Comment christianiser un ours ? Le mois de février du calendrier du portail Saint-Ursin de Bourges (premier quart du XIIe siècle)
Résumés
Le calendrier sculpté au registre inférieur du tympan du portail de l’ancienne collégiale Saint-Ursin à Bourges débute par le mois de février. Comment expliquer une telle singularité iconographique dans un cycle des mois roman ? Rejetant l’idée d’une composition fortuite du calendrier et invalidant les correspondances calendaires liturgiques, l’étude tente de répondre à cette question en croisant les données historiques, archéologiques et anthropologiques. La clé de lecture de cette particularité iconographique semble être l’ours, qui fut pendant longtemps le roi des animaux dans l’Occident septentrional, avant que l’Église ne le détrône au profit du lion. Sa place dans l’imaginaire des hommes du Moyen Âge – notamment dans le Berry – est probablement à l’origine de la mise en place d’une habile manipulation hagiographique ayant conduit à l’invention d’une stratégie visuelle de christianisation.
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Mots-clés :
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Introduction
- 1 Le portail Saint-Ursin de Bourges a constitué le point de départ de mes recherches doctorales mais (...)
1Rare témoignage encore visible de l’époque romane au sein de la ville de Bourges, le portail Saint-Ursin – sous bien des aspects – est resté pour les historiens de l’art une énigme en raison de nombre de ses particularités iconographiques1. L’une d’entre elles, sur laquelle nous allons nous pencher, est constituée par le calendrier sculpté sur son tympan historié, un calendrier initié par le mois de février. Afin de comprendre et d’éclairer cette spécificité, notre réflexion va suivre le sentier tracé par un animal, mais pas n’importe lequel, une bête sauvage qui a longtemps eu un statut royal dans les régions septentrionales de l’Occident : l’ours. Curieusement, le plantigrade croise le chemin du portail Saint-Ursin de Bourges et incite à combiner histoire de l’art, archéologie et anthropologie pour résoudre cette difficulté iconographique : en effet, comment expliquer que le calendrier roman de l’ancienne collégiale berruyère détruite à la Révolution débute par février ? Plusieurs auteurs se sont penchés sur cette singularité sans qu’aucune interprétation jusqu’ici énoncée ne permette d’expliciter de manière satisfaisante l’introduction du cycle par le deuxième mois de l’année. Le but de cette étude est donc de répondre à cette interrogation et de débrouiller ce cas qui, parmi les calendriers conservés, demeure unique dans l’art médiéval.
Un singulier calendrier débutant par février
- 2 Le transfert eut lieu en 1810 ; cf. Répertoire archéologique et historique du diocèse de Bourges, é (...)
- 3 Même la date de consécration de la collégiale romane demeure inconnue ; cf. N. le Luel (op. cit. n. (...)
- 4 Une observation à l’œil nu du tympan permet encore de voir des restes de peinture rouge, notamment (...)
- 5 Cf. N. le Luel (op. cit. n. 1), p. 171-176.
2Seul vestige monumental conservé de la collégiale berruyère disparue, le portail Saint-Ursin fut démonté et déplacé au début du xixe siècle pour servir de porte d’entrée au jardin de la préfecture de Bourges, emplacement qu’il occupe encore actuellement2. L’étude de sa sculpture et de l’inscription qui figure en son centre a permis de le dater du premier quart du xiie siècle sans plus de précision, les sources écrites concernant la collégiale Saint-Ursin nous faisant largement défaut3. Le calendrier sculpté et à l’origine peint4, sur lequel nous allons nous attarder, se déploie au registre inférieur du tympan [fig. 1], surmonté aux deux registres supérieurs d’une chasse à courre et de trois motifs de fables. Figurant en majorité des scènes d’occupations agricoles et rurales, le cycle des mois s’égrène de manière continue de février à janvier sous treize arcades, les deux centrales ayant été allouées à juillet [fig. 2]. Sous la première arcade à gauche, le mois de février inaugure ainsi le calendrier [fig. 3]. Désigné par l’inscription latine abrégée FBR5, il marque la fin de l’hiver et est symbolisé par un personnage sculpté de profil, se recroquevillant au-dessus de l’âtre. Assis sur un banc, l’homme est vêtu d’une tunique courte qui laisse découvertes ses jambes qu’il cherche à réchauffer, et d’un manteau à larges plis couvrant ses épaules et son dos courbé. Il se frotte le pied de la jambe droite qu’il tient repliée sur la gauche placée au-dessus des flammes.
- 6 Manuel A. castiñeiras gonzález, « Gennaio e Giano bifronte : dalle “anni januae” all’ interno domes (...)
- 7 Le thème du personnage se réchauffant auprès du feu apparaît dans ce cas au mois de janvier : ms. V (...)
- 8 Ms. Mont-Cassin, Bibl. de l’abbaye, cod. Casin. 132, f. 293 : la miniature illustre les effets du f (...)
- 9 En France, c’est notamment le cas à La Madeleine de Vézelay et à Saint-Lazare d’Autun en Bourgogne, (...)
3La particularité du mois de février ne réside pas dans sa traduction iconographique. La personnification de ce mois sous l’aspect d’un homme assis au coin du feu est un motif largement utilisé dans les calendriers romans et gothiques. Puisant sa source dans l’Antiquité au cours de laquelle le motif personnifie la saison hivernale, il parvient à travers la tradition encyclopédique du haut Moyen Âge, particulièrement carolingienne, jusqu’à l’époque romane6. En effet, le schéma iconographique utilisé à Saint-Ursin se rencontre dans le Calendrier de Saint-Mesmin de Micy, réalisé autour de l’an Mil7, et dans l’illustration du livre xi, 18 « De Pruina » du De rerum naturis de Raban Maur enluminé au Mont-Cassin vers 1022-10358 : un personnage barbu, les pieds et les mains dénudés, se réchauffe auprès du feu, les épaules couvertes d’un manteau de poils. Une fois mise en place, l’image varie ensuite peu d’un cycle à l’autre ainsi que le démontrent les calendriers français, italiens et ibériques9. En ce mois d’hiver, la scène est située à l’intérieur d’une maison dans la pièce animée par le foyer auprès duquel un paysan cherche à se réchauffer, enveloppé dans un manteau, frottant ses pieds près de l’âtre.
- 10 « C’est sans doute que l’année commençait par là dans le Berry, de même qu’ailleurs – les lettres d (...)
- 11 Le terme cité est employé par l’abbé de Roffignac au début du xxe s. ; Bertrand de Roffignac, « Le (...)
