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La dîme dans l’Islande médiévale. Sagas, lois et hiérarchies communautaires

Tithe in Medieval Iceland. Sagas, laws and communal hierarchy
Grégory Cattaneo
p. 7-34

Abstracts

Located on the periphery of the Catholic world, medieval Iceland is not so far from the West in its tithe collection process, its re-distribution and the fundamental role played by the communities of its inhabitants. A careful reading of the normative and narrative sources attests to the societal change that Iceland experienced around 1100 with the acclimatization of this foreign institution. In the ecclesial network imposed by episcopal policies, communities become territories subject to tithing. New centres of power appear in this landscape: the church-farms, places of collection of the decimal levy; just like new local elites like the decimators who sometimes merge with the old elites of the peasant world. Studying the tithe in Iceland amounts to asking the question of communal hierarchy, since the sources identify within the group of bændr, indigents, and elites, evolving within the territorial framework offered by the community and around the new centre of power represented by the church-farms.

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  • 1 Paul Viard, Histoire de la dîme ecclésiastique. Principalement en France jusqu’au Décret de Gratien(...)

1Les études réalisées sur la dîme dans l’Occident médiéval correspondaient autrefois à des entreprises d’histoire ecclésiastiques, notamment dans les travaux de Paul Viard et de Gabriel Le Bras, qui fondèrent leurs grandes synthèses sur des textes normatifs – qu’il s’agisse de collections canoniques, d’actes de conciles ou de capitulaires –, n’utilisant les actes de la pratique (chartes, narrations, coutumes) que de manière secondaire comme illustration des premiers documents1. De leurs synthèses sur l’histoire de la dîme, un découpage thématique selon trois périodes apparaît clairement. Tout d’abord, les origines de l’institution de la dîme sont observées, des premiers temps du christianisme – avec également quelques exemples tirés de l’Ancien Testament – jusqu’à son imposition à l’époque carolingienne. Vient ensuite la période où les autorités laïques ont la mainmise sur les produits de la dîme qui s’inscrivent alors dans les revenus seigneuriaux, ce qui est observé comme une dérive de l’origine noble et divine de l’institution décimale. Enfin, dans le cadre de la réforme ecclésiastique, ils présentent le phénomène de « restitution » des dîmes au clergé (séculier et régulier).

  • 2 Matthieu Arnoux, « Remarques sur les fonctions économiques de la communauté paroissiale (Normandie, (...)
  • 3 Roland Viader, « La dîme dans l’Europe des féodalités », dans La dîme dans l’Europe médiévale et mo (...)
  • 4 Roland Viader (art. cit. n. 3), p. 12-13. Il démontre que ces trois dimensions de l’étude de la dîm (...)
  • 5 La dîme, l’Église et la société féodale, Michel Lauwers (dir.), Turnhout, Brepols (Collection d’étu (...)

2Les historiens se sont petit à petit réattribués ce pan de l’histoire économique du Moyen Âge et ont étudié les dîmes selon leurs angles de recherches : seigneuries ou communautés rurales. Dans une étude des dossiers normands aux xiie et xiiie siècles, Matthieu Arnoux a démontré que la dîme comme institution était liée à la vie des communautés, essentiellement par les diverses redistributions du produit de celle-ci au sein de ces sociétés2. Toujours dans sa réflexion sur l’économie historique de la dîme, il s’est servi des autorités scripturaires, des textes normatifs et des pratiques locales afin de comprendre la question de la géographie européenne des dîmes. Le problème souligné par cet historien vient du fait que si la pratique du prélèvement décimal est bien connue dès le ixe siècle comme étant un pilier de l’institution ecclésiastique, sa géographie demeure toujours inconnue. Dans cette problématique d’ensemble, l’Islande correspond, à l’instar de la Pologne de Piotr S. Górecki, à ce que Matthieu Arnoux nomme un « pays de christianisation récente », ou à un « scénario alternatif ». Pour Roland Viader, l’introduction de la dîme pouvait être « explosive » dans une société où les écarts de fortune étaient faibles3. Ce dernier souligne trois dimensions de la dîme, qui relèvent en partie des visions historiographiques dérivant de l’époque moderne, afin de justifier ce type de prélèvement. Tout d’abord, nous aurions une dîme « ecclésiastique », imposée par l’Église ; ensuite une dîme « fiscale » imposée par le roi et enfin une dîme « domaniale », si on la considère du point de vue de la propriété4. Or ces trois dimensions doivent être soumises à la même analyse. Dans les pays francophones, les ouvrages La dîme dans l’Europe médiévale et moderne, dirigé par Roland Viader et La dîme, l’Église et la société féodale, dirigé par Michel Lauwers, présentent deux facettes d’une même volonté d’approfondir l’étude de cette institution médiévale et plus précisément de la place qu’occupait le prélèvement décimal dans le système social de l’Occident médiéval5. D’une manière assez simplifiée, on pourrait dire que les seconds s’emploient à étudier la dîme d’un point de vue des rapports entre l’ecclesia, le dominium et la société – selon des concepts empruntés à la réflexion d’Alain Guerreau –, tandis que les premiers conservent une approche plus classique oscillant dans le sens de l’histoire économique et sociale. Les deux ouvrages s’accordent toutefois pour souligner les difficultés rencontrées pour reconstituer cette histoire, notamment en raison des différences entre la production normative, la pratique et bien (trop) souvent l’absence de documentation. En Islande, les sources narratives (sagas de contemporains et récits pseudo-historiques) et les variantes manuscrites des Lois des dîmes fournissent plusieurs pièces permettant de constituer un dossier sur l’acclimatation de la dîme peu avant l’an 1100 et le changement que connut la société aux xiie et xiiisiècles dans cette région en périphérie de l’ecclesia occidentale. À la suite de la réflexion développée par Matthieu Arnoux, nous nous demanderons comment l’étude de la dîme en Islande ajoute à notre compréhension de la géographie européenne des dîmes.

L’acclimatation de la dîme : relire les sources narratives

  • 6 Six notices annalistiques font état de l’adoption des dîmes en 1097, avec des variantes infimes. Vo (...)
  • 7 Remarquons toutefois qu’une version manuscrite des Lois des dîmes, la rédaction de la Belgsdalsbók (...)
  • 8 La chronologie repose sur les éditions de la Sturlunga saga et pour affiner certaines datations, no (...)

3Les contemporains nous laissèrent de nombreuses sources narratives rédigées après les Lois des dîmes et décrivant ce changement de la société. Pris séparément, au détour d’une saga, ces récits émaillent la narration ; comme un passage obligé avant d’entrer dans le cœur d’une vita mettant en avant un évêque, d’un court récit décrivant le pédigrée d’un lignage aristocratique ou encore d’un récit pseudo-historiographique sur l’histoire « nationale » du peuple islandais. Les annales islandaises, allant toujours à l’essentiel, nous fournissent ces informations : « le paiement des dîmes a été adopté légalement en Islande 6 ». La dîme aurait vraisemblablement été introduite par un vote des représentants du peuple à la session de l’Assemblée générale qui se tint l’été 1097, toujours selon les récits annalistiques7. Jusqu’à présent, le dossier des sources narratives traitant de l’acclimatation de la dîme n’a pas fait l’objet d’une présentation exhaustive ni d’une étude approfondie. L’historien dispose pourtant là, avec les variantes manuscrites de ces sources, d’éléments de première main pour comprendre l’origine de ce changement que nous considérons comme majeur dans l’histoire de l’Islande médiévale (cf. tableau 18).

Tableau 1 – Dossier narratif traitant de l’introduction de la dîme

Tableau 1 – Dossier narratif traitant de l’introduction de la dîme

4Dans son Íslendingabók (Livre des Islandais), l’historien Ari fróði (le « Savant ») Þorgilsson, rapporte qu’un évêque, un chef local et un diseur de la loi travaillent de concert sur la réalisation des Lois des dîmes :

  • 9 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Íslendingabók [Livre des Islandais], dans Íslen (...)

« L’évêque Gizurr était le plus populaire auprès de tous ses compatriotes qu’aucun autre homme ayant vécu dans ce pays. Par sa popularité et sur sa proposition et celle de Sæmundr, et avec les conseils du diseur de la loi, Markús, une loi fut décrétée ordonnant à tous les habitants de compter et d’évaluer tout leur bien, consistant soit en terres, soit en biens meubles, en garantissant par serment l’exactitude de leur calcul, et d’en payer la dîme à partir de ce jour. Il y avait grand miracle à voir la manière dont les habitants du pays étaient dévoués envers cet homme, puisque toute la richesse de l’Islande parvint à être évaluée sous serment, jusqu’au pays lui-même et les dîmes à y payer, et des lois établirent qu’il en serait ainsi aussi longtemps que l’Islande serait habitée. L’évêque Gizurr fit également décréter que le siège épiscopal d’Islande devrait se situer à Skálholt, puisque jusqu’à présent il n’était fixé nulle part, et il dota le siège du terroir de Skálholt et de biens d’autres espèces de revenus soit de terres, soit de biens meubles. Et lorsqu’il lui sembla que ce siège était devenu suffisamment riche, il donna plus d’un quart de son diocèse afin qu’il y ait deux évêchés dans le pays, au lieu d’un seul, comme les gens des terres du Nord lui avaient demandé. Avant cela, il avait fait dénombrer les paysans propriétaires du pays et à cette époque il y en avait sept centaines en tout dans le quartier des fjords de l’est, dix [centaines] dans celui du quartier des gens de la Rangá, neuf [centaines] dans celui des gens du Breiðafjörður et douze [centaines] dans celui des gens de l’Eyjafjörður, mais ceux qui n’avaient pas à s’acquitter de la taxe pour assister à l’assemblée ne furent pas comptés dans toute l’Islande9. »

  • 10 Cf. ÍF, I (éd. cit. n. 9), chap. 10, p. 22 : « Markús Skeggjasonr hafði lögsögu næstr Sighvati ok t (...)
  • 11 Cf. ÍF, I (éd. cit. n. 9), chap. 9, p. 20-21 : « … kom Sæmundr Sigfússon sunnan af Frakklandi hinga (...)
  • 12 Cf. Magnús Már Lárusson, « Gizurr », dans Kirkjuritið, XXXIII, 1967, p. 350-369 et en particulier p (...)
  • 13 Islandske Annaler (éd. cit. n. 7), p. 471 : « Anno 1077 […] Sæmundur frodj kom wr schola aff Parijs(...)
  • 14 Cf. Paul Viard (op. cit. n. 1), p. 79-90 et pour la période suivante, toujours dans cette optique j (...)
  • 15 Le Capitulaire de Paderborn (« Capitulatio de partibus Saxoniae »), connu aussi comme le capitulair (...)
  • 16 Cette synthèse reprend la thèse de Paul Viard (op. cit. n. 1), p. 108 sq.
  • 17 Ibid., p. 101-102.

5Au sujet du diseur de la loi, que nous pensons être responsable de l’aspect juridique du texte qui nous est parvenu, Ari écrit : « Markús Skeggjason reprit la charge de diseur de la loi après Sighvatr et commença l’été où l’évêque Gizurr avait été dans le pays pour un an, et la conserva pendant vingt-quatre étés10. » Nous savons que sur les trois instigateurs des Lois des dîmes, deux étudièrent à l’étranger et nous supposons que leur enseignement « continental » aura façonné leur rédaction. Tout d’abord, Sæmundr fróði aurait étudié en Frakkland, toujours selon le témoignage d’Ari qui écrit : « Sæmundr Sigfússon revint en ce pays de Frakkland dans le sud11 ». Il a été longuement débattu sur l’emplacement géographique de Frakkland (littéralement : « le pays des Francs ») pour Ari qui peut désigner soit une région de France ou bien d’Allemagne. Ainsi, pour Magnús Már Lárusson il s’agirait de la Franconie dans la région du Haut-Rhin ; tandis que pour Peter Foote, qui a étudié le terme Frakkland dans d’autres textes islandais, Ari désigne ici soit le royaume des Capétiens, la Bourgogne, la Lotharingie soit le centre de l’ancien empire carolingien autour des cités d’Aix-la-Chapelle et de Liège12. Un récit annalistique, les Oddverjaannáll, nous renseigne sur le lieu où Sæmundr a résidé : « En l’an 1077 […] Sæmundr le Savant s’en retourne de son école à Paris », détail qui permettrait de restreindre l’identification de Frakkland avec le royaume des Capétiens13. Notons que les récits annalistiques sont loin d’être uniformisés et que leur rédaction tardive peut différer de la situation connue par Ari le Savant dans la première moitié du xiie siècle. Pour preuve, les dates du retour de Sæmundur en Islande divergent selon les autres récits annalistiques, qui donnent également 1076 et 1078. Ensuite Gizurr, l’évêque instigateur de la dîme, aurait étudié à la suite de son père, l’évêque Ísleifr, dans la ville de Herford située dans l’actuelle Rhénanie-du-Nord-Westphalie ; avant d’être ordonné en 1082 à Magdebourg, aujourd’hui dans la Saxe-Anhalt, afin de succéder à son père à la tête du diocèse de Skálholt. Ainsi, les deux premiers auraient étudié sur le continent, dans une zone géographique correspondant soit à l’ancienne Saxe, soit au royaume des Capétiens, selon l’interprétation que l’on donne au terme Frakkland à cette époque-là. Ces hypothèses d’emplacement nous amènent à une particularité de la dîme islandaise, qui correspond à la notion débattue de la decima substantia. Des savants évaluent cette part du prélèvement décimal à un dixième du revenu de la moisson tandis que d’autres considèrent qu’il s’agit en réalité d’un dixième de l’ensemble de la propriété14. La dîme islandaise était une dîme sur la propriété, qui était appliquée à un pour cent sur un domaine (libre de dettes) et un bien personnel (libre de dettes) qui équivalait au total au moins à cinq centaines. Nous pensons séduisant d’interpréter cet aspect particulier de l’évaluation de la dîme islandaise comme héritier de la dîme carolingienne de l’ancienne Saxe, que nos Islandais auraient acclimatée à leur retour chez eux15. L’étude de Paul Viard sur l’Histoire de la dîme ecclésiastique, et plus précisément sur la description de la dîme à l’époque carolingienne, permet de dresser un parallèle intéressant avec le prélèvement décimal décrit dans le droit islandais16. Tout d’abord, le taux de la dîme est « uniformément du dixième ». Ensuite, cet impôt est « strictement réel et de quotité ». Sa perception se fait en nature par le curé, sur le territoire constituant sa dîmerie, sans l’intermédiaire d’autorités laïques. Enfin, le produit est réparti entre quatre bénéficiaires : l’évêque, le clergé (dont le curé fait partie), les nécessiteux et l’institution paroissiale de la fabrica (en français moderne, « fabrique », c’est-à-dire l’ensemble des édifices sacrés d’une paroisse). Remarquons que c’est au curé que revenait la charge de diviser par quatre cet impôt décimal, en présence de témoins. Toujours selon l’étude de Paul Viard, le taux et l’uniformité de l’assiette sont conformes à la tradition, qu’il fait remonter à l’Ancien Testament, et rien dans les capitulaires ou les conciles, ne permet de soupçonner l’existence d’un autre taux de prélèvement. Toutefois, et nous reprenons ici son excellente remarque, le texte de la Capitulatio de partibus Saxoniœ écrit en toutes lettres decimam partem, là où les autres documents se contentent de decimam. Même si Paul Viard estime que le Capitulaire de Paderborn emploie des termes « trop généraux pour qu’on puisse les prendre à la lettre », il admet que si le terme substantia désigne l’ensemble des récoltes, celui de decimam partem renvoie aux revenus des fidèles17. Ainsi, à cette époque, tous les produits du sol étaient assujettis à la dîme.

6Le recensement de Gizurr témoigne d’une société islandaise hiérarchisée et de la volonté qu’a l’Église d’identifier l’élite du pays sur des critères économiques. Les gens qui sont imposés sont ceux qui, dans l’ancien système d’encadrement des hommes selon les þing et les goðorð, paient déjà la taxe pour assister à l’assemblée. Le récit pose les bases de ce qui deviendra l’ecclesia propria dans l’Islande des xiie-xiiie siècles. Dans l’Íslendingabók, le siège épiscopal, qui n’était établi nulle part, correspond au in partibus infidelium bien connu dans l’Occident médiéval, avant d’être fixé à Skálholt, sur les terres patrimoniales de l’évêque. Si Ari le Savant souhaite rendre hommage au geste de bonté de l’évêque, qui décide de se séparer d’une partie de son diocèse initial pour en créer un second, la réalité de cette action est toute autre. De même, le prêtre Ari explique dans ce passage que les habitants des contrées du nord demandaient à avoir leur propre évêché. La construction de ce texte est commune à de nombreux récits narratifs médiévaux où l’on fait passer un acte politique fort sous couvert de geste désintéressé et répondant à la demande des gens. Nous interprétons ainsi de manière prosaïque cette action comme une volonté de soumettre une région riche au contrôle de l’Église. Nous supposons qu’avant cela, le quartier nord, très éloigné du siège épiscopal de Skálholt (qui, nous le rappelons, se situe dans l’Árnesþing, dans le quartier sud) échappait à l’influence ecclésiale. Il faut ainsi voir dans ce geste, qu’Ari présente comme désintéressé, une réelle politique diocésaine de Gizurr qui sait parfaitement qu’en créant un second siège épiscopal dans le nord l’Église aura plus d’influence et de contrôle dans cette région éloignée.

7Deux récits contemporains, datant du début du xiiie siècle, semblent avoir été influencés par l’Íslendingabók dans leur description de l’acclimatation de la dîme. La Hungrvaka (littéralement « Qui éveille la faim »), cette chronique des premiers temps de l’Église catholique en Islande relatée comme une histoire des cinq premiers évêques d’Islande et plus précisément du diocèse de Skálholt, de 1056 à 1176, reprend dans les grandes lignes le témoignage offert par Ari le Savant :

  • 18 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Hungrvaka, dans Biskupa sögur [Histoire des Pre (...)

« Ces hommes étaient contemporains de l’évêque Gizurr : Sæmundr le prêtre d’Oddi, qui était à la fois très sage et le plus instruit de tous les hommes ; un autre, Markús Skeggjason, le diseur de la loi, qui était le plus grand sage et scalde. Ils se concertèrent et avisèrent les seigneurs à accepter comme loi que les hommes donnent chaque année une dîme de leur bien et de tout intérêt contracté sur leur richesse, comme il est de coutume dans les autres pays où les chrétiens résident. Et grâce à leur clairvoyance et leurs arguments pleins de sagesse, ils conclurent que les hommes entreprendraient le paiement des dîmes. [La dîme] sera ensuite divisée en quatre parts : une part aux mains de l’évêque, la seconde à l’Église, les clercs doivent recevoir la troisième part et les nécessiteux la quatrième. Et il n’existait pas alors à Skálholt une telle autre fondation de ressources et d’aide pour les malades et les pauvres comme le paiement des dîmes qui fut alors établi grâce à la popularité et à la générosité de l’évêque d’Islande18. »

8Plus succinct, le témoignage contenu dans la Jóns saga ins helga, reprend le texte d’Ari.

  • 19 Le superlatif algörvastr, que nous trouvons écrit algöfgastr dans les diverses leçons manuscrites d (...)
  • 20 Le substantif ástsemð apparaît également dans les leçons manuscrites de la version L, tandis que ce (...)
  • 21 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo du texte de la Jóns saga helga [Histoire de l’év (...)

« L’évêque Gizurr était le seigneur le plus important et le plus parfait19 des hommes en Islande de l’avis de tout le peuple, comme le raconte le prêtre Ari Þorgilsson. En raison de l’amour20 qu’on lui portait, et avec le conseil du prêtre Sæmundr et la consultation du diseur de la loi Markús, on décida par loi que tout le monde en Islande devrait évaluer l’ensemble de son bien par serment, qu’il s’agisse de terre ou de bien meuble, et payer la dîme de la façon qui a été suivie jusqu’à présent. L’évêque Gizurr inscrit également dans la loi que le siège épiscopal d’Islande devrait être à Skálholt, car auparavant il n’avait pas de localisation précise (in partibus infidelium). Il fit don de la terre à l’évêché, l’accompagnant de nombreuses autres richesses, à la fois en terre et en bien meubles21. »

9Cette saga appartient au genre des cycles de vitae de saints et de confesseurs islandais et la version islandaise qui nous est parvenue constitue la traduction d’un original latin perdu et attribué au moine de Þingeyrar, Gunnlaugr Leifsson, près d’un siècle après la mort du saint évêque de Hólar, au moment de sa canonisation. Le récit d’adoption de la dîme se distingue des autres textes par son caractère hagiographique, à la gloire de l’action épiscopale de Gizurr, qui annonce la vie exemplaire de Jón Ögmundsson, premier évêque de Hólar.

