En el hoy y mañana y ayer, junto
pañales y mortaja, y he quedado
presentes sucesiones de difuntos.
Francisco de Quevedo
- 1 En ce sens, le cinéma d’Erice est un cinéma de la modernité telle que Deleuze l’entend : face au mo (...)
1Depuis son premier long-métrage (L'esprit de la ruche, 1973) jusqu'à sa dernière œuvre (Cerrar los ojos, 2023), la réflexion sur la façon dont le cinéma s'approprie le temps réel pour en faire son tissu traverse l'œuvre de Víctor Erice telle une force unifiant les différentes tensions qui l'irriguent. Protéique et élusif, chez le cinéaste basque, le temps n'est pas seulement le cadre permettant à l'action d'advenir et de se dérouler, il est également l'objet même, et peut-être le but ultime, de la représentation1.
- 2 Víctor Erice dans El Cultural, entretien réalisé par Carlos Reviriego, 15/12/2002.
- 3 En effet, le film peut être classifié dans l'un des sous-genres le plus narratif qui soit, celui de (...)
- 4 Les indianos étaient les espagnols ayant fait fortune en Amérique et étant retournés en Espagne pou (...)
2Il n'est donc pas étonnant que le réalisateur fasse partie du groupe de cinéastes auxquels, en 2002, le producteur Nicholas Mac Clinctok a proposé de tourner un court-métrage dont les deux seuls prérequis étaient la durée, dix minutes, et le sujet, le temps. Un tel projet ne pouvait que susciter l'adhésion d'Erice, qui choisit de donner à son film « la forma de un poema cinematográfico »2, sans pour autant affaiblir sa charpente narrative3. Le film narre la « deuxième naissance » d'un nouveau-né qui réchappe d’une hémorragie causée par un cordon ombilical mal noué. Le cadre correspond au milieu rural des indianos4 du nord de l'Espagne, et l'action a lieu au tout début de l'après-guerre. À travers un montage parallèle, les images de la tache de sang s'agrandissant sous les vêtements du bébé endormi alternent avec celles du reste des personnages : la mère se repose ; le père dort également dans le salon pendant que le grand-père joue seul aux cartes ; des enfants jouent dans le jardin ; le personnel de la maison s'affaire à ses tâches... Ce n'est que grâce à l'intervention d'un chat, qui semble s'être aperçu que l'enfant est en péril et qui le réveille, que l'alarme est donnée : le bébé commence à pleurer et la cuisinière lui sauve la vie en refermant son nombril. Le film se termine sur l'image d'une autre tache, cette fois une tache d'eau, qui s’étend sur un journal informant de l'arrivée des S.S. à Hendaye suite à l'invasion de la France par l'Allemagne.
- 5 Nous utilisons « projection » au sens d'image projetée sur une surface, bien entendu, mais aussi au (...)
3Comme tout récit ordonné de manière chronologique, Alumbramiento est construit sur la nature uniforme, progressive et irréversible d'un temps conçu comme indissociable du mouvement. Une telle conception, d'origine aristotélicienne, serait exprimée dans le film dans des termes figuratifs à travers l'agrandissement graduel des taches, progressant sur le corps de l'enfant en même temps que le film avance. Or, dans une certaine mesure, cette projection5 qu'est Alumbramiento se termine au point où elle avait démarré. Outre le noir dans lequel se fond le dernier plan et duquel émerge le premier, la tache d'eau qui clôt le court-métrage fait écho à la tache de sang qui déclenche l'action. Ce faisant, le film décrit une sorte de retour en arrière, qui « arrondit » pour ainsi dire la ligne de la diégèse. Si on accepte qu'au tout début du film, lorsqu'on écoute les pleurs de Luisín, celui-ci vient de naître, le dénouement rebondit lui aussi sur le point de départ dans la mesure où il se solde par la « deuxième naissance » dont nous venons de parler. Malgré le déplacement opéré entre le début et la fin, le dénouement fait l'effet d'un recommencement, et l’on peut parler de construction narrative circulaire.
4Pour boucler la boucle, à l'intérieur de cette charpente sont représentés de nombreux éléments en forme de cercle, des échos « figuratifs » du cercle invisible décrit par la structure : la montre qu'un enfant dessine sur son poignet, l'horloge à pendule du salon, la roue de la machine à coudre, le lavabo...
- 6 À ce sujet consulter Georges Poulet, Les métamorphoses du cercle, Paris, Pocket, 2016, p. 75.
- 7 À titre d’exemple, à l'égard de L’esprit de la ruche Erice déclare : « À propos du montage, je parl (...)
5Le résultat est un ensemble fort soudé, un dépliement progressif de « cercles encerclés » se répondant constamment entre eux, qui reprennent en termes filmiques une tradition remontant entre autres aux poèmes de La Boderie, conçus justement comme des emboîtements figurés de cercles6. Cette cohésion interne s'insère à son tour dans l'ensemble d'une filmographie où les structures narratives circulaires ont été largement privilégiées7.