- 12 Selon Grégoire de Tours, le corps d’Ursin aurait été inventé à la fin du vie s., sous l’épiscopat d (...)
- 13 Il citait comme exemple le calendrier situé sur la façade occidentale de la cathédrale d’Amiens ina (...)
- 14 La date du 1er janvier comme début de l’année n’est retenue en France qu’à partir de 1564 à la suit (...)
- 15 Il est très probable, comme l’a montré Xavier Barral i Altet, que le calendrier mosaïqué qui ornait (...)
- 16 Au sujet des calendriers commençant par mars, cf. Perrine Mane, Calendriers et techniques agricoles (...)
4Si le motif du mois de février du tympan Saint-Ursin de Bourges correspond à la tradition iconographique du thème, sa position dans le calendrier est quant à elle tout à fait originale. Pour expliquer ce particularisme du cycle berruyer, deux hypothèses – l’une historique, l’autre technique – ont prévalu : on a envisagé un possible début de l’année à cette période dans le Berry pendant le Moyen Âge10, mais plus souvent on a préféré considérer « cette anomalie » comme une erreur du sculpteur dans la réalisation du cycle11. Cependant, aucune des deux propositions ne tient et ne peut être retenue. On aurait également pu penser trouver une explication dans les coordonnées hagiographiques du saint auquel la collégiale était dédiée. Or les fêtes du 9 novembre, date à laquelle le corps d’Ursin aurait été redécouvert au cours de la seconde moitié du vie siècle, et du 29 décembre12, correspondant à la mort du saint, ne nous donnent pas davantage la clé de compréhension de cette énigme. À la fin du xixe siècle, Émile Mâle avait déjà remarqué que tous les calendriers ne débutaient pas par le même mois13, bien que la très grande majorité des cycles commencent par janvier14. Sont en effet observables dans l’art médiéval deux variantes. Les cycles de Saint-Pompain dans les Deux-Sèvres et de la porte de Radovan de la cathédrale de Trogir en Croatie sont ainsi introduits par le mois de décembre suivant l’organisation du calendrier liturgique15. Les exemples d’Angoustrine et d’Estavar en Cerdagne, et, pour l’Italie, de Bobbio, de Vérone, de Parme et de Crémone, commencent en revanche par mars16 selon le style de l’Incarnation qui débutait au jour de l’Annonciation placé au 25 de ce mois, un calendrier utilisé au Moyen Âge par les notaires. Bien que ni l’un, ni l’autre de ces calendriers ne permettent d’élucider le caractère singulier du cycle berruyer, ils témoignent de choix variables, mais aucunement fortuits, dans l’organisation iconographique des cycles des mois.
- 17 E. Mâle (op. cit. n. 13), p. 145.
- 18 Une inversion des trois dalles sculptées lors du montage du tympan ou encore du remontage signifier (...)
5Soupçonnant déjà une explication de ce type, Émile Mâle écrivait au sujet de ces particularités calendaires qu’elles « n’[étaient] pas toujours dues, comme on l’a pensé, à l’inadvertance des poseurs chargés de mettre en place les morceaux sculptés à l’atelier »17. Cette réflexion apparaît d’autant plus évidente à Saint-Ursin de Bourges où le registre des mois n’est pas divisé en claveaux mais se compose de trois dalles de pierre distinctes. L’observation directe du tympan montre que la première d’entre elles est sculptée des mois de février à avril en continu, la suivante des mois de mai à septembre et la dernière de ceux d’octobre à janvier18. Il n’y a donc pas pu y avoir d’erreur au montage, ni au remontage. Enfin, l’organisation symétrique du registre invalide l’idée d’une composition fortuite du registre et atteste au contraire une mise en scène soignée et réfléchie : sous les deux arcades situées chacune à l’extrémité du cycle et abritant les mois de février et janvier [fig. 3 et 4], apparaît un paysan assis de profil et se courbant vers l’intérieur du calendrier. Les deux figures – et donc les deux mois – semblent ainsi l’une et l’autre encadrer le registre et le cycle calendaire.
- 19 Les fragments conservés de ce portail qui figurait le Christ en gloire entouré du Tétramorphe sont (...)
- 20 La première description provient d’un manuscrit intitulé Antiquités déoloises (aujourd’hui conservé (...)
- 21 Valérie Mauret-Cribellier, L’abbaye de Déols et ses possessions, 3 vol., mémoire de maîtrise d’hist (...)
- 22 Leocadius et son fils Ludre sont deux personnages évoqués dans les deux Vitae consacrées au supposé (...)
6Par ailleurs, écartant l’idée d’une simple singularité du cycle de Saint-Ursin, ou d’une décision arbitraire de l’artiste dans la mise en place du thème iconographique, des sources textuelles confirment qu’un autre calendrier du Berry débutait également par le mois de février : celui sculpté sur la troisième voussure extérieure du portail nord de l’abbatiale Notre-Dame de Déols, portail daté du milieu du xiie siècle [fig. 5]. Détruit en 1830, aucun vestige de ce calendrier n’a été conservé, comme la majeure partie du porche septentrional de l’abbatiale dédoise19. L’existence de ce cycle des mois débutant par février nous est connue grâce à deux descriptions datant du xixe siècle20 et cette similitude ne peut relever de la simple coïncidence. En effet, l’abbaye Notre-Dame de Déols était, à l’époque romane et encore plus tard, une communauté puissante dont les possessions étaient nombreuses dans le Berry21. La collégiale Saint-Ursin entretenait des rapports particuliers avec le foyer religieux déolois : les corps de saint Leocadius et de son fils, saint Ludre – tous deux jouant un rôle de premier plan dans la légende hagiographique du premier évêque de Bourges, Ursin – passaient pour être conservés dans l’église paroissiale Saint-Étienne de Déols22. Ainsi, on peut raisonnablement se demander laquelle des deux églises influença sa voisine. Les prémices gothiques perceptibles dans les fragments de sculpture conservés du porche septentrional de l’abbatiale Notre-Dame nous incitent à penser que le cycle roman des mois de Saint-Ursin a précédé celui de Déols, et donc que l’influence iconographique s’est probablement transmise de la collégiale berruyère vers l’abbatiale déoloise. Toutefois, l’existence dans le Berry d’un autre calendrier débutant par février confirme l’hypothèse d’un choix volontaire dans la structure iconographique du cycle de Bourges.
Fig. 5. — Schéma du tympan du portail nord de l’abbatiale de Déols, d’après les descriptions conservées.

Février et la sortie du saint ours : stratégie visuelle de christianisation
- 23 Claude Gaignebet et Marie-Claude Florentin, Le carnaval, essais de mythologie populaire, Paris, Pay (...)