10Rédigé vraisemblablement à la fin du xiiie siècle et incorporé au sein de la compilation de la Sturlunga saga, le Haukdæla þáttr offre un récit complémentaire de l’acclimatation de la dîme en Islande, en exposant une chronologie ternaire commençant par les instigateurs du projet de loi puis sa mise par écrit, la création des sièges épiscopaux et enfin le recensement des paysans imposables :

  • 22 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Haukdæla þáttr [Récit des gens du Haukadalur], (...)

« L’évêque Gizurr était plus apprécié par tout le peuple que les autres hommes d’Islande. En raison de sa popularité, des talents oratoires du prêtre Sæmundr, de l’habile gestion de Markús l’homme de loi et de plusieurs hommes sages, il fut consigné par loi que tous les hommes d’Islande qui n’en étaient pas exemptés devraient recenser et évaluer leurs biens et se porter garant de leur juste valeur, tant en terres qu’en biens meubles, afin d’en payer ensuite la dîme. Ce fut un grand miracle la manière dont son autorité fut respectée de tout le monde, de sorte qu’il fut capable d’évaluer par serment toute la richesse du pays, de même que la terre elle-même, et d’avoir ensuite une dîme de l’ensemble payée parce qu’il l’avait fait loi pour aussi longtemps que l’Islande serait habitée. L’évêque Gizurr coucha aussi par loi que le siège de l’évêque en Islande devrait être à Skálholt et il donna pour cela la terre de Skálholt et beaucoup d’autres richesses en terres et en biens meubles. Et quand il estima que les richesses et les revenus du siège étaient assez prospères, il donna plus d’un quart de son diocèse afin qu’il y ait deux sièges épiscopaux en Islande. Avant cela, il avait fait recenser tous les paysans d’Islande et il y en avait huit cent quarante [700] dans le quartier des fjords de l’est, mille deux cents [1000] dans le quartier des gens de la Rangá, mille quatre-vingts [900] dans le quartier du Breiðafjörður et dans celui de l’Eyjafjörður mille quatre cent quarante [1200]. Et ceux qui ne pouvaient pas s’acquitter de la taxe pour assister à l’assemblée ne furent pas comptés22. »

11Avec cette réforme de la société islandaise, l’Église se dote de deux structures territoriales (les diocèses) et entreprend de faire main basse sur les richesses du pays (évaluation de la propriété).

  • 23 Depuis la fondation de l’Assemblée générale, les Islandais appartenant à la catégorie des bændr éta (...)
  • 24 Jón Jóhannesson, A History of the Old Icelandic Commonwealth. Íslendinga saga, University of Manito (...)
  • 25 Cette théorie a été proposée par Harald Ehrhardt, « “Land ok lauss eyrir”: Ursprung und Werdegang e (...)

12Le premier système existant depuis 930 est celui des assemblées qui regroupe dans des goðorð l’élite de la population islandaise, à savoir les bændr et les goðorðsmenn23. Le récit d’Ari affiche que Gizurr se fonde sur cette taxe pour décider qui sera soumis à la dîmée et le nombre des paysans décimables dans chaque quartier d’Islande. Comme Ari associe dans son récit le recensement de l’évêque Gizurr à l’adoption des Lois des dîmes, beaucoup pensent à un effet de conséquence, voire de continuité entre les deux phénomènes. Mais certains historiens, comme Jón Jóhannesson, ont démontré que ce recensement obéit à un deuxième agenda : voir s’il était possible de fonder un second siège épiscopal, toujours dans la logique de création diocésaine chère à l’évêque24. L’expression norroise « bæði í löndum ok lausum aurum » que nous retrouvons à l’identique dans l’Íslendingabók, la Jóns saga helga, la Kristni saga et le Haukdæla þáttr, semble être un néologisme correspondant à une traduction littérale et allitérée du latin mobilia et immobilia, et qui aurait été créé à l’époque de la rédaction des Lois des dîmes pour désigner les biens que les individus devaient évaluer afin de les offrir à leur église paroissiale pour le salut de leur âme25.

  • 26 L’éminent philologue islandais Sverrir Tómasson argue que le récit de la Kristni saga dépend en gra (...)

13Curieusement, la Kristni saga, œuvre relatant l’histoire de la christianisation de l’île boréale, de l’entrée des Islandais en christianisme à la fin du xe siècle au développement des premières institutions ecclésiales du pays au siècle suivant, n’offre que peu d’informations sur le processus d’introduction de la dîme mais insiste en revanche sur la recension des habitants du pays par quartier et de manière censitaire, faisant ainsi écho aux témoignages de l’Íslendingabók et du Haukdæla þáttr26 :

  • 27 Kristni saga [Histoire de la christianisation], traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo. (...)

« L’évêque Gizurr était si estimé parmi les habitants du pays que chacun était disposé à obéir à ses ordres et à ses interdictions. Et grâce à la popularité de l’évêque Gizurr, l’insistance du prêtre Sæmundr le Savant, qui était alors le meilleur clerc en Islande, et la direction de Markús, le diseur de la loi, et d’autres chefs, on fit passer comme loi que tous les hommes recensent et évaluent leurs biens et se portent garant de leur juste valeur, tant en terres qu’en biens meubles, afin d’en payer ensuite la dîme27. »

14Dans ce texte, Skálholt apparaît comme un diocèse à l’échelle du pays entier puisque Hólar, le second évêché, ne sera fondé qu’en 1106. Relevons que le diocèse de Skálholt était alors la seule ressource qui existait pour aider les malades et les pauvres et que le paiement de la dîme venait pallier cela. La raison première dans le discours d’adoption des dîmes repose donc sur l’aide que ce prélèvement apportera aux nécessiteux (fátœkr).

  • 28 Au sujet des communautés d’habitants, consulter Grégory Cattaneo, « Réflexion sur les hreppar. Les (...)

15La dîme en Islande obéit ainsi à une distribution quadripartite sur un modèle traditionnel : ¼ à l’évêque, ¼ au prêtre, ¼ à l’église paroissiale, ¼ pour les pauvres. Derrière ce modèle, la fixation de la dîme repose sur un compromis entre l’Église et les communautés d’habitants qui joueront alors le rôle principal dans sa collecte28. Les évêques précédant Gizurr étaient soit des évêques missionnaires, soit des évêques in partibus infidelium, c’est-à-dire exerçant leur charge avec le titre épiscopal, mais sans autorité territoriale. Les réformes de Gizurr permettent la création du diocèse en Islande et son incorporation au système diocésain de l’Église.

  • 29 Adam of Bremen, History of the Archbishops of Hamburg-Bremen, English Translation by Francis J. Tsc (...)
  • 30 Ísleifs þáttr byskups, dans Biskupa sögur II (éd. cit. n. 18), p. 337 : « Þá var um óhœgendi at lei (...)
  • 31 En Norvège, il semblerait que les dîmes furent introduites par le roi Sigurðr Jórsalafari (1103-113 (...)

16Adam de Brême relate qu’avant l’introduction du prélèvement de la dîme en Scandinavie, les prêtres imposaient de manière aléatoire un salaire pour leurs services29. Les sources islandaises laissent entrevoir une situation de continuité entre l’époque païenne et ses « impôts du temple » et la dîme ecclésiastique, comme dans le court témoignage contenu dans le Récit de l’évêque Ísleifr Gizurarson (Ísleifs þáttr byskups Gizurarsonar) : « En ce temps-là, pousser les hommes à faire des offrandes n’était pas chose aisée. Il n’y avait pas de dîme alors, mais il y avait des impôts qui étaient levés dans tout le pays30. » Cette continuité peut expliquer pourquoi les Islandais acceptèrent sans résistance la dîme. Elle permettait en effet aux propriétaires des staðir de bénéficier d’un revenu, comme celui que leurs aïeux les hofgoðar recevaient à l’époque païenne. À l’inverse du reste des pays scandinaves, l’Islande fut le premier pays à adopter une législation sur la dîme31. La dîme introduite en Norvège était également divisée en quatre parts, comme l’atteste le huitième chapitre de la loi provinciale de l’assemblée de Gula, décrété par le roi Magnús III (v. 1073-1103) :

  • 32 Gulaþingslög [Loi provinciale de l’assemblée de Gula], traduction du vieux norvégien par Grégory Ca (...)

« Nous avons conclu à cet accord avec notre évêque, qu’il assure pour nous les offices divins et qu’en retour nous le récompensions en lui offrant le droit à une dîme entière et complète, à la fois sur les récoltes et leurs fruits ainsi que sur toutes nos prises en poisson et en gibier. Et la dîme devra être divisée de sorte que l’évêque reçoive un quart, les pauvres un quart, l’Église un quart et le prêtre un quart32. »

  • 33 La pratique de l’église propriétaire (lat. ecclesia propria ou propriae hereditatis ; all. Eigenkir (...)

17Durant le Moyen Âge, les dîmes étaient considérées comme les taxes les plus élevées en Norvège. Avant la dîme, une autre taxe, nommée reiða, était versée à l’évêque et au prêtre. Ainsi, la dîme était supposée remplacer les charges pour le service ecclésiastique. Le texte conçu sous le règne du roi Magnús V Magnús Erlingsson (1162-1184) introduit une dîme annuelle pour la province de l’assemblée de Gula. Dans les pays scandinaves, l’introduction de la dîme causa plusieurs oppositions, parfois violentes, de la part du peuple. Nous pouvons expliquer cela par le fait que des églises paroissiales existaient avant le système de décimation. En revanche, et l’historien islandais Ari le Savant le souligne, l’Église catholique en Islande était construite sur le système de l’ecclesia propria du continent que nous avons identifié plus haut comme correspondant aux staðir33. Rappelons ici que le propriétaire d’une église appartenait presque toujours à l’élite locale et pouvait, grâce à son goðorð, siéger au comité législatif et légiférer avec ses pairs. Nous comprenons dès lors pourquoi l’introduction de la légalisation sur les dîmes fut acceptée par l’ensemble des représentants du peuple islandais à la session de l’Assemblée générale de 1097, puisqu’ainsi les propriétaires des églises pouvaient obtenir le quart de la dîme qui leur revenait.

La composition de la dîme selon les textes normatifs

  • 34 Diplomatarium Islandicum. Íslenzkt fornbréfasafn […] gefið út af Hinu íslenzka bókmentafélagi. Fyrs (...)
  • 35 La leçon principale que nous suivons est celle de la Konungsbók, dans son édition de la Grágás. Isl (...)

18Les Lois des dîmes (Tíundarlög) de l’évêque Gizurr Ísleifsson sont la première loi ecclésiastique d’Islande, adoptée à l’Assemblée générale vers 1096-1097 par le truchement du récitateur de la loi Markús Skeggasson et du puissant Sæmundr Sigfússon, comme vu ci-dessus à travers les divers témoignages narratifs. Les codices de la Grágás préservent des vestiges des premières Lois des dîmes et offrent les deux leçons manuscrites les plus anciennes qui auraient été préservées durant la seconde moitié du xiiie siècle (v. 1250-1275). Sept autres variantes manuscrites de ce document ont été conservées au cours des périodes postérieures : quatre pour le quatorzième siècle et trois pour le quinzième34. Les variations de certains livres permettent de pallier les lacunes de certaines leçons manuscrites. Les cinq chapitres retenus dans les Lois des dîmes sont les suivants : « Du paiement des dîmes », « De la dîme des nécessiteux », « De la dîme de l’évêque », « De la dîme des églises » et « Des questions des dîmes ». Nous proposons ici une traduction commentée des Lois des dîmes par rapport aux communautés d’habitants, suivant la leçon de la Konungsbók, et de ses variantes manuscrites quand cela s’avère pertinent35. Le texte ci-dessous définit de manière normative ce que le droit islandais considère comme des dîmes légales :

  • 36 « Du paiement des dîmes », Lois des dîmes selon la leçon de la Konungsbók (Grágás. Tíundarlög, trad (...)

« Il est prescrit dans les lois d’ici que tous les hommes du pays doivent payer en accord avec la loi une dîme sur leur propriété. Comme dîme légale, chacun possédant un bien d’une valeur estimée à cent unités de six aunes doit donner une unité de six aunes par an. L’homme qui possède, libre de dettes, dix unités de six aunes et plus au-delà de ses habits (son vêtement quotidien) doit donner une aune de laine de bure ou de laine brute d’environ un sixième d’un écheveau ou de la toison d’un agneau. L’homme qui possède vingt unités doit en donner deux aunes et l’homme qui en possède quarante doit donner trois aunes, de même que celui qui en possède soixante doit donner quatre aunes. L’homme qui en possède quatre-vingts doit donner cinq aunes. L’homme qui possède une centaine doit donner six aunes36. »

Tableau 2 – Rapport entre la propriété et la dîme selon la Grágás

Tableau 2 – Rapport entre la propriété et la dîme selon la Grágás
  • 37 Dans les sources du xiie siècle, une centaine (hundrað) correspondait soit à 120 aunes, à 360 aunes (...)
  • 38 Orri Vésteinsson, The Christianization of Iceland, Priests, Power, and Social Change 1000-1300, Oxf (...)

19La Grágás, comme illustrée dans ce tableau, montre que l’imposition est proportionnelle à l’inverse. Tout d’abord, quand la valeur de la propriété s’accroît jusqu’à 10 x 10 de 6 aunes par once ou plus, la dîme est estimée à 1 %. Nous supposons que cette divergence dans l’imposition supporte l’hypothèse selon laquelle la dîme était à l’origine fondée sur le système décimal37. Orri Vésteinsson souligne que l’Islande possède la particularité d’avoir une dîme dont la valeur correspond à une taxe à 1 % sur la propriété et non sur le revenu. Ce choix se justifie selon lui par une nécessité dans l’économie pastorale de l’île boréale dont les fermes ne pouvaient pas produire un revenu annuel fixe comme dans d’autres systèmes d’économies agraires primitifs38.

  • 39 Cf. Árni Böðvarsson, Íslensk orðabok. Önnur útgáfa, aukin og bætt. Reykjavik, Mál og menning, 1992, (...)

20Dans l’Occident médiéval, les dîmes prenaient trois formes. Tout d’abord, les prédiales qui se composaient du produit de la terre (céréales, fruits, légumes) et des animaux (allant de l’étable à la basse-cour) et les coutumes établissent généralement un distinguo entre les grosses (céréales) et les menues (légumes) dîmes. Venaient ensuite les dîmes personnelles, issues des bénéfices du commerce et de l’industrie, et enfin les novales (ou « nouvelles dîmes ») issues des conquêtes paysannes sur de nouveaux lieux de labour (comme les espaces de friches, forestiers et marécageux) issus des transformations géographiques du finage paysan. Présent dans la plupart de nos chartes, le mot composé « heima-tíund » désigne « la dîme de la terre sur laquelle l’église se tient, à payer au propriétaire foncier » ; il s’agit de la forme la plus commune de dîme, qui regroupe ou s’ajoute à plusieurs types de dîmes insolites témoins des ressources disponibles dans le pays39. Parmi les « produits soumis à la dîmée » (tíundarvara), on retrouvait une « dîme en fromage » (osttíund, osttollr, ostgjald) une « dîme en poisson séché » (skreiðartíund), une « dîme en phoques » (seltíund), une « redevance en chaussures » (skæðatollr) ou encore une « dîme en foin » (heytollr). La « redevance en luminaire » (ljóstollr) semble avoir été relativement importante dans cette société puisque le droit canon contient cette clause :

  • 40 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Kristinna laga þáttr [Droit ecclésiastique], se (...)

« Chaque homme qui paie la dîme doit payer la redevance luminaire à l’église en charge de l’inhumation, deux aunes d’étoffe de bure ou deux onces de cire […] Si un homme offre un bien à ses enfants, et [puisqu’] ils sont responsables d’eux-mêmes, alors ils doivent payer la dîme et la redevance luminaire40. »

  • 41 Cf., DI, I (éd. cit. n. 33), p. 268 ; DI, I (ibid.), p. 276 ; DI, I (ibid.), p. 342. Ces trois char (...)
  • 42 Magnús Már Lárusson, « Priser », dans KLNM (ibid., n.29), XIII, cols. 457.
  • 43 Voir à cet égard le « Décret de l’Assemblée générale au sujet de la redevance luminaire, du prix de (...)

21De part et d’autre de l’an 1200, la redevance luminaire devait être payée à des églises individuelles, comme l’attestent deux chartes de l’épiscopat de Þorlákr : la Charte de l’église de Reykjar dans la communauté d’habitants de Mosfell, dont la rédaction est datée de 1180 ; la Charte de l’église de Foss dans la communauté d’habitants d’Álptanes, dont la rédaction est datée de 1181 ; et une charte de l’épiscopat de l’évêque Páll : la Charte de l’église de Bessastaðir, dans la communauté d’habitants du Fljótsdalsherað, datée de 120341. Si l’on en croit un article de Magnús Már Lárusson, le prix de la cire évoqué dans cette provision était la norme vers la fin du xiie siècle42. Nous ne savons pas en revanche quand cette redevance devint une obligation, même si le décret voté à l’Assemblée générale en juin 1265 stipule que cette taxe doit être payée au plus tard le Vendredi Saint43.

Figure 1 – Islande médiévale

Figure 1 – Islande médiévale

1 Skálholt, évêché 
2 Hólar, évêché
a Oddi, centre de pouvoir
b Reykholt, centre de pouvoir
c Svínafell, centre de pouvoir
En noir, limite des deux diocèses.

Cl. Damien Bouet

Imposer les habitants des communautés

22La dîme était quadripartite : un quart pour l’évêque, un quart pour les nécessiteux, un quart pour le prêtre local et un quart pour l’église paroissiale. Dans la suite du texte des Lois des dîmes, nous découvrons ceux qui sont soumis à la dîmée dans ce cadre fiscal qu’est la communauté d’habitants :

  • 44 Nous trouvons mention de ces embarcations offertes « en charité » dans une clause de la Grágás, ave (...)
  • 45 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « Du paiement des dîmes », Tíundarlög [Lois des (...)

« Il n’est nul besoin de déclarer dans le paiement de la dîme tout bien déjà offert pour des bienfaits plaisant à Dieu, qu’il s’agisse de bien donné aux églises, aux ponts ou bien dans des embarcations pour charité et peu importe si ce bien est donné en terre ou biens mobiliers44. Nul besoin pour les prêtres de soumettre à la décimation les livres et les vêtements qu’ils possèdent ainsi que tout ce qu’ils utilisent au service de Dieu. Ils doivent soumettre à la décimation d’autres biens. Si un homme tient une maisonnée, il n’a pas besoin de décimer les réserves de sa maisonnée qui restent au printemps [21-27 mai]. S’il abandonne sa maisonnée ou vend quoi que ce soit dans ses réserves, alors il doit le soumettre à la décimation. Si un homme possède un goðorð, il n’a pas besoin de compter celui-ci dans le paiement de la dîme. Il s’agit d’une autorité et non d’une propriété. Tous les propriétaires devant payer la taxe pour assister à l’assemblée doivent payer une dîme sur leur propriété sans dettes45. »

  • 46 Björn Magnússon Ólsen (art. cit. n. 24), p. 295-394, en particulier p. 307 pour ce tableau.

23Plusieurs historiens utilisant des données médiévales se sont essayés à cet exercice, pour évaluer la démographie de l’Islande durant la période médiévale. Björn Magnússon Ólsen, en utilisant des données numéraires issues de l’Íslendingabók d’Ari le Savant pour l’an 1100 et le recensement des paysans imposables de 1311, a produit le tableau de synthèse ci-dessous46:

Tableau 3 – Paysans imposables par quartiers xie-xive siècles

Tableau 3 – Paysans imposables par quartiers xie-xive siècles
  • 47 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « Du paiement des dîmes », Tíundarlög [Lois des (...)
  • 48 Suite et fin du chapitre intitulé « Du paiement des dîmes » selon la Konungsbók, dans Grágás Ib, ch (...)