6Face à un tel déploiement de circularités, nous sommes amenés à nous demander quelle est leur place dans un film érigé sur le pouvoir annihilant d'un temps conçu comme une progression linéaire. Pourrait-on envisager ces cercles comme des dispositifs visant à suggérer une conception du temps autre que celle établie par la tradition aristotélicienne ? Et si oui, quelle serait la particularité de cette nouvelle temporalité ? Pour essayer de répondre à ces questions, nous allons analyser par ordre d'apparition les différents cercles « figuratifs » qui jalonnent Alumbramiento en nous appuyant principalement sur les travaux d'archétypologie de Gilbert Durand. Si son autorité a été privilégiée, c'est parce que la plupart des cercles du film renvoient à des motifs fortement ancrés dans l'imaginaire tels que la roue, le tissage ou l’eau qui ont tous été étudiés par le mythocritique. Leur portée symbolique, universelle et intemporelle, convient à merveille aux aspirations poétiques d'une œuvre qui, marquée par la dialectique de l'être et du non-être, ne peut que se présenter comme une poétique de l'essentiel, et cela malgré son très fort ancrage contextuel.
- 8 Nous évitons sciemment l'opposition entre temps subjectif et temps objectif car la subjectivité n'e (...)
- 9 Se reporter à cet égard à Pascale Thibaudeau, « Fenómenos de reflexividad en el cine de Víctor Eric (...)
- 10 Nous avons étudié plus largement la portée méta-cinématographique d’Alumbramiento ailleurs : Miguel (...)
7Nous tenons à préciser que notre interrogation sur la nature du temps à propos d'Alumbramiento, porte tant sur le temps dont chaque existence réelle est faite que sur le temps « supra-individuel » encadrant lesdites existences et se déroulant au-delà de leur début et de leur fin. Malgré ces différences tenant à une question d'extension, rien n'invite à penser que la matière dont ces temporalités sont faites soit différente8. Le temps filmique, quant à lui, possède un statut substantiellement différent de ces dernières, car bien entendu il est la reconstruction d'un temps réel, opérée par le biais de la technique et de l'art. Cohérent avec la dimension méta-cinématographique de l'ensemble de l’œuvre éricéenne9, Alumbramiento se propose également comme une réflexion sur cette temporalité10. Quant au temps historique, nous nous arrêterons à peine sur lui, d'une part parce que cela nous dévierait excessivement de notre ligne de recherche et, d'autre part, parce qu'il fera l'objet d'un autre travail, tant il mérite de recevoir une analyse bien plus large.
8Avant de commencer, une précision s'impose : le mot « cercle » vient du latin circulus, qui est un diminutif de circum, dont l'une des acceptions signifie « enclos ». La courbe sans début ni fin que cette figure décrit constitue, donc, l'enceinte parfaite, celle d’où l’on ne sort pas. Dans les lignes qui suivent, cette démarcation sera évoquée à plusieurs reprises.
9Au début du film, un enfant dans un grenier commence à dessiner une montre sur son poignet. Dans un insert, on voit ce dessin se juxtaposer, par le biais d'un fondu enchaîné, sur la tache de sang, qui vient juste de commencer à se répandre : c'est la première fois dans le film que le temps cumulatif et vectoriel de l'hémorragie est inclus dans un cercle. Le fait que le plan du dessin soit postérieur à celui où la tache commence à se répandre, laquelle, de ce fait, se retrouve « emprisonnée » par le cercle, pourrait viser au paradoxe suivant : cette ouverture qu'est le temps linéaire faisant chemin – une ouverture peut-être symbolisée par l’hémorragie, à travers laquelle le corps « s'ouvre » littéralement sur l'extérieur – se déploie dans un horizon fermé. Car, en première instance, l'existence ne peut être telle, que dans la mesure où elle est précédée d'une non-existence –le néant antérieur à la conception– et suivie de cette autre non-existence qu'est la mort ; l'un comme l'autre constituent des bornes infranchissables. L'écran noir déjà évoqué, ouvrant et fermant Alumbramiento, constituerait une métaphore visuelle de ces limites. Sur le plan réflexif, il sépare également le temps du film du temps pré-filmique et post-filmique, les bornes entre lesquelles se déroule toute projection cinématographique.
- 11 Les mots latins annus et annulus ont la même racine et donnent en français respectivement an et ann (...)
- 12 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles. Mythes, rêves, coutumes, gestes, for (...)
- 13 Cette indifférenciation est pour Jean Epstein liée à ce qu'il envisage comme étant la force sous-ja (...)