7Mais quelles sont les raisons pouvant être à l’origine d’une telle décision ? Comment peut-on expliquer l’introduction d’un cycle des mois par février ? Nous pensons avoir découvert la solution à ces questions, en mettant en relation le nom d’Ursin (Ursinus), construit sur le terme latin ursus qui signifie « ours », et la fête d’origine païenne de la sortie de l’ours qui avait lieu le 2 février. En effet, dans beaucoup de régions de l’Europe septentrionale, une croyance populaire associait cette date au moment où l’animal « sort de sa tanière afin d’examiner le temps qu’il fait. S’il fait clair, l’ours rentre dans son abri : c’est signe que l’hiver va durer 40 jours encore […]. Si par contre il fait sombre, l’ours sort pour de bon de sa tanière et donne ainsi le signal de la fin de l’hiver »23. Un certain nombre de dictons météorologiques émanent d’ailleurs de cette croyance, bien que les ouvrages consacrés au Berry folklorique n’en aient pas gardé traces, et attribuent à l’ours le don de prévoir le temps :
- 24 Jean-Dominique Lajoux, L’homme et l’ours, Grenoble, Glénat, 1996, p. 71. Dans le Berry, est encore (...)
Si le deuxième de février
Le soleil apparaît entier,
L’ours, étonné de la lumière,
Se va remettre en sa tanière.
Et l’homme ménager prend soin,
De faire resserrer son foin,
Car l’hiver, tout ainsi que l’ours,
Séjourne encore quarante jours24.
- 25 Michel Pastoureau, L’ours, histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, 2007, p. 123-125. On doit à Miche (...)
- 26 Michel Salvat, « L’ours dans la symbolique médiévale », dans L’animalité : hommes et animaux dans l (...)
- 27 M. Pastoureau (op. cit. n. 25), p. 143-146.
- 28 Cf. supra n. 12 et Grégoire de Tours, Histoire des Francs, I, xxxi, trad. de R. Latouche, Paris, Be (...)
- 29 M. Pastoureau (op. cit. n. 25), p. 150-151. Voir aussi C. Gaignebet et Odile Ricoux, « Les Pères de (...)
8De son côté, Michel Pastoureau a fort bien mis en évidence l’effort déployé par l’Église depuis les premiers siècles du haut Moyen Âge pour « dompter » celui qui était considéré à l’origine, dans le Nord de l’Europe, comme le roi des animaux. Définitivement détrôné au profit du lion aux xiie-xiiie siècles25, il devint alors l’un des symboles du diable26. Pour y parvenir, furent mises en place des stratégies hagiographiques qui consistèrent en la rédaction de vies de saints ayant vaincu ou obtenu l’obéissance de l’animal sauvage. Parallèlement, d’autres saints, à l’existence purement légendaire, furent « créés de toutes pièces par l’Église pour se substituer, dans tel ou tel diocèse, au souvenir d’un ours particulièrement admiré »27 : en témoigne vraisemblablement le cas du supposé premier évêque de Bourges, Ursin, dont les traces écrites initiales de la légende remontent à la fin du vie siècle sous la plume de Grégoire de Tours28. À notre sens, la clé de compréhension de l’organisation du calendrier du tympan Saint-Ursin se situe là. Le choix de débuter le cycle de Bourges par février trouve très probablement son origine dans cette association entre le saint ours dédicataire de la collégiale et « cet événement majeur de la vie animale », occasion de rituels païens longtemps vivaces, que l’Église s’employa, dès le ve siècle, à christianiser en les remplaçant par plusieurs fêtes chrétiennes qui se tenaient toutes le 2 février : celles de la Présentation de Jésus au Temple et de la Purification de Marie, dans un premier temps, puis celle plus populaire de la Chandeleur29.
- 30 Le diocèse de Bourges, éd. G. Devailly, Paris, Letouzey & Ané, 1973, p. 119.
- 31 Le jour correspondrait à la mort de l’archevêque de Tours en 397. Concernant la christianisation de (...)
- 32 « On constate d’ailleurs autour de cette date des commémorations de saints au nom inquiétant : sain (...)
- 33 Cette pratique de l’Église d’utiliser les saints du début du haut Moyen Âge pour christianiser le c (...)
9Les analogies entre le saint et l’animal ne se limitent d’ailleurs pas à la similitude entre leurs noms, et à la mise en avant de la fête de la sortie de l’ours à travers le mois de février du calendrier de Saint-Ursin. Comme nous l’avons fait remarquer précédemment, le 9 novembre correspond au jour de la translation des reliques du saint, date à laquelle avait lieu la fête principale d’Ursin pendant toute la période médiévale et encore à l’époque moderne30. Ce jour ne semble s’appuyer sur aucune source historique ni hagiographique, mais si nous continuons à suivre la trace de l’ours, on s’aperçoit tout d’abord que novembre est le mois pendant lequel l’animal se prépare à hiberner. Dès le ve siècle, dans plusieurs diocèses de Gaule, on tenta ainsi de substituer à la fête qui célébrait au 11 novembre le début de l’hibernation du plantigrade, donc l’entrée dans la période hivernale, celle de saint Martin31. Par ailleurs, la date du 9 n’est pas très éloignée d’une autre fête christianisée, celle de Samain, qui correspondait dans la mythologie celtique au début de la saison sombre, c’est-à-dire de l’hiver, et à laquelle l’Église a notamment substitué la Toussaint placée au 1er novembre32. Il faut sans doute voir dans le jour choisi pour la translation des reliques d’Ursin une nouvelle manipulation calendaire de l’Église locale tentant de remplacer les fêtes rurales traditionnelles qui suivaient le cycle des saisons33.
L’ours dans le Berry : imaginaire et réalité historique
- 34 Sa vie nous est notamment connue à travers le récit qu’en fait Grégoire de Tours, Vitae Patrum, xvi (...)
- 35 Louis Raynal, Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, Bourges, Vermeil, (...)
- 36 Claude Gaignebet voit dans le vitrail de saint Vaast de l’église de Levroux (Indre) le témoignage d (...)
- 37 Pour Claude Gaignebet, la dévotion portée à saint Blaise offre « une variante du culte à l’ours » : (...)