« Tous les propriétaires devant payer la taxe pour assister à l’assemblée doivent payer une dîme sur leur propriété sans dettes. Aucun montant ne doit être évalué pour les indigents [dont il a la charge]. Même si les moyens de cet homme sont modestes, il doit malgré tout verser une dîme s’il possède la valeur de dix onces libres de dettes, qu’il soit un propriétaire ou un domestique, à moins qu’il ait la charge d’indigents que son travail permet d’entretenir. Il est juste que les nécessiteux qui ne sont pas soumis à payer les dîmes en reçoivent leur part. Les femmes doivent payer les dîmes comme les hommes. Dans chaque communauté, les habitants doivent tenir des assemblées communales tous les automnes, pas avant que quatre semaines d’été ne soient écoulées [pas avant le samedi tombant entre le 13 et le 19 septembre] et distribuer les dîmes. Les paiements des dîmes doivent avoir lieu le premier dimanche d’hiver. Cinq hommes doivent être sélectionnés dans chaque communauté d’habitants, ceux qui sont estimés les plus capables, qu’ils soient propriétaires ou domestiques, afin de distribuer les dîmes et les aumônes en vivres, de superviser les serments des hommes et de poursuivre en justice les gens qui s’éloigneraient de la loi47. Chaque homme est requis d’assister aux assemblées communales où il doit soumettre sa propriété à la dîme ou bien envoyer quelqu’un à sa place, apte à le relever de ses devoirs légaux en son nom et dont la garantie est reconnue. S’il ne vient pas avant midi et que personne n’est envoyé à sa place, alors il est puni pour cela de trois marks et doit payer la dîme qu’on lui impose48. »

  • 49 Guðmundar saga dýra, dans Sturlunga saga I, chap. 5 (éd. cit. n. 22), p. 169 : « Þá var föstumatar (...)

24L’imposition de cette nouvelle mesure juridique concerne principalement les þingfararkaupsbændr et les goðorðsmenn, soit l’élite de l’Islande médiévale et à ce titre les femmes ne sont pas en reste. En effet, ces dernières pouvaient, au même titre que les hommes, occuper des fonctions de propriétaire, diriger leur exploitation et participer à la vie de la communauté d’habitants. Citons par exemple le personnage de Guðrún Þórðardóttir, bóndi de la communauté d’habitants d’Arnarnes dans l’Eyjafjörður, qui doit faire face à une pénurie de nourriture de carême durant l’été 118849.

  • 50 Il s’agit ici des clauses contenues dans le chapitre intitulé « Des dîmes », traduites d’après la l (...)

25L’habiter, cet impératif anthropologique, lie le paiement de la dîme à la communauté d’habitants du paysan propriétaire imposable, quel que soit son genre : « Où que soit sa propriété, un homme doit payer sa dîme dans la communauté d’habitants où il possède son domicile légal durant cette année50. » Cette nouvelle clause, selon la leçon de la Staðarhólsbók, signifie que le paiement de la dîme ne dépend pas du lieu de la propriété soumise à la dîme. Le passage suivant mentionne à nouveau la région locale par le terme herað, en synonyme de communauté d’habitants qui apparaît dans la phrase suivante :

  • 51 Lois des dîmes selon la leçon de la Konungsbók (Grágás. Tíundarlög, traduction du vieil islandais p (...)

« Si une dîme n’est pas payée dans la région locale et qu’aucune assignation n’a été faite pour elle, alors on est en droit de l’annoncer publiquement au Rocher de la Loi de l’Assemblée générale. Les habitants de la communauté et ceux à qui on a déféré [ces affaires] doivent annoncer cela dans les affaires concernant la dîme le vendredi et le samedi. Si les habitants de la communauté n’ont pas annoncé d’affaires avant le dimanche, alors chacun est en droit après le dimanche d’annoncer les affaires au moment où les tribunaux sortent51. »

26Les questions concernant les dîmes demeurent des affaires locales, donc liées aux communautés d’habitants :

  • 52 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « Du paiement des dîmes », Tíundarlög [Lois des (...)

« Chaque homme doit prêter serment sur ses biens et doit le faire quand il atteint l’âge de seize ans. Et tout le monde doit prêter un tel serment tous les trois ans. Les domestiques ou les hommes qui suffisent à leurs besoins doivent prêter serment en présence d’un propriétaire. Il est légal pour eux de prêter serment devant un propriétaire dont la présence rend le serment valable aux yeux de ceux qui sont sélectionnés pour superviser les serments dans chaque communauté d’habitants. Les propriétaires doivent annoncer la dîme payable par ces hommes durant les assemblées communales52. »

27Dans l’Occident médiéval, les paysans soumis à la dîmée devaient également donner des gages de caution en prêtant serment et nous n’observons pas véritablement de contestation sociale. Les communautés d’habitants d’Islande offrent véritablement le cadre du prélèvement décimal en mettant leur dispositif juridique au service de cette pratique : le « propriétaire foncier » (landeigendr) se porte garant de la validité des serments et la plupart des assemblées communales présentes dans les sources narratives traitent essentiellement des affaires concernant la dîme.

  • 53 Cf. Grágás Ib, chap. 259 (éd. cit. n. 34), p. 214. Nous présenterons en détail cette dîme en fin d’ (...)

28Les nécessiteux, qui sont en principe les bénéficiaires du quart de la dîme, échappent à cette imposition. Il ne faut pas oublier ou négliger l’importance de cette dîme dans l’essence même du prélèvement décimal et dans la structure des communautés d’habitants. La dernière clause de ces lois leur est consacrée, preuve que la dîme obéit avant tout à une logique de redistribution et d’assistance : « Toutes les dîmes qui sont trop petites pour obéir à une division doivent rejoindre la dîme des nécessiteux à l’automne, sauf si les évêques souhaitent les voir assignées à des églises53. » Les biens offerts pro anima devenaient souvent des avantages servant à la communauté d’habitants dans son ensemble. L’entretien des voies de communication tombait dans les prérogatives des habitants et le don de ponts et d’embarcations donnait un avantage certain à la communauté. Citons par exemple sur la rivière Ölfusá le rôle du bac de Kallaðarnes dans la communauté du même nom.

La naissance d’un espace ecclésial et communautaire

  • 54 Magnús Stefánsson, Staðir og staðamál. Studier i islandske egenkirkelige og beneficialrettslige for (...)
  • 55 Jón Viðar Sigurðsson, « Island og Nidaros », dans Ecclesia Nidrosiensis 1153-1537 : søkelys på Nida (...)
  • 56 C’est la thèse principale d’Helgi Þorláksson, Gamlar götur og goðavald. Um fornar leiðir og völd Od (...)
  • 57 Orri Vésteinsson (op. cit. n. 37), p. 128 sq., et 238.

29À la suite de l’introduction des Lois des dîmes, beaucoup de propriétaires d’églises et de fondateurs d’églises, des chefs et des paysans importants commencèrent à offrir leurs fermes (en partie ou totalement) à l’Église, de même qu’à leur saint patron. L’établissement d’églises et la création des paroisses relevaient de la sphère privée durant le xie et jusqu’au tournant du xiie siècle. Les centres ecclésiastiques étaient généralement fondés sur des terroirs qui fonctionnaient déjà comme centre de pouvoir dans les activités séculaires. Les individus qui offraient des donations de propriété ou de biens aux églises appartenaient tous à l’élite rurale. Ils possédaient un pouvoir local et évoluaient généralement dans l’assemblée d’un des détenteurs de goðorð qui opéraient dans la vie sociojuridique de chaque quartier. L’église qui possédait une ferme sur son domaine était alors nommée un staðr (pl. staðir ; lat. ecclesia propria) comme l’a magistralement expliqué Magnús Stefánsson54. Ce vaste sujet s’éloigne de notre propos, mais mérite que nous nous arrêtions sur quelques éléments pertinents ici. En extrapolant à partir de chartes tardives (notamment le cartulaire de l’évêque Auðun daté de 1318) et utilisant des définitions postérieures à l’époque de l’Islande indépendante, Jón Viðar Sigurðsson estime qu’environ 330 églises paroissiales furent fondées durant le xiie siècle et que le diocèse de Skálholt comptait à lui seul environ 220 églises vers 1200 (80 staðir contre 140 « fermes-églises ») tandis que le diocèse de Hólar possédait à la même époque environ 115 églises (35 staðir contre 80 « fermes-églises55 »). En plus de l’importance évidente de lieux de collecte de la dîme, les puissants veulent contrôler les « staðir » pour renforcer leur position géographique puisque ces établissements se trouvaient bien souvent le long de voies de communication, comme nous venons de le souligner au sujet des autres dons pro-anima que sont les ponts et les embarcations56. Orri Vesteinsson argue que les staðir furent établis pour créer plus de centres de pouvoir, au-delà d’un ancien système reposant sur le hof et le þing57. Pour rester sur le sujet de la dîme, regardons comment le lieu de collecte, à savoir la ferme-église locale, qui deviendra ensuite paroissiale, contribue à la construction d’un nouvel espace ecclésial et communautaire.

  • 58 Ces clauses ont été consignées dans le chapitre intitulé « De la dîme des églises » dans la Grágás  (...)
  • 59 Cf. Grágás Ib, chap. 258 (éd. cit. n. 34), p. 210 : « Sva scolo menn gialda tiund af öllum boiom ih (...)

30La partie la plus importante de la dîme, s’élevant aux deux quarts du montant total de l’imposition, revenait à l’église paroissiale et au prêtre local (en théorie pour son salaire58). Cette moitié de la dîme devait être payée à la même date, soit entre le 7 et le 13 mai. On imposait de payer les deux quarts de la dîme devant la ferme où se dressait l’église. Le chapitre est somme toute relativement proche des deux autres à l’exception de l’emploi herað pour désigner en réalité hreppr : « Les hommes doivent payer une dîme pour les églises de chaque ferme de la région, peu importe qui sont les exploitants de ces fermes, comme l’a ordonné l’évêque59. » Dans ce cas précis, on comprend qu’il est possible pour des raisons évidentes de proximité que certaines fermes paient la dîme dans des communautés d’habitants voisines puisqu’appartenant à une même région. La partie concernant les poursuites judiciaires en cas de non-paiement de cette dîme renforce notre hypothèse en plaçant la procédure dans le cadre institutionnel des « assemblées de printemps » (várþinga), les deux plaignants devant partager la même assemblée.

  • 60 Le problème de la paroisse dépasse le cadre de notre étude et pour des travaux récents, nous renvoy (...)
  • 61 Il remarque à juste titre que les termes latins diocesis et parrochia sont utilisés dans les source (...)

31Au Moyen Âge, une église paroissiale est un lieu permettant les sacrements du baptême, de la confession, de l’eucharistie, du mariage, et aussi l’inhumation des défunts. Cette définition normative est absente des codes juridiques islandais de notre période et n’apparaîtra que tardivement. À l’instar des médiévistes européens, les historiens islandais rencontrent un problème quand il s’agit de déterminer le concept de paroisse. Nous savons que le terme parochia signifiait quelque chose de différent selon les endroits et les époques. Dans l’Angleterre médiévale, on constate que les paroisses diminuèrent d’une superficie englobant les petits royaumes anglo-saxons à des zones réduites correspondant à notre idée de la paroisse : une zone occupée par une petite congrégation se réunissant le dimanche pour les offices. L’église paroissiale aurait alors les droits de baptême et d’inhumation tandis que le prêtre s’occuperait des offices pour lesquels il recevait les dîmes. Dans son article sur l’aspect territorial (ou non) de la paroisse, Emmanuel Grélois estime que la paroisse n’est pas un territoire, mais le devient progressivement entre les ixe et xiiie siècles. Il remet en cause la conception selon laquelle la paroisse serait territoriale et issue des démembrements du diocèse en petites unités. Le latin par(r)ochia renverrait ainsi à un groupe de chrétiens fédérés par lieu de culte et son prêtre propre (proprius sacerdos), faisant écho à la notion grecque de parrochia, signifiant le voisinage60. De son approche, nous pouvons retenir les points suivants qui font directement écho aux communautés rurales de l’Islande médiévale. Tout d’abord, le locus ou l’ecclésia, défini comme un lieu de culte, polarise dans une relation sociale ceux qui sont soumis à la dîmée (et aux aumônes) et les fidèles unis dans les sacrements à l’officier ecclésiastique qui dessert ce lieu de culte. La structure spatiale n’est pas une étendue, mais un point qui unit un voisinage. La dîmée, comme droit perçu sur des individus habitant à proximité de l’église, contribue à ce qu’il nomme la « territorialisation de la paroisse ». Ce phénomène territorial serait tardif et graduel et ne doit pas être mis en parallèle avec le morcellement successif de la paroisse primitive (concept allemand d’Urpfarrei61).

  • 62 Orri Vésteinsson (op. cit. n. 37), p. 295-296. Indiquons que dans son ouvrage, rédigé en anglais, i (...)

32Dans la société d’habitat dispersé qu’est l’Islande, le lieu de naissance prédominait plus dans le choix de l’église de baptême que l’existence d’une véritable église paroissiale. Orri Vésteisson a souligné que le terme sókn, utilisé en islandais moderne pour traduire le concept de paroisse, n’aurait été introduit qu’au xiiie siècle en Islande, vraisemblablement au moment où la Norvège s’immisça dans les affaires de l’île. Le terme utilisé dans nos sources est le même que celui d’assemblée, soit þing, rendant l’idée de congrégation religieuse, notamment avec le þingaprestr ou « prêtre de congrégation62 ».

  • 63 Cf. Diplomatarium Islandicum. Íslenzkt fornbréfasafn: sem hefir inni að halda bréf og gjörninga, dó (...)
  • 64 Nous connaissons deux exceptions du xive siècle. La charte de la chapelle d’Ingjaldshóll dans la co (...)

33Les sources établissent toutefois une distinction entre les « fermes-églises » (le v. isl bóndakirkja rend l’idée de domaine privé que l’historiographie allemande nomme Eigenkirchen), les « églises principales » (aðalkirkja) et les « églises d’inhumation » (graptarkirkja). Les chartes d’églises nous permettent de noter l’existence d’une typologie des églises et d’une hiérarchie existante entre elles. Cette hiérarchie repose sur le nombre de messes qui y sont dites par rapport au nombre de fêtes comprises dans le calendrier chrétien. Ainsi, une « église plénière » (alkirkja) doit assurer une messe pour toutes ces fêtes et le prêtre qui y officie doit recevoir quatre marks ; tandis qu’une « demi-église » (hálfkirkja) n’assure des messes que pour la moitié des fêtes du calendrier, généralement spécifiées dans la charte elle-même, et le prêtre touche un salaire de deux marks par messe chantée63. Parfois, nous trouvons mention d’une église de quart, assurant un quart des messes pour un quart du prix – soit un mark – et enfin la « chapelle » (bænhús). Les chapelles nous sont connues des sources narratives et diplomatiques, même s’il n’existe aucune charte de chapelle. En effet, la chapelle ne bénéficiait pas de dotation de terre et son existence nous est connue des chartes des églises mères64. Les chapelles assuraient généralement douze messes par an et reversaient six onces de salaire au prêtre. La chapelle représenterait ainsi, selon le classement des églises exposé ci-dessus, un huitième d’église. À l’échelle locale, nous observons trois types de lieux de culte : les églises plénières et les demi-églises, qui possédaient chacune des dotations de terre et les chapelles, qui n’en possédaient pas.

  • 65 Grágás III (éd. cit. n. 39), chap. 4, p. 14.

34Un passage du droit canon, contenu dans la leçon de la Skálholtsbók, stipule que l’évêque détermine le lieu où chaque individu doit payer la dîme65. Cette prérogative concerne aussi l’aménagement des zones soumises à la dîmée et le droit de recevoir la dîme d’une église à une autre. Le propriétaire de l’église recevant la dîmée a le droit d’assigner en justice ceux qui ne s’acquittent pas de l’impôt ecclésiastique et ceux qui prennent possession illégalement des biens de l’église.

  • 66 Les manuscrits utilisent parfois le terme sóknarkirkja au lieu de graptarkirkja lorsque la question (...)
  • 67 Droit ecclésiastique, dans Grágás Ia, chap. 2 (éd. cit. n. 34), p. 10 : « Si le corps d’un défunt e (...)

35La place du cimetière est importante pour déterminer si une église tombe dans la catégorie des églises paroissiales. Le terme « église d’inhumation » (graptarkirkja) qui désigne, soulignons-le, le seul type d’église que la Grágás distingue du terme générique d’« église » (kirkju) correspond de manière métonymique à l’église paroissiale. Cette synonymie des termes graptarkirkja et sóknarkirkja apparaît plus tard dans le code de droit canon de l’évêque Árni (127566). Dans le chapitre du Droit ecclésiastique de la Grágás, concernant « le transport du défunt », et rédigé entre 1122 et 1132, on apprend que deux entités sont superposées : la paroisse gérée par un curé et la communauté d’habitants sur laquelle se trouve l’église d’inhumation. Il existe ainsi dans nos sources normatives une dualité entre l’espace spirituel recouvert par la paroisse et le territoire de la communauté d’habitants67.

  • 68 Hrafns saga Sveinbjarnarsonar hin sérstaka, dans Sturlunga saga, II, Örnolfur Thorsson et al. (éd.) (...)
  • 69 Certaines communautés médiévales possédaient un finage étendu par rapport à leurs homologues modern (...)

36Dans une source décrivant la première moitié du xiiisiècle, la Hrafns saga Sveinbjarnarsonar, l’auteur laisse entendre qu’une « chapelle » (bænhús) est utilisée comme une « église d’inhumation » : « Dans la ferme qu’Ingi habitait se trouvait une chapelle. C’était une annexe de l’église qui se tenait à Rauðasandur. Le saint évêque Þorlákr avait ordonné que nulle part il ne fallût laisser les chapelles s’effondrer, il fallait payer une taxe de six onces à l’église d’inhumation dont dépendait la chapelle68. » Le paysan propriétaire Ingi Magnússon a bâti une chapelle sur sa ferme de Hvalsker dans le Patreksfjörður. Cette annexe se situe à environ 7,5 km au nord-est de l’église de Saurbær qui se tient dans la communauté de Rauðasandur, dans le Þórskafjarðarþing. Dans le récit de la saga, il semble évident pour le scribe que l’église d’inhumation remplit le rôle d’église paroissiale dont dépendent une ou plusieurs chapelles69.

  • 70 DI, IV, no. 489 (éd. cit. n. 63), p. 442.

37À l’époque suivante, nous observons qu’un décret épiscopal datant de 1431 doit être proclamé dans toutes les églises d’inhumation (graptarkirkja), preuve que ces églises ont alors acquis un statut important au sein du développement paroissial et sont devenues un maillon essentiel du système diocésain sous l’autorité de l’évêque, comme dans le reste de l’Europe féodale70. À notre époque toutefois, aucun document ne permet d’attester que ces églises d’inhumation occupaient ce rôle au sein du maillage ecclésial.

Figure 2 – Communauté d´habitants de Rauðasandur

Figure 2 – Communauté d´habitants de Rauðasandur

Hvalsker, chapelle
Saurbær, église principale 
la limite du finage communautaire
En noir, finage de la communauté médiévale.

Cl. Damien Bouet

Les décimateurs : une nouvelle élite communale

  • 71 Gabriel Le Bras (op. cit. n. 1), II, p. 257. Andrew George Little, « Personal Tithes », dans Englis (...)
  • 72 Mathieu Arnoux (art. cit. n. 3) p. 153.

38Il existe un manque de cohérence dans le statut de la dîme, qu’il s’agisse de la pratique ecclésiale ou de la pratique communautaire. Comme l’Église n’a jamais défini le statut de la dîme, les usages locaux qui se sont développés diffèrent selon l’institution étudiée et la place laissée à la pratique locale est grande. Pour les autorités ecclésiales, la dîme appartient au créateur, et donc à l’Église et à son administration, alors que pour les paysans, la dîme appartient à la communauté qui la perçoit, mais aussi au clergé, à l’église paroissiale et enfin aux pauvres. Dans ses dossiers, Matthieu Arnoux note que les différences de pratique entre l’Église et la communauté n’entraînent pas de conflit sur le paiement de la dîme, l’usage local montrant que l’impôt décimal est généralement accepté par les paysans qui forment les communautés rurales. L’absence de menaces ou de persuasion de la part du clergé dans la perception des dîmes témoigne bien de l’acceptation de la ponction décimale par les paysans. Cette situation n’était toutefois pas considérée comme acquise et allant de soi par les autorités ecclésiales qui, dans leurs règles de perception de la dîme, donnaient aux décimateurs la possibilité d’intenter une action en cas de non-paiement, de recourir à la contrainte, à l’adjuration ou encore à l’officium juridis71. Le clergé pouvait aussi recourir à la sanction extrême : l’excommunication. Le décimateur constitue ainsi une nouvelle catégorie, qui évolue progressivement vers un office qui pouvait être héréditaire. Auxiliaires laïcs de la puissance ecclésiastique, ils connaissaient une certaine promotion sociale. Matthieu Arnoux souligne la place importante de la dîme au sein du système de représentation sociale de la communauté paysanne. Il signale avec l’exemple normand des vavasseurs de la paroisse, dont la tâche est de collecter les dîmes et de les redistribuer, que des hiérarchies se créent inévitablement au sein du groupe avec la création progressive d’une nouvelle élite chargée du prélèvement décimal72.

  • 73 Nous pensons, en suivant les informations contenues dans le chapitre V du Droit ecclésiastique, que (...)