10L'inscription de cette « ligne de fuite » qu'est l'hémorragie dans cet autre temps suivant le parcours circulaire que la montre enferme, peut être ré-envisagée comme l'expression de l'irréductibilité d'un temps au sein duquel l'opposition entre linéarité et circularité n'est pas opérationnelle. Le fait que l'avancement du temps progressif soit, paradoxalement, une répétition constante de cycles (ceux qui enchaînent les jours et les nuits et ceux qui lient la fin d'une année au début d'une autre11), pourrait être à l'origine de cette synthèse. Une telle imbrication entre progression et régression impliquerait que l'écoulement du temps, sa course vers son terme, n'est possible que sur la base d'un repliement systématique. Visuellement, un geste exprime de façon fort graphique cela : lorsque le crayon de l'enfant tourne autour d'un invisible centre pour embrasser son point de départ après avoir tracé un cercle, un déplacement temporaire s'est opéré, le point final étant postérieur à l'initial. Pourtant, commencement et fin, antériorité et postériorité, sont tous effacés et confondus, le trait finit par se refermer sur lui-même et la fin par regagner le début. L'image classique du serpent se mordant la queue, l'ouroboros, alpha et oméga dans le christianisme et symbole immémorial de résurrection et d'éternel retour12, semble se dessiner ce faisant sous le geste de l'enfant13.
- 14 Jean Epstein, Écrits sur le cinéma, Paris, Ed. Cinéma Club/ Seghers, 1975, p. 12.
11Or, jusqu'ici nous avons fait abstraction du fait que la montre de l'enfant n'est pas une véritable montre mais un dessin. Qu'est-ce que « l'irréalité » du motif pourrait bien apporter à notre réflexion ? Peut-être l'idée que, pour rendre compte de la complexité d'un temps qui n'est plus ni linéaire ni circulaire, le moyen le plus apte est l'art, plus précisément le cinéma, lequel, parmi toutes le formes d'expressions artistiques, est comme on le sait la seule à pouvoir reproduire cette « quatrième dimension de l'univers qui est espace-temps »14.
- 15 Significativement, en espagnol « bombe à retardement » se dit, « bomba de relojería », que l'on peu (...)
- 16 Pascale Thibaudeau, « Les temps des corps : Alumbramiento de Víctor Erice », in Image et corps, Uni (...)
12À peine le garçon a-t-il fini de dessiner sa montre qu'il l'approche de son oreille : à ce moment-là, un tic-tac se fait entendre... Il est produit par l'horloge à balancier du salon. C'est le spectateur qui l'entend, pas le petit garçon, qui en est trop loin (on ne sait même pas si le grenier se trouve dans la maison où est la pendule, puis qu’aucun plan ne montre le rapport physique entre les deux espaces). Le tic-tac assure la continuité, sonore, entre le motif de la montre au crayon et celui de l'horloge à balancier. Entre les deux, le montage glisse par ailleurs un nouveau plan de détail de la tache de sang s'agrandissant. En maintenant le son du tic-tac sur l'image de la tache, Erice propose une association entre l'hémorragie et l'idée d'une bombe à retardement15 ou bien, si l'on préfère, entre celle-là et un sinistre sablier dont l'écoulement équivaudrait non seulement à l'extinction du temps qu'il contient, mais aussi à celle du bébé. Nous suivons Pascale Thibaudeau lorsqu'elle met en rapport l'hémorragie et l'existence même dans sa qualité d’écoulement : « Celle-ci (la tache de sang) s’étend sur le drap blanc, elle témoigne, à mesure que le film avance, de ce flux vital qui se répand et que le corps ne retient plus »16. Sur un plan bien plus large, celui du temps historique, la tache d'eau qui se répand à la fin au rythme du tic-tac sur la photo des nazis vient renforcer cette idée. En effet, lorsqu’on connaît la suite des événements, le son produit par l'horloge ne peut qu'être perçu comme l'annonce de l'annihilation imminente vers laquelle se précipite tout un continent de façon régulière et mécanique, tel un automate se rapprochant tout droit du bord de la table. D'autre part, le tic-tac impose son rythme sériel, une cadence dont tous les sons sont identiques et les silences les séparant ont la même durée. Cela résonne très fortement, à notre avis, avec l’indifférenciation entre début et fin inhérente à la figure du cercle.
- 17 Pour approfondir le rôle de l'horloge dans la peinture baroque espagnole, voir Fernando Gállego, Vi (...)
- 18 Rafael Cerrato, Víctor Erice, el poeta pictórico, Madrid, Ediciones JC Clementine, 2006.
- 19 Francisco Quevedo, Poesía, Madrid, Ed. Área, 2002, p. 36.
