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Comptes rendus

Hélène Couderc-Barraud. — La violence, l’ordre et la paix. Résoudre les conflits en Gascogne du XIe au début du XIIIe siècle [préface de Claude Gauvard]

Georges Pon
p. 297-299
Référence(s) :

Hélène Couderc-Barraud. — La violence, l’ordre et la paix. Résoudre les conflits en Gascogne du xie au début du xiiie siècle [préface de Claude Gauvard]. Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2008, v-377 pp., 10 cartes (Tempus).

Texte intégral

1Si j’ai tardé à rendre compte de ce livre, que l’A. veuille bien m’en excuser. Le travail du recenseur devient vraiment difficile depuis que les jeunes historiens ont pris la fâcheuse habitude de demander à un grand maître, par exemple au directeur de cette revue, de préfacer leur ouvrage. Ici, c’est Claude Gauvard qui présente ce livre avec la hauteur de vue et l’autorité qu’on lui connaît. Après avoir achevé sa préface, non seulement je croyais ne plus avoir besoin de lire le livre, mais je me sentais incapable de rivaliser avec elle. Du moins le recenseur peut-il plus facilement que l’auteure d’une préface user de son esprit critique. J’ai en effet quelques réserves à faire sur la première partie de l’ouvrage.

2Elles ne portent pas sur la documentation, même si l’A. se limite aux actes de la pratique édités (treize recueils de chartes) et aux textes normatifs, notamment les fors de Bigorre et du Béarn. Peut-être aurait-il fallu consulter les textes hagiographiques si brillamment étudiés par Ch. Baillet. La documentation a fait l’objet d’un traitement informatique qui a permis d’établir un corpus de 1 100 fiches.

3Elles ne portent pas sur l’espace étudié. Par Gascogne, l’A. entend non pas le comté de Gascogne mais une région plus vaste, définie comme l’aire d’extension de l’idiome gascon de la Garonne aux Pyrénées. Elle est plus vaste que la Gascogne de B. Cursente, qui a dirigé cette thèse, puisqu’elle s’étend sur le Bazadais et le Bordelais.

4Cette région n’a aucune unité géographique, et comprend des entités politiques souvent rivales tant au niveau local – comté de Bigorre, vicomté de Béarn et comté de Gascogne – qu’à l’échelle des principautés dont elle relève. H. Couderc-Barraud n’a pas accordé assez d’attention aux ducs d’Aquitaine qui ont autorité sur la partie occidentale de la Gascogne et ne sont pas aussi absents qu’elle le dit, comme l’ont montré les études de F. Boutoulle sur le Bazadais.

5La deuxième réserve porte sur le plan. Contrairement à ce que suggère le titre, il faut attendre la troisième partie pour aborder la violence proprement dite. La première partie est consacrée à « l’ordre », entendons aux autorités de justice et aux autorités de paix. Encore faut-il les atteindre, ce qui est possible pour le comte de Bigorre et le vicomte de Béarn, connus par des sources abondantes, mais ce qui se révèle beaucoup plus difficile pour la Gascogne de l’Ouest et du Nord, pour les justices inférieures des « seigneurs de la terre » et même les justices ecclésiastiques. L’A. analyse soigneusement de nombreux exemples mais ne parvient pas – qui pourrait y parvenir ? – à dégager des conclusions claires. Il y a cependant d’excellentes pages sur la paix, qui est en Gascogne comme en Normandie la paix du prince et non la paix de Dieu comme dans le nord de l’Aquitaine.

6La seconde partie est consacrée aux justiciables. L’A. tente d’étudier la justice sur les biens et individus appartenant à la paysannerie, mais avoue elle-même (p. 148) que « nous connaissons très peu la réalité des rapports entre justice et paysans ». Fort heureusement on est mieux renseigné sur les habitats concentrés, castelnaux où sont rassemblés de gré ou de force les rustici et sur les justices urbaines mieux documentées. L’A. confirme la thèse bien connue depuis Guizot de l’alliance entre les princes et les « bourgeois ». On sait que le mot burgensis apparaît précocement dans le statut de Saint-Sever concédé par l’abbé Suavius à la fin du xie s. mais remanié par la suite. Notons en passant que contrairement à ce que dit l’A., il n’y est nullement question dans ce texte d’immunité et d’exemption mais seulement de « sauveté ».

7La dernière partie de l’ouvrage, de loin la plus claire et la plus intéressante, est consacrée aux violences et à la « régulation sociale » des conflits, entendons « tous les mécanismes tendant à maintenir, à restaurer un équilibre social et politique. Ce concept – fort heureusement, le terme de paradigme n’est pas employé – est emprunté aux anthropologues, que l’A. tient en si haute estime qu’elle élève au rang d’anthropologues des historiens comme P. Geary, S. White ou D. Barthélemy. Ils en seront fort honorés, à une époque où l’anthropologie tend à devenir la reine des sciences humaines. Chez H. Couderc-Barraud cependant, l’ambition anthropologique n’étouffe pas les exigences critiques de l’historienne et la réflexion juridique. Pouvait-il en être autrement dans une région où l’histoire du droit a été illustrée par de grands savants comme P. Ourliac et J. Poumarède ?