39Dans l’Islande médiévale, la dîme collectée dans les fermes-églises des communautés d’habitants va transformer la société des paysans durant le xiie siècle. Elle devient en effet une source de revenus importante pour les « gros propriétaires fonciers » (stórbændr) qui possédaient une ferme-église sur leur propriété. L’évolution au sein de la communauté d’habitants obéit à une logique similaire avec d’un côté les propriétaires des églises et l’agent de l’évêque qui officie comme décimateur du quart revenant au prélat, et de l’autre les « procureurs communaux » (sóknarmen) qui avaient en charge la dîme des nécessiteux. Le décimateur est pourtant un personnage totalement ignoré de la recherche historique islandaise, qu’il reste encore à présenter. En lisant sous le texte de la Grágás, nous comprenons qu’il existe un individu nommé par l’évêque et apparaissant dans nos sources sous le terme générique d’« homme » (maðr). L’étude des lois concernant les dîmes et les communautés d’habitants nous renseignent un peu plus sur ce personnage, qui appartient à la catégorie sociale des paysans propriétaires (bændr) et doit résider dans la communauté d’habitants soumise à la dîmée. Selon cette logique, nous pensons qu’il existe autant de décimateurs que de communautés d’habitants dans chaque diocèse. Agent du pouvoir épiscopal, le décimateur a le droit de poursuivre en justice quiconque refuse de payer la dîme de l’évêque. Il ne fait aucun doute qu’il ne peut qu’appartenir à l’élite locale et avoir la structure nécessaire pour entreposer les dîmes de tous les payeurs. En Occident, on construisait des granges aux dîmes (appelées aussi « granges dimères » ou « granges dîmeresses » en français, tithe barns en anglais, Zehntscheunen en allemand, pour rendre le latin granarium), souvent dépendantes d’un monastère ou d’une autorité locale. Le texte ne fait toutefois aucune allusion au bâtiment dans lequel est entreposée la dîme en Islande. Nous supposons que ce personnage est également l’homme qui possède l’église sur laquelle l’évêque fait ses offices et qui reçoit la moitié des dîmes de chaque habitant de la communauté73. Les Lois des dîmes prévoient en effet que la moitié du prélèvement décimal aille à l’entretien du bâtiment et la tenue des offices (salaire du prêtre local par exemple). Certains de ces propriétaires se chargeaient eux-mêmes d’officier dans leur église et étaient ordonnés prêtres. Mais dans la plupart des cas, lorsque le propriétaire de l’église n’était pas ordonné prêtre, celui-ci était malgré tout son serviteur. Nous comprenons donc que dans les premiers temps de l’ère chrétienne en Islande, l’élite séculaire possédait un pouvoir fort sur l’Église catholique. N’oublions pas que pour certains, le goðorð avait un aspect sacré, et certains goðorðsmen occupaient des fonctions religieuses, que ce soit aux temps païens ou à l’époque chrétienne.

  • 74 Egils saga Skalla-Grímssonar, Sigurður Nordal (éd.), Reykjavik, Hið íslenzka fornritafélag (Íslenzk (...)
  • 75 Landnámabók, dans ÍF, I, S 41/H 29 (éd. cit. n. 9), p. 77 et 79.
  • 76 Nous nous éloignons ici radicalement de la théorie d’un « double goðorð » développée par Lúðvík Ing (...)

40Expliquons ce point curieux en faisant un détour par l’histoire du Reykhyltingagoðorð, qui, nous le rappelons, se situera dans le finage de la communauté d’habitants de Nyðri-Reykjadalur. Cette charge est détenue de 930 à 972 par Tungu-Oddr, fils du colon Önundr Breiðskeggr à Breiðabólstaður, au sujet duquel l’Egils saga relate : « Oddr était alors chef dans le Borgarfjörður, au sud de la Hvítá. Il était chef du temple et dirigeait le temple où tous les hommes, jusqu’à l’intérieur de la Skarðsheiður, payaient un impôt [du temple74] ». Deux hypothèses se présentent à nous concernant l’origine et la nature de ce goðorð. Tout d’abord, l’origine du goðorð détenu par Tungu-Oddr est vraisemblablement religieuse, si l’on en croit le témoignage de l’Egils saga qui le présente comme un hofgoði (« chef / prêtre du temple »). Ensuite, il exerce son pouvoir en imposant son dominium aux habitants d’un territoire aux limites géographiques précises. Nous pouvons interpréter cette territorialité du goðorð comme un anachronisme qui renvoie probablement à une réalité contemporaine de l’auteur de la saga, soit de la première moitié du xiiie siècle. Ajoutons également que ce type de taxation a souvent été interprété comme une transposition de l’imposition décimale des xiie et xiiie siècles dans un passé païen fantasmé. Ou alors, nous pouvons lire de manière littérale le texte de l’Egils saga, qui omet le mot goðorð et utilise uniquement le champ lexical du sacerdoce païen avec les termes hofsgoði, hof et hoftollr, pour convenir que Tungu-Oddr est bien un prêtre païen et non un goðorðsmaðr. En gardant cette conclusion en tête, regardons du côté du lignage des gens de Geitaland, descendants du colon Grímr hinn háleygski de Hvanneyri, qui possède ce goðorð à partir d’Úlfr Grímsson établi à Geitaland, de 930 à 955. Ses fils Hrólfur auðgi et Hróaldr le contrôlent de 955 à 96575. Hrólfr Hróaldsson, le fils de ce dernier, le reprend de 965 à 978. Pendant une période de quarante ans après la fondation de l’alþingi, le Reykhyltingagoðorð serait ainsi partagé entre Tungu-Oddr de Breiðabólstaður et trois générations de Geitlendingar. Nous pouvons ainsi élargir notre conclusion en présumant que le Reykhyltingagoðorð n’est pas partagé entre deux lignages, mais appartiendrait uniquement aux gens de Geitaland ; le statut de Tungu-Oddr et sa fonction au sein de la communauté seraient en revanche liés au domaine sacerdotal païen, avec un pouvoir lié à la chefferie locale, puisqu’on le nomme höfðingi du Borgarfjörður. Cette théorie permet de simplifier la nature du Reykhyltingagoðorð qui ressemble ainsi aux autres goðorð, avec une transmission patrilinéaire de facture classique76. Illugi rauði Hrólfsson exerce ainsi la charge de goðorðsmaðr de 978 à 998 dans les résidences de Hraunsás, d’Hofstaðir et d’Innri-Hólmur, puis son frère Sölvi Hrólfsson résidant à Geitaland en hérite de 998 à 1035. Après lui, son fils le prêtre Þórðr Sölvason à Reykholt de 1035 à 1078, puis son fils Magnús Þórðarson également prêtre et goðorðsmaðr de 1078 à 1120. Ses fils Sölvi et Þórðr en héritent de 1120 à 1145, puis le fils du premier, le prêtre Páll Sölvason, de 1145 à 1185. Enfin, Magnús Pálsson, le dernier prêtre issu du lignage de Geitlendingar, exerce la charge de goðorðsmaðr de 1185 à 1206. Le lignage des Geitlendingar comporte en tout onze goðorðsmenn et sur les sept qui officient après la christianisation de l’Islande, quatre (soit plus de la moitié) sont également prêtres. En rappelant l’importance locale qu’occupait le « prêtre du temple » Tungu-Oddr, nous constatons que le lignage des goðorðsmenn du Reykholtsdalur possède un lien fort avec le religieux.

41Au xiie siècle, les membres de l’élite islandaise étaient plus ou moins liés et étendaient leur pouvoir sur les biens séculiers et ecclésiaux. L’Église catholique en Islande était dépendante de l’autorité des puissants chefs séculiers et servait généralement leurs intérêts. Son pouvoir, assujetti à ces derniers, était très limité et nous comprendrons les luttes des évêques des xiie-xiiie siècles pour asseoir leur autorité. Dans l’Occident médiéval, les recteurs de paroisse étaient décimateurs et recevaient les prédiales de leur circonscription et les dîmes personnelles des domiciliés, puis cette catégorie des décimateurs s’étend à tous les clercs séculiers, des évêques aux chanoines en passant par les moines. Tout l’enjeu de la réforme grégorienne sera d’obtenir – avec peu de succès – la restitution des dîmes que les laïcs ont usurpées.

L’évêque et les élites locales face à la dîme

  • 77 Le chapitre « De la dîme de l’évêque », qui sert de fil rouge à ce commentaire, se situe dans la Gr (...)
  • 78 Ces précisions sont apportées dans le chapitre du Droit ecclésiastique intitulé « des évêques », au (...)

42Nous l’avons dit, un quart de la dîme prélevée dans toutes les communautés d’habitants des diocèses islandais revient aux évêques77. L’autorité épiscopale utilise les communautés d’habitants et non les paroisses pour prélever la dîme. Il est admis par les historiens que les paroisses n’étaient pas encore assez importantes en Islande et les communautés d’habitants fournissaient le cadre territorial nécessaire à la politique diocésaine. La structure du diocèse couvre la division en quartiers, un pour le nord et un pour le sud, l’est et l’ouest. Cette division territoriale englobe ensuite la division en « communautés d’habitants légales », appelées indistinctement löghreppr et herað, qui constituent la cellule de base, juridiquement reconnue par cette société78.

43La visite pastorale de l’évêque se fait une fois par an pour le quartier nord dépendant du diocèse de Hólar et une fois chaque été pour les trois autres quartiers dépendants du diocèse de Skálholt. Outre le rôle proprement pastoral, si le droit mentionne les « communautés d’habitants légales », c’est bien pour la pratique de la dîmée :

  • 79 Nous traduisons ici le chapitre intitulé « De la dîme de l’évêque », toujours selon la leçon de la (...)

« […] Quand un évêque se rend en visite dans un quartier, alors il doit annoncer lors des pratiques religieuses de chaque communauté d’habitants, qui doit recevoir le quart de dîme qui lui revient. Le jour convenu pour payer les sommes dues à l’évêque est le jeudi après que quatre semaines d’été se sont écoulées [7-13 mai], au domicile légal de l’homme que l’évêque chargea de devenir son agent79. »

44Si dans l’Occident les décimateurs devaient fixer la date et le mode de paiement de la dîme, les Lois des dîmes établies par Gizurr imposaient un calendrier précis pour chaque quart de dîme.

  • 80 cf. Grágás Ia, chap. 5 (éd. cit. n. 34), p. 19 : « Byskop er við þat skyldr. þa er hann ferr vm fio (...)
  • 81 Soulignons que le texte écrit « í heraði », qui doit se traduire par « communauté d’habitants » et (...)
  • 82 Cf. Grágás Ia (éd. cit. n. 34), p. 20 : « Þar er maþr scal gjalda tiund byscopi. hann scal gjalda g (...)
  • 83 Cf. Grágás II (éd. cit. n. 43), chap. 15, p. 22.

45Dans le chapitre consacré aux devoirs des évêques islandais, nous apprenons que les quartiers correspondent aux diocèses – le quartier nord pour le diocèse de Hólar et les trois autres pour celui de Skálholt – et que : « Pendant son voyage dans les quartiers, l’évêque doit rendre visite à chaque commune légalement établie afin que les gens le rencontrent ; consacrer les églises, les chapelles et les oratoires ; baptiser les enfants et entendre les confessions80. » Dans la suite de ce chapitre, nous apprenons qu’il reçoit du propriétaire de l’église qu’il consacre un montant de douze onces (aura), contre six onces pour une chapelle ou un oratoire. Le paysan propriétaire chez qui l’évêque loge doit fournir, en plus du gîte et du couvert, des chevaux le jour du départ. La hiérarchie locale présentée dans ce passage montre que le paysan chez qui loge l’évêque appartient toujours à l’élite rurale puisqu’il possède des domestiques (húskarlar) à son service. En outre, il évolue dans la structure de la communauté d’habitants (hreppr) puisqu’il peut bénéficier de l’aide de ses voisins (búar) qui doivent lui fournir des chevaux pour l’évêque s’il en fait la requête. L’évêque doit annoncer dans chaque communauté d’habitants à quel membre doit être versé le quart de la dîme qui lui revient81. Le jeudi (4-11 mai), ils doivent apporter la dîme du prélat chez leur voisin sélectionné par l’évêque. Celle-ci doit être payée en or, en argent travaillé, en laine de bure ou en pelisse de marchandise82. Remarquons le caractère luxueux de tous ces produits, qui enrichiront les évêchés islandais. Mais la dîme de l’évêque est versée comme un salaire, en échange des offices religieux qu’il doit conduire au sein des communautés d’habitants (hreppar) de son diocèse. En effet, la Staðarhólsbók contient une addition surprenante dans laquelle il est dit : « Si un évêque refuse de faire ce qu’on attend de lui en accord avec la loi, ils [les membres d’une communauté d’habitants soumis à la dîmée] peuvent décider de conserver ses dîmes »83.

46Lorsque certains seigneurs des xiie-xiiie siècles lutteront contre l’Église pour la question des dîmes alors que les évêques souhaiteront faire appliquer la réforme grégorienne, les sagas des contemporains apporteront des témoignages tout en nuances face à la rigidité des codes juridiques. La première phase de restitution des dîmes date du temps de l’évêque Þorlákr Þórhallsson, soit de 1178 à 1193 et concerne le diocèse de Skálholt. Nos sources sur la dîme dans le dernier quart du xiisiècle sont intimement liées aux voyages du saint évêque dans son diocèse.

47Le Récit des gens d’Oddi (Oddaverja þáttr), connu également sous le titre de Seconde vie de Þorlákr le Saint, traite entre autres de ses démêlés avec les seigneurs de son diocèse au sujet de la dîme. L’évêque d’Islande entend suivre les directives de son archevêque et restituer les biens ecclésiaux à l’Église en Islande, appliquant ainsi les préceptes de la réforme grégorienne à l’île boréale. Le Récit des gens d’Oddi contient cinq épisodes où la dîme est abordée par l’évêque et son projet expliqué aux seigneurs de son diocèse. La tournée de l’évêque commence à l’est de l’évêché de Skálholt, dans les fjords de l’est, puis redescend d’est en ouest, en passant par les terres du sud. Dans ce texte, chaque intervention de l’évêque est construite comme un sermon dans un jeu de dialogue où les seigneurs passent pour des « gentils » qui n’entendent pas le projet de l’évêque et donc de Dieu et finissent toujours par s’en repentir et consentir aux demandes de l’Église, représentée ici par Þorlákr. Ainsi, face à Sigurðr Ormsson, seigneur et goðorðsmaðr de Svínafell dans la communauté d’habitants du Litla-Herað nous lisons ce témoignage :

  • 84 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Oddaverja þáttr [Récit des gens d’Oddi] dans Þo (...)

« L’évêque répondit alors : “Voici les termes par lesquels les ignorants doivent clairement renoncer au pouvoir sur leurs biens, qui leur a été offert par Dieu ; ils ne sont d’aucune valeur devant leurs lois et ne peuvent faire l’objet d’aucun débat, et puisqu’aux yeux de la loi cette dispute devient chère aux évêques, l’obstination de ces hommes-là les empêche de suivre cette parole qui devant Dieu porte en elle un espoir de salut. Ils sont excommuniés selon les lois de l’admonition, ceux qui conservent avec entêtement la dîme ou le bien des saints hommes, sauf s’ils se résolvent à des accords de paix et reconnaissent leurs torts84.” »

48L’évêque présente avec quelques fioritures son projet de restitution des dîmes en ambiance grégorienne. Après avoir eu gain de cause dans le quartier est, il s’en prend au quartier sud, dans la vicinité de son siège épiscopal, en rendant visite à Jón Loptsson, seigneur et goðorðsmaðr d’Oddi dans la communauté de Rangárhverfi :

  • 85 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Oddaverja þáttr [Récit des gens d’Oddi] dans Ib (...)

« L’évêque répondit avec les mêmes arguments qui furent lus auparavant et bien d’autres encore en disant : “Tu sais très bien Jón, si tu veux suivre le droit chemin, que l’évêque contrôle les biens de l’Église et les dîmes selon l’ordonnance des apôtres et des autres Saints-Pères ; et autant les laïcs ne peuvent obtenir aucun droit sur ces choses, autant ils ne pourront jamais posséder librement ces mêmes choses au nom d’une ancienne coutume. J’ai foi en ce que les dirigeants des églises qui furent avant nous seront grandement pardonnés pour n’avoir jamais été sommés par leurs supérieurs de collecter les églises et les dîmes par eux-mêmes et de fait ils doivent être excommuniés, ceux qui avec entêtement conservent les dîmes ou bien les terres de Dieu contre la volonté ou bien le consentement des évêques85.” »

49Il invoque le droit canon pour justifier son action et la restitution des dîmes. Enfin, alors que Þorlákr visite la communauté d’habitants de Mýdalur, l’auteur écrit :

  • 86 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Oddaverja þáttr [Récit des gens d’Oddi] dans Ib (...)

« Il y eut ensuite une autre affaire entre eux qui se déroula à Höfðárhlaup [également orthographié « Kötluhlaup »], parce qu’il avait pris possession de beaucoup de fermes qui appartenaient à ce terroir parmi lesquelles se tenaient des églises. Par conséquent, il y eut moins de maisons pour le service religieux et la dîme fut réduite86 »

  • 87 L’Íslendinga saga nous apprend le projet épiscopal en ces mots : « Lorsque l’évêque Guðmundr revint (...)
  • 88 Prestssaga Guðmundar góða, dans Sturlunga saga I, chap. 29 (éd. cit. n. 22), p. 158 : « Guðmundr va (...)
  • 89 Íslendinga saga, dans Sturlunga saga I, chap. 20 (éd. cit. n. 22), p. 246 : « Biskup hafði jafnan K (...)

50La seconde phase de restitution des dîmes, dans le diocèse de Hólar cette fois-ci, est dépeinte dans la Sturlunga saga, à travers de nombreux démêlés qui opposent l’évêque Guðmundr Arason et les seigneurs islandais au début du xiiie siècle. Les communautés d’habitants sont les premières à en souffrir, mobilisées dans les conflits armés comme troupes ou bien ne bénéficiant pas du produit de leurs dîmes. En effet, Guðmundr entreprend d’appliquer la réforme grégorienne dans son diocèse, à l’instar de ce que l’évêque Þorlákr avait entrepris dans le diocèse de Skálholt une vingtaine d’années plus tôt87. En 1202, lorsqu’il part se faire sacrer évêque par l’archevêque Eiríkr de Niðarós, devant le roi de Norvège Hákon, l’évêque-élu Guðmundr góði Arason (évêque de Hólar de 1203 à 1237) emporte avec lui le produit de la dîme qui lui revient comme sa richesse personnelle, sans en faire profiter les habitants du diocèse88. Kolbeinn Tumason, le plus grand seigneur du nord de l’Islande au début du xiiie siècle, qui avait contribué à l’élection de Guðmundr, se retrouve en porte-à-faux vis-à-vis du nouveau prélat. Défenseur de l’immunité des prêtres face à la justice séculière, dans laquelle les goðorðsmenn ont la plus grande influence, Guðmundr entre rapidement en conflit ouvert avec les élites des deux diocèses. Deux pratiques du droit vont s’opposer pendant plusieurs décennies : celle des clercs ou « lois de Dieu » (guðslög) et celle des laïcs ou « lois du pays » (landslög). Les entreprises de réforme de l’évêque commencent tout naturellement à l’échelle locale et touchent ainsi la région du Skagafjörðr, où se tient le siège épiscopal et où Kolbeinn Tumason a établi la seigneurie des Ásbirningar. Les paysans propriétaires représentant les communautés d’habitants du Skagafjörður de Skaga, Sauðárhreppur, Hegranes, Sæmundarhlíð, Tungusveit, Goðdalir, Blönduhlíð, Viðvíkur, Hjaltadalur, Óslandshlíð, Höfðaströnd, Sléttahíð et Fljót. Dans un épisode du printemps 1207, il reproche au seigneur Kolbeinn et à ses hommes de ne pas payer les dîmes, de ne pas verser de biens à l’église et de laisser leurs parents pauvres dans l’indigence. Il reproche ainsi aux élites du Skagafjörður, nommées « paysans » (bændr) dans la saga, de ne pas respecter les lois des communautés d’habitants89.

  • 90 Ibid., chap. 25, p. 254 : « Nú setjast þeir Arnórr ok Sigurður yfir staðinn auk alla staðarins eign (...)
  • 91 À cette époque, le premier possède le contrôle d’une seigneurie reposant sur le Hrollaugsniðjagoðor (...)

51Face aux abus de l’évêque dans son diocèse, l’Íslendinga saga relate pour 1210-1211 : « Désormais, Árnorr et Sigurðr prirent le contrôle de l’évêché et de toutes les propriétés épiscopales, puis nommèrent des hommes pour prélever les dîmes de l’évêque et prendre tous ses biens90. » Les deux hommes qui s’attaquent ainsi à l’évêque de Hólar sont des membres de la plus haute élite du début du xiiie siècle : Sigurðr Ormsson est le seigneur des Svínfellingar, contrôlant le Skaptafellsþing tandis qu’Árnorr Tumasson est le seigneur des Ásbirningar contrôlant l’Hegranesþing91.