10Ursin n’est du reste pas le seul saint du Berry qui témoigne d’une présence vivace de l’animal dans l’imaginaire des hommes de cette région. À la fin du ve siècle, un autre saint Ours, originaire de Cahors, aurait également fondé quelques petits monastères entre l’Indre et le Cher avant de s’installer dans la ville de Loches, et d’y fonder l’abbaye qui lui est dédiée et où il s’éteignit34. Enfin, la légende de saint Laurien ou Laurian, évêque de Séville, le fait mourir à Vatan (Indre) où il s’était retiré au ve siècle. Averti en songe de la mort violente de l’évêque qui fut décapité, Eusèbe d’Arles se serait rendu dans le Berry pour ensevelir le corps et l’aurait trouvé gardé par deux ours35. À la même période, entre les ve et vie siècles, se seraient donc développés dans le Berry trois cultes dédiés à des saints dont le nom ou l’histoire fait référence à l’ours, et mettent en relief le combat mené par le clergé local pour christianiser le plantigrade36. Notons que Blaise, dont la fête a lieu le 3 février, fut aussi un saint vénéré dans la région et, même s’il n’est pas exclusivement à mettre en lien avec l’ours, son pouvoir l’en rapproche puisqu’il sait se faire obéir des bêtes sauvages37.
- 38 Histoire du Berry, éd. G. Devailly Toulouse, Privat, 1987 (1re éd. 1980), p. 14 ; Le Berry antique (...)
- 39 Maryline Salin n’a ainsi rencontré l’espèce dans aucun des 63 ensembles osseux issus des 27 sites b (...)
- 40 En effet, il n’est pas certain que l’animal consommé soit le produit d’une chasse ; il pourrait éga (...)
- 41 Marcel Couturier, L’ours brun : ursus arctos, Grenoble, s. n., 1954, p. 158-182 ; Jean-Jacques Cama (...)
11Enfin, on peut s’interroger sur la réalité historique d’une présence de l’ours dans le Berry dont les faits exposés auraient conservé la mémoire. Les limites historiques du Berry dépassaient légèrement les frontières actuelles des deux départements qui le composent, le Cher et l’Indre, et englobaient une partie du Loir-et-Cher, du Loiret et de l’Allier. La province berrichonne était entourée de forêts : au nord, celles de la Loire, de Sologne, de Vernusse, de Valençay, de Loches, puis à l’ouest, des forêts de la Brenne, de Tronçais, de Meillant, de Bommiers et de Châteauroux, et enfin au sud, celle de Belâbre38. Le peuplement de ce territoire par l’ours – notamment l’Indre actuel – est attesté au Paléolithique supérieur, mais pour les périodes antiques et médiévales, il reste encore aujourd’hui difficile d’affirmer la présence en Berry du grand mammifère forestier. En effet, l’animal ressort peu des ensembles fauniques étudiés par les archéozoologues39. Cependant, un ossement d’ours a été récemment identifié sur le site du château de Mehun-sur-Yèvre (Cher) et daté du xie siècle. Il s’agit d’un humérus qui porte une trace de découpe attestant la consommation de la viande ursine par les seigneurs locaux. Selon Gaëtan Jouanin, auteur de l’étude archéozoologique, il n’est donc pas impossible que l’ours ait fréquenté encore au Moyen Âge les forêts du Berry et qu’il y ait été chassé, sans toutefois pouvoir l’affirmer40. Des sources prouvent en revanche la survie du plantigrade jusqu’au bas Moyen Âge dans des territoires environnants comme l’Auvergne. Dans nombre de régions françaises, le grand mammifère forestier disparaît ainsi dès les prémices de l’ère chrétienne41. Il est possible que cela fût le cas dans le Berry, ce qui coïnciderait, comme on l’a vu, avec les siècles pendant lesquels se forment un certain nombre de légendes hagiographiques qui mettent en scène l’animal ou le christianisent.
- 42 Le terme même de Berry s’est formé à partir d’une évolution du mot « Bituriges » ; cf. Dictionnaire (...)
- 43 Le toponyme Arthon (Indre) a ainsi gardé le souvenir du nom celtique de l’ours qui se dit artos.
- 44 Cf. Françoise Autrand, Jean de Berry. L’art et le pouvoir. Paris, Fayard, 2000, p. 182-192. L’anima (...)
- 45 Il se faisait d’ailleurs appeler par ce nom à la cour d’Édouard III. Sur Jean de Berry et sa passio (...)
12Peut-être doit-on aussi rapprocher l’imaginaire lié à l’ours dans le Berry des origines celtiques de la province, territoire des Bituriges Cubi entre le viie siècle av. J.-C. et l’arrivée des Romains au ier siècle av. J.-C.42. Selon Tite-Live (Histoire romaine, V, 34), « [c]’était dans cette nation que la Celtique prenait ses rois », puisque le nom des Bituriges signifie littéralement « les rois du monde », ce qui traduit l’importance qu’eut ce peuple dans la Gaule antique. De ce fait, on imagine fort bien quelle place l’ours – considéré par les Celtes comme l’animal royal par excellence en raison de sa force et de son courage – devait occuper chez ce peuple gaulois43. La survivance du rôle symbolique joué par le plantigrade dans le Berry s’observe d’ailleurs au-delà des temps au cours desquels il était encore le roi des animaux puisqu’au xive siècle, Jean de France (1340-1416), duc de Berry et troisième fils du roi Jean II le Bon, choisit l’animal comme emblème individuel et fait entrer son nom dans son énigmatique devise : « Oursine, le temps viendra ». Alors que l’ours est devenu un animal démodé, si ce n’est dédaigné, dans la plupart des cours de la fin du Moyen Âge, Jean de Berry lui reste fidèle44. M. Pastoureau a montré comment cette adoption animalière a eu lieu pendant la captivité anglaise du prince entre 1360 et 1364 et s’est faite autour de la proximité phonétique entre le terme anglais bear (ours) et la première syllabe du nom de son duché, le Berry45. Mais la dévotion du prince envers le premier évêque de Bourges, Ursin, n’est sans doute pas non plus étrangère à cette décision et à son intérêt pour l’ours.
Conclusion
- 46 Arnold Van Gennep, Les rites de passage : étude systématique des rites [1re éd. 1909], Paris, Picar (...)