13Le plan de la pendule précède celui où, enfin, on voit l'horloge à balancier. Présentée dans sa totalité, l'horloge, flanquée de quatre images encadrées, préside dans le salon (le plan étant parfaitement frontal et symétrique). D'une part, ainsi filmé, il dégage un certain air totémique, celui d'une puissance supérieure qui régirait les destins humains tout en y restant indifférente : elle poursuit sa course, qui conduit la vie du petit vers sa fin. D'autre part, il ne nous semble pas incohérent d'établir une analogie entre l'horloge et le cœur d'un organisme, car tous les deux rythment l'écoulement du temps et le traduisent sur le plan sonore. En nous montrant l'horloge et en nous la faisant entendre, le moteur qui met en marche la suite d'images en mouvement composant tout film est rendu explicite. Situé au centre du plan, envoyant tel une onde expansive son tic-tac vers d'autres espaces de la maison – on l'écoute même dans la cuisine –, l'horloge semble être non seulement un bourreau haïssable, mais aussi un « distributeur » de temps, la source d'où jaillit le flux qui rapproche Luisín de sa mort. Ajoutons d’autre part, l’opposition ostensible entre un temps « donneur » de vie et un temps « tueur », opposition qu'il est possible d'expliquer à la lumière de l'idée, très évidente d'ailleurs et déjà ébauchée, que l'écoulement du temps, voie permettant le déroulement de toute existence, est également la force qui la pousse vers sa fin. En ce sens, l'image de l'horloge à pendule peut être interprétée comme un memento mori, une nouvelle reprise des vanitas de la peinture baroque. N'oublions pas que les peintres qui ont probablement exercé l'influence la plus marquante sur Erice, à savoir Vermeer et Zurbarán, ont tous les deux apporté leur contribution à ce genre – on notera d'ailleurs qu’un sablier apparaît sur l'un des plus célèbres tableaux du maître espagnol, le portrait de Fray Gonzalo de Illescas (1639)17. Tel que Rafael Cerrato l'a analysé18, le rapport d'Erice avec l'univers baroque remonte à son premier long-métrage (L'esprit de la ruche, 1973), où l'inspiration ténébriste de la photographie sert à exprimer, en simplifiant beaucoup, l'éternelle dialectique entre obscurité et lumière qui se livre au sein de toute expérience initiatique. Et si on parle de baroque, il est difficile ici de ne pas penser à Francisco de Quevedo et à ses méditations sur le temps, lesquelles nous ont laissé des vers qui résonnent très fortement avec les images d'Alumbramiento : Andada son la hora y el momento/ que a jornal de mi pena y mi cuidado/ cavan en mi vivir mi monumento19. En localisant l'action de creuser (la tombe, bien entendu) dans l'infinitif substantivé « vivir », le poème exprime de façon simple et efficace l'idée de l'existence comme une espèce d'actualisation progressive de la mort.
14Nous ne pourrions pas terminer cette partie sans parler des quatre images qui flanquent l'horloge à pendule : elles élargissent son champ de significations et le complètent. Elles sont montrées partiellement car le cadrage n’en permet pas de voir ne serait-ce que la moitié. En dépit de cette limitation, nous arrivons à distinguer des personnes, certainement des ancêtres du petit Luisín, habillées à la mode du début du vingtième siècle. L'une des images, cependant, paraît être le dessin d'un petit garçon à cheval. Nous porterons notre attention donc sur les trois images dont on peut voir qu’il s’agit de photographies.
- 20 Roland Barthes, La chambre claire, Paris, Seuil, 1980, p. 30.
- 21 D'après les mots de Víctor Erice lui-même « le cinéma pourrit la réalité ». Cité par Alain Bergala (...)
- 22 Sur ce point nous sommes en désaccord avec Pierre Arbus lorsqu'il dit : « il n'y a pas de mort évoq (...)
15Dans la symétrie de la composition, ces images semblent être des acolytes ou plutôt les gardiens du « totem-horloge » : elles l'entourent et le protègent en le séparant du reste de l'espace (en le « sacralisant », si l'on veut, au sens étymologique du terme « sacré », c'est-à-dire « séparé »). Les photographies constituent ainsi une espèce d'enceinte ou de cercle magique peuplé des fantômes que sont les personnes photographiées. Or, c'est précisément ce composant fantomatique qui permet d'envisager ces mêmes images sous l'angle contraire, celui de la menace : dans la mesure où la photographie fixe à jamais le sujet, celui-ci est ainsi soustrait au devenir qui le constitue ; elle anticipe l'immobilisation ultime, la mort. Roland Barthes va plus loin en se référant à la photographie comme une « micro-expérience de la mort »20. Présentés sur le plan dans un rapport de contiguïté spatiale, une relation de cause à effet peut être établie entre l'horloge et sa périphérie : le premier dégagerait une force centrifuge se répandant vers cet entourage formé par les images. Le temps se dessine ainsi comme une implacable « machine à créer des fantômes »21, la nature mécanique de l'horloge s'accordant de façon très juste à cette comparaison. Car, paradoxalement, ce positif que constitue l'image photographique est une invitation indirecte à prendre conscience de l'ampleur du négatif, le temps invisibilisé par l'écoulement du temps lui-même. C'est en fixant une image qu'on arrive à entrevoir l'étendue de l'opacité qui nous a précédé et qui débouche sur l'instant présent. Cette image extrêmement partielle du passé, ne peut qu'être envisagée comme un rescapé, un revenant ayant traversé le temps pour témoigner d'une forme d'immortalité, sorte d'espérance ou de consolation qui repose sur la croyance ancestrale en l'image comme dépositaire d'une partie de l’essence du mort22.