52La réforme grégorienne, plaçant en fer de lance la question de restitution des dîmes à l’Église, provoque plusieurs conflits à l’âge des Sturlungar qui contrastent avec la peinture souvent lisse des codes juridiques et des documents diplomatiques. Les accusations de l’évêque envers les « hommes de Kolbeinn » qui sont tous des bændr, concernent directement les chefs des communautés d’habitants qui occupent la fonction de décimateur. Il faut voir sous le texte la volonté de l’évêque d’obtenir un contrôle plus grand (exclusif) sur la dîmée, comme le saint évêque Þorlákr l’avait fait dans le diocèse de Skálholt. À l’inverse de ce diocèse, nous ne disposons pas, hélas, de chartes datées de notre période permettant d’observer le rapport entre les dîmes et les communautés d’habitants dans le diocèse de Hólar et notre vision provient essentiellement des sources narratives.

La dîme des nécessiteux : un groupe social invisible ?

  • 92 La Konungsbók contient un livre entier intitulé Section des indigents (Ómagabálkr) qui traite en XV (...)
  • 93 Si l’on se tient à cette étude sur la terminologie de la pauvreté au Moyen-Âge (cf. Karl Bosl, « Po (...)
  • 94 Dans sa lecture des sagas des Islandais selon un angle juridique, William I. Miller revient sur les (...)

53Dans les lois islandaises, les nécessiteux regroupent une grande partie de la population. Ceux qui ne peuvent pas payer la « taxe pour assister à l’assemblée » (þingfararkaup) et qui n’appartiennent pas au groupe des riches propriétaires que nous avons analysé ci-dessus tombent dans cette catégorie. Dans nos sources, nous observons un clivage social entre les nécessiteux (þurfamenn) et les paysans propriétaires capables de payer la taxe pour se rendre à l’assemblée (þingfararkaupsbændr). Les lois permettent d’affiner notre lecture des sources narratives en nous donnant des éléments pour distinguer au sein de cette catégorie plusieurs classifications et hiérarchies sociales92. L’importance des lois concernant la pauvreté illustre à quel point ce fléau touchait l’Islande ancienne comme une grande partie de l’Occident médiéval93. La pauvreté et l’accès inégal aux ressources ont réduit une bonne part de la population à la dépendance, qui toucha son maximum entre la fin du xiie et le début du xiiie siècle. La réalité sociale suggérée par les lois est plus complexe que celle des sagas, qui ne dépeignent que la vie quotidienne des hommes d’assemblée et de leurs chefs et qui offrent par conséquent la vision tronquée d’une société d’égaux94. Les nécessiteux tombent sous le coup des Lois des dîmes, puisqu’un chapitre leur est consacré : la « dîme des nécessiteux » (þurfamannatíund), constituant le dernier quart de la dîme.

  • 95 Nous rappellerons ici la disette de 1200, pendant laquelle Þórðr Snorrason, chef de la communauté d (...)

54Les þurfamenn représentent un groupe social rassemblant en son sein la couche la plus basse de la paysannerie islandaise. Il s’agit de fermiers libres, possédant un domicile, mais ne pouvant pas s’occuper des personnes à charge sans aide extérieure. L’action des Lois des dîmes, avec leur clause concernant cette catégorie, instrumentalise à l’échelle locale les communautés d’habitants qui fournissent un soutien matériel et financier à ces paysans miséreux, les empêchant de basculer dans la pauvreté la plus complète. Les membres aisés de la communauté, c’est-à-dire pouvant payer la taxe pour assister à l’assemblée, devaient consacrer un quart de leur dîme annuelle aux plus démunis dans le cadre d’une « dîme des nécessiteux » (þurfamannatíund) vivant dans la communauté ou bien appartenant à une autre communauté, à condition que ces derniers soient plus dans le besoin95. Cette mesure d'assistance concerne les paysans qui ne peuvent pas payer la taxe d'assistance à l'assemblée et la dîme. La quatrième part de la dîme, destinée aux plus pauvres, montre que seuls les membres aisés de la société islandaise étaient assujettis à cette obligation.

55Le chapitre se lit ainsi :

  • 96 Sur la « livre » ou eyrir, voir la note 38.

« Les habitants de la communauté, qui ont été choisis pour cela, doivent diviser la dîme de chaque homme en quatre parts, sauf si la dîme est inférieure à une livre96, et cette dîme est légalement consacrée à un usage. Un quart de la dîme doit être versée aux nécessiteux de la communauté, qui en ont besoin pour entretenir leurs indigents pendant l’année, et répartie parmi eux, en priorité envers ceux qui en ont le plus besoin. Les dîmes ne doivent pas être versées à des étrangers de la communauté, à moins que les membres de l’assemblée ne se soient mis d’accord sur cela et estiment que les étrangers à la communauté d’habitants en ont un plus grand besoin.

La part allouée aux nécessiteux doit être en laine de bure ou en manteaux de peau ou en laine ou en toisons ou en nourriture ou en n’importe quel cheptel sauf en chevaux. Elle doit être perçue et acheminée aux bénéficiaires avant la Saint Martin [10 ou 11 novembre]. Si elle n’est pas parvenue dans les délais, alors on constate un refus de payer la dîme et une pénalité de six marcs est imposée. Le nécessiteux, qui doit en être le bénéficiaire, est le mandant dans l’affaire avec le droit de le poursuivre en justice et de le déférer. L’autre mandant est l’homme choisi comme procureur dans la communauté d’habitants qui a alloué cette dîme à l’homme dans le besoin. Les citations à comparaître dans l’affaire doivent être faites au domicile légal du défendeur, et cinq voisins, qui vivent au plus près du lieu d’assignation, doivent être cités à comparaître à l’Assemblée générale. L’homme qui a alloué [la dîme] au nécessiteux a le droit de faire les citations à comparaître à son domicile, le jeudi après que quatre semaines d’été sont écoulées [7-13 mai], à condition que le paiement de la dîme ne soit pas encore parvenu. Il est en droit ce jour-là d’accepter le paiement en laine de bure au nom du nécessiteux à condition que l’autre soit décidé à payer. Il n’est pas alors requis d’accepter d’autres moyens de paiement à moins qu’il le souhaite.

Si la dîme n’est pas arrivée ce jour-là, alors l’homme choisi pour poursuivre en justice ou l’homme à qui il confie l’affaire, doit se rendre dans le champ de sa ferme et nommer des témoins pour témoigner qu’il est prêt à accepter la dîme que l’autre homme doit payer, et le nommer et déclarer à combien le paiement s’élève, et qu’il ne voit personne là pour s’acquitter de ce paiement en son nom.

  • 97 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « De la dîme des nécessiteux », Tíundarlög [Loi (...)

Il doit nommer des témoins une seconde fois, « pour témoigner », doit-il dire, « que [je] le poursuis en justice » ; et le nommer « sur le principe qu’il refuse de lui payer la dîme » ; et nommer le nécessiteux « et je déclare qu’il est puni de six marcs pour cela et doit payer deux fois le quart de dîme, comme les voisins l’ont évalué » ; ou pour la partie non payée si une partie a déjà été payée. « J’assigne en justice pour paiement et versement de cette somme » ; et déclarer à l’assemblée à laquelle il l’a cité à comparaître en l’assignant de manière légale. À l’Assemblée générale, il doit convoquer cinq voisins d’où il a fait la citation à comparaître97. »

56La dîme des nécessiteux se composait de vivres et de produits permettant d’assurer la survie pendant l’hiver, comme du cheptel (comprendre moutons et bêtes à cornes) pouvant donner de la laine, du lait et de la viande ; et de quoi se vêtir. Ce dernier élément est important, car les paysans nécessiteux devaient, toujours selon la loi, prodiguer aux indigents vivant sous leur toit de quoi se vêtir. En cas de non-paiement de la dîme, la loi se montre sévère puisque c’est l’équilibre entier de la communauté d’habitants qui risque de basculer dans la misère. Les membres de la communauté règlent entre eux ces affaires avec la pratique des cinq voisins, toujours sélectionnés en fonction de leur lieu de résidence – proximité immédiate du lieu d’assignation, du pâturage communal objet de discorde, etc. – qui traduit une logique communautaire de la justice, proche de la compurgation du droit germanique. Un élu local doit allouer la dîme aux nécessiteux de la communauté et le texte fait état de plusieurs hommes partageant cette tâche, sans donner un décompte exact. La dîme des nécessiteux, collectée par les habitants de la communauté et pour les habitants de la communauté, semble bien établie dans les pratiques sociales des hreppar. Elle illustre à elle seule la complexité des hiérarchies communautaires existant à l’échelle locale.

Conclusion

57Dans le processus de collecte de la dîme et de sa redistribution, l’Islande médiévale n’est pas si éloignée de l’Occident et les communautés d’habitants jouent un rôle fondamental. La lecture attentive des textes normatifs et narratifs atteste du changement sociétal que connut l’Islande vers 1100, avec l’acclimatation de cette institution étrangère. Les Lois des dîmes marquent véritablement la naissance des communautés d’habitants comme institutions d’aide aux indigents et organes locaux du pouvoir ecclésial. Les communautés d’habitants assument ainsi les fonctions que les paroisses pouvaient remplir dans d’autres parties de l’Occident médiéval. Dans le maillage ecclésial voulu par Gizurr et suivi par les diverses politiques épiscopales qui lui ont succédé, les communautés deviennent des territoires soumis à la dîmée. De nouveaux centres de pouvoir apparaissent dans ce paysage : les fermes-églises, lieux de collection du prélèvement décimal. La pratique de la dîmée prouve que si l’église fournit un cadre à la société, c’est la communauté qui réalise la perception et la redistribution de l’assiette.

58En reléguant la dîmée à une histoire de l’ecclesia, nous passons donc à côté d’un pan de l’histoire de l’acclimatation du dominium en Islande : celle des hiérarchies communautaires et locales (indigents et élites), des fermes importantes possédant une église paroissiale (liens entre demi-églises, églises plénières et églises paroissiales), et des témoignages narratifs des contemporains sur l’importance ce phénomène. La dîme transforme la société islandaise en profondeur. Tout d’abord, la perception qui incombe au décimateur et à ses agents a pour conséquence directe l’accroissement des différenciations sociales entre les habitants d’une même communauté et la création d’une élite locale. Nous observons ainsi une société des élites au sein de la communauté et une société des bændr, qui vont de plus en plus se différencier pour aboutir durant la fin du xiie siècle à la naissance de seigneuries territoriales dont les communautés d’habitants constituent l’assise locale. Les Lois des dîmes décrivent enfin une troisième catégorie sociale en lui donnant un statut juridique au sein de la communauté d’habitants : celle des nécessiteux. Avec la part de dîme qui leur est allouée et les diverses mesures charitables décrites dans les sources narratives, la communauté d’habitants parvient à conserver un équilibre social, souvent fragile dans cette société en proie à autant de crises de subsistances. En collectant les dîmes et en redistribuant son bénéfice, les communautés d’habitants vont pouvoir apporter une stabilité qui n’existait pas auparavant sur l’île boréale.

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Notes

1 Paul Viard, Histoire de la dîme ecclésiastique. Principalement en France jusqu’au Décret de Gratien, Dijon, Imprimerie Jobard, 1909 ; puis Histoire de la dîme ecclésiastique dans le royaume de France aux xiie et xiiie siècles (1150-1313), Paris, Alphonse Picard et Fils, 1912. Gabriel LE BRAS, Institutions ecclésiastiques de la chrétienté médiévale, Paris, Bloud & Gay, 1959-1964, t. I-II. Ces travaux de grande érudition trouvent toujours une résonnance aujourd’hui de par le choix des sources mises à contribution et permettent de percevoir les enjeux de l’institution de l’ecclesia qui a disparu peu à peu de notre formation au métier d’historien.

2 Matthieu Arnoux, « Remarques sur les fonctions économiques de la communauté paroissiale (Normandie, xiie-xiiie siècles) », dans Liber largitorius, Études d’histoire médiévale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, Dominique Barthélemy et Jean-Marie Martin (dir.), Genève, Droz, 2003, p. 417-434. À la même époque, Robert Fossier publiait sur son terrain d’étude, la Picardie : « Remarques sur la dîme en Picardie (xie-xiiie siècles) », Revue du Nord, LXXXVI, 2004, p. 615-631, ici p. 615, preuve de l’intérêt nouveau de la dîme chez de grands historiens du monde rural.

3 Roland Viader, « La dîme dans l’Europe des féodalités », dans La dîme dans l’Europe médiévale et moderne, Roland Viader (dir.), Toulouse, Presses universitaires Mirail-Toulouse, (Flaran, XXX), 2010, p. 35 ; Mathieu Arnoux, « Pour une économie historique de la dîme », dans La dîme dans l’Europe médiévale et moderne, op. cit., p. 145-159 ; Piotr S. Górecki, Parishes, Tithes, and Society in Earlier Medieval Poland, c. 1100–c. 1250, Philadelphie, American Philosophical Society (Transactions of the American Philosophical Society, 83, 2), 1993.

4 Roland Viader (art. cit. n. 3), p. 12-13. Il démontre que ces trois dimensions de l’étude de la dîme correspondent à un phénomène de partage historiographique bien connu des historiens, à savoir les champs du « religieux », du « politique » et de « l’économique ».

5 La dîme, l’Église et la société féodale, Michel Lauwers (dir.), Turnhout, Brepols (Collection d’études médiévales de Nice, XII), 2012.

6 Six notices annalistiques font état de l’adoption des dîmes en 1097, avec des variantes infimes. Voir Islandske Annaler indtil 1578. Udgivne for det norske historiske Kildeskriftfond ved Gustav Storm, Christiania, Grødal (Det norske historiske kildeskriftfonds skrifter, 21), 1888, qui signale l’adoption des Lois des dîmes dans les Resensannáll, p. 19 : « Tivndar gialld i log tekit » ; dans les Høyersannáll, p. 59 : « Tiundar gialld i laug tekit » ; les Lögmannasannáll, p. 251 : « tiunda gialld loghtekit a Islande » ; les Gottskálksannáll, p. 319 : « tivndar gialld j log tekit aa Islandi » et les Oddverjaannáll, p. 472 : « Anno 1097 tyundar gialld logtekid ai Jslandi ».

7 Remarquons toutefois qu’une version manuscrite des Lois des dîmes, la rédaction de la Belgsdalsbók de la Grágás, avance l’adoption de cette décision d’une année, en 1096, date que l’historien Jón Jóhannesson, suivi par l’ensemble de l’école islandaise, attribue à une erreur du scribe à qui l’on doit cette rédaction de l’ancien droit canon islandais, cf. Grágás. Stykker, som findes i det Arnamagnæanske Haandskrift Nr. 351 fol., Skálholtsbók, og en Række andre Haandskrifter, tilligemed et Ordregister til Grágás udgivet af Kommissionen for det Arnamagnæenske Legat, Vilhjálmur Finsen (éd.), Copenhague, Gyldendal, 1883, chap. 23, p. 134 : « M. XC. ok vj. vætr » ; Jón Jóhannesson, Íslendinga saga, Reykjavik, Almenna bókafélagið, 1956, t. I, p. 178.

8 La chronologie repose sur les éditions de la Sturlunga saga et pour affiner certaines datations, nous avons eu recours à l’étude de Peter HALLBERG, « “For the sake of” in C13 and C14 Icelandic prose », dans Úr Dölum til Dala : Guðbrandur Vigfússon centenary essays, Rory MCTURK et Andrew WAWN (dir.), Leeds, Leeds Studies in English, 1989, p. 130.

9 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Íslendingabók [Livre des Islandais], dans Íslendingabók. Landnámabók. Fyrri hluti. Jakob Benediktsson (éd.), Reykjavik, Hið íslenzka fornritafélag (Íslenzk fornrit, I, 1), 1968, chap. 10, p. 22-23 : « Gizurr byskup vas ástsælli af öllum landsmönnum en hverr maðr annarra, þeira es vér vitim hér á landi hafa verit. Af ástsælð hans ok tölum þeira Sæmundar, með umbráði Markús lögsögumanns, vas þat í lög leitt, at allir menn tölðu ok virtu allt fé sitt ok sóru, at rétt virt væri, hvárt sem vas í löndum eða í lausaaurum, ok gørðu tíund af síðan. Þat eru miklar jartegnir, hvat hlýðnir landsmenn váru þeim manni, es hann kom því fram, at fé allt vas virt með svardögum, þat es á Íslandi vas, ok landit sjálft ok tíundir af gørvar ok lög á lögð, at svá skal vesa, meðan Ísland es byggt. Gizurr byskup lét ok lög leggja á þat, at stóll byskups þess, es á Íslandi væri, skyldi í Skálaholti vesa, en áðr var hvergi, ok lagði hann þar til stólsins Skálaholtsland ok margra kynja auðœfi önnur bæði í löndum ok lausum aurum. En þá es honum þótti sá staðr hafa vel at auðœfum þróazt, þá gaf hann meir en fjórðung byskupsdóms síns til þess, at heldr væri tveir byskupsstólar á landi hér en einn, svá sem Norðlendingar æstu hann til. En hann hafði áðr látit telja búendr á landi hér, ok váru þá í Austfirðingafjórðungi sjau hundruð heil, en í Rangæingafjórðungi tíu, en í Breið<firð>ingafjórðungi níu, en í Eyfirðingafjórðungi tólf, en ótalðir váru þeir, es eigi áttu þingfararkaupi at gegna of allt Ísland. »

10 Cf. ÍF, I (éd. cit. n. 9), chap. 10, p. 22 : « Markús Skeggjasonr hafði lögsögu næstr Sighvati ok tók þat sumar, es Gizurr byskup hafði einn vetr verit hér á landi, en fór með fjögur sumur ok tuttugu. » Jakob Benediktsson précise que Bjarni, le grand-père de Markús Skeggjason, était le petit cousin de Skapti Þóroddson et que Markús était parent de Þuríðr Snorradóttir, d’Ari Þorgilsson et de l’évêque Ísleifr (cf. Ibid., note 3, p. 381). Ari connaissait donc bien Markús Skeggjason et avait grâce à ce dernier accès à un témoignage de première main sur la genèse de cette nouvelle législation. De tous les diseurs de la loi qui se succédèrent au Rocher de la Loi de l’Assemblée générale, Markús Skeggjason est celui qui servit le plus longtemps, de 1084 à sa mort en 1107, soit vingt-trois étés, preuve s’il s’en faut de son talent juridique (cf. Magnus Bernhard Olsen, « Lovsigemanden Markus Skeggessøns arvekvæde over kong Erik Eiegod », dans Edda, XV, 1921, p. 161-169). Outre ses qualités d’homme de loi, Markús est connu par les auteurs du xiiie siècle comme étant également un des grands scaldes islandais du XIe siècle, qui mit sa poésie au service des rois Ingi Steinkelsson de Suède (1080-1111), Knútr inn ríki (1080-1086) et Eiríkr eygóðr Sveinsson († 1103) du Danemark. Son Éloge du roi Eiríkr (« Eiríksdrápa ») a été préservé au sein de la Knýtlinga saga, dans Danakonunga sögur [...]. Bjarni Guðnason (éd.), Reykjavik, Hið íslenzka fornritafélag (Íslenzk fornrit, XXXV), 1982, p. 212-239 et Judith Jesch, « Old and new in Markús Skeggjason’s Eiríksdrápa », dans Scandinavia and Christian Europe in the Middle Ages : papers of The 12th International Saga Conference Bonn/Germany, 28th July-2nd August 2003, Rudolf Simek et Judith Meurer (dir.), Bonn, Hausdruckerei der Universität Bonn, 2003, p. 268-274). Snorri Sturluson le cite à sept reprises dans la liste des poètes qu’il dresse dans ses Skáldskaparmál tandis l’auteur du Troisième Traité Grammatical reproduit deux contributions attribuées à ce dernier (cf. Guðrún Nordal, Tools of Literacy : the role of skaldic verse in Icelandic textual culture of the twelfth and thirteenth centuries, Toronto, University of Toronto Press, 2001, p. 78, 85-86, 168, 332).