13Par son allusion à la fête de la sortie de l’ours, le mois de février du portail de l’ancienne collégiale Saint-Ursin apporte une nouvelle pièce au vaste tableau donnant à voir les nombreuses réminiscences liées au plantigrade qui parcourent le Berry pendant le Moyen Âge. À Bourges, comme dans l’ensemble de la chrétienté médiévale, le calendrier chrétien fut utilisé pour tenter d’éradiquer des pratiques populaires et païennes en se superposant au calendrier rural calqué sur le rythme de la nature. En cela, le mois de février [fig. 3], qui introduit le cycle de Saint-Ursin et se positionne comme une phase de transition entre l’hiver et le printemps, constitue un témoignage visuel de l’attitude du clergé berruyer vis-à-vis des croyances païennes locales autour de l’ours. Son emplacement au portail Saint-Ursin nous indique clairement l’importance accordée au thème iconographique. Contrairement à la plupart des calendriers, le motif [fig. 1 et 2] n’est pas rejeté ici en périphérie du programme iconographique, c’est-à-dire sur les voussures ou les piédroits du portail, mais il occupe le tympan, une position unique à notre connaissance. En l’intégrant au cœur du décor historié, les chanoines de la collégiale Saint-Ursin nous font supposer qu’ils connaissaient la relation entre leur saint tutélaire et l’animal, du moins qu’ils avaient conservé le souvenir que ce mois était marqué par des « rites de passage »46 lié à l’ours, rites qu’ils souhaitaient définitivement christianiser. Et, si l’animal n’apparaît pas au registre inférieur du tympan, il est néanmoins présent iconographiquement sur le portail.
- 47 N. Le Luel, « L’âne, le loup, la grue et le renard : à propos de la frise des fables du tympan Sain (...)
- 48 Sur la déchéance de l’animal dont le Roman de Renart se fait l’écho, cf. M. Pastoureau (op. cit. n. (...)
14Diamétralement opposé au mois de févier, il est sculpté à l’extrémité droite du registre supérieur conduisant le cortège funèbre du faux-enterrement de Renart47. Il se montre alors comme un animal faible et peureux, qui se laisse duper par le fieffé goupil, et n’a donc plus aucune caractéristique royale48. Tombé de son trône, il est ici représenté dans la position dans laquelle l’Église veut maintenir la bête sauvage et l’exposer au Moyen Âge central. Comme on l’a vu, la vivacité et la persistance d’un imaginaire païen lié à l’ours dans le Berry médiéval s’expliquent probablement à la fois par une réalité biologique (la présence de l’animal dans cette région ceinturée de forêts) et par des raisons historiques (ses fortes origines celtiques à travers les Bituriges). Tel que le montrent l’étymologie du vocable chrétien de certains saints des ve-vie siècles vénérés dans la province, ou encore quelques épisodes hagiographiques, le clergé local s’est donc employé dès les premiers siècles du christianisme en Berry à remodeler cet imaginaire en évangélisant la bête sauvage. Il l’a notamment fait en choisissant pour premier évêque du siège épiscopal berruyer un saint ours et en plaçant la date même de la translation de ses reliques, le 9 novembre, deux jours avant la grande fête hivernale de l’animal. Le mois de février du portail Saint-Ursin de Bourges daté de l’époque romane illustre ainsi la longue durée dans laquelle s’inscrit cette quête combative de christianisation de l’animal. En plein xiie siècle, le plantigrade et sa charge symbolique font toujours partie de la mémoire collective, et l’entreprise d’affaiblissement dont il est la cible se joue jusque dans le discours visuel de l’Église.
Notes
1 Le portail Saint-Ursin de Bourges a constitué le point de départ de mes recherches doctorales mais cette étude est un travail inédit qui n’avait pu être développé pendant la thèse : Nathalie le Luel, Le portail Saint-Ursin de Bourges : recherches sur l’iconographie profane en façade des églises romanes, thèse de doctorat [dactyl.], Université de Rennes II, 2008. La publication de ce travail est actuellement en préparation aux éditions Droz.
2 Le transfert eut lieu en 1810 ; cf. Répertoire archéologique et historique du diocèse de Bourges, éd. sous la dir. du comité diocésain, Bourges, Pigelet, 1872, p. 46.
3 Même la date de consécration de la collégiale romane demeure inconnue ; cf. N. le Luel (op. cit. n. 1), p. 143-193.
4 Une observation à l’œil nu du tympan permet encore de voir des restes de peinture rouge, notamment sur le calendrier, malgré une épaisse couche de poussière et le mauvais état général de l’ensemble sculpté.
5 Cf. N. le Luel (op. cit. n. 1), p. 171-176.
6 Manuel A. castiñeiras gonzález, « Gennaio e Giano bifronte : dalle “anni januae” all’ interno domestico secoli XII-XIII », Prospettiva, 66, 1992, p. 53-63 : 60. Voir également Id., El calendario medieval hispano. Textos e imágenes (siglos XI-XIV), Valladolid, Consejería de Educación y Cultura, 1996, p. 72-73 et 144-151.
7 Le thème du personnage se réchauffant auprès du feu apparaît dans ce cas au mois de janvier : ms. Vatican, Bibl. Apost. Vat., Vat. lat. 1263, fol. 65r.
8 Ms. Mont-Cassin, Bibl. de l’abbaye, cod. Casin. 132, f. 293 : la miniature illustre les effets du froid matinal. Cf. également Ambrogio M. Amelli, Miniature sacre e profane dell’anno 1023 illustranti l’enciclopedia medioevale di Rabano Mauro, Montecassino, Tipo-litografia di Montecassino, 1896, pl. lxviii et cviii.
9 En France, c’est notamment le cas à La Madeleine de Vézelay et à Saint-Lazare d’Autun en Bourgogne, aux églises de Fenioux, Saint-Nicolas de Civray et Saint-Jacques d’Aubeterre en Poitou-Saintonge, ou à Saint-Aignan de Brinay et Saint-Sylvain de Chalivoy-Milon dans le Cher. On peut aussi le constater en Italie du Nord sur les piédroits de la Porta della Pescheria du Duomo de Modène, où se retrouve le détail iconographique du manteau en poils, ou encore en Castille sur l’intrados d’une des arcades du Panthéon des Rois de Saint-Isidore de León.
10 « C’est sans doute que l’année commençait par là dans le Berry, de même qu’ailleurs – les lettres de Fulbert de Chartres en témoignent – elle commençait le 1er mars. » : cf. Georges Hardy et Alfred Gandilhon, Bourges et les abbayes et châteaux du Berry, Paris, Laurens, 1912, p. 13.
11 Le terme cité est employé par l’abbé de Roffignac au début du xxe s. ; Bertrand de Roffignac, « Le tympan de la porte Saint-Ursin à Bourges, son caractère religieux », Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, 36, 1913, p. 47-67, ici p. 55. À ce sujet, deux ecclésiastiques érudits du xixe siècle, Mgr Barbier de Montault et Mgr de Longuemar, écrivaient déjà dans un article que « dans le tympan de Saint-Ursin de Bourges, l’année commence à février et se termine à janvier, nouvelles preuves du peu de soin des décorateurs » : cf. Mgr X. Barbier de Montault et Mgr A. de Longuemar, « Examen des zodiaques et des travaux correspondants aux mois de l’année, représentés dans les églises des xiie et xiiie siècles », Bulletin monumental, 23, 1857, p. 269-275. Enfin, Alphonse Buhot de Kersers reconnaissait qu’il lui avait « été impossible de comprendre la cause » d’un tel choix : cf. Alphonse Buhot de Kersers, Histoire et statistique monumentale du département du Cher. 2. Canton de Bourges, Bourges, Tripault, 1883 (nouv. éd., Marseille, 1977), p. 227.
