Introduction
Texte intégral
1La situation instable et en mutation incertaine du Vieux Continent suscite des interrogations qui dépassent largement le cadre purement géopolitique. En fait, elle convoque - voire requiert avec urgence - la conscience, le regard, la voix et la mise en fiction des écrivains, et notamment ceux de langue française, ou qui ont opté pour le français comme langue d’expression littéraire.
2En effet, notre continent n’est pas seulement l’aboutissement - récent d’un point de vue historique - d’un processus d’aménagement institutionnel plus ou moins fondé sur un principe de subsidiarité politique. Chargée d’une Histoire lourde, et parfois tragique, l’Europe a catalysé bien des espoirs et concrétisé d’importants progrès civilisationnels. Elle a, certes, connu et fomenté les conflits les plus meurtriers, mais s’est montrée inventive et créative à plus d’un égard, et a également produit les textes les plus généreux et philanthropes.
3Aujourd’hui encore, l’Europe dans son ensemble, et ses frontières (géographiques, politiques et symboliques) sont le théâtre de phénomènes inquiétants et paradoxaux : montée d’extrémismes divers, regain d’une volonté de fermeture sur soi, crises identitaires, flux migratoires difficilement gérables, crises économiques et financières suivies de déstructuration sociétale.
4Toutes ces questions soulevées par la construction historique, politique, sociale et culturelle européenne ne sont pas sans impact sur la production littéraire, et plus précisément sur celle qui se produit en langue française. Elles deviennent de puissantes sources d’inspiration, de commentaire et de déploiement thématique. Nous n’en voulons pour preuve et comme échantillon critique, que les contributions plurielles à cette livraison de Carnets qui se sont penchées sur différents approches et représentations littéraires de l’Europe en français. À leur lecture, il s’avère évident que ce projet demande à être poursuivi et enrichi.
5Pour José Almeida, la fictionnalisation de l’Europe trouve un bon exemple dans le roman Ceux qui marchent dans les villes (2009) de l’écrivain belge francophone contemporain Jean-François Dauven, et ce à partir de l’enchevêtrement narratif suscité par la flânerie de plusieurs flâneurs aux destins liés dans plusieurs villes européennes, alors que, chez Silvia Baage, l’écriture littéraire de l’Europe, dans un monde globalisé, passe aussi ou surtout par la prise en compte de la question migratoire aux portes du Vieux Continent à partir de l’analyse de deux romans transnationaux, Eldorado de Laurent Gaudé et Tropique de la violence de Natacha Appanah ; que pour Stéphane Cermakian, il s’agit d’une revisitation du mythe de Hamlet par Valéry, lequel dégage une réflexion sur le devenir européen au lendemain de la Première Guerre mondiale et au sein du désarroi qu’elle a généré, et qu’Ana Paula Coutinho se penche sur la « trilogie européenne » de Camille de Toledo, notamment sur sa façon de mettre en relation la mémoire et l’oubli, en tant que processus de dépassement des blocages existentiels et de création hérités du XXe siècle, ainsi que sur sa proposition du « vertige » en tant que métaphore de (re)création utopique.
6De son côté, Romain Cuttat revient sur la conception très particulière et unifiée de (toute) l’Europe chez Milan Kundera, qu’il conçoit fondée sur le paradigme culturel, et partant éloignée du fonctionnement de l’Union européenne, engloutie dans les méandres bureaucratiques, tandis que Fiorella Di Stefano centre son étude sur les discours littéraires sur l’Europe, même quand leurs œuvres portent uniquement sur leur pays d’origine.
7Par ailleurs, si pour Efstratia Oktapoda, l’œuvre de l’écrivain Vassilis Alexakis représente exactement l’ambition transeuropéenne de l’écriture littéraire à l’heure de l’exil et des migrations, et que Fátima Outeirinho rappelle l’histoire et la pertinence du concept d’afropéanité pour comprendre la façon complexe dont les minorités noires considèrent leur identité en contexte européen, notamment à partir de l’œuvre de Léonora Miano, Regis-Pierre Fieu s’attarde, lui, sur le cadre dystopique qui se dégage de 2014 de Boualem Sansal, lequel concerne au premier chef une Europe sous la menace de l’intégrisme.
8Il ressort de ces contributions – et ce dans la longue tradition de tant d’écrivains, penseurs et intellectuels qui se munirent du français pour affirmer la conscience européenne - que la question que nous avons proposée pour ce numéro n’est certes pas étrangère au fait littéraire en français