Navigation – Plan du site

AccueilNuméros220Avant-propos : Les cinq sens au M...

Avant-propos : Les cinq sens au Moyen Âge

Foreword: The Five Senses in the Middle Ages
Martin Aurell et Blaise Royer
p. 337-338

Notes de la rédaction

Les contributions réunies ici ont été sélectionnées sous la direction d’Éric Palazzo. La publication a reçu le concours du programme de recherche mené par Éric Palazzo sur les cinq sens, l’art et la liturgie au Moyen Âge financé par l’Institut universitaire de France.

Texte intégral

1Les cinq sens ont leur histoire. Ils appartiennent certes à l’homme, quel que soit son temps ou son espace. Ils sont pourtant soumis aux aléas de chaque culture, au même titre que les émotions ou les mentalités. Au Moyen Âge, tout comme aujourd’hui, la vue se situe généralement au sommet de leur quintuple hiérarchie, mais pour une autre raison sans doute. Elle renvoie à la vision béatifique, le face à face éternel du bienheureux et de Dieu. Suit l’ouïe par laquelle le croyant reçoit la foi, selon le célèbre fides ex auditu de l’Épître aux Romains (10, 17). À l’opposé, le toucher apparaît aux moralistes comme le plus rustre, primaire et peccamineux des sens.

2L’actualité d’un tel sujet demeure, et son étude renouvelée selon des approches variées contribue à une meilleure connaissance de la civilisation médiévale, comme l’a récemment montré la table ronde organisée par Éric Palazzo au CESCM les 1er et 2 juin 2012. Les derniers fascicules thématiques des Cahiers de civilisation médiévale avaient réuni des contributions proposant des bilans historiographiques sur la recherche menée sur différents domaines dans différents pays. Il paraissait utile de prolonger cet effort de synthèse en revenant sur un thème précis donnant lieu à des études plus approfondies tout en offrant au lecteur un panorama de l’état de la question. Faisant écho aux discussions tenues lors de la table ronde de juin 2012, ce fascicule 220 (tout comme le 220 bis qui paraîtra dans le courant de l’année prochaine) rassemble les contributions de spécialistes qui, dans des domaines de recherches divers, envisagent différents aspects de l’usage et de la perception des cinq sens au Moyen Âge.

3Le platonisme méprise les sens, dont les tromperies ne sont que le vague souvenir, dûment déformé, des idées prisonnières de la matière. Par le truchement d’Augustin d’Hippone, il influence profondément la pensée du haut Moyen Âge. Pour apporter un quelconque enseignement, les sens se doivent de se soumettre à l’imagination, à la raison, à l’intellect et, encore plus, à l’intelligence. La découverte du Traité sur l’âme d’Aristote par la scolastique change la donne. Elle opère même une révolution copernicienne. La puissance sensitive devient la première des connaissances de l’intelligence qui est une matière passive attendant d’être activée par les images, sons, odeurs, goûts et réceptions tactiles. À notre naissance, elle n’est qu’une table rase que détermineront ensuite de multiples sensations. Elle n’abstrait du sens qu’à partir des sens. L’empirisme se substitue ainsi à l’idéalisme. La nature reprend ses droits. Les intellectuels émettent désormais un discours positif sur la puissance sensorielle.

4La liturgie est un théâtre où les cinq sens se mettent en scène. C’est avec le corps, ses perceptions et sa gestuelle que l’homme médiéval entend rendre culte à Dieu. De plus en plus sophistiquée, elle pratique la synesthésie, l’association de plusieurs sens : la peinture murale du chœur imprime ses images dans l’imagination du fidèle, tout comme l’odeur de l’encens. Le langage gestuel se mêle ainsi inextricablement à l’art. Les objets cultuels concrétisent une double synesthésie : les sculptures des églises, l’orfèvrerie d’autel ou les miniatures des livres liturgiques sont souvent accompagnées d’inscriptions destinées à une lecture à haute voix. La vue et l’audition se marient ainsi, et contribuent à enrichir le rituel en activant lors de la commémoration de l’histoire sainte des sensations ressenties dans un passé qui devient présent dans l’expérience vécue du fidèle.

5Le chant mérite une place à part dans l’histoire de l’ouïe en Occident, car il a été capturé de longue date par la notation musicale qui le rend à la vue. Originalité européenne, la partition naît vers 800 par la volonté pontificale et impériale d’imposer un rite commun à toutes les Églises latines. Un tel diktat pourrait paraître autoritaire. Il n’en est pas moins à l’origine des grandes créations symphoniques de l’époque moderne et contemporaine. Mais dans ses balbutiements en Occident, la capture de la musique se comprend dans une large mesure dans le cadre de l’enregistrement du langage en particulier et du son en général au moyen de l’écrit, dans une rhétorique visant à clarifier le sens du texte chanté lors du rituel.

6Peut-être autant que la liturgie, la littérature profane est le lieu de toutes les éclosions sensorielles. Le présent fascicule retient, d’une part, l’ekphrasis, la description de l’œuvre d’art – qui relance si souvent l’action dans les romans – apparaît comme une expérience sensible partagée par le medium de la poésie. Il nous transporte, d’autre part, en Al-Andalus et analyse une pyxide dont la végétation luxuriante du décor et dont les inscriptions renvoient métaphoriquement à la femme désirée, dans un jeu d’allées et venues d’évocations sensorielles et ambiguës entre l’objet, son commanditaire et sa détentrice.

7Liturgie, cognition, musique, poésie, iconographie, philosophie... dans tous les domaines, comme inexorablement, les sens conduisent au sens, à l’expérience et à l’intelligibilité du monde, qu’il soit terrestre ou céleste. Domaine novateur, l’histoire des cinq sens ne demande qu’à être explorée. Puissent les pistes suggérées par le présent recueil être longtemps parcourues !

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Martin Aurell et Blaise Royer, « Avant-propos : Les cinq sens au Moyen Âge »Cahiers de civilisation médiévale, 220 | 2012, 337-338.

Référence électronique

Martin Aurell et Blaise Royer, « Avant-propos : Les cinq sens au Moyen Âge »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 220 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/10841 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.10841

Haut de page

Auteurs

Martin Aurell

Directeur des Cahiers de civilisation médiévale, CESCM – UMR 7302, Bât. E13 24, rue de la chaîne, TSA 81118, 86073 Poitiers cedex 9

Articles du même auteur

Blaise Royer

Secrétaire de rédaction des Cahiers de civilisation médiévale, CESCM - UMR 7302, Bât. E13 24, rue de la chaîne, TSA 81118, 86073 Poitiers cedex 9

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search