12 Selon Grégoire de Tours, le corps d’Ursin aurait été inventé à la fin du vie s., sous l’épiscopat de Probien ; Grégoire de Tours, Liber in Gloria Confessorum, éd Bruno Krusch, dans Monumenta Germaniae historica. Scriptores rerum Merovingicarum, t. I/2 : Gregorii episcopi Turonensis Miracula et opera minora, Hanovre, Hahn, 1885, p. 796-798. Cependant, Grégoire ne fournit pas la date du 9 novembre que l’on trouve en revanche dans les martyrologes de Florus, d’Adon et d’Usuard (ixe s.), et plus tard dans le Rituel de Bourges (1666). Au contraire, la fête du 29 décembre nous est donnée par les Vitae du saint (BHL 8412-8413), rédigée au cours de la première moitié du xie s. Pour une étude approfondie sur le corpus des Vies de saint Ursin, cf. N. le Luel, « Étude des Vies de saint Ursin de Bourges : une première approche », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 114/1, 2007, p. 7-32.
13 Il citait comme exemple le calendrier situé sur la façade occidentale de la cathédrale d’Amiens inauguré par le mois de décembre et signalait que, non pas le cycle des mois, mais le zodiaque de l’église romane de Saint-Savin-sur-Gartempe dans le Poitou, est introduit par le signe du bélier associé ordinairement au mois de mars : Émile Mâle, L’art religieux du xiiie siècle [1re éd. 1898], t. I, Paris, Livre de Poche, 1968, p. 144.
14 La date du 1er janvier comme début de l’année n’est retenue en France qu’à partir de 1564 à la suite de la promulgation par Charles IX de l’Édit de Roussillon. Auparavant, comme le rappelle Georges Comet, « ce fameux 1er janvier ne signifie rien dans l’histoire chrétienne à la différence de l’Annonciation, de la Nativité, de Pâques, ou même du premier dimanche de l’Avent, qui commence la liturgie annuelle. On le voit, les images ne sont pas en symbiose avec les pratiques de comput » ; Georges Comet, « Les calendriers médiévaux illustrés, supports idéologiques complexes », dans Les calendriers. Leurs enjeux dans l’espace et dans le temps. Actes du colloque de Cerisy, 1-8 juillet 2000, éd. J. Le Goff et P. Mane, Paris, Somogy, 2002, p. 249-259, ici p. 252.
15 Il est très probable, comme l’a montré Xavier Barral i Altet, que le calendrier mosaïqué qui ornait à l’origine le sol de la chapelle Saint-Firmin donnant sur le déambulatoire de la basilique Saint-Denis commençait également par le mois de décembre ; cf. Xavier Barral I Altet, « The Mosaic Pavement of the Saint Firmin Chapel at Saint-Denis : Alberic and Suger », dans Abbot Suger and Saint-Denis, a Symposium, New York, The Cloisters, Metropolitan Museum of art and Columbia University, april 1981, éd. P. L. Gerson, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1986, p. 245-255.
16 Au sujet des calendriers commençant par mars, cf. Perrine Mane, Calendriers et techniques agricoles (France-Italie, xiie et xiiie siècles), Paris, Le Sycomore, 1983, p. 46 ; G. Comet, « Les calendriers médiévaux. Une représentation du monde », Journal des Savants, janvier-juin 1992, p. 35-97, surtout p. 46-47. Notons que le calendrier mosaïqué de l’église Saint-Jacques-le-Majeur à Reggio Emilia aurait également débuté par mars ; cf. Giordana Trovabene, Figure e Simboli nei pavimenti musivi medievali di Reggio Emilia, Reggio Emilia, Bizzocchi, 2000, p. 78.
17 E. Mâle (op. cit. n. 13), p. 145.
18 Une inversion des trois dalles sculptées lors du montage du tympan ou encore du remontage signifierait que le calendrier commençait originellement par mai ou octobre, deux cas de figure absents également de l’art médiéval.
19 Les fragments conservés de ce portail qui figurait le Christ en gloire entouré du Tétramorphe sont actuellement déposés au Musée-Hôtel Bertrand de Châteauroux : ils ont permis de rapprocher le style du tympan de la sculpture gothique naissante. Sur la sculpture de Déols, cf. Jean Hubert, « L’abbatiale de Déols », Bulletin monumental, 86, 1927, p. 5-66 ; Patricia Duret, La sculpture romane de l’abbaye de Déols, Issoudun, s. n. 1987, surtout p. 107 et s.
20 La première description provient d’un manuscrit intitulé Antiquités déoloises (aujourd’hui conservé à la bibliothèque municipale de Châteauroux) et rédigé par l’abbé Dubouchat vers 1832, et la seconde du récit d’un voyageur ayant visité autour de 1837 les ruines de l’ancienne abbatiale. Pour une mention de ces textes, cf. J. Hubert (art. cit. supra), p. 46 et p. 52. Enfin, notons que d’autres auteurs ont déjà rapproché les deux calendriers : René Crozet, L’art roman en Berry, Paris, Leroux, 1932, p. 299 et 324 ; P. Mane (op. cit. n. 16), p. 46 ; P. Duret (op. cit. supra), p. 149-162.
21 Valérie Mauret-Cribellier, L’abbaye de Déols et ses possessions, 3 vol., mémoire de maîtrise d’histoire de l’art sous la dir. de C. Heitz, Université Paris X – Nanterre, 1991, notamment vol. 1, p. 23-26.
22 Leocadius et son fils Ludre sont deux personnages évoqués dans les deux Vitae consacrées au supposé premier évêque de Bourges, Ursin (BHL 8412-8413). Notons, par ailleurs, que le nom d’Eudes de Déols apparaît parmi les importants seigneurs locaux présents lors de la restauration du chapitre Saint-Ursin en 1012, par le vicomte de Bourges, Geoffroy le Noble (Bourges, Arch. départ. du Cher, 14 G 4 : Charte de restauration de Saint-Ursin).
