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Comptes rendus

Falsos camaradas, un episodio de la guerra antipartisana en España. 1947

Serge Buj
Référence(s) :

Fernando Hernández Sánchez, Falsos camaradas, un episodio de la guerra antipartisana en España. 1947, Barcelone, Crítica, 2024.

Texte intégral

1Si la figure du mal a toujours fasciné les historiens, la figure du traître, délateur, falsificateur, collaborateur a toujours été envisagée de façon subalterne. Pourtant, très souvent, ces figures pouvaient se confondre. Une certaine actualité française a mis en avant ces derniers temps certaines figures françaises connues. Venues de la gauche d’avant-guerre¸ elles ont cristallisé les images de la traîtrise en en occultant d’autres, moins visibles, qui ont collaboré aussi aux tâches les plus basses et les plus répressives de la dictature pétainiste. Dans les récits de la Résistance, ou de toute résistance, les figures de traîtres ont toujours été tues ou minimisées, surtout si cette résistance est sortie triomphante de son long combat. La résistance des communistes espagnols a été faite d’années terribles, années de répression, années de défaites. Ces circonstances ont pu faire céder ou ployer certains de ceux qui, s’étant engagé dans un combat inégal, se retrouvaient dans les filets de la police civile ou militaire du régime. Il ne faut pas croire que les autres organisations défaites étaient plus à l’abri. Dans sa somme sur l’anarchisme, Josep Termes ne dit pas autre chose :

  • 1 Josep Termes, Historia del anarquismo e España (1870-1980), 2011, RBA libros, Barcelona, 719 p., p. (...)

El año 1947, […], fue fatal para la CNT clandestina, ya que se detuvo a los miembros de tres comités nacionales […]. La CNT calculaba que, entre diciembre de 1946 y mayo de 1947, habían sido encarcelados más de 2000 militantes1.

2Dans l’Espagne du milieu du XXe siècle, les figures visibles furent des policiers, la plus connue étant celle de Roberto Conesa. Figures du mal absolu, policiers pervers, ils sont souvent présentés comme usant de félonies, étant passés opportunément, pour certains, du communisme d’opinion sincère ou non à un activisme franquiste ultra-répressif, celui de la célèbre Brigada político-social. Ces personnages ont en réalité, pendant la période de la guerre, joué un rôle d’infiltré qu’ils ont poursuivi dans les organisations communistes clandestines de l’après-guerre civile.

3Le grand mérite de l’ouvrage de Fernando Hernández Sánchez consiste précisément à ne pas concentrer tout à fait son analyse de la répression dans ces années quarante sur ces figures bien connues, mais d’entrer dans le détail de l’activité clandestine des communistes en soulignant ses faiblesses, son héroïsme parfois, et sa difficulté à reconstruire avec patience ce qu’un coup de filet détruisait en une seule journée. Il le fait en croisant essentiellement les archives du PCE et les archives militaires et policières espagnoles. Naturellement, il utilise également les mémoires, partielles ou non, que certains des protagonistes survivants de ces années noires ont pu laisser. Nous dirons qu’il y a quelques traîtres, mais surtout beaucoup de victimes, celles qui furent condamnées à mort ou à de très longues peines et celles qui cédèrent à la torture policière pour donner un nom, un lieu, une heure de rendez-vous en espérant faire cesser les coups, en vain le plus souvent. Et il y a ceux qui furent retournés.

  • 2 Serge Buj, « Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956) », Cahiers de civilisati (...)

4Comme beaucoup d’organisations politiques, après la défaite de 1939, le PCE/PSUC se retrouvait éclaté dans différents exils, aussi variés géographiquement soient-ils que l’URSS, le Mexique ou l’Argentine. Mais le principal pays d’accueil fut la France, pour des raisons évidentes. La masse des réfugiés se trouvait concentrée à proximité de la frontière et dans des camps et lieux d’hébergement répartis dans l’ensemble du pays (Rouillé, Avord, Rieucros), même si les principaux camps furent ouverts dans le sud (Gurs, Septfonds, Argelès, Saint-Cyprien, Agde). La reconstitution des réseaux communistes commença dans ces camps. Elle se poursuivit tout au long des années d’occupation, dans les Compagnies de Travailleurs Etrangers/ Groupements de Travailleurs Etrangers et dans les réseaux de la résistance française. Il en fut de même pour les communistes déportés en Allemagne, notamment dans les camps où ils étaient les plus nombreux, Mauthausen et Dachau. Elle se poursuivit après la fin de la guerre mondiale. Dans un article publié en 2019 dans le numéro spécial des Cahiers… rendant hommage à Jacques Maurice, nous évoquions ce que pouvait être le quotidien de ces militants de l’exil dans les années qui ont suivi la libération de la France.2 Il faut aussi tenir compte d’un fait essentiel : le dernier congrès du PCE s’était tenu en mars 1932, les événements postérieurs ne lui ayant pas permis de renouveler ses cadres autrement que par cooptation. La tenue du Ve Congrès en novembre 1954 apparaît comme un moment de soulagement, qui suit vingt-deux ans de profonde incertitude. Ce que ne manque pas de noter ce militant anonyme, lorsqu’il lit le rapport d’activité prononcé par Dolores Ibarruri au cours du Ve Congrès.