16À la minute 2 :26, un plan de détail montre les pieds d'une femme actionnant la pédale d'une machine à coudre. Ici ce n'est plus le tic-tac de la pendule qui rythme le déroulement des images mais le bruit produit par la roue et l'aiguille de la machine. Ce dernier se déplie comme un prolongement du premier dans la mesure où, d'une part, il constitue une nouvelle série de sons pratiquement identiques séparés par des intervalles également réguliers ; d'autre part, parce que tous les deux sont des motifs sonores visant à rendre audible l'écoulement du temps.
- 23 Les rapports entre tissage et filage nous mènent à une nouvelle association, celle qui identifie ce (...)
- 24 La filiation entre Alumbramiento et le mythe mentionné à déjà été signalée par Jorge Latorre dans « (...)
17Un deuxième plan dévoile au spectateur le buste et le visage de la femme, penchée sur son ouvrage : elle brode le prénom du nouveau-né, Luisín, sur un bavoir. Plus tard, dans le dénouement, elle fera une deuxième apparition : elle assiste la cuisinière pendant que celle-ci fait cesser l'hémorragie en refermant le nombril du bébé ; une autre femme, une domestique, se tenant à gauche de la cuisinière, complète le trio. Maintenant nous savons que le fil de la broderie était une préfiguration de celui de la sage-femme. En empêchant que le « fil de la vie » du nouveau-né soit « coupé », cette dernière s’affirme, dans une certaine mesure, comme la maîtresse du temps des autres. Il n'est pas difficile de voir ici une allusion au mythe des Parques23, d'autant plus que l'on sait que l'argument du film est construit sur l'idée de l'extrême fragilité de l'existence, sujette à des puissances autres que la volonté de l'existant24.
- 25 Pascale Thibaudeau, op. cit.
18Cela nous renvoie à une constante du cinéma d'Erice, à son substrat mythique, déjà largement étudié par Pascale Thibaudeau25. En procédant à ce retour au mythe, le cinéaste revendique une logique plus ouverte – et poétique – que celle de la pensée logico-discursive aristotélicienne en même temps qu'elle proclame son inscription dans une continuité qui dépasse les aléas de l'Histoire. La guérison opérée par les trois « Parques » constitue elle aussi un retour, car elle ramène le nouveau-né à son stade antérieur au début de l'hémorragie. La roue de la machine à coudre, tournant sur elle-même pour permettre au fil de se déployer, exprimerait l'idée d'un déroulement linéaire soumis à une répétition constante de cycles. En raison de la logique poétique qui guide le film et qui privilégie comme on le sait les ressemblances entre deux termes au détriment de leurs différences, on peut mettre en lien cette machine avec la quenouille des Parques, tout d'abord parce que la première est associée à l'une des « Parques » du film, la brodeuse ; puis, parce que les quenouilles à roue fonctionnent sur le même principe que les machines à coudre, celui d'une roue ancrée sur un point fixe actionnant le mécanisme qui fait que le fil se dévide ; et enfin, parce que les deux machines s'inscrivent dans le champ de la mécanisation du travail textile. Cette nature mécanique nous permet de rebondir sur le caractère machinal du temps, déjà évoqué lorsque nous avons caractérisé celui-ci comme une « bombe à retardement » et une « machine à produire des fantômes ». Une telle fatalité ramène inévitablement à la conception antique du fatum contenue dans le mythe des fileuses. Pourtant, c'est justement en raison de sa structure cyclique que ce déterminisme serait conjuré : l'annihilation engendrée par une temporalité conçue comme une magnitude vectorielle ne serait que le préambule immédiat d'un recommencement continu. On rappellera ici, dans le moyen-métrage Vidros partidos (2011), tournée par Erice en 2011, l’interview de celle qui se présente sous le nom de Maria de Fátima. Elle affirme qu'en allaitant son enfant dans l'usine où elle travaille, elle avait reproduit ce que sa mère avait fait par le passé dans le même endroit : « La vie est comme une roue ».
- 26 Dans l'entretien cité, le réalisateur caractérise la réalité à laquelle l'enfant naît comme étant u (...)
