Ferruccio Bertini (1941-2012)
Texte intégral
1Le professeur Ferruccio Bertini s’est éteint le 13 avril 2012, à l’âge de soixante et onze ans. Avec lui disparaît l’un des plus grands spécialistes de littérature latine médiévale ayant illustré l’école italienne dans les dernières décennies.
2Né en 1941, il avait commencé son parcours de professeur de lettres dans l’enseignement secondaire et en avait toujours conservé un grand intérêt pour les problèmes posés par la didactique des langues anciennes. Mais c’est au sein de l’université qu’il fit l’essentiel de sa carrière, à Sassari tout d’abord, puis à Gênes, où il rejoignit son maître Francesco Della Corte et où il occupa pendant vingt-cinq ans la chaire de littérature latine médiévale, avant d’y devenir professeur ordinaire de littérature latine. Il y assuma également la charge de président de la faculté des Lettres, de 1990 à 1996, puis, à partir de 1998, la direction du département d’archéologie et de philologie classique.
3Sa vaste bibliographie s’organise principalement autour de trois genres littéraires, la comédie, la fable et la lexicographie, qu’il s’est attaché à étudier de manière diachronique, depuis les origines anciennes jusqu’aux prolongements médiévaux et humanistes.
- 1 Plaute, Asinaria, éd. Ferruccio Bertini, 2 vol. , Gênes, Università di Genova, 1968.
- 2 Id., Mostellaria, éd. F. Bertini, Turin, Paravia, 1970.
- 3 Id., Il soldato fanfarone, trad. it. F. Bertini, Gênes, Erredi, 2003.
- 4 Terence, Le commedie, introd. et trad. it. F. Bertini et Vico Faggi, Milan, Garzanti, 1989 [rééd. 2 (...)
- 5 F. Bertini, La commedia elegiaca latina in Francia nel secolo xii, Gênes, Tilgher, 1973.
- 6 Id., Il teatro di Rosvita, con un saggio di traduzione e di interpretazione del Callimaco, Gênes, T (...)
- 7 roswitha, Dialoghi drammatici, introd., trad. et comment. F. Bertini, Milan, Garzanti, 2000.
- 8 F. Bertini, Plauto e dintorni, Bari, Laterza, 1997.
- 9 Id., Sosia e il doppio nel teatro moderno, Gênes, Il Melangolo, 2010.
4Ses premières recherches portèrent sur la comédie latine archaïque, avec un travail de pure philologie, entrepris sous la direction de Francesco Della Corte et consacré à l’édition critique et au commentaire lemmatique de l’Asinaria de Plaute. Ce travail, aussi fin que minutieux, fut publié en 19681. Malgré ses nombreux autres centres d’intérêt, F. Bertini ne devait jamais se séparer de Plaute : deux ans plus tard, il publiait une édition de la Mostellaria, précédée d’un essai de son maître Della Corte2 ; plus récemment, il fit encore paraître une traduction du Miles gloriosus3. Toujours dans le domaine de la comédie archaïque, il a aussi donné, en collaboration avec le célèbre dramaturge Vico Faggi, une traduction italienne très remarquée de l’ensemble des comédies de Térence4. Très tôt, il s’intéressa aussi aux prolongements médiévaux de la comédie antique, avec deux essais consacrés, le premier à Vital de Blois5 et le second à Roswitha6, dont il devait donner, vingt ans plus tard, une édition traduite et commentée de l’ensemble de l’œuvre dramatique7. Ses nombreux articles consacrés à la comédie latine ont été commodément réunis dans un recueil où les études consacrées au corpus plautinien voisinent agréablement avec des enquêtes touchant sa fortune médiévale et humaniste8. Mais c’est peut-être son dernier essai sur la comédie qui montre le mieux la vaste connaissance que pouvait avoir F. Bertini d’un genre littéraire qu’il aura fréquenté pendant quarante-cinq ans : Sosia e il doppio nel teatro moderno9 s’intéresse à la réception de l’Amphitryon de Plaute, depuis le Geta de Vital de Blois jusqu’au théâtre le plus contemporain – la tragicomédie Amphitryon (1996) de notre regretté collègue André Arcellaschi est mentionnée en bonne place – en passant par Rotrou, Molière, Kleist et Giraudoux.
- 10 Id., Interpreti medievali di Fedro, Naples, Liguori, 1998.
- 11 Id., Il monaco Ademaro e la sua raccolta di favole fedriane, Gênes, Tilgher, 1975.