23 Claude Gaignebet et Marie-Claude Florentin, Le carnaval, essais de mythologie populaire, Paris, Payot, 1974, p. 18-19 et 29 ; C. Gaignebet, A plus hault sens : l’ésotérisme spirituel et charnel de Rabelais, Paris, Maisonneuve & Larose, 1986, vol. 1, p. 154-157. Si on souhaite comprendre le lien qui unit la fête de la sortie de l’ours – qui correspond à l’une des huit fêtes mobiles qui composaient originellement le cycle préchrétien du carnaval – au calendrier lunaire, on se référera au premier ouvrage.
24 Jean-Dominique Lajoux, L’homme et l’ours, Grenoble, Glénat, 1996, p. 71. Dans le Berry, est encore utilisé le dicton suivant : « À la chandeleur, l’hiver finit ou prend rigueur ». Sur le folklore de cette région, cf. entre autres : Vincent Detharé, Chroniques de folklore berrichon, Paris, Maisonneuve & Larose, 1968 ; Claude Seignolle, Le Berry traditionnel, Paris, Maison-Neuve & Larose, 1969. On conserve en revanche la trace de nombreux proverbes berrichons en lien avec le loup mais, dans beaucoup de régions, il a été constaté que l’animal a souvent remplacé l’ours dans les dictons météorologiques quand celui-ci a disparu du territoire : Sophie Bobbé, L’ours et le loup : essai d’anthropologie symbolique, Paris, Éd. de la MSH/INRA, 2002, p. 64.
25 Michel Pastoureau, L’ours, histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, 2007, p. 123-125. On doit à Michel Pastoureau et à son grand livre sur l’ours de nous avoir conduit vers la résolution de l’énigme qui nous occupe dans cet article.
26 Michel Salvat, « L’ours dans la symbolique médiévale », dans L’animalité : hommes et animaux dans la littérature française, éd. A. Niderst, Tübingen, Narr, 1994, p. 55-66. Corinne Beck a montré l’ambivalence de l’animal, à la fois négatif et positif, comme nombre de bêtes du bestiaire chrétien. Les encyclopédistes du xiiie s. se sont notamment servis du don de prédiction météorologique accordé à l’ours du fait de son hibernation pour raconter le mystère chrétien de la mort et de la Résurrection du Christ ; cf. Corinne Beck, « Approches du traitement de l’animal chez les encyclopédistes du xiiie siècle », dans L’Enciclopedismo medievale, éd. M. Picone, Ravenne, Longo, 1994, p. 163-178.
27 M. Pastoureau (op. cit. n. 25), p. 143-146.
28 Cf. supra n. 12 et Grégoire de Tours, Histoire des Francs, I, xxxi, trad. de R. Latouche, Paris, Belles Lettres, 1963, t. I, p. 54-55. Notons par ailleurs que le portail Saint-Ursin a longtemps été appelé « Porte des ours » ou « Porte Saint-Ours », dénomination sous laquelle il fut classé monument historique en 1840 grâce à l’intervention de Prosper Mérimée. Voir entre autres la liste des monuments classés de la ville de Bourges sur la base de recherche Mérimée [consultée le 10 septembre 2011].
29 M. Pastoureau (op. cit. n. 25), p. 150-151. Voir aussi C. Gaignebet et Odile Ricoux, « Les Pères de l’Église contre les fêtes païennes », dans Carnavals et mascarades, éd. P. G. d’Ayala et m. boiteux, Paris, 1988, p. 43-49. Le terme Chandeleur est en outre une modernisation du mot « Chandelours » (une fête de l’ours aux chandelles) qui fut utilisé jusqu’à la fin du Moyen Âge pour désigner la fête ; cf. J.-D. Lajoux (op. cit. n. 24), p. 83.
30 Le diocèse de Bourges, éd. G. Devailly, Paris, Letouzey & Ané, 1973, p. 119.
31 Le jour correspondrait à la mort de l’archevêque de Tours en 397. Concernant la christianisation de cette date, cf. M. Pastoureau (op. cit. n. 25), p. 138 et 143-148.
32 « On constate d’ailleurs autour de cette date des commémorations de saints au nom inquiétant : sainte Ursule, la “petite ourse” et la plus éminente des 11 000 vierges (fêtée le 21 octobre), saint Ursin, premier évêque de Bourges (9 novembre) » ; Philippe Walter, La mémoire du temps. Fêtes et calendriers de Chrétien de Troyes à La mort Artu, Paris, Champion, 1989, p. 630-631.
33 Cette pratique de l’Église d’utiliser les saints du début du haut Moyen Âge pour christianiser le calendrier a également été observée en pays carnute ; cf. Robert Robreau, « Les saints carnutes du vie siècle : recherches sur la christianisation du calendrier », Mémoires de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, 30, 1986, p. 207-230.
34 Sa vie nous est notamment connue à travers le récit qu’en fait Grégoire de Tours, Vitae Patrum, xviii, éd. Patrologie latine, 71, col. 1084. Cf. également Jean Villepelet, Nos saints berrichons, Bourges, Tardy, 1931, p. 128-129 ; Daniel Schweitz, « Saint Ours et les traditions populaires lochoises », Le Val de l’Indre, 6, 1994, p. 49-61.
35 Louis Raynal, Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, Bourges, Vermeil, 1844-1847, vol. 1, p. 245-246 ; J. Villepelet (op. cit. supra), p. 101-102.
36 Claude Gaignebet voit dans le vitrail de saint Vaast de l’église de Levroux (Indre) le témoignage d’un ancien culte local dédié au saint du vie s. La légende en fait également un saint Ursin puisque à son arrivée à Arras où il s’installa, il aurait sauvé la ville d’un ours qui terrorisait la population : C. Gaignebet et J.-D. Lajoux, Art profane et religion populaire au Moyen Âge, Paris, 1985, p. 154-155 et 279.
37 Pour Claude Gaignebet, la dévotion portée à saint Blaise offre « une variante du culte à l’ours » : cf. C. Gaignebet et M.-C. Florentin, Le carnaval… (op. cit. n. 23), p. 125. Sur saint Blaise, cf. Ph. Walter, Mythologie chrétienne : rites et mythes au Moyen Âge, Paris, Entente, 1992, p. 101-103. Plusieurs églises du Berry historique sont dédiées au saint : à La Celle, à Lignières, à Belâbre, à Châtillon-sur-Cher, à Argenty, etc.
38 Histoire du Berry, éd. G. Devailly Toulouse, Privat, 1987 (1re éd. 1980), p. 14 ; Le Berry antique : atlas 2000, éd. C. Batardy, O. Buchsenschutz et F. Dumasy, Tours, FERAC, 2001, p. 16-17.