8L’A. s’interroge sur la violence. Elle en étudie le vocabulaire et les diverses formes. Elle relève justement qu’elle ne se limite pas à la violence physique mais concerne tout ce qui peut porter atteinte, avant ou pendant le conflit, à la possession des biens, aux droits que l’on possède sur les hommes, bref tout ce qui paraît injuste, contraire à la justice et au droit. « Il peut y avoir violence sans acte de violence. » La violence, en tant que fait social, diffère selon les groupes sociaux. Elle n’est pas l’apanage de l’aristocratie, même si celle-ci joue un rôle fondamental dans la guerre, la chevauchée, les pillages. Les religieux et les paysans sont les principales victimes des « exactions » des nobles et des chevaliers. Les moines et les chanoines cependant savent aussi en tirer parti quand la maladie menace leurs adversaires et les contraint, au seuil de la mort, à se montrer généreux. Les évêques et les moines peuvent même devenir les auteurs des violences comme ce prêtre de Donzacq, un certain Guillaume qui a commis un homicide. Les paysans gascons ne sont pas des inermes. Il est significatif qu’un article des fors de Bigorre interdise à un rusticus de s’attaquer à un miles. Mais ce droit à la violence des humbles semble mieux reconnu et davantage pratiqué dans les vallées pyrénéennes que dans le reste de la Gascogne. Encore ne faudrait-il pas oublier la révolte des habitants de Saint-Sever contre l’abbaye au début du xiiie s. qui conduit à des exactions matérielles, et même à des violences symboliques telles que la construction d’une sorte de « clocher » ou beffroi laïque contre la tour de l’abbatiale et la célébration parodique et sacrilège de l’office monastique par les bourgeois : « Pour l’érection du “clocher”, pour les cloches et la célébration des heures, en droit, ils sont tenus à de nombreuses peines de sacrilège, dont nous les amnistions par miséricorde, ordonnant que, tous ensemble, du plus petit jusqu’au plus grand, s’ils ont l’âge de raison, ils jurent de ne plus rien faire de tel ou de semblable à l’avenir. Que le clocher soit détruit sans aucun retard ni délai ; que les cloches soient données à l’église ou détruites, à l’exception de celle qui a été enlevée aux moines à qui elle doit être restituée sans délai. » H. Couderc connaît ce texte et cite l’article que lui a consacré J.-B. Marquette, mais semble ignorer, ce qui est impardonnable, les pages que son directeur de thèse a consacrées à cette révolte.

9Outre les violences illicites qui créent le conflit ou contribuent à le prolonger, l’A. étudie les violences licites qui peuvent mettre fin à la querelle, par ex. les duels judiciaires auxquels elle consacre de belles pages avant d’aborder les « mots du procès » – justicia, placitum, lis, controversia, questio, calumnia, etc. – et les procédures.

10Se fondant sur les travaux d’anthropologie juridique de N. Rouland, elle distingue l’ordre accepté (l’accord direct entre les parties), l’ordre négocié par l’intervention d’un tiers, l’ordre imposé par une cour de justice, étant bien entendu qu’un conflit peut sans cesse rebondir d’une étape à une autre et même déboucher sur des situations où la seule régulation est « la loi du plus fort ou du plus habile ».

11Les pages les plus neuves sont consacrées au procès devant la cour d’un prince ou d’un seigneur important quand il s’agit de laïcs ou devant une cour ecclésiastique présidée par un évêque, un métropolitain, un légat, etc., et aux preuves. Il convient de dépasser la distinction entre les preuves traditionnelles (ordalies, duels) qui caractérisent le haut Moyen Âge et les preuves plus rationnelles telles que témoignages, preuves écrites, droit savant et reprendre les concepts juridiques de R. Jacob opposant deux âges :

12– l’âge ancien qui est celui de la composition ou du « jugement objectif » qui ne fait aucune différence en valeur probatoire entre l’irrationnel, les ordalies, le duel, le serment testimonial, qui en fait un rite où le serment compte plus que le témoin – le jugement de Dieu n’est-il pas le jugement le plus objectif ? – et des preuves qui paraissent plus rationnelles, comme le témoignage écrit ou oral ;

13– l’âge subjectif qui repose sur des preuves ressortant du domaine de la raison : témoignages, preuves écrites, enquête.

14Les cours laïques privilégient encore en plein xiie s. et parfois au-delà dans les juridictions urbaines le jugement objectif et ce sont les cours d’Église qui, rejetant l’ordalie et le duel, lui préfèrent l’écrit, le témoignage appuyé par un serment ou même la production de témoins qualifiés, l’enquête. Mais il existe une certaine porosité, notamment dans le Bordelais, entre les cours ecclésiastiques et les juridictions laïques qui commencent à accepter le témoignage sans serment et à recueillir ce que des témoins « ont vu, et entendu et qui affirment que ce qu’ils disent est vrai ».

15Le conflit est généralement résolu par un compromis (concordia, finis, pax, etc.). Le fait est bien connu et les médiévistes s’en désolent, pensant que l’incapacité à prononcer une sentence montre bien la faiblesse des tribunaux et des institutions publiques. Peut-être vaut-il mieux considérer que l’important ce n’est pas qu’une des parties soit condamnée, mais que les membres de la cour aient « travaillé pour l’établissement de la paix », comme le dit joliment un texte du xiie s.

16Ces conclusions ne sont pas entièrement nouvelles. Mais l’A. a su les fonder solidement, nuancer ses affirmations, marquer les différentes évolutions selon les régions et les cartographier.

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Pour citer cet article

Référence papier

Georges Pon, « Hélène Couderc-Barraud. — La violence, l’ordre et la paix. Résoudre les conflits en Gascogne du XIe au début du XIIIe siècle [préface de Claude Gauvard] »Cahiers de civilisation médiévale, 219 | 2012, 297-299.

Référence électronique

Georges Pon, « Hélène Couderc-Barraud. — La violence, l’ordre et la paix. Résoudre les conflits en Gascogne du XIe au début du XIIIe siècle [préface de Claude Gauvard] »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 219 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/11870 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.11870

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