- 12 Adémar De Chabannes, Favole, éd. et trad. it. F. Bertini et Paolo Gatti, Gênes, Università di Genov (...)
- 13 Létald De Micy, Within piscator, éd. F. Bertini, Florence, Giunti, 1995.
5La fable latine suscita aussi son intérêt. Comme il l’avait fait dans ses travaux sur la comédie, il s’attacha à mettre en lumière les prolongements médiévaux du genre. On lui doit une quinzaine d’articles consacrés à la fortune médiévale de Phèdre, dont la plupart se trouvent rassemblés dans un riche recueil10. Ces recherches l’amenèrent naturellement à devenir l’un des meilleurs connaisseurs du recueil de fables d’Adémar de Chabannes, dont il tira un volume de textes choisis11, avant de procurer, en collaboration avec son élève Paolo Gatti, une superbe édition traduite et commentée de l’ensemble du corpus12, qui devait fournir le troisième volume de la série des « Favolisti latini medievali » publiée, sous sa direction, par l’université de Gênes. On retiendra aussi son édition traduite du Within piscator de Létald de Micy13.
- 14 Studi Noniani, 15 vol. , Gênes, Università di Genova, 1967-1997.
- 15 Prolegomena Noniana, 5 vol. , Gênes, Tilgher, 2003-2005.
- 16 F. Bertini, « La fortuna di Nonio dal Medioevo al Perotti », dans Prolegomena… (loc. cit. supra), t (...)
- 17 Inusitata verba, éd. P. Gatti et C. Mordeglia, Trente, Università degli studi, 2011.
6Dans le domaine de la lexicographie, le nom de F. Bertini restera indiscutablement lié à celui de Nonius Marcellus, cet encyclopédiste africain, auteur, à la fin du ive siècle ou au début du ve, d’un De compendiosa doctrina, imposant traité de lexicographie et de grammaire en vingt livres, qui nous est parvenu presque entier. F. Bertini a codirigé, avec Giuseppina Barabino, plusieurs volumes de la collection Studi Noniani14, entièrement dédiée à Nonius et aux études sur la lexicographie ancienne. C’est encore à Nonius et à sa postérité qu’est consacrée la série des Prolegomena Noniana15, dont il fut la cheville ouvrière. Un de ses articles en deux volets16, publié dans le cadre de cette collection, explore l’influence qu’eut le lexicographe sur le Moyen Âge (en particulier carolingien) et sur l’encyclopédisme humaniste, notamment sur Nicolò Perotti : il s’agit d’un exemple d’érudition, poussant fort loin la Quellenforschung, au point de rendre vivante et attrayante une matière somme toute aride. Malheureusement, F. Bertini n’aura pas eu le temps de nous laisser de monographie sur Nonius, mais, un an avant sa mort, ses élèves ont eu la bonne idée de rassembler quatorze de ses études de lexicographie, réunies à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire17. Ce riche volume fera date et donnera la mesure de l’érudition qui était celle de son dédicataire, tant à propos de Nonius que de Fulgence, de Priscien ou de Perotti.
- 18 Ovide, Amori, éd., trad. it. et comment. F. Bertini, Milan, Garzanti, 1983.
- 19 F. Bertini, Attila optimus princeps, Bologne, Pàtron, 2010.
- 20 Id., Letteratura latina medievale in Italia : secoli v-xiii, Busto Arsizio, Bramante, 1988.
- 21 Medioevo al femminile, éd. F. Bertini et al., Bari, Laterza, 1989.
- 22 La vie quotidienne des femmes au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1991.
7F. Bertini s’autorisa quelques excursus en dehors de ces trois centres d’intérêt principaux, par exemple pour procurer une édition traduite et commentée des Amours d’Ovide18, qui compte trois rééditions et fait toujours autorité en Italie, ou, dernièrement, pour réhabiliter la figure d’Attila19. Parmi ses travaux de synthèse sur le Moyen Âge, on retiendra une Letteratura latina medievale in Italia : secoli v-xiii20 et, surtout, l’incontournable Medioevo al femminile21, bel ouvrage collectif regroupant huit petites biographies de célèbres femmes de lettres ayant illustré l’époque médiévale ; ce petit livre a déjà connu quatre rééditions et a très vite été traduit en français par les soins de C. Dalarun-Mitrovitsa et J. Dalarun dans la collection « La vie quotidienne »22.
