothèque municipale d’Avranches et à la Bibliothèque nationale de France, occupe Th. N. Bisson depuis plusieurs années. Il s’est plié aux normes strictes des prestigieux Oxford Medieval Texts, mais aussi à leur savoir-faire, pour éditer à la perfection l’œuvre de Robert de Torigni. L’abbé désignait son travail sous le vocable de « chronographie » ou « description des temps », un ensemble de récits sur des événements survenus de son vivant, agencés en colonnes sur le manuscrit et mis en valeur par les rubriques et par la polychromie afin de mieux guider le lecteur (t. 1, p. xlix).
3Né en 1106 à Torigni-sur-Vire, à une dizaine de km au sud de Saint-Lô, profès au Bec-Hellouin en 1128, Robert devient, en 1139, responsable de la bibliothèque et du scriptorium de cette prestigieuse abbaye dont sont issus, à l’époque, trois archevêques de Cantorbéry. Il dirige le travail d’une équipe de scribes, ce qui l’exempte largement de manier lui-même la plume : Th. N. Bisson écarte, en effet, la plupart des autographes qui lui ont été attribués. En 1149, Robert devient prieur claustral du Bec. Cinq ans plus tard, le 27 mai 1154, les moines du Mont-Saint-Michel l’élisent à l’unanimité comme abbé pour qu’il en finisse – écrit-il avec un brin d’orgueil pour mettre en valeur son action – avec la crise sévissant depuis cinq ans sur le monastère (éd. t. 1, p. 184, voir p. xxxi-xxxii). Il le gouvernera jusqu’à sa mort, à quatre-vingts ans, en 1186.
4Le principal ouvrage de Robert est la Chronique, éditée trois fois au xixe s. par Conradus Bethmann (1844), par Léopold Deslile (1872-1873) et par Richard Howlett (1882), et traduite fort correctement en anglais par Joseph Stevenson (1856). Même fiables, ces quatre travaux sont anciens. Ils apparaissent logiquement surclassés par le présent ouvrage qui signale, en particulier, les variantes de tous les manuscrits médiévaux, certains inconnus des érudits de l’avant-dernier siècle. Ils sont au nombre de vingt-quatre, parfaitement décrits et rangés en stemma (t. 1, p. lvii-xcv). Leur étude est, du reste, fort éclairante sur la continuation, l’addition et l’interpolation, phénomènes essentiels de l’historiographie médiévale. Elle est complétée par la publication et la traduction, d’une part, de la continuation aux Annales du Bec, indépendante de Robert (t. 2, p. 327-346), et d’autre part, des additions effectuées par des copistes des monastères normands ou anglais de Fécamp, Reading, Lyre et La Valasse à la Chronique du même Robert, mais aussi du moine flamand Sigebert de Gembloux († 1112) (t. 2, p. 347-364). L’a. est un habitué de l’interpolation comme le prouve sa longue histoire du règne d’Henri Ier d’Angleterre qu’il insère, en 1139, dans la Geste des ducs normands, addition éditée en 1992 par Elisabeth van Houts dans les mêmes Oxford Medieval Texts (t. 1, p. 27-28).
5Si le volume 1 du présent ouvrage contient la Chronique, le 2 reprend intégralement le texte et la traduction de sa première version, couvrant les années 876-1156 et rédigée entre 1158 et 1160 (p. 1-122) ; suit une deuxième version allant de 33 après Jésus-Christ à 1100, écrite en 1159 (p. 123-248). Robert poursuit la Chronique universelle de Sigebert de Gembloux et ses continuateurs, faisant œuvre originale pour les années 1147-1186. Si les événements du duché de Normandie et du royaume d’Angleterre l’occupent principalement, il couvre tout l’Occident, mais aussi Byzance ou la Terre sainte. On se souviendra, par exemple, de son témoignage, précieux pour l’histoire de la philosophie médiévale, sur les traductions aristotéliciennes de Jacques de Venise, qu’il place à l’année 1129 (t. 1, p. 90).