19Reste à évoquer, avant de passer au cercle suivant, un élément déjà entraperçu au début de cette partie : la broderie du prénom de l'enfant. En brodant, le personnage inscrit dans le temps du court-métrage l'identité individuelle du héros. De ce point de vue, on pourrait donner à cette femme les attributs de l'officiant d'une espèce de baptême. L'image du prénom inscrit sur un petit espace délimité par une circonférence, celle du châssis, nous porte à hasarder une nouvelle piste de lecture. Si l'on identifie cette rondeur qui accueille le prénom du héros à l'enclos contenu dans l'étymologie de « cercle », on pourrait interpréter l'image comme une métaphore de la double limitation à l'intérieur de laquelle se joue toute existence : celle qui se noue entre individualité et temporalité26.
- 27 Significativement, le mot grec « clepsydre » veut dire littéralement « voleur d'eau », ce qui revie (...)
20Le temps coulant ouvre la poétique du cercle à un nouveau champ de significations grâce à son association avec l'eau, l'un des éléments les plus riches qui soient du point de vue symbolique. Entre 04 :59 et 05 :07, en plongée totale, le film montre un lavabo en porcelaine blanche, parfaitement rond. Le fait qu'il soit filmé d'en haut montre à quel point le cinéaste tient à le présenter dans toute la visibilité de sa rondeur. Le robinet mal fermé laisse tomber un goutte à goutte ; cette fois, ce sont les gouttes d'eau tombant dans le lavabo qui prennent le relais du bruit de la machine à coudre et du tic-tac de l'horloge. La répétition sérielle des gouttes constitue une nouvelle déclinaison du motif, rythmant sur le plan sonore l'écoulement des instants. Nous rappelons que l'une des premières horloges conçues fut la clepsydre, une horloge à eau. Dans Alumbramiento, l'image des gouttes d'eau se déversant peu à peu pour rendre audible l'écoulement irréversible du temps, nous apparaît, dans une certaine mesure, comme la version sonore et aseptisée du sang qui s’échappe, imparable, du corps de Luisín27. Il s'agit, donc, de l'eau en mouvement, même si ce dernier est extrêmement restreint. Dans un film dont le sujet est le temps, et en vertu de l'association que nous venons d'établir entre son écoulement et celui de l'eau, nous ne pouvons que penser ici à la métaphore héraclitéenne de la vie-fleuve. Une telle image n'est possible que sur la base d'une conception du temps en tant que matière fluide, donc susceptible de se déplacer d'un point A à un point B – en français, significativement, aussi bien le temps que l'eau « coulent ». De la même façon qu'un glacier ou une source, aidés par l'inclinaison du terrain, poussent l'eau vers son débouché en créant cette voie qu'est le fleuve, le temps se dirige vers un point ultérieur, hors de lui, propulsée par une force qui vient du passé ou qui est, plus précisément, le passé même. L'impossibilité héraclitéenne de mettre les pieds deux fois dans le même fleuve est celle d'un temps conçu comme un flux irréversible qui ne permet pas de retour en arrière. Pourtant, et tout comme dans les cas du tic-tac et de la machine à coudre, il est manifeste qu’à l'intérieur de cette nouvelle série de sons et d'intervalles pratiquement identiques, il s’avère impossible d'identifier un début et une fin. Cette indifférenciation nous renvoie, encore une fois, au principe de la circonférence. Et d'autres sons véhiculent ce même principe : celui du marteau du paysan damant son outil et celui de la faux coupant l'herbe.
- 28 Gilbert Durand, op.cit., p. 174.
- 29 « Agora non non » est une berceuse traditionnelle asturienne. Elle est une allusion claire à la pro (...)
- 30 Julien Ries, L'homus religiosus et son expérience du sacré, Paris, Les éditions du cerf, 2009, p. 4 (...)
21Cela dit, nous analyserons maintenant le rapport de l'eau avec un aspect introduit dans la partie consacrée à la machine à coudre, la caractérisation de la brodeuse comme officiante d’un baptême symbolique. Métaphore de vie si elle en est, l'eau fut même identifiée à l'origine de la vie bien avant que la science ne le constate : pour Tales de Milet, comme l'on sait, l'eau c'est l'αρχή. Ce lien avec l'origine n'est pas sans rapport avec le rôle qui a été donné à l'eau dans nombre de rituels religieux. Dans ceux-ci, elle possède une valeur purificatrice, qui plus est, « elle n’agit pas par lavage quantitatif mais devient la substance même de la pureté, quelques gouttes d’eau suffisent à purifier un monde […] »28. Or, si le besoin de purification est à la base de ces rituels, c'est d'abord parce qu'une pureté originelle a été préalablement souillée. Dans l'épilogue du court-métrage, le lavabo est montré une seconde fois : il sert à laver les vêtements ensanglantés du petit sauvé par la cuisinière. La portée symbolique de la scène nous semble claire : le lavage du linge dans ce récipient rond complète « le retour à l'ordre », c'est-à-dire la restitution de l'équilibre originel, celui du début du film, après sa cassure. Cette tache qu'est le sang de l'hémorragie sera effacée comme si elle n'avait pas existé. Significativement, l'eau ne coule plus dans cette deuxième apparition du lavabo, elle est immobile, allusion peut-être à un temps arrêté juste avant qu'il ne reprenne, comme pour accorder une pause, un répit à Luisín. L'image du lavabo, toujours en plongée totale, et parfaitement symétrique et épurée, se déploie sur un air a cappella29 qui accompagne l'épilogue où sont montrées les mains de la cuisinière, dépositaires d'une sagesse ancestrale. L’image accorde à la scène comme un air de rituel. Uni à la « suspension » temporelle exprimée par cette eau qui ne coule plus, cela semble traduire dans la sphère du concret l'actualisation du temps de l'origine contenue dans les différents rituels religieux. Pour emprunter les mots de Julien Ries, « dans les rituels, l'homme organise le temps en référence au temps archétypal, à l'illud tempus : rituels festifs, rituels de célébration, rituels sacrificiels, rituels d'initiation. Grâce au rituel, l'homo religiosus rejoint un temps primordial ou un événement archétypal »30.
