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Comptes rendus

John H. Arnold. — What is Medieval History?

Patrick J. Geary
Traduction de Blaise Royer
p. 282-284
Référence(s) :

John H. Arnold. — What is Medieval History? Cambridge, Polity Press, 2008, ix-155 pp., 4 ill., 2 cartes.

Texte intégral

1« Papa, explique-moi donc à quoi sert l’histoire ? » C’est ainsi M. Bloch commence son ouvrage classique de réflexion sur le métier d’historien. J. H. Arnold pose une question légèrement différente : « Qu’est-ce que l’histoire médiévale ? » ; il entreprend d’y répondre dans ce livre enthousiasmant qui emmène même le plus dilettante des lecteurs dans les merveilles de l’altérité médiévale. Il s’agit d’un ouvrage bref et novateur qui, comme l’explique l’A., est moins une initiation à l’histoire médiévale qu’une introduction au travail des historiens médiévistes. Davantage adressé à un large public qu’aux spécialistes, le propos s’appuie sur une heureuse sélection d’anecdotes et de cas concrets pour présenter la pratique professionnelle de l’histoire médiévale ; il s’organise en une série de chapitres consacrés, dans l’ordre, à l’histoire de l’histoire médiévale depuis le xixe s. ; aux sources et à leur exploitation ; aux méthodologies de l’histoire médiévale et aux principaux sujets faisant débat ; enfin, un chapitre de réflexion sur l’intérêt de l’étude de l’histoire médiévale pour le présent conclut le volume. De manière assez originale, les exemples retenus ouvrent sur un espace géographique vaste (de la Scandinavie à l’Italie et de l’Angleterre à la Hongrie) et les questionnements présentés dans l’ouvrage sont variés, ce qui en fait un excellent plaidoyer pour l’étude de l’histoire médiévale dans toute société occidentale.

2À l’origine spécialiste de l’histoire de l’hérésie et des gender, J. Arnold prend soin de proposer un éventail des sources, approches et écoles de recherche en histoire médiévale qui soit aussi large que possible. Son étude de l’historiographie médiévistique présente non seulement l’école française des Annales, mais aussi la recherche en Angleterre, en Amérique du Nord, en Italie, en Allemagne, en mettant en évidence les grandes tendances des traditions savantes nationales. En outre, s’attachant à l’organisation institutionnelle de la formation des historiens dans chacun de ces pays, il en envisage les conséquences sur les différents types d’histoire qui y sont produits. Il insiste avec force sur le fait que l’écriture de l’histoire médiévale, comme l’écriture de toute histoire, ne peut être séparée du contexte culturel, institutionnel et politique des auteurs et des publics, et qu’il s’agit nécessairement et essentiellement d’un acte fondamentalement politique.

3La rareté relative et la nature particulière des sources de l’histoire médiévale opposent des obstacles majeurs aux non-initiés, et J. Arnold s’efforce d’être le plus clair possible dans ses introductions à la paléographie, la codicologie et la diplomatique, en évitant les considérations inutilement techniques. Il a pour cela recours à une série d’illustrations dûment commentées (en dépit de la médiocre qualité des reproductions) qui offrent un aperçu des types d’écritures et de documents médiévaux. Il porte plus spécifiquement son attention sur plusieurs types de sources, en particulier les chroniques, les chartes, les archives juridiques, mais aussi les images – ce qui constitue une innovation pour ce type d’ouvrage – qui, explique-t-il, ne se contentent pas d’illustrer ou représenter, mais promeuvent des arguments idéologiques qui peuvent être analysés avec autant d’acuité critique que les mots et les textes.

4À la différence de certains historiens britanniques qui s’en tiennent à une approche empirique de l’histoire, J. Arnold connaît bien toute une palette de méthodes inspirées d’autres disciplines appliquées à l’analyse du passé médiéval ; ainsi discute-t-il de la manière dont l’anthropologie, les statistiques, l’archéologie et les cultural studies sont devenues des éléments essentiels de l’histoire médiévale. Là encore, il ne s’en tient pas à quelques traditions spécifiques de ces disciplines, mais insiste sur la variété des approches adoptées par les différentes écoles historiques. Il souligne en outre le fait que les meilleurs médiévistes ne se sont pas contentés d’appliquer des théories et des approches prises ailleurs, mais ont entamé un réel dialogue avec elles qui a permis, en partant des matériaux spécifiques du médiéviste et des résultats obtenus, une critique des outils analytiques propres à ces disciplines voisines. Les remarques de l’A. sur le rôle essentiel de l’archéologie et de la culture matérielle mettent en lumière les aspects du passé qui restent inaccessibles par l’étude de l’écrit.