39 Maryline Salin n’a ainsi rencontré l’espèce dans aucun des 63 ensembles osseux issus des 27 sites bituriges qui constituent son corpus de thèse ; cf. Maryline Salin, Animaux et territoire, l’apport des données archéozoologiques à l’étude de la cité des Bituriges Cubi (ier s. av. J.-C.-ve s. ap. J.-C.) [ = 36e supplément à la Revue archéologique du Centre de la France], Bourges/Tours, Éd. de Bourges plus/Revue archéologique du Centre de la France, 2010. Cependant, cela ne signifie pas obligatoirement que l’animal ne fréquente plus le territoire berrichon dès l’Antiquité, mais qu’il n’entre pas dans la sphère domestique, notamment par le biais de l’alimentation. Il en va de même du loup dont les ossements sont quasi-absents des fouilles archéozoologiques, alors que l’espèce est largement répandue en France jusqu’au xviiie siècle : sur cette question, Jean-Hervé Yvinec, « Le loup, une espèce en ombre chinoise : point de vue archéozoologique », dans Le loup en Europe du Moyen Âge à nos jours, éd. F. Guizard-Duchamp, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, 2009, p. 85-97 ; Daniel Bernard, La fin du loup en Bas-Berry, xixe-xxe siècles : histoire et tradition populaire [1re éd. 1977], Joué-lès-Tours, La Simarre, 1991.
40 En effet, il n’est pas certain que l’animal consommé soit le produit d’une chasse ; il pourrait également s’agir d’un morceau de viande acheté au marché, et provenant des massifs auvergnat ou morvandiau ; cf. Gaëtan Jouanin, « À la table des seigneurs de Mehun, archéozoologie de la fosse F1 », dans Le château et l’art, à la croisée des sources. Actes du colloque tenu à Mehun-sur-Yèvre en novembre 2001, éd. Ph. Bon, Mehun-sur-Yèvre, Éd. Groupe historique et archéologique de la région de Mehun-sur-Yèvre, 2011, t. I, p. 339-383. Nous savons gré à l’auteur de cette analyse qui nous a fourni des informations précieuses pour notre recherche. Que soient ici également remerciés les membres de l’UMR 7209 d’archéozoologie du Museum national d’histoire naturelle pour leur disponibilité et leurs conseils avisés.
41 Marcel Couturier, L’ours brun : ursus arctos, Grenoble, s. n., 1954, p. 158-182 ; Jean-Jacques Camarra et Jean-Paul Ribal, L’ours brun, Paris, Hatier, 1989 ; J.-J. Camarra et Jean-Michel Parde, L’ours brun, Nort-sur-Erdre, Société française pour l’étude et la protection des mammifères, 1992, p. 5. On renvoie également à l’excellent site de l’Institut national du patrimoine naturel (INPN) et aux données en ligne relatives à l’ursus spelaeus – ours des cavernes [consulté le 10 septembre 2011] et l’ursus arctos – ours brun [consulté le 10 septembre 2011]. En continuelle réactualisation, le site permet déjà d’avoir un aperçu du peuplement du territoire par l’animal en France du Paléolithique à nos jours. Pour le Moyen Âge, on consultera l’article de Corinne Beck qui croise données archéologiques et sources textuelles : C. Beck, « Approches des territoires historiques de l’ours en Europe au Moyen Âge », dans Actes du xvie colloque de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères, Grenoble, Muséum d’histoire naturelle de Grenoble, 1993, p. 94-100.
42 Le terme même de Berry s’est formé à partir d’une évolution du mot « Bituriges » ; cf. Dictionnaire de Trévoux, Paris, Compagnie des libraires associés, 1771, p. 868. Ce peuple était scindé en deux branches séparées géographiquement, les Bituriges Cubi autour de Bourges, et les Bituriges Vivisci dans la basse vallée de la Garonne ; cf. Histoire du Berry (op. cit. n. 38), p. 49.
43 Le toponyme Arthon (Indre) a ainsi gardé le souvenir du nom celtique de l’ours qui se dit artos.
44 Cf. Françoise Autrand, Jean de Berry. L’art et le pouvoir. Paris, Fayard, 2000, p. 182-192. L’animal est même présent physiquement dans ses ménageries du château de Méhun-sur-Yèvre et du palais ducal de Bourges ; cf. sur ce point, Jules Guiffrey, « La ménagerie du duc Jean de Berry (1370-1403) », Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, 23, 1899, p. 63-73.
45 Il se faisait d’ailleurs appeler par ce nom à la cour d’Édouard III. Sur Jean de Berry et sa passion pour l’ours, on renvoie à M. Pastoureau (op. cit. n. 25), p. 256-268. Cf. également Philippe Bon, « Notes sur le symbole de l’ours au Moyen Âge : les ours du duc de Berry », Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, 99-100, 1989, p. 49-52.
46 Arnold Van Gennep, Les rites de passage : étude systématique des rites [1re éd. 1909], Paris, Picard 1991 ; Id., Le folklore, croyances et coutumes populaires françaises, Paris, Stock, 1924, p. 86-90.
47 N. Le Luel, « L’âne, le loup, la grue et le renard : à propos de la frise des fables du tympan Saint-Ursin de Bourges », Reinardus, 18, 2005, p. 53-68, ill. 7-16.
48 Sur la déchéance de l’animal dont le Roman de Renart se fait l’écho, cf. M. Pastoureau (op. cit. n. 25), p. 220-222.
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Titre | Fig. 1. — Bourges, tympan du portail Saint-Ursin. (Cliché Nathalie Le Luel.) |
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Titre | Fig. 2. — Bourges, frise des mois du tympan Saint-Ursin. (Cliché Nathalie Le Luel.) |
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Titre | Fig. 3 — Bourges, mois de février du calendrier du tympan Saint-Ursin. (Cliché Nathalie Le Luel.) |
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Titre | Fig. 4. — Bourges, mois de janvier du calendrier du tympan Saint-Ursin. (Cliché Nathalie Le Luel.) |
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Titre | Fig. 5. — Schéma du tympan du portail nord de l’abbatiale de Déols, d’après les descriptions conservées. |
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Pour citer cet article
Référence papier
Nathalie Le Luel, « Comment christianiser un ours ? Le mois de février du calendrier du portail Saint-Ursin de Bourges (premier quart du XIIe siècle) », Cahiers de civilisation médiévale, 218 | 2012, 161-171.
Référence électronique
Nathalie Le Luel, « Comment christianiser un ours ? Le mois de février du calendrier du portail Saint-Ursin de Bourges (premier quart du XIIe siècle) », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 218 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/12200 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.12200
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