22Une dernière correspondance s'est dessinée au fil de ces quelques considérations : celle qui tisse le lien entre l'eau et le sang. Le rapport est établi dès lors que le mouvement expansif qui guide l'action du film est commun au sang du bébé et à l'eau se répandant sur la page d'un journal. De façon moins explicite, le rapport passe aussi par le goutte à goutte du robinet, qui est un écho de l'hémorragie : le gaspillage d'eau provoqué par un robinet mal fermé renvoie à cette vie qui se perd à cause d'un nombril également mal fermé. Encore une fois, la figure du fondu enchaîné scelle cette analogie : à la minute 3, les images des deux taches se juxtaposent sans que l'on puisse déterminer laquelle contient laquelle. Cette duplication de cercles dessine une nouvelle couronne. Bien entendu, ni le sang ni l'eau ne décrivent des cercles exacts, loin de cela, les taches ont des formes bien plus irrégulières. Mais elles se répandent toutes les deux de façon radiale, à partir d'un centre qui s'empare peu à peu de sa périphérie. Dans le cas du sang, on sait qu'au moment où il se serait totalement vidé, la vie du petit aurait été finie, le temps individuel est traité comme une source se propulsant irréversiblement jusqu'à son épuisement.
- 31 Miguel Rodrigo, op. cit.
- 32 Nous ne pouvons pas résister à la tentation de citer Georges Poulet, tellement ses mots semblent dé (...)
- 33 Ici nous pouvons parler d’isotopie.
23Nous avons décidé d’aborder ces deux motifs dans une même partie en raison du fait que leur interprétation nous paraît moins aisée que celle des autres cercles et leur rôle moins déterminant dans le tissu sémantique du film. Tout au plus, on pourrait dire qu'en versant de l'eau sur le cercle de farine, la cuisinière actualise un geste ancestral, celui par lequel l'eau et la terre, mélangées, deviennent source première d'alimentation donc de vie, ce qui trace un nouveau retour aux temps des origines, qui est le temps mythique par excellence. Le physique généreux de cette femme, tel que nous l'avons expliqué ailleurs31, pouvant évoquer celui d'une Vénus préhistorique, renforce à notre avis la plausibilité de cette lecture. Concernant le volant, dans la mesure où les enfants jouent à le faire tourner alors qu'il est arrêté, il renvoie à l'idée de l'immobilisme dans la mobilité, la suspension dans la progression déjà évoquée. Ce qui nous semble, enfin, plus aisé à postuler, est que ces circularités « mineures » se comportent comme des figures de transition et de cohésion, ou bien, si l'on veut, comme des engrenages d'un mécanisme (d'une horloge, par exemple, pour rester dans l'imaginaire du film32), dont la fonction est de transmettre le mouvement entre les roues les plus grandes, assurant ainsi la corrélation parfaite entre les différentes parties33. Bien évidemment, le cinéaste en est le grand horloger.
- 34 Dans « Víctor Erice – à la recherche du premier éblouissement », Marcos Uzal dit à ce propos : « (… (...)