V Congreso del Partido Comunista de España, Informe del Comité Central presentado por la camarada Dolores Ibárruri, édition originale, sans date.

5L’exil ne pouvait pas s’installer dans les esprits des militants, il fallait absolument recréer où cela était possible des embryons d’organisation. Tout ceci se résumait par des contacts, des noms donnés aux envoyés de Paris puis une entrée en matière de ces enrôlés qui supposait la fabrication et la diffusion de tracts ou de feuillets. Ce sont ces prises de contact, leur fragilité, qui posaient problème. Organisation et propagande étant les deux vecteurs essentiels de l’activité partisane, c’est autour de ces deux activités que se concentra l’action policière. Il fallait infiltrer les réseaux mis en place et retourner en usant de violence ou de chantage un certain ombre de figures, ce qui fut fait. Cette « sale guerre » eut des conséquences catastrophiques pour le PCE/PSUC, guerre pour laquelle la plupart des militants étaient peu ou mal préparés. Le rapport d’activité de la Pasionaria rend compte de ces difficultés sans pour autant proposer une politique de retrait, alors que ce fut le cas pour les actions des guérillas, retrait qui annonçait un virage politique et un nouvel objectif : chercher à rompre l’isolement des communistes :

  • 3 V Congreso del Partido Comunista de España, Informe des Comité Central presentado por la camarada D (...)

Luchamos solos, creyendo que con nuestro esfuerzo podríamos galvanizar a todo el mundo, olvidándonos que si la movilización de las masas, sin la participación de las masas en la lucha, nuestro esfuerzo no sería más que un esfuerzo desesperado y heroico, como así ocurrió…3.

6Dans le cas qui nous intéresse ici, la Secrétaire Générale du PCE évoque également l’héroïsme des acteurs de la réorganisation du PCE à l’intérieur, tout en affirmant que, malgré les coups reçus, l’activité du parti était en progrès. Un mensonge nécessaire qui occupe une toute petite partie du rapport. Il fallait continuer à proposer des perspectives aux communistes de la diaspora, largement décimée par la répression vichyste en France et par les déportations d’un grand nombre de militants par le régime nazi. Il fallait ne pas décourager ceux qui, avec de petits moyens humains et matériels, tentaient de faire vivre le parti.

V Congreso del Partido Comunista de España, Informe del Comité Central presentado por la camarada Dolores Ibárruri, édition originale, sans date.

7Les neufs premiers chapitres détaillent les méfaits de la police politique. Ils sont remarquables car ils croisent les archives policières et militaires avec celles du PCE et avec de nombreux témoignages laissés par les victimes de la répression et par leurs persécuteurs. Les chapitres 9 et 10 sont d’autant plus saisissants qu’ils présentent chacun un personnage singulier de traître ou d’infiltré, Luis González Sánchez dit « el Rubio » et Roberto Conesa, « el tío Carlos ». Nous laisserons au lecteur le soin de découvrir ou de redécouvrir ces deux personnages. Le premier est un infiltré de longue date, dont la biographie rend invraisemblable ses dires. En comparant sa biographie prétendue avec différents témoignages et, surtout avec la biographie à peine masquée d’un archétype de traître que Max Aub publie dans son recueil Cuentos ciertos, archétype fortement inspiré par « el Rubio ». C’est l’ouverture du dossier professionnel du second (865 pages !) qui a permis de mettre à jour la figure plus connue de Roberto Conesa. Deux dossiers connus mais qui, mis dans le contexte des chapitres précédents, éclairent ce que fut cette activité policière et judiciaire intense qui ôta la vie à des centaines de personnes et en condamna à de lourdes peines de prison des milliers d’autres.