11 Cf. ÍF, I (éd. cit. n. 9), chap. 9, p. 20-21 : « … kom Sæmundr Sigfússon sunnan af Frakklandi hingat til lands… ». L’historien Helgi Þórláksson estime que Sæmundr Sigfússon (1056-1133) était le principal militant de l’introduction de la dîme en Islande et vraisemblablement à l’origine de sa division quadripartite qui aurait selon lui influencé le développement de la dîme norvégienne qui selon lui aurait été ratifiée en 1153, mais introduite de manière formelle en 1163. Helgi suppose que, de la fin du xie au début du xiie siècle, l’éducation du clergé islandais était supérieure à celui de la Norvège, ces derniers nommant des évêques islandais chez eux, comme Kolr à Vík, Óttar à Bergen et vraisemblablement Ívarr à Niðarós. L’exemple d’Ísleifr et de Gizurr semble confirmer cette théorie. Voir Helgi Þorláksson, « Iceland and Norway in the Middle Ages : The Historical Background » dans Church and Art. The Medieval Church in Norway and Iceland. Kirkja og kirkjuskrúð. Miðaldakirkjan í Noregi og á Íslandi. Samstæður og andstæður. Lilja Árnadóttir et Ketil Kiran (dir.), Reykjavik, Norwegian Institute for Cultural Heritage Research / National Museum of Iceland, 1997, p. 9-11.

12 Cf. Magnús Már Lárusson, « Gizurr », dans Kirkjuritið, XXXIII, 1967, p. 350-369 et en particulier p. 358 ; Peter Foote, « Aachen, Lund, Hólar », dans Aurvandilstá : Norse Studies, Michael Barnes, Hans Bekker-Nielsen et Gerd Wolfgang Weber (dir.), Odense, Odense university press (The Viking collection. Studies in Northern Civilization, II), 1984, en particulier p. 115-120. Notons que la thèse d’un territoire situé dans l’actuelle Allemagne reste toujours répandue au sein des chercheurs islandais, voir par exemple l’étude d’Helgi Skúli Kjartansson, « Þegar Frakkland var í Þýskalandi. Athugun á breytilegri notkun heitanna “Frakkland” og “Frakkar” í fornmálstextum », dans Í garði Sæmundar fróða: Fyrirlestrar frá ráðstefnu í Þjóðminjasafni 20. maí 2006, Reykjavik, Hugvísindastofnun Háskóla Íslands, 2008, p. 85-113.

13 Islandske Annaler (éd. cit. n. 7), p. 471 : « Anno 1077 […] Sæmundur frodj kom wr schola aff Parijs. » Remarquons qu’il s’agit de la seule source annalistique à identifier la ville où étudia ce savant homme, là où les autres se contentent de : « Sæmundr le Savant revint de l’école » (cf. à la date de 1076 dans les Annales regii, ibid., p. 111 : « Sémvndr hinn fróði kom ór scóla » et les Flateyjarannáll et à la date de 1078 dans les Lögmannasannáll, ibid., p. 251 : « Sémundr hinn frode kom or skola »).

14 Cf. Paul Viard (op. cit. n. 1), p. 79-90 et pour la période suivante, toujours dans cette optique juridique : Id., Histoire de la dîme ecclésiastique dans le royaume de France aux xiie et xiiie siècles (1150-1313), Paris, 1912. On consultera aussi Erkki Olavi Kuujo, Das Zehntwesen in der Erzdiözese Hamburg-Bremen bis zu seiner Privatisierung, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia (Annales Academiae Scientiarum Fennicae, Ser. B, Tome LXII, I) 1949, principalement p. 21 et plus récemment la thèse d’Alexandra SANMARK, Power and Conversion. A Comparative Study of Christianization in Scandinavia, op. cit., p. 37-38 et 62.

15 Le Capitulaire de Paderborn (« Capitulatio de partibus Saxoniae »), connu aussi comme le capitulaire de Charlemagne aux Saxons est une loi qui fut promulguée en 785 par l’empereur des Francs et qui contient, outre des règles visant à mettre fin au paganisme sur le territoire des Saxons, au chapitre XVII, une clause introduisant le concept de decima substantia (cf. Capitularia regum Francorum, Alfredus Boretius (éd.), Edidit societas Aperiendis Fontibus Rerum Germanicarum Medii Aevii, Hannovre, Impensis Bibliopolii Hahniani, 1883, t. I, chap 17. p. 69 : « Similiter secundum Dei mandatum praecipimus, ut omnes decimam partem substantiae et laboris suis ecclesiis et sacerdotibus donent: tam nobiles quam ingenui similiter et liti, iuxta quod Deus unicuique dederit christiano, partem Deo reddant »). Ce chapitre du Capitulaire laisse apparaître les premiers prélèvements de la dîme, c’est-à-dire la dixième partie de la fortune et du travail. Encore sous la forme de donation, il s’agit d’une contribution nouvelle des fidèles à l’Église, leur permettant d’assurer ainsi le service public pour le culte et l’entretien des pauvres.

16 Cette synthèse reprend la thèse de Paul Viard (op. cit. n. 1), p. 108 sq.

17 Ibid., p. 101-102.

18 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Hungrvaka, dans Biskupa sögur [Histoire des Premiers évêques d’Islande ] II [...] Ásdís EGILSDÓTTIR (éd.), Reykjavik, Hið íslenzka fornritafélag (Íslenzk fornrit, XVI), 2002, chap. 4, p. 16-17 : « Þessir menn váru samtíða Gizuri byskupi : Sæmundr prestr í Odda er bæði var far forvitri ok lærðr allra manna bezt, annar Markús Skeggjason lögsögumaðr er var inn mesti spekingr ok skáld. Þeir báru ráð til sammans ok sóttu at ráði höfðingja, at þat yrði lögtekit at menn tíundaði fé sitt á hverjum misserum ok allan lögvöxt fjár síns, svá sem á öðrum löndum er títt, þar er kristnir menn byggja. En með ráðleitni þeira ok fortölum spakligum urðu þau málalok at menn gengu undir tíundargjaldit, ok skyldi síðan skipta í fjórða staði, einn hlut til handa byskupi, annan til kirkna, þriðja hlut skuldu hafa kennimenn en fjórða hlut fátœkir, ok hefir eigi annarr slíkr grundvöllr verit auðræða ok hœgenda í Skálaholti sem tíundargjaldit, þar er til lagðisk þá fyrir vinsælð ok skörungskap Gizurar byskups. » Ce texte a fait l’objet d’une traduction au sein d’un volume I de l’Histoire des évêques d’Islande I-II, Présentation, traduction et notes par Grégory cattaneo, Paris, Honoré Champion (Traduction des Classiques du Moyen Âge), à paraître en 2025-2026, qui offre pour la première fois en français une traduction des plus anciennes biskupasögur [Vol. I : Kristni saga, Hungrvaka, Jóns saga helga, Gísls þáttr Illugasonar, Sæmundar þáttr. Vol II : Þorláks sögr helga, Jarteinabækr Þorláks helga, Páls saga biskups, Ísleifs þáttr biskups.]

19 Le superlatif algörvastr, que nous trouvons écrit algöfgastr dans les diverses leçons manuscrites des versions L et S, signifie littéralement « le plus noble ». Si cette traduction, qui correspond au superlatif utilisé dans les deux versions ci-dessus, pourrait convenir à des descriptions d’individus laïcs, comme dans d’autres sagas de contemporains, nous avons retenu la leçon des rédactions de la version H, puisque nous estimons que l’idée de perfection semble plus correspondre au contexte hagiographique de cette saga.

20 Le substantif ástsemð apparaît également dans les leçons manuscrites de la version L, tandis que celles de la version S donnent ástsæld qui se traduit par « popularité ». Si nous regardons du côté de la source sur laquelle le texte de la Jóns saga helga se fonde, à savoir l’Íslendingabók d’Ari Þorgilsson, nous lisons le superlatif : ástsælli appliqué à Gizurr, dont Ari précise qu’il était « le plus populaire », cf. Íslendingabók (éd. cit. n. 9), p. 22. S’il est possible que ce terme traduise le latin caritas, le vieil islandais ástsemd est généralement utilisé dans les sagas royales pour décrire le lien qui unit un souverain à son peuple.

21 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo du texte de la Jóns saga helga [Histoire de l’évêque Jón le Saint], édité au sein du volume XV(2) de la collection Íslenzk fornrit (cf. Biskupa sögur I [...] Sigurgeir Steingrímsson, Ólafur Halldórsson et Peter Foote (éd.), Reykjavik, Hið íslenzka fornritafélag (Íslenzk fornrit, XV, 1-2), 1998, chap. 6, p. 192-193). Il a été construit à partir des trois rédactions manuscrites principales de la saga du saint évêque : S, Bisk. s., chap. VI ; H, chap. XII et L, chap. XIX et se lit ainsi : « Gizurr byskup hefir verit mestr höfðingi ok algöfgastr maðr á öllu Íslandi, at því er sagði Ari prestr Þorgilsson, at alþýðu virðing hafi á fallit. Af ástsælð hans ok fortölum Sæmundar prests ok með umráðum Markúss lögsögumanns var þat í lög tekit at allir menn á Íslandi skyldu telja fé sitt allt með svardögum, hvárt sem væri í löndum eða lausum aurum, ok gjalda tíund af þeim hætti sem síðan hefir haldizk. Gizurr byskup lét lög leggja þa þat at stóll byskups þess er á Íslandi væri skyldi vera í Skálaholti, en áðr var hvergi. Hann lagði til stólsins Skálaholts land ok mörg önnur auðœfi bæði í löndum ok lausum aurum. » Traduction française disponible dans le volume I de l’Histoire des évêques d’Islande I-II (trad. cit. n. 18).

22 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Haukdæla þáttr [Récit des gens du Haukadalur], dans Sturlunga saga, Jón Jóhannesson, Magnús Finnbogason og Kristján Eldjárn (éd.), I, Reykjavik, Sturlunguútgáfan, 1946, chap. 3, p. 58-59 : « Gizurr biskup var betr þokkaðr af öllum landsmönnum en aðrir menn á Islandi. Af ástsæld hans ok af tölum þeira Sæmundar prests ok umráði Markúss lögsögumanns ok enn fleiri spakra manna var þat í lög leitt, at allir menn á Islandi, þeir er eigi váru frá numnir, tölðu ok virðu fé sitt ok sóru, at rétt virt væri, hvárt sem var í löndum eða lausum eyri, ok gerðu tíund af síðan. Þat var með miklum jartegnum, hvé hlýðit allt fólk var honum, er hann kom því fram, at fé allt var virt með svardögum, þat er hér á landi var, ok landit sjálft ok tíund af ger ok lög á lögð, at svá skal vera, meðan Island er byggt. Gizurr biskup lét ok lög á þat leggja, at stóll biskups þess, er á Islandi væri, skyldi vera í Skálaholti, ok gaf hann til þess Skálaholtsland ok mörg önnur auðæfi bæði í löndum ok lausum aurum. En þá er honum þótti sá staðr vel þróast at auðæfum, þá gaf hann meir en fjórðung biskupsdóms síns til þess, at heldr væri tveir biskupsstólar á Islandi en einn. En hann hafði áðr látit telja bændr á íslandi, ok váru þá í Austfirðingafjórðungi sjau hundruð, en í Rangæingafjórðungi tíu hundruð, en í Breiðfirðingafjórðungi níu hundruð, en í Eyfirðingafjórðungi. »

23 Depuis la fondation de l’Assemblée générale, les Islandais appartenant à la catégorie des bændr étaient déjà divisés de manière censitaire pour savoir qui se mettrait en assemblée avec un goðorðsmaðr et pourrait de sorte participer aux mesures législatives et judiciaires du pays. Pour comprendre ce premier système d’encadrement des hommes et le fonctionnement de cette communauté sans royaume, on se reportera à Grégory cattaneo, « La communauté sans royaume dans l’Islande médiévale (xe-xiie siècles) », dans Communitas regni. La communauté de royaume de la fin du xe siècle au début du xive siècle (Angleterre, Écosse, France, Empire, Scandinavie), Dominique Barthélemy, Isabelle Guyot-Bachy, Frédérique Lachaud et Jean-Marie Moeglin (dir.), Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne (PUS), 2019, p. 243-266.

24 Jón Jóhannesson, A History of the Old Icelandic Commonwealth. Íslendinga saga, University of Manitoba Press, 1974, p. 151-152. Pour Björn Magnússon Ólsen (cf. « Um skattabændatal 1311 og Manntal á Íslandi fram að þeim tíma », Safn til sögu Íslands og íslenzkra bókmenta að fornu og nýju, Copenhague, Reykjavik, Gefið út af hinu Íslenska bókmentafélagi, 1907-1915, t. IV, p. 349-350), l’évêque Gizurr débuta son recensement des paysans imposables avant 1096, vers 1092-1095 en préparation des Lois des dîmes et rejette la théorie développée par Maurer qui voit dans le recensement des paysans la prémisse nécessaire à la création du diocèse de Hólar en 1106, recouvrant l’ensemble du quartier nord. Pourquoi Gizurr n’aurait-il pas simplement recensé les habitants du quartier nord ? S’il prit la peine de recenser les paysans des autres quartiers, c’est bien afin de recenser les ressources disponibles pour le prélèvement décimal. Les 8-9 années séparant les Lois des dîmes et la création du diocèse de Hólar montrent que le recensement veut essentiellement identifier les þingfararkaupsbændr. La seconde théorie, celle de Björn Magnússon Ólsen, concerne la date de la promulgation de la Lois des dîmes qui par suite des crises de subsistances des xe-xie siècles, considère les années 1092-1095 comme des « années moyennes » et explique ainsi que les gens auraient été peu enclins à soumettre leur propriété à la décimation en pleine période de disette. Autrement, il estime que la dîme n’aurait pas été acceptée si la loi était votée lors d’un contexte de mauvaise année. L’an 1078 est appelé dans les annales islandaises « le grand hiver de neige » (snævetr inn mikli). Ce faisant, il justifie l’introduction de la dîme en Islande uniquement liée au contexte climatique, sans prendre en compte la place de grandissante de l’ecclésia dans cette société et l’importance de la politique diocésaine de Gizurr et de ses épigones.

25 Cette théorie a été proposée par Harald Ehrhardt, « “Land ok lauss eyrir”: Ursprung und Werdegang einer Rechtsformel », dans Skandinavistik: Zeitschrift für Sprache, Literatur und Kultur der nordischen Länder, VIII(1), New York/Berlin, de Gruyter, 1978, p. 27-40. Les Lois des dîmes auraient ensuite inspiré les auteurs de nos sources narratives qui, à la suite d’Ari le Savant, reprirent ce néologisme pour décrire les propriétés soumises au recensement.

26 L’éminent philologue islandais Sverrir Tómasson argue que le récit de la Kristni saga dépend en grande partie du Livre des Islandais, cf. « Hvað skrifaði Sæmundur fróði? », dans Í garði Sæmundar fróða : fyrirlestrar frá ráðstefnu í Þjóðminjasafni 20. maí 2006, Gunnar Harðarson et Sverrir Tómasson (dir.), Reykjavik, Hugvísindastofnun Háskóla Íslands, 2008, p. 54 : « En af ástsælð Gizurar byskups ok umtölum Sæmundar prests ins fróða, er bezttr klerkr hefir verit á Íslandi ».

27 Kristni saga [Histoire de la christianisation], traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo. Cf. ÍF, XV (éd. cit. n. 18), chap. 15 p. 40-41 : « Gizurr byskup var svá ástsæll af landsmönnum, at hverr maðr vildi hans boði ok banni hlýða, en af ástsælð Gizurar byskups ok umtölum Sæmundar prests ins fróða, er beztr klerkr hefir verit á Íslandi, ok umráðum Markúss lögsögumanns ok fleiri höfðingja, var þat í lög tekit at allir menn tölðu ok virðu fé sitt ok svörðu eið at rétt væri, hvárt sem var í löndum eða lausum aurum, ok gerðu tíund af. » Traduction française disponible dans le volume I de l’Histoire des évêques d’Islande I-II (trad. cit. n. 18).

28 Au sujet des communautés d’habitants, consulter Grégory Cattaneo, « Réflexion sur les hreppar. Les communautés d’habitants de l’Islande médiévale », dans Cahiers de Civilisation médiévale, LVII-2 (fasc. 226), 2014, p. 113-132 et id., Les communautés d’habitants dans l’Islande médiévale, Reykjavik, Presses de l’Université d’Islande, 2021.

29 Adam of Bremen, History of the Archbishops of Hamburg-Bremen, English Translation by Francis J. Tschan, with a New Introduction and Selected Bibliography by Timothy Reuter, New York, Columbia University Press, 2002, p. 212. L’Islande était comprise dans le ressort ecclésiastique de Brême jusqu’à la création en 1056 d’un diocèse avec la fondation de l’évêché de Skálholt. La juridiction des archevêques de Brême dura jusqu’en 1104, puis les évêques islandais devinrent suffragants des archevêques de Lund et enfin de Trondheim au xiiie siècle.

30 Ísleifs þáttr byskups, dans Biskupa sögur II (éd. cit. n. 18), p. 337 : « Þá var um óhœgendi at leika með mönnum at skipta fjám með þeim. Tíundir váru þá øngar, en tollar váru þá til lagðir um land allt ». Traduction française disponible dans le volume I de l’Histoire des évêques d’Islande I-II (trad. cit. n. 18). L’impôt du temple ou hoftollr a fait couler beaucoup d’encre chez les historiens et dépasse le cadre de cette étude. Pour Lúðvík Ingvarsson, Goðorð og goðorðsmenn, I, Egilsstöðum [chez l’auteur], 1986-1987, p. 172-173, les impôts du temple sont considérés comme des « revenus des détenteurs de goðorð » (tekjur goðorðsmanna) au même titre que la « taxe pour assister à l’assemblée » (þingfararkaup). Ce problème, qui touche à l’origine du système des goðorð et de son côté sacré, se retrouve dès les travaux de Konrad Maurer, qui soulignaient qu’à l’instar des autres potentats de race germanique, les chefs islandais possédaient des fonctions séculaires et religieuses. Ainsi, dans son argumentation, le norrois goði dériverait directement du gotique gudja qui signifie « prêtre » et qui désignerait à la fois un chef séculier et religieux selon le savant allemand cf. Konrad Maurer, Island von seiner ersten Entdeckung bis zum Untergange des Freistaats, Munich, C. Kaiser, 1874, p. 43-45, et id., Upphaf allsherjarríkis á Íslandi og stjórnarskipunar þess, traduction de Sigurður Sigurðarson, Reykjavik, 1882, p. 71-77 et 98-104. Jón Viðar Sigurðsson, a repris à son compte cette théorie de Konrad Maurer (ibid., p. 185-187), et se détache ainsi de la production historique du xxe siècle qui était fort critique quant à l’aspect sacré de la charge de goði dans l’Islande ancienne, comme le fait remarquer avec justesse Orri Vésteinsson dans le compte-rendu qu’il fait de cet ouvrage (cf. Jón Viðar Sigurðsson, Chieftains and power… [Orri Vésteinsson], dans Saga-Book, XXVI, University College London, Viking Society for Northern Research, 2002, p. 128-131), en particulier p. 128 : « Jón Viðar even resurrects the one aspect of Maurer’s model which nearly all twentieth-century scholars have rejected, namely the religious role of the goðar. » Au sujet du hofgoði, on consultera la courte notice d’Eyvind Fjeld Halvorsen, « Hovgode », dans Kutlturhistorisk leksikon for nordisk middelalder fra vikingetid til reformationstid, I-XXII, Copenhague, Rosenkilde og Bagger, 1956-1978, VII, cols. 4-5 et en complément les notices de Nils LID, « Blot », ibid., II, cols. 10-14 et d’Ólafur Lárusson, « Goði og goðorð », ibid., V, col. 363-366 avec des références bibliographiques allant jusqu’aux années 1960. Plus récemment et en rapport avec les croyances préchrétiennes de la Scandinavie ancienne et médiévale, on consultera l’article de Thomas A. Dubois, « Rituals, witnesses, and sagas », dans Old Norse Religion in Long-Term Perspectives, Origins, Changes, and Interactions, Anders Andrén, Kristina Jennbert et Catharina Raudvere (dir.), Lund, Nordic Academic Press (Vägar til Midgård, VIII), 2006, p. 74-78 qui met en évidence que dans les sources narratives étudiées (sagas royales et sagas des Islandais), le rituel sacrificiel ou « blót », selon l’ancienne coutume (« eftir fornum sið ») peut être pratiqué par des individus ordinaires, qui ne possèdent pas forcément le statut d’un goði.

31 En Norvège, il semblerait que les dîmes furent introduites par le roi Sigurðr Jórsalafari (1103-1130) par suite du don d’un morceau de la Sainte Croix par le roi Baudouin de Jérusalem en 1100, mais ne furent acceptées que dans les années 1150 ; au Danemark vers 1100 et pleinement acceptées en 1135 et en Scanie, à la fin du xiie siècle. Sur l’introduction des dîmes dans les autres pays scandinaves, on se reportera aux notices d’Eljas Orrman, « Church and Society », dans The Cambridge History of Scandinavia, Knut Helle (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 421-462, et en particulier p. 453-455 et à celle de Lars Hamre et al., « Tiend », dans KLNM (ibid., n.29), XIX, cols. 280-300.