24Avant de terminer, nous aimerions nous référer brièvement à une série de mouvements qui rythment le film dans une forme de demi-circularité ou de circularité « frustrée », bien qu'en toute rigueur ils n'entrent pas dans la catégorie des circularités. Nous pensons aux faucheurs, à la petite sur la balançoire et au garçon qui tresse une corde dont l'un des bouts est lié à son orteil. Bien entendu, les trajets qu'ils parcourent de façon répétée nous renvoient au va-et-vient de la pendule : tout comme celle-ci, les mouvements binaires semblent se heurter contre un rempart invisible qui les empêche systématiquement de « sortir » – et de fermer le cercle –, ce qui fait penser aux actions compulsives, que la psychanalyse met en rapport avec l'instinct de mort. Tant les faucheurs que la petite fille et le garçon estropié partagent avec ces actions une même parenté avec la mort. Les premiers, bien évidemment, se proposent comme l'énième déclinaison des représentations traditionnelles d'un temps assassin, traditionnellement présenté sous la forme du spectre à la faucille, le gazon fauché équivalant à la vie engloutie par la progression des instants. Le son de la faucille et son mouvement coupant nettement le silence ambiant traduisent l'aspect également « tranchant » du temps, si affuté qu’il ampute systématiquement chaque seconde d'existence34. La jeune enfant, quant à elle, dans la mesure où avant de la montrer dans sa totalité le réalisateur ne cadre que ses pieds battant, fait penser inévitablement aux pieds d'un pendu... Pour ce qui est du garçon estropié, la jambe qui lui manque, comme une négativité « visible », n'est pas sans rapport avec cette autre mort supra-individuelle qu'est la guerre civile espagnole, qui vient de s’achever à l'époque où se situe le film. L'uniforme militaire du jeune homme estropié suggère que le conflit fratricide fut la cause de son handicap. En même temps, il fait écho aux uniformes des soldats nazis et préfigure cette autre guerre qui se prépare, une nouvelle et bien plus dévastatrice « machine à tuer ». Le mouvement, hélicoïdal, que le tressage dessine, contraste cruellement avec son immobilité, exprimée par le fait qu'il est assis et renforcée par la jambe qui lui manque. Cette progression qui se fait en même temps que le film avance est reliée au fil du temps, réel comme filmique, au fil de la brodeuse, à celui dont la cuisinière se sert pour sauver Luisín et, pourrions-nous dire enfin, au fil de la vie tissé par les Parques, lequel, ne l'oublions pas, se déplie et s'enroule dans le fuseau simultanément.
- 35 « Para un ser humano, nacer significa inscribirse en el tiempo » (Victor Erice, entretien cité).
- 36 Dans son article déjà cité « Les temps des corps », Pascale Thibaudeau ébauche le rapport entre Alu (...)
25Dès ses premiers instants, le temps de l'existence est présenté dans Alumbramiento comme une « blessure ouverte » par laquelle l'existence elle-même « se déverse » et « coule » en avant, vers cet horizon de projection qu'est le temps – et le sang – encore non écoulé. Naître équivaudrait non seulement à « s'inscrire dans le temps »35, mais aussi, plus exactement, à « devenir du temps », pour utiliser une formulation aux résonances heideggeriennes36. Outre son rôle déclencheur de l'action, l'hémorragie ouvre le film à une dimension symbolique dans laquelle l'approche poétique rejoint la réflexion méta-cinématographique il va sans dire qu’au cinéma, toute réflexion portant sur le temps l'est également sur le cinéma lui-même. Le temps filmique partage avec le réel sa condition de temporalité projective limitée par les bornes que son début et sa fin lui imposent.
26Pourtant, en dépit d'être projeté vers l'avant, le temps, qu'il soit réel ou filmique, semble se déplier non seulement en termes d'avancement mais aussi de régression, un accouplement que les va-et-vient analysés (dont celui de la pendule) rendraient visible. Outre la structure circulaire du récit, les différents motifs tel que le fil, la montre dessinée, l'horloge, la roue de la machine à coudre et le lavabo, entre autres, dessinent une poétique du retour et de la rondeur au sein de laquelle le fil du temps et la roue du temps s'avèrent tout à fait indémêlables. En raison de l’indifférenciation entre des sons identiques et leur répétition accompagnant l'avancement du film, les bruits sériels du court-métrage, eux aussi, visent ce même principe.
27Une telle conjonction entre linéarité et circularité tiendrait, selon ce que le film suggère, à la trajectoire que l'existence décrit : l'avancement du temps rapproche l'existant de la mort, point où il regagne le non-temps qui précède la conception. Le mouvement allant d'un but à l'autre apparaît comme une force impersonnelle et aveugle enfermée dans un circuit clos. Cette mécanique implacable, forme de déterminisme ou de fatalité, serait à la base du rapprochement que le film propose entre le temps et un grand engrenage, renforcé par le fait que le principe de ce dernier est le tournoiement continu d'une roue. L'image nous renvoie au mythe de l'éternel retour : attrapé dans ce mouvement où fin et début se rejoignent, le temps irréversible du fleuve d'Héraclite déboucherait sur sa source.
28C'est en raison de sa nature synthétique que l'approche poétique du film se révèle la plus apte à exprimer l'intuition d'un temps échappant aux oppositions dont le langage parlé ne sait souvent se défaire. Le substrat mythique du film n'est pas sans rapport avec cette victoire à l'écho nietzschéen de la métaphore sur le concept. Mais n’est-ce pas là le pouvoir de la poésie et son but ultime ?