8Dans son épilogue, l’auteur se réfère à l’éditorial du n° 4 de la revue Nuestra Bandera (daté de février/mars 1950), qu’il attribue à Santiago Carrillo. Ces cinquante pages, si elles sont un plaidoyer pro domo, qui fait reposer les failles du parti sur l’inexpérience et le manque de conscience de l’âpreté du combat de la part de certains militants, sont aussi une source qui indique en filigrane l’embarras de la direction « parisienne » devant ses propres fautes. Erreurs de recrutement, erreurs de management, dirions-nous… Tout d’abord Carrillo règle le cas des « provocateurs extérieurs ». Les accusations tombent, les noms fusent, celui de des anarchistes Cipriano Mera et Juan José Luque, ceux de certains « socialistes de droite ». Mais il met l’accent sur d’autres figures, celles des traîtres dont il estime que la traîtrise est véritablement consubstantielle à leur être : « Un verdadero revolucionario no se convierte en un perro policíaco de la noche a la mañana. » Après les noms de Jesús Hernández Tomás et d’Enrique Castro Delgado, exclus du PCE en 1944, il développe sa diatribe contre Heriberto Quiñones González, qualifié d’agent de l’Intelligence Service, dont on sait aujourd’hui qu’elle relevait plus de la lutte pour le pouvoir interne et fondée sur un profond désaccord avec la stratégie à adopter que de supposés actes de traîtrise4. Ensuite, c’est le tour de Jesús Monzón Reparaz de faire les frais du réquisitoire, « Detrás de Monzón están los servicios de espionaje norte-americanos, están los agentes carlistas españoles. » Puisque Monzón est navarrais, issu d’une famille bourgeoise de Pamplona, tout se tient5. De plus, il est accusé d’être l’agent et le complice de Noël Field, figure mise en avant dans les derniers grands procès staliniens et dans les procès pour espionnage aux USA. Et d’autres noms suivent : après les mystérieux X et V, qui représentent une combinaison « de sujets et de comportements réels et fictifs », d’autres noms sont livrés, José Tomás Planas « el Peque », Antonio Rey Maroño « el Chato » et Luis González Sánchez « Carlos » ou « el Rubio », Adriano Romero, Simón Díaz, José del Barrio Navarro. Ce dernier est le seul à être formellement accusé de « titisme » comme l’avaient été Joan Comorera un an plus tôt et d’anciens dirigeants du PSUC (Marlès, Valdés)6.

9Nous n’entrerons pas plus dans le détail, puisque l’épilogue lui-même propose encore quelques portraits de victimes (José Satué) et quelques considérations sur la carrière et le devenir de quelques-uns de leurs bourreaux (Conesa) et traîtres (« El Rubio »). Bien évidemment, l’ensemble n’est pas complet, il manque, en particulier la très connue « caiguda dels 80 », qui consista à démanteler la première organisation clandestine du PSUC. Quatre-vingt arrestations effectuées en avril 1947 à Barcelone et dans toute la Catalogne. Soixante-dix-huit condamnations, quatre fusillés. Mais le mérite de cet ouvrage, même s’il relate des faits connus publiquement depuis 1950, est d’avoir enrichi cette connaissance, d’avoir repris et croisés tous les éléments nouveaux apparus depuis.

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Notes

1 Josep Termes, Historia del anarquismo e España (1870-1980), 2011, RBA libros, Barcelona, 719 p., p. 653. On peut aussi consulter la thèse d’Eduardo Romanos Fraile, Ideología libertaria y movilización clandestina. El anarquismo español durante el franquismo (1939-1975), Institut Universitaire Européen, Florence, 2007, 386 p. [https://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/10455/Romanos_Fraile_2007.pdf?sequence=1&isAllowed=y]

2 Serge Buj, « Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956) », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 02 mars 2015 : [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccec/5433 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccec.5433]

3 V Congreso del Partido Comunista de España, Informe des Comité Central presentado por la camarada Dolores Ibarruri, Edition originale, sans date, p. 78.

4 [https://mundoobrero.es/2021/05/17/la-represion-de-la-posguerra-consejo-de-guerra-contra-heriberto-quinones-gonzalez-y-21-companeros-mas-enero-de-1942/]

5 [https://elregresodejuandemairena.blogspot.com/2014/01/jesus-monzon-un-hombre-tan-hereje-y.html]

6 « Del Barrio y Comorera, unidos por un mismo cordón umbilical, están preparando su acercamiento y su colaboración en la lucha contra el partido », p. 133. Sur les relations PCE-PSUC, voir aussi l’article de Josep Puigsech Farràs, « El peso de la hoz y el martillo : la Internacional Comunista y el PCE frente al PSUC, 1936-1943 », HISPANIA. Revista Española de Historia, vol. LXIX, n° 232, mai-août 2009, pp. 449-476: [https://hispania.revistas.csic.es/index.php/hispania/article/download/111/116/117]

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Pour citer cet article

Référence électronique

Serge Buj, « Falsos camaradas, un episodio de la guerra antipartisana en España. 1947 »Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 32 | 2024, mis en ligne le 22 juillet 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccec/18313 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/121xk

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Auteur

Serge Buj

Professeur honoraire, Université de Rouen

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