8Le professeur Bertini était membre de l’Accademia Properziana del Subasio et de l’Accademia ligure di scienze e lettere. De 1979 à 1990, il a été codirecteur de Sandalion (cahiers de culture classique, chrétienne et médiévale de l’université de Sassari) et, depuis 1993, codirecteur de la célèbre revue italienne Maia, spécialisée dans les littératures anciennes. Parmi les médiévistes, on se souviendra aussi de lui comme responsable de la section lexicographique de la SISMEL (Florence) et comme membre du comité de rédaction de Medioevo latino, où il siégeait depuis les origines (1978). S’intéressant encore avec bonheur à l’humanisme italien, il était codirecteur de la publication des Studi umanistici Piceni et président de l’Istituto internazionale di Studi Piceni de Sassoferrato.
9Ses élèves garderont de lui le souvenir d’un grand professeur, avide de partager son savoir dans des cours magistraux d’une rare vivacité aussi bien que dans des conversations informelles. Beaucoup conserveront l’image d’un universitaire volontiers anticonformiste, rétif au port de la cravate, mais arborant souvent un sourire malicieux et un fin collier de barbe plein d’élégance. On se rappellera encore ses talents de conteur – qui devaient peut-être quelque chose à ses travaux sur la fable latine – mais encore de chanteur, prompt à entonner le répertoire folklorique italien qu’il connaissait sur le bout des doigts et auquel il vouait un intérêt presque philologique. Il laissera enfin, et surtout, le souvenir d’un humaniste, au sens le plus noble du terme, sachant allier fructueusement largeur de vue et érudition. Il disait volontiers qu’il n’avait pas envie de prendre sa retraite parce que son métier le divertissait encore : il n’aura malheureusement jamais eu à affronter l’échéance qu’il redoutait.
Notes
1 Plaute, Asinaria, éd. Ferruccio Bertini, 2 vol. , Gênes, Università di Genova, 1968.
2 Id., Mostellaria, éd. F. Bertini, Turin, Paravia, 1970.
3 Id., Il soldato fanfarone, trad. it. F. Bertini, Gênes, Erredi, 2003.
4 Terence, Le commedie, introd. et trad. it. F. Bertini et Vico Faggi, Milan, Garzanti, 1989 [rééd. 2006].
5 F. Bertini, La commedia elegiaca latina in Francia nel secolo xii, Gênes, Tilgher, 1973.
6 Id., Il teatro di Rosvita, con un saggio di traduzione e di interpretazione del Callimaco, Gênes, Tilgher, 1979.
7 roswitha, Dialoghi drammatici, introd., trad. et comment. F. Bertini, Milan, Garzanti, 2000.
8 F. Bertini, Plauto e dintorni, Bari, Laterza, 1997.
9 Id., Sosia e il doppio nel teatro moderno, Gênes, Il Melangolo, 2010.
10 Id., Interpreti medievali di Fedro, Naples, Liguori, 1998.
11 Id., Il monaco Ademaro e la sua raccolta di favole fedriane, Gênes, Tilgher, 1975.
12 Adémar De Chabannes, Favole, éd. et trad. it. F. Bertini et Paolo Gatti, Gênes, Università di Genova, 1988.
13 Létald De Micy, Within piscator, éd. F. Bertini, Florence, Giunti, 1995.
14 Studi Noniani, 15 vol. , Gênes, Università di Genova, 1967-1997.
15 Prolegomena Noniana, 5 vol. , Gênes, Tilgher, 2003-2005.
16 F. Bertini, « La fortuna di Nonio dal Medioevo al Perotti », dans Prolegomena… (loc. cit. supra), t. II, 2003, p. 131-148 ; et t. V, 2005, p. 5-43.
17 Inusitata verba, éd. P. Gatti et C. Mordeglia, Trente, Università degli studi, 2011.
18 Ovide, Amori, éd., trad. it. et comment. F. Bertini, Milan, Garzanti, 1983.
19 F. Bertini, Attila optimus princeps, Bologne, Pàtron, 2010.
20 Id., Letteratura latina medievale in Italia : secoli v-xiii, Busto Arsizio, Bramante, 1988.
21 Medioevo al femminile, éd. F. Bertini et al., Bari, Laterza, 1989.
22 La vie quotidienne des femmes au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1991.
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Référence papier
François Ploton-Nicollet, « Ferruccio Bertini (1941-2012) », Cahiers de civilisation médiévale, 219 | 2012, 331-333.
Référence électronique
François Ploton-Nicollet, « Ferruccio Bertini (1941-2012) », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 219 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/12035 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.12035
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