32 Gulaþingslög [Loi provinciale de l’assemblée de Gula], traduction du vieux norvégien par Grégory Cattaneo. Norges gamle Love indtil 1387. Ifölge offentlig Foranstaltning og tillige med Understöttelse af det Kongelige Norske Videnskabers Selskab, R. Keyser et P.A. Munch (éd.), Förste Bind. Norges Love ældre end Kong Magnus Haakonssöns Regjeringstiltdrædelse i 1263, Christiana, C. Gröndahl, 1846, chap. 8, p. 6 : « En ver hafum sva mælt við biscop varn. at hann scal oss þionosto veita. en vér scolom hana sva oðrlasc at vér scolom gera tiund alla oc fulla. bæði af avexti ollum oc viðreldi fiski oc ollom rettom fongum. En henne scal sva skipta at biscop scal hava fiorðong. [oc fatökes menn fiorðong. oc kirkia fiorðong. oc preste fiorðong ». Sur l’introduction de la dîme en Norvège, se reporter à Alexandra Sanmark (op. cit. n. 14) p. 139-141 et 143 ; et pour le Danemark, ibid., p. 76.

33 La pratique de l’église propriétaire (lat. ecclesia propria ou propriae hereditatis ; all. Eigenkirchen ou Eigenkirchenwesen ; angl. proprietary church ; ital. chiesa proprietaria) était courante dès le haut Moyen Âge pour atteindre son apogée aux ixe-xe siècles. Le terme désigne des établissements religieux, comme les églises ou les abbayes, édifiées essentiellement par des membres de l’élite laïque sur une propriété privée. Voir à ce sujet la notice de Knut Schäferdiek, « Eigenkirchen », dans Ergänzungsbände zum Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, VI, Berlin, de Gruyter, 1986, cols. 559-561.

34 Diplomatarium Islandicum. Íslenzkt fornbréfasafn […] gefið út af Hinu íslenzka bókmentafélagi. Fyrsta bindi 834-1264, Jón Sigurðsson (éd.), Copenhague, 1857-1876, p. 70-162 [= DI, I].

35 La leçon principale que nous suivons est celle de la Konungsbók, dans son édition de la Grágás. Islændernes Lovbog i Fristatens Tid, udgivet efter det kongelige Bibliotheks Haandskrift og oversat af Vilhjálmur Finsen (éd.), for det nordiske Literatur-Samfund, I, Copenhague, 1852-1870, p. 205-215, qui contient cinq chapitres Grágas Ia-b. Les diverses leçons des Lois des dîmes ont également été éditées par les soins de Jón Sigurðsson dans le DI I (éd. cit. n. 33), p. 70-162, notamment la version A, p. 73-88. Le chapitre concernant la « dîme des nécessiteux » n’est pas traduit ici puisqu’il sera présenté et étudié dans le dernier chapitre de cette thèse consacré à la communauté des nécessiteux.

36 « Du paiement des dîmes », Lois des dîmes selon la leçon de la Konungsbók (Grágás. Tíundarlög, traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo). Cf. Konungsbók, dans Grágás Ib (éd. cit. n. 34), chap. 255, p. 205.

37 Dans les sources du xiie siècle, une centaine (hundrað) correspondait soit à 120 aunes, à 360 aunes (= 120 onces de 3 aunes) ou encore à 720 aunes (= 120 onces de 6 aunes) tandis qu’au xiiisiècle, une centaine correspondait toujours à 120 aunes. Vers la fin du xiie siècle, les prix des biens de consommation commencèrent à augmenter tout comme la valeur du « prix d’une vache » (kúgildi), qui s’élève alors en argent de deux onces à trois onces et un tiers (31/3). Le pourcentage entre l’argent et la « laine de bure » (vaðmál) devint ensuite un 1/6e et de fait 36 aunes d’étoffe de bure équivalaient à une once d’argent (31/3 d’once d’argent = 31/3 x 6 onces = 20 onces = 20 x 6 aunes = 120 aunes). La centaine et la valeur d’une vache équivalaient toutes deux à la même valeur, à savoir 120 aunes d’étoffe de bure. L’unité de valeur monétaire eyrir (pl. aurar), provient vraisemblablement du latin aureus (pl. aurei) ou denier d’or, que nous choisissons de rendre par « livre », avec sa division l’once, qui rend l’islandais álin (pl. álnir). La livre (eyrir) est estimée à environ 27 grammes, voir à ce sujet Gunnar Karlsson, Inngangur að miðöldum. Handbók í íslenskri miðaldasögu I, Reykjavik, Háskólaútgafan, 2007, p. 290-292. Sur les valeurs monétaires en Islande au Moyen Âge, on consultera à profit l’article de Magnús Már Lárusson, « Penning. Island », dans KLNM (op. cit. n. 29), XIII, 1968, p. 184. Sur la complexité des poids et mesures dans les sources norroises, on consultera à profit le tableau établit par Grégory Cattaneo, Le Parler Viking : vocabulaire historique de la Scandinavie ancienne et médiévale, Bayeux, éditions Heimdal, 2017, deuxième édition 2021, p. 19.

38 Orri Vésteinsson, The Christianization of Iceland, Priests, Power, and Social Change 1000-1300, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 70 sq.

39 Cf. Árni Böðvarsson, Íslensk orðabok. Önnur útgáfa, aukin og bætt. Reykjavik, Mál og menning, 1992, p. 355 : « tíund af jörð sem kirkja stendur á, goldin jarðeiganda ».

40 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Kristinna laga þáttr [Droit ecclésiastique], selon la leçon de la Belgsdálsbók et de l’Arnarbælisbók dans Grágás. Stykker, som findes i det Arnamagnæanske Haandkrift Nr. 351 fol., Skálholtsbók, og en Række andre Haandskrifter, tilligemed et Ordregister til Grágás udgivet af Kommissionen for det Arnamagnæenske Legat, éd. Vilhjálmur Finsen, Copenhague, 1883 chap. 32, p. 144 [= Grágás III] et Kristinna laga þáttr, selon la leçon de l’Arnarbælisbók, dans ibid., chap. 17, p. 191. L’évêque Finnur Jónsson propose les traductions latines « pensio in candelas » ou « pensio in luminas », cf. Historia Ecclesiastica Islandi II, Finnur Jónsson (éd.), Gerhardus Giese Salicath, 1774, p. 95-223.

41 Cf., DI, I (éd. cit. n. 33), p. 268 ; DI, I (ibid.), p. 276 ; DI, I (ibid.), p. 342. Ces trois chartes proviennent des « Archives diocésaines » (Biskupsskjalasafn), que l’on doit aux efforts des Archives nationales d’Islande, qui regroupent au sein du volume III de la collection des Documents des Archives nationales (Skrár Þjóðskjalasafns), une liste des documents issus des chancelleries épiscopales d’Islande, celle du Diocèse de Skálholt et celle du Diocèse de Hólar (cf. Biskupsskjalasafn, dans Skrár Þjóðskjalasafns, III [avec une introduction de] Björn K. Þórólfsson, Reykjavik [Þjóðskjalasafn Íslands], 1956). Ces documents nous sont parvenus essentiellement par le biais de copies imprimées de l’époque moderne, même si certaines reprennent largement le contenu des manuscrits médiévaux, des cartulaires dus aux efforts d’évêques médiévaux postérieurs à notre période d’étude. Ainsi dans le Dictionnaire en prose du vieux norrois (ONP), le registre ne fait pas figurer les documents issus du Diocèse de Skálholt dans la liste des manuscrits pour la simple raison que cette collection existe essentiellement sous forme papier et que le Registre établit une liste des documents manuscrits, même s’il reprend le catalogue issu des Archives diocésaines concernant le Diocèse de Hólar (cf. Ordbog over det norrøne prosasprog. A Dictionary of Old Norse Prose, Copenhague, Den arnamagnæanske kommission, en cours de publication depuis 1989, Registre, p. 468-469). En français, la seule présentation exhaustive des chartes de la période de l’Islande indépendante et des différents débats opposant philologues et historiens au cours des deux derniers siècles se trouve dans Grégory Cattaneo (op. cit. n. 28), en particulier p. 16-34.

42 Magnús Már Lárusson, « Priser », dans KLNM (ibid., n.29), XIII, cols. 457.

43 Voir à cet égard le « Décret de l’Assemblée générale au sujet de la redevance luminaire, du prix de l’inhumation, du prix du service funéraire et des serments » (« Alþingissamþykt um ljóstolla, legkaup, líksöngseyri og eiða »), édité d’après les leçons de ses onze versions manuscrites dans Diplomatarium Islandicum. Íslenzkt fornbréfasafn: sem hefir inni að halda bréf og gjörninga, dóma og máldaga og aðrar skrár, er snerta Ísland eða íslenzka menn, Jón Þorkelsson (éd.), Copenhague, Hið íslenzka bókmenntafjelag, 1893, no. 4, p. 11-19 [= DI, II]. Voir également Registre, dans Ordbog over det norrøne prosasprog (éd. cit. n. 41), p. 49 pour la datation de quatre de ces versions manuscrites : 4 F (v. 1440-1480), 4 l (v. 1500), 4 heures (1550-1575) et 4 A (v. 1700-1800).

44 Nous trouvons mention de ces embarcations offertes « en charité » dans une clause de la Grágás, avec des ponts (cf. Grágás Ib, chap 184 (éd. cit. n. 34), p. 93 ; Grágás efter det Arnamagnæanske Haandskrift Nr. 334 fol., Staðarhólsbók, udgivet af Kommissionen for det Arnamagnæenske Legat, éd. Vilhjálmur FINSEN, Copenhague, 1879, chap 405, p. 454-455 [= Grágás II]). Investir dans la construction d’un pont ou offrir un bac en acte de « charité » tombait dans la catégorie des dépenses « plaisantes à Dieu » et n’était donc pas soumis à la décimation. Le plus ancien exemple qui nous soit parvenu d’une donation de bac en Islande remonte au temps de l’évêque Gizurr Ísleifsson (1082-1118) et a été préservé au sein de la charte de l’église de [Ferju-]bakki où une embarcation est offerte en donation afin de permettre de traverser la rivière Hvítá dans le Borgarfjörður : « Tanni et Hallfríðr ont donné la moitié des terres de Bakki à l’hôpital qui se trouve là, selon le conseil de l’évêque et avec l’accord de leurs héritiers. À cela s’ajoutent dix vaches, soixante brebis et un bateau neuf » (cf. DI, I, no. 24 (éd. cit. n. 33), p. 169 : charte datée par l’éditeur des environs de 1100 sous le titre : Acte de donation fait par Tanni et Hallfríðr à l’hôpital de Bakki (Ferjubakki dans le Borgarfjörður) [dans le Þverárþing]). Rappelons ici que les Lois des dîmes furent rédigées sous l’épiscopat de ce même évêque (de 1082 à 1118).

45 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « Du paiement des dîmes », Tíundarlög [Lois des dîmes] selon la leçon de la Konungsbók dans Grágás Ib, chap 255 (éd. cit. n. 34), p. 205-206. Quoi que stipule cette clause, nous, nous savons que dans d’autres circonstances un goðorð pouvait être acheté et vendu et était évalué lorsque le chef était déclaré hors-la-loi ou mourrait insolvable. Voir Lúðvík Ingvarsson (op. cit.  n. 29), I, p. 79-81.

46 Björn Magnússon Ólsen (art. cit. n. 24), p. 295-394, en particulier p. 307 pour ce tableau.

47 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « Du paiement des dîmes », Tíundarlög [Lois des dîmes] selon la leçon de la Konungsbók dans Grágás Ib (éd. cit. n. 34), chap. 255, p. 206 : « Samqvamor sculo menn eiga vm havst i hrepp hveriom. eigi fyR eN .iiii. vicor lifa sumars oc skipta tivndom. Scipt scal tiundom drottins dag enn fyrsta i vetri .v. menn scal til taca i hrep hueriom at scipta tíundom oc matgiofom oc sia eiða at monnom þar er bazt þickia til fallner hvárz þeir ero boendr eða grið menn. oc søkiamn menn vm laga afbrigð. » Nous suivons ici la leçon offerte par le DI, I (éd. cit. n. 33), p. 78. Le panel des cinq « hommes » sont les sóknarmenn ou « procureurs communaux » que nous retrouvons dans d’autres livres de la Grágás, concernant notamment les communautés d’habitants. Chose intéressante, ce chapitre des Lois des dîmes ne les nomme jamais ainsi, se contentant d’un vague « hommes ».

48 Suite et fin du chapitre intitulé « Du paiement des dîmes » selon la Konungsbók, dans Grágás Ib, chap. 255 (éd. cit. n. 34), p. 205-207.

49 Guðmundar saga dýra, dans Sturlunga saga I, chap. 5 (éd. cit. n. 22), p. 169 : « Þá var föstumatar fátt. Ok er langafasta kom, ræddi hon, at hann skyldi sækja föstumat út á Siglunes, er hann [Símon Þorvarðsson] átti at föður sins. » Guðrún Þórðardóttir dirige la ferme d’Arnarnes qui constitue le centre de cette communauté d’habitants.

50 Il s’agit ici des clauses contenues dans le chapitre intitulé « Des dîmes », traduites d’après la leçon de la Grágás Ib, chap. 259 (éd. cit. n. 34), p. 212 : « Þár scal maðr tiund giallda iþeim hrepp sem hann alögheimile þav misseri hvargi er fe er ».

51 Lois des dîmes selon la leçon de la Konungsbók (Grágás. Tíundarlög, traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo). On retrouve, exprimée de manière plus limpide, mais sans mention des habitants des communautés cette clause au sein du Droit des procédures d’assemblée, dans Grágás Ia, chap. 21 (éd. cit. n. 34), p. 39-40 : « Et de manière identique, si des hommes souhaitent annoncer publiquement dans les procédures concernant la dîme (les hommes qui sont sélectionnés pour les poursuites en justice ou les mandants ou ceux à qui les mandants ont déféré les affaires), alors ils doivent avoir annoncé publiquement leurs procédures pas plus tard que ce qu’il vient d’être dit. Mais les autres hommes ont le droit d’annoncer publiquement dans des procédures concernant la dîme, au moment où les tribunaux sortent. » À l’assemblée générale, les tribunaux ne sortaient pas pour entendre les affaires avant le premier lundi de l’Assemblée, soit entre le 22 et le 28 juin. Cela explique pourquoi on est en droit d’annoncer publiquement lorsque la fin de semaine s’est écoulée.

52 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « Du paiement des dîmes », Tíundarlög [Lois des dîmes] selon la leçon de la Konungsbók dans Grágás Ib, chap. 260 (éd. cit. n. 34), p. 214-215.

53 Cf. Grágás Ib, chap. 259 (éd. cit. n. 34), p. 214. Nous présenterons en détail cette dîme en fin d’article, en montrant l’importance de cette dernière dans la constitution d’une véritable communauté des nécessiteux.

54 Magnús Stefánsson, Staðir og staðamál. Studier i islandske egenkirkelige og beneficialrettslige forhold i middelalderen, Bergen, Universitetet i Bergen, Historisk institutt, (Skrifter, IV), 2000 ; ces thèses furent continuées à plusieurs mains dans Church Centres. Church Centres in Iceland from the 11th to the 13th Century and their Parallels in other Countries, Helgi Þorláksson (dir.), , Reykholt, Snorrastofa (Rit Snorrastofa, II), 2005.

55 Jón Viðar Sigurðsson, « Island og Nidaros », dans Ecclesia Nidrosiensis 1153-1537 : søkelys på Nidaroskirkens og Nidarosprovinsens historie, Steinar Imsen (dir.), Trondheim, Tapir akademisk forlag (Senter for middelalderstudier, NTNU, Skrifter, XV), 2003, p. 122.

56 C’est la thèse principale d’Helgi Þorláksson, Gamlar götur og goðavald. Um fornar leiðir og völd Oddaverja í Rangárþingi, Reykjavik, Sagnfræðistofnun og Menningarsjóður, (Sagnfræðirannsóknir: Studia historica, XXV), 1989, p. 66-69 et Church Centres (op. cit. n. 54), p. 130.

57 Orri Vésteinsson (op. cit. n. 37), p. 128 sq., et 238.

58 Ces clauses ont été consignées dans le chapitre intitulé « De la dîme des églises » dans la Grágás Ib, chap. 258 (éd. cit. n. 34), p. 210-211.

59 Cf. Grágás Ib, chap. 258 (éd. cit. n. 34), p. 210 : « Sva scolo menn gialda tiund af öllum boiom iheraðe til kircna. sem byscop hefir boðit. hveregir sem á bólstöðum bva. » Passage que l’on retrouve quasi à l’identique dans une clause du Droit ecclésiastique : « Tous doivent payer la moitié de leur dîme légale à l’église que l’évêque choisit, et l’évêque doit diviser la communauté d’habitants de sorte qu’il est clair de tous : quelle ferme doit verser sa dîme et à quelle église, peu importe qui est l’exploitant de cette ferme. » cf. Grágás Ia, chap. 3 (éd. cit. n. 34), p. 14 : « þangat scal leggia hverr logtivnd sin halfa. Til þeirrar kirkio sem byskop qveþr at. oc skal byskop skipta þvi heraþi til þes. »

60 Le problème de la paroisse dépasse le cadre de notre étude et pour des travaux récents, nous renvoyons à la synthèse d’Emmanuel Grélois, « La paroisse est-elle un territoire ? », dans Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident latin (1179-1449), Marie-Madeleine De Cevins et Jean-Michel Matz (dir.), Rennes, PUR, 2010, p. 97-105 et également à l’ouvrage collectif La paroisse. Genèse d’une forme territoriale, Médiévales, Dominique Iogna-Prat, Élisabeth Zadora-Rio (dir.), n° 49, 2005, [http://medievales.revues.org/3132].

61 Il remarque à juste titre que les termes latins diocesis et parrochia sont utilisés dans les sources comme synonymes jusqu’au xiie siècle.

62 Orri Vésteinsson (op. cit. n. 37), p. 295-296. Indiquons que dans son ouvrage, rédigé en anglais, il évite de parler de « paroisses », mais parlera de « tithes areas » appartenant à des églises et de « ministries » sous la responsabilité de prêtres : (þing (pl.) : Ministry). « The area and churches within it served by a single priest. A þ. normally consisted of the tithe area of the church of the farmstead where the priest was resident and commonly one or more smaller tithe areas of annex-churches ».

63 Cf. Diplomatarium Islandicum. Íslenzkt fornbréfasafn: sem hefir inni að halda bréf og gjörninga, dóma og máldaga og aðrar skrár, er snerta Ísland eða íslenzka menn, Jón ÞORKELSSON (éd.), Copenhague, Hið íslenzka bókmenntafjelag, 1896, no. 174, p. 205-207 [= DI, III] & Diplomatarium Islandicum. Íslenzkt fornbréfasafn : sem hefir inni að halda bréf og gjörninga, dóma og máldaga og aðrar skrár, er snerta Ísland eða íslenzka menn, Jón Þorkelsson (éd.), Copenhague, Hið íslenzka bókmenntafjelag, 1897, no. 348, p. 381-384 [= DI, IV].

64 Nous connaissons deux exceptions du xive siècle. La charte de la chapelle d’Ingjaldshóll dans la communauté d’habitants de Nes, datée de 1317, qui deviendra ensuite une église plénière, cf. DI, II, no. 232 (éd. cit. n. 43), p. 410 ; puis vers 1397, la charte de la chapelle de Torfastaðir dans la communauté d’habitants de Vopnafjörður, cf. DI, IV, no. 261 (éd. cit. n. 63), p. 217. En restant dans notre champ chronologique, nous pouvons affirmer que les chartes de chapelles n’existent pas.

65 Grágás III (éd. cit. n. 39), chap. 4, p. 14.

66 Les manuscrits utilisent parfois le terme sóknarkirkja au lieu de graptarkirkja lorsque la question de l’inhumation ou bien du cimetière est en jeu. Dans une clause concernant l’entretien des murets entourant le cimetière, la leçon du manuscrit E du code de droit canon de l’évêque Árni emploie le terme sóknarkirkja au lieu de graptarkirkja, pourtant plus commun et spécifique au sujet de ce passage (cf. Járnsíða og kristinréttur Árna Þorlákssonar, Haraldur Bernharðsson, Magnús Lyngdal Magnússon et Már Jónsson (éd.), Reykjavik, Smárit Sögufélags, 2005, p. 25-26) et nous retrouvons le même emploi du terme sóknarkirkja au lieu de graptarkirkja dans la partie concernant le lieu d’inhumation (cf. Ibid., chap. 30, p. 21).