5Dans la multitude de débats qui agitent la profession, J. Arnold en choisit quatre pour illustrer le processus dialectique qui fait de la recherche historique, grâce à la démarche argumentative, une entreprise collective : les rituels, les structures sociales, les identités culturelles et l’histoire du pouvoir. En dépit du caractère quelque peu arbitraire de sa sélection, elle lui permet de présenter certains des aspects transnationaux des débats scientifiques, leur relation aux sources et aux méthodes abordées précédemment, et la nature du questionnement historique, qui cherche à comprendre et non à juger. Les pages qu’il consacre aux rituels reprennent le débat entre G. Althoff, G. Koziol et Ph. Buc sur la manière dont on doit lire les actes rituels (ou, comme dirait Ph. Buc, la manière dont on doit lire ce qui a été écrit à propos des actes rituels).

6Sur les structures sociales et le cas particulier de la noblesse, son propos est moins bien défini. Après une brève évocation de l’analyse par M. Bloch du féodalisme comme structure de relations sociales, il évoque la révolution féodale de G. Duby, puis continue avec la question de la perception de la société et des catégories de domination et subordination telles qu’elles apparaissent dans la documentation juridique et administrative. En approfondissant davantage certains débats spécifiques sur la transformation de la noblesse médiévale (K. Schmid) ou la révolution féodale (D. Barthélemy, J.-P. Poly, T. Bisson, S. White), il aurait donné une idée meilleure de la créativité dont font preuve les historiens pour tenter de résoudre ces questions.

7La culture religieuse – culture populaire et culture des élites – donne l’occasion à l’A. de présenter les débats autour des travaux de J. Le Goff et J.-C. Schmitt et les réactions qu’ils ont suscitées dans le monde anglophone. Il en profite pour élargir son propos aux problèmes du gender et de la culture, de l’oralité et de la literacy, de la communication et de la réception, entre autres questions d’histoire culturelle ardemment débattues.

8Dans la dernière série de débats, l’A. repose la question de l’État au Moyen Âge dans les termes de l’histoire du pouvoir. Il soutient que dans les approches les plus efficaces de l’histoire de l’État au Moyen Âge, la France et l’Angleterre cessent d’être les paradigmes dominants ; que l’histoire de la violence – exercée depuis une autorité centrale ou des pouvoirs locaux – est essentielle pour comprendre le contrôle de l’ordre social ; enfin, que l’histoire de la nation et de l’État au Moyen Âge doit demeurer dans le contexte médiéval, et non être inféodée à un récit téléologique voyant un aboutissement dans l’établissement des États-nations modernes.

9Dans le dernier chapitre, l’A. réfléchit sur la permanence de l’attrait pour l’histoire médiévale, soit en ce qu’elle informe sur les « origines » de tout ce qui est bon ou mauvais de nos jours, soit en ce qu’elle éclaire cette altérité radicale qui nous rappelle que le présent n’est pas la pure et simple continuation du passé mais le produit de circonstances particulières, c’est-à-dire l’histoire. En définitive, l’histoire est utile dans notre société moderne en ce qu’elle est « good to think with » : derrière de nombreuses questions brûlantes débattues dans nos sociétés contemporaines – immigration, globalisation, identité religieuse, conflits ethniques, etc. –, on retrouve des considérations implicites sur la manière dont l’Europe a fait face dans le passé à ces mêmes questions. Si de nos jours les politiciens et le grand public ne perçoivent pas ces enjeux, conclut l’A., ce n’est pas tant leur faute que celle des professionnels de l’histoire médiévale, qui parfois préfèrent se réfugier dans la passion des choses passées plutôt que de s’engager avec réflexion dans les vifs débats de société comme ceux que le présent ouvrage met en évidence.

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Pour citer cet article

Référence papier

Patrick J. Geary, « John H. Arnold. — What is Medieval History? »Cahiers de civilisation médiévale, 219 | 2012, 282-284.

Référence électronique

Patrick J. Geary, « John H. Arnold. — What is Medieval History? »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 219 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/11776 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.11776

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