6Le Mont-Saint-Michel est un lieu de pèlerinage fort fréquenté, où passent des rois, nobles, croisés et ecclésiastiques bien informés, fournissant toute sorte de nouvelles. En outre, le monastère dispose d’une riche bibliothèque, qui peut être complétée par des volumes empruntés au Bec, où Robert a notamment reçu, de façon fort précoce en 1139, l’Histoire des rois de Bretagne (1136-1137) de Geoffroi de Monmouth (éd. t. 1, p. 6). Il dit qu’un manuscrit de Sigebert lui a été prêté par l’évêque de Beauvais ; bien qu’il ne porte pas de trace du travail de Robert, ce codex subsiste encore à la Bibliothèque nationale de France : ms. latin 17545 (éd. t. 2, p. 316, voir t. 1, p. xxv-xxxi, lix). Force est de rappeler que, autour de 1176-1180, c’est dans cette même bibliothèque de la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais que Chrétien de Troyes prétend avoir découvert l’original de son Cligès (prologue, v. 22). Robert correspond, de plus, avec d’autres historiens. En 1151, il demande, apparemment sans succès, à Gervais, prieur de Saint-Cénéri, monastère normand aux confins du Maine, d’étudier le duché de Normandie sous Geoffroi le Bel (1135-1151) ainsi que la généalogie de la maison d’Anjou (éd. et trad. t. 2, p. 314). Enfin, quelques éléments du travail et de la lecture des historiens par Robert se dégagent dans son prologue à Florus de Lyon, dans deux lignes introduisant Pline et dans une table annonçant la liste des évêques de France, mais aussi des abbés du Bec, du Mont-Saint-Michel et de Jumièges (éd. et trad., t. 2, p. 319-326).
7Robert de Torigni ne se soucie pas seulement d’écriture historique. C’est un religieux attentif à l’évolution du monachisme, à laquelle il consacre, autour de 1152-1154, un opuscule intitulé Changement de l’ordre des moines. Il y évoque, pêle-mêle, les nouveaux ordres (Cîteaux, Chartreuse, Fontevraud, Prémontré, Savigny), les fondations et constructions monastiques des ducs et nobles de Normandie et les abbés de Marmoutier, près de Tours (éd. et trad. t. 2, p. 249-276). Dans plusieurs de ses écrits, il se présente en administrateur avisé de la mense du Mont-Saint-Michel, qu’il a augmentée. Grâce à elle, il a pu faire passer de quarante à soixante le nombre de ses moines. Il mène d’importantes constructions dans le monastère, aussi bien sur la pente sud, adjointes à l’église de Notre-Dame-sous-Terre du xe s., que du côté nord ; l’une des deux tours bâties sur la façade occidentale de l’église abbatiale s’effondre toutefois (t. 1, p. xlvi). Robert compte, du reste, sur l’appui d’Henri II qui en fait le parrain de sa fille Aliénor, future reine de Castille (t. 1, p. 230, 372 : filiola). Sa fidélité envers le roi se concrétise dans sa façon de donner les dates d’après les années de son règne. Entre 1155 et 1159, il fait également œuvre d’archiviste inventoriant le fonds du Mont-Saint-Michel : il analyse, et parfois transcrit, quarante-neuf chartes faisant valoir les droits de l’abbaye (éd. et trad. t. 2, p. 277-312). En 1172, à la demande du justicier de Caen, il dresse la liste des feudataires de l’abbaye, disponibles pour l’ost d’Henri II (éd. et trad. t. 2, p. 365-376). La publication de tous ces textes épars dans le second volume est des plus bienvenues.
8La remarquable édition de Th. N. Bisson met à la portée des médiévistes l’œuvre de Robert de Torigni selon les exigences de l’érudition moderne, dont elle respecte toutes les normes : longue introduction, analyse des manuscrits, apparat critique des variantes, notes historiques, cartographie des lieux cités, ample bibliographie, index complets… Cette étude nous fait découvrir un abbé de premier plan qui, à la façon de Suger de Saint-Denis († 1151), sait marier le goût de l’histoire à la passion pour la vie monastique et à la rigueur de la gestion domaniale.
Pour citer cet article
Référence papier
Martin Aurell, « The Chronography of Robert of Torigni, Thomas N. Bisson (éd. et trad. angl.) », Cahiers de civilisation médiévale, 261 | 2023, 96-97.
Référence électronique
Martin Aurell, « The Chronography of Robert of Torigni, Thomas N. Bisson (éd. et trad. angl.) », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 261 | 2023, mis en ligne le 01 août 2023, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/12898 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.12898
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