67 Droit ecclésiastique, dans Grágás Ia, chap. 2 (éd. cit. n. 34), p. 10 : « Si le corps d’un défunt est retiré de la paroisse du curé, alors il a le devoir de l’accompagner au lieu d’inhumation, entendu qu’il ait envoyé un message de cela en avance que cela [l’inhumation] doit être là dans la communauté d’habitants. Il doit ensuite recevoir les frais de funérailles et aussi recevoir les frais de funérailles si aucun message ne lui est envoyé et même s’il n’y va pas du tout après. Le curé n’est pas tenu d’accompagner le corps du défunt en dehors de la communauté d’habitants si une église d’inhumation se trouve là. » (Ef lik er ført or þingvum prestz. þa er hann skylldr at fylgia þvi til grafar. ef honum ero aþr orð ger. enda se þat innaN hreps. oc scal hann þa hafa liksongs kavp. oc sva ef honum ero eigi orð gør þott hann far hvergi. Eigi er prestr skylldr at fylgia liki or hrep. ef þar er noccor graftar kirkia).

68 Hrafns saga Sveinbjarnarsonar hin sérstaka, dans Sturlunga saga, II, Örnolfur Thorsson et al. (éd.), Reykjavik, Mál og menning, 2010, chap. 6, p. 890 : « Á þeim bæ er Ingi bjó var bænahús. Það lá undir þá kirkju er á Rauðasandi var. En það var boð hins heilaga Þorláks biskups að hvergi skyldi bœnahús niður falla þar sem áður voru og ef bœnahús hrörnaði eða felli niður, þá skyldi af tóftinni gjalda sex aura til graftarkirkju þeirrar er bœnahúsið lá undir. »

69 Certaines communautés médiévales possédaient un finage étendu par rapport à leurs homologues modernes et le hreppr médiéval de Rauðasandur comprenait également le Patreksfjörður, cf. Grégory Cattaneo (op. cit. n. 28), p. 151.

70 DI, IV, no. 489 (éd. cit. n. 63), p. 442.

71 Gabriel Le Bras (op. cit. n. 1), II, p. 257. Andrew George Little, « Personal Tithes », dans English Historical Review, LX (CCXXXVI), 1945, p. 67-68.

72 Mathieu Arnoux (art. cit. n. 3) p. 153.

73 Nous pensons, en suivant les informations contenues dans le chapitre V du Droit ecclésiastique, que l’évêque choisit un membre de l’élite communale qui possède déjà une église et assez de bien pour pouvoir le loger et lui fournir des chevaux frais pour poursuivre sa visite pastorale, cf. Grágás Ia, chap. 5 (éd. cit. n. 34), p. 19.

74 Egils saga Skalla-Grímssonar, Sigurður Nordal (éd.), Reykjavik, Hið íslenzka fornritafélag (Íslenzk fornrit, II), 1933, chap. 84, p. 293 : « Oddr var þá höfðingi í Borgarfirði fyrir sunnan Hvítá ; hann var hofsgoði ok réð fyrir hofi því, er allir menn guldu hoftoll til fyrir innan Skarðsheiði. »

75 Landnámabók, dans ÍF, I, S 41/H 29 (éd. cit. n. 9), p. 77 et 79.

76 Nous nous éloignons ici radicalement de la théorie d’un « double goðorð » développée par Lúðvík Ingvarsson (op. cit. n. 29), II, p. 377-398 et Gunnar Karlsson, Goðamenning, staða og áhrif goðorðmanna í þjóðveldi Íslendinga, Reykjavik, Heimskringla, Háskólaforlag Máls og menningar, 2004, p. 232-233. Sur le goðorð et le problème de la chefferie, voir Grégory Cattaneo (op. cit. n. 28), p. 296-300.

77 Le chapitre « De la dîme de l’évêque », qui sert de fil rouge à ce commentaire, se situe dans la Grágás Ib, chap. 257 (éd. cit. n. 34), p. 208-209.

78 Ces précisions sont apportées dans le chapitre du Droit ecclésiastique intitulé « des évêques », au sujet du quart de la dîme qui lui revient, cf. Grágás Ia, chap. 5 (éd. cit. n. 34), p. 19 : « L’évêque doit annoncer dans chaque communauté d’habitants, lorsque les gens assistent aux offices, à qui la somme qui doit être payée à l’évêque doit être délivrée. Chaque homme doit faire livrer un quart de sa dîme chez le paysan propriétaire que l’évêque choisit. » (Byskop scal til þess lata segia i heraþi hverio. at kirkiv sökn. hverivm i hond. scal inna fe þat er menn scolo gialda byskøpi. Hver maþr er skyldr at lata þangat koma fiorþvng tivndar sinnar til þess bvanda er byskop qveþr á).

79 Nous traduisons ici le chapitre intitulé « De la dîme de l’évêque », toujours selon la leçon de la Grágás Ib (éd. cit. n. 34), chap. 257, p. 209 : « Þar er byscop feR um fiorðung þa scal hann segia til at kirkio sócnom ihrepp hveriom hverr við þeim fiorðunge scal taca tiundar er hann scal hafa. Þar er mæltr eindage afe þvi er menn scolo byscope gialda. eN v. dag viko er iiii. vicor ero af sumre at lögheimile þess manz er byscop bavð vm. » Nous comprenons dans cette phrase que l’évêque choisit un décimateur différent parmi les habitants de chaque communauté, là où son quart de dîme doit être prélevé. C’est en sa demeure que le décimateur de l’évêque reçoit la dîme des autres habitants. Pour une historiographie des visites pastorales des évêques et de ses représentants dans l’Occident médiéval, on consultera Joseph Morsel, « La faucille et le goupillon. Observations sur les rapports entre communauté d’habitants et paroisse d’après les registres de visite pastorale de l’Empire au xve siècle », chapitre X de l’ouvrage collectif Communautés d’habitants au Moyen Âge (xie-xve siècles), Paris, Éditions de la Sorbonne (Histoire ancienne et médiévale), 2018, et en particulier la note 3, p. 463.

80 cf. Grágás Ia, chap. 5 (éd. cit. n. 34), p. 19 : « Byskop er við þat skyldr. þa er hann ferr vm fiorþvnga. At koma ilavg hrepp hvern. sva at meN nae fvndi hans. oc vígia kirkivr. oc savng hús oc bøna hús. oc byskopa born. oc veita maunnom skripta gongo ». Deux autres rédactions manuscrites des lois chrétiennes contiennent cette même information : Skálholtsbók, dans Grágás III (éd. cit. n. 39), p. 20 et Staðarfellsbók, dans ibid., p. 69.

81 Soulignons que le texte écrit « í heraði », qui doit se traduire par « communauté d’habitants » et non « région », comme dans beaucoup de passages de la Grágás Ib (éd. cit. n. 34), p. 19.

82 Cf. Grágás Ia (éd. cit. n. 34), p. 20 : « Þar er maþr scal gjalda tiund byscopi. hann scal gjalda gvlli eþa i brendv silfri eþa vaþmalvm eþa i varar felldom. » Le terme « varafeldr », que nous traduisons ici par « pelisse de marchandise », afin de rendre l’idée de denrée commerciale qu’implique le substantif féminin vara (pl. vörur), désigne un produit que les Islandais exportaient et qui devint célèbre à la suite d’un épisode précédant l’an 1000 au cours duquel le roi de Norvège Haraldr décide de se couvrir les épaules d’une pelisse grise, qui lui donnera son surnom de « pelisse grise » (cf. « Haralds saga Gráfeldar », dans Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège. Heimskringla. Première partie : Des origines mythiques de la dynastie à la bataille de Svold. Traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann, Paris, Gallimard (L’aube des peuples), 2000, p. 213-214).

83 Cf. Grágás II (éd. cit. n. 43), chap. 15, p. 22.

84 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Oddaverja þáttr [Récit des gens d’Oddi] dans Þorláks saga B, chap. 21 (éd. cit. n. 18), p. 165 : « Þá svaraði Biskup :Sá skildagi sem ófróðir menn hafa hér görvan at skilja sér vald yfir þeim hlutum sem þeir hafa áðr Guði gefit er af sjálfum lögunum ómáttuligr ok á eigi at haldask, ok þar sem þetta mál verðr lögliga kært af byskupum eru þeir menn eigi í þeirra manna tölu sem hjálpar eigu ván af Guði, síðan þeir haldask í þeiri þrjósku, ok hverir sem tíundir eða heilagra manna eignir halda með þrái, þeir eru bannsetjandi eptir lögligar áminningar ef þeir vilja eigi sættask ok af láta sínum rangendum.”» Traduction française disponible dans le volume II de l’Histoire des évêques d’Islande I-II (trad. cit. n. 18).

85 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Oddaverja þáttr [Récit des gens d’Oddi] dans Ibid., chap. 22, p. 167 : « Byskup svaraði slíkum skynsemðum sem fyrr váru lesnar ok mörgum öðrum, svá segjandi: Vel veizt þu þat, Jón, ef þú vill sönnu fylgja at byskup á kirkjueigenum at ráða ok tíundum eptir setningum postolanna ok annarra heilagra feðra, ok því at leikmenn megu ekki yfir þeim hlutum vald eignask þá má þeim þat vald aldregi með fornri hefð frelsask. Vænti ek at formenn kirkjunnar, þá sem fyrir oss hafa verit, afsaki þat mjök er þeim var eigi boðit af sínum yfirmönnum at kalla kirkjur ok tíundir undir sitt vald, ok því eru <þeir> bannsetjandi sem tíundum eða Guðs eignum halda með þrjózku móti byskupa vilja ok samþykki.”»

86 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, Oddaverja þáttr [Récit des gens d’Oddi] dans Ibid., chap. 22, p. 167-168 : « Enn var önnur grein millim þeira ok stóð sú af Höfðárhlaupi, því at hon hafði tekit marga bœi, þá er þangat lágu undir, ok tvá þá er kirkjur váru á. Varð af því minni tíund ok færi hús til brotsöngs ». Selon Ásdis Egilsdóttir, l’éditrice de cette saga, Höfðárhlaup correspond à Kötluhlaup et était nommé ainsi jusqu’aux environs de 1180. Le terme « brott-söngr » désigne à la fois la messe et le « service divin » (« tíða-görð ») célébrés par un prêtre en dehors de son église paroissiale. Nous retrouvons ce terme au chapitre XIV de la Prestssaga Guðmundar góða, où l’on apprend qu’en 1189 dans le diocèse de Hólar : « Alors que le prêtre Guðmundr se trouvait à Miklabær, il eut à dire la messe hors de sa propre paroisse, à la ferme qui s’appelait Miklabær. Il y alla pour célébrer un jour de fête », cf. Sturlunga saga I, chap. 14 (éd. cit. n. 22), p. 139 : « Þá er Guðmundr prestr var á Miklabæ, þá átti hann brottsöng á þann bæ, er á Marbæli heitir. Þangat söng hann einn hátíðardag. »

87 L’Íslendinga saga nous apprend le projet épiscopal en ces mots : « Lorsque l’évêque Guðmundr revint en Islande et prit l’autorité sur le clergé ainsi que le gouvernement de l’Église dans le nord du pays, il y eut beaucoup de démêlés entre lui et Kolbeinn Tumason, chacun des deux voulant suivre son chemin, et il y eut une grande discorde entre eux. L’évêque était beaucoup moins docile et bien plus audacieux que Kolbeinn ne l’avait pensé ». (cf. Sturlunga saga I, chap. 19 (éd. cit. n. 22), p. 243 : « Þá er Guðmundr biskup kom út ok hann tók forráð kennimanna ok stjórn kristni fyrir norðan land, urðu margar greinir með þeim Kolbeini Tumasyni, þær er sinn veg þótti hvárum þeira, ok varð með þeim mikit sundrþykki. Var biskup allt minni leiðingamaðr ok ráðgjarnari svá sem Kolbeinn ætlaði »). En français, nous renvoyons à l’excellente conférence de Patrick Guelpa, « Cléricalisme des clercs et cléricalisme des laïcs dans la Sturlunga saga. Le cas de l’évêque Gudmundur Arason ». Conférence prononcée lors du symposium sur l’âge des Sturlungar en Islande organisé en l’honneur du Professeur Régis Boyer à la résidence de son Excellence l’Ambassadeur d’Islande, Monsieur Tomas Ingi Olrich, le samedi 26 novembre 2005 à Paris. Le texte intégral est paru sur le site de la revue KUBABA (Paris-1) : [http://kubaba.paris1-univ.fr/] Voir la rubrique « colloques », l’âge des Sturlungar.

88 Prestssaga Guðmundar góða, dans Sturlunga saga I, chap. 29 (éd. cit. n. 22), p. 158 : « Guðmundr var búinn til skips með tíundavöru sína. »

89 Íslendinga saga, dans Sturlunga saga I, chap. 20 (éd. cit. n. 22), p. 246 : « Biskup hafði jafnan Kolbeins menn fyrir sökum um ýmsa hluti, tíundarmál eða kirkjufjárhald ok um viðtöku við fátæka frændr sína. Bændr tóku því þungliga ok virðu sem engir mætti vera í friði fyrir biskupi. »

90 Ibid., chap. 25, p. 254 : « Nú setjast þeir Arnórr ok Sigurður yfir staðinn auk alla staðarins eign ok skipa menn til að taka tíundir biskups ok allar hans eignir. »

91 À cette époque, le premier possède le contrôle d’une seigneurie reposant sur le Hrollaugsniðjagoðorð acquis vers 1150 par sa famille, cf. Lúðvík Ingvarsson (op. cit. n. 29), II, p. 109-118 et Gunnar Karlsson (op. cit. n. 76), p. 219-220 ; les Freysgyðlinga-/Svínfellingagoðorð qui forment son goðorð patrimonial (cf. Lúðvík Ingvarsson (op. cit. n. 29), II, p. 119-130 et Gunnar Karlsson (op. cit. n. 76), note 2, p. 220) et le Leiðylfingagoðorð acquis vraisemblablement vers 1050 (cf. Lúðvík Ingvarsson (op. cit. n. 29), II, p. 140-145, III, p. 738 et Gunnar KARLSSON (op. cit. n. 76), p. 220-221). Le second possède le contrôle d’une seigneurie reposant sur le Goðdælagoðorð acquis en 1158 par sa famille (cf. Lúðvík Ingvarsson (op. cit. n. 29), III, p. 360-376 ; voir aussi son tableau des possessions des Ásbirningar dans la zone d’assemblée de l’Hegranesþing aux xiie et xiiie siècles, ibid., p. 439 et Gunnar Karlsson (op. cit. n. 76), p. 255-256) et le goðorð Sæmundar suðureyska, incorporé en 1130, au patrimoine des Ásbirningar pour servir à la formation de leur seigneurie (cf. Lúðvík Ingvarsson (op. cit. n. 29), III, p. 332-341 et Gunnar Karlsson (op. cit. n. 76), p. 254-255.)

92 La Konungsbók contient un livre entier intitulé Section des indigents (Ómagabálkr) qui traite en XVI chapitres des diverses catégories recouvertes sous ce terme d’« indigents » et les situations dans lesquelles ils peuvent se trouver, preuve que la question était cruciale pour la société de l’Islande médiévale, cf. Grágás, Ib (éd. cit. n. 34), p. 3-28. La section des indigents nous est également connue de deux autres rédactions médiévales : celle de la Staðarhólsbók, dans Grágás, II (éd. cit. n. 43), p. 103-151 et celle de l’AM 125 A 4to, dans Grágás, III (éd. cit. n. 39), p. 416-419, et 439.

93 Si l’on se tient à cette étude sur la terminologie de la pauvreté au Moyen-Âge (cf. Karl Bosl, « Potens und Pauper. Begriffsgeschichtliche Studien zur gesellschaftlichen Differenzierung im frühen Mittelalter und zum “Pauperismus” des Hochmittelalters », dans Frühformen der Gesellschaft im mittelalterlichen Europa, Munich, 1964, p. 106-134), le terme pauper désignait un individu sans pouvoir et nécessitant une protection et correspondait au niveau le plus bas de la société alto médiévale. D’autres termes étaient utilisés pour désigner ceux qui n’avaient aucun moyen pour subvenir à leurs besoins, comme esuriens et famelicus (deux termes qui soulignent le manque de nourriture comme dans les adjectifs affamé et famélique), nudus et pannosus (pour le manque de vêtement, nu ou vêtu de haillons) ou bien pour désigner ceux qui étaient sujets à toute sorte de maladies. Un changement sémantique s’est ensuite produit qui ajouta un concept socio-économique au statut légal déjà existant : la pauvreté s’identifiait alors au manque de possessions. Il existe peu d’études sur la pauvreté et l’assistance envers les pauvres dans l’Islande médiévale mis à part l’imposante monographie de Wolfgang Gerhold, Armut und Armenfürsorge im mittelalterlichen Island, Heidelberg, Universitätsverlag, C. Winter, (Skandinavistische arbeiten, XVIII), 2002. Citons toutefois l’étude de Tryggvi Þórhallsson, « Ómagahald, matgjafir o. fl. », dans Skírnir, CX, 1936, p. 123-132 sur l’entretien des indigents et l’aumône en vivres ; la notice de Magnús Már Lárusson, « Framfœrlsa », dans KLNM (op. cit. n. 29), IV, p. 556-558 et ses correspondances au sein de la notice sur la dîme, Magnús Stefánsson, « Tiend. Island », dans KLNM (ibid., n. 29), XVIII, p. 287-291 et enfin Grégory Cattaneo, « L’aumône en vivres comme expression du mouvement communautaire dans l’Islande médiévale », dans The 15th International Saga Conference : Sagas and the Use of the Past, 5th-11th August 2012, Preprints of Abstracts, Aarhus University, A. Mathias Valentin Nordvig et Lisbeth H. Torfing (dir.) Aarhus, 2012, p. 99-101.

94 Dans sa lecture des sagas des Islandais selon un angle juridique, William I. Miller revient sur les lois concernant les indigents, cf. Bloodtaking and Peacemaking. Feud, Law and Society in Saga Iceland, Chicago, University of Chicago Press, 1990, p. 147-154. Citons également l’approche archéologique des différenciations sociales existantes au sein des paysans offerte par Orri Vésteinsson, « A Divided Society: Peasants and the Aristocrary in Medieval Iceland », dans Viking and Medieval Scandinavia, III, Turnhout, Brepols, 2007, p. 117-139.

95 Nous rappellerons ici la disette de 1200, pendant laquelle Þórðr Snorrason, chef de la communauté d’habitants de Vatnsfjörður, vient en aide aux habitants de la communauté voisine de Bolungarvík, cf. Hrafns saga Sveinbjarnarsonar hin sérstaka, (éd. cit. n. 69), chap. 10, p. 900 : « Comme il y avait une disette dans le pays, Þórðr alla au printemps chercher du poisson avec un gros bateau et ses domestiques à Bolungarvík puisqu’il jugeait qu’il pourrait se rendre utile pour beaucoup de gens. » (Þórðr Snorrason átti bú gott og gagnauðigt í Vatnsfirði svo að hann var hvers manns gagn, þess er til sótti. En fyrir því að hallæri var á landi hér þá fór Þórður á vorum til fiskjar með mikið skip og húskarla sína í Bolungarvík af því að hann þóttist þá fleirum mönnum mega gagn gera).

96 Sur la « livre » ou eyrir, voir la note 38.

97 Traduction du vieil islandais par Grégory Cattaneo, « De la dîme des nécessiteux », Tíundarlög [Lois des dîmes] selon la leçon de la Konungsbók de la Grágás Ib (éd. cit. n. 34), chap. 256, p. 209-210.

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Title Tableau 1 – Dossier narratif traitant de l’introduction de la dîme
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Title Tableau 2 – Rapport entre la propriété et la dîme selon la Grágás
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Title Figure 1 – Islande médiévale
Caption 1 Skálholt, évêché 2 Hólar, évêchéa Oddi, centre de pouvoirb Reykholt, centre de pouvoirc Svínafell, centre de pouvoirEn noir, limite des deux diocèses.
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Title Tableau 3 – Paysans imposables par quartiers xie-xive siècles
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Bibliographical reference

Grégory Cattaneo, “La dîme dans l’Islande médiévale. Sagas, lois et hiérarchies communautaires”Cahiers de civilisation médiévale, 261 | 2023, 7-34.

Electronic reference

Grégory Cattaneo, “La dîme dans l’Islande médiévale. Sagas, lois et hiérarchies communautaires”Cahiers de civilisation médiévale [Online], 261 | 2023, Online since 04 January 2025, connection on 19 January 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/12697; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.12697

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Grégory Cattaneo

École Pratique des Hautes Études, Section des Sciences Historiques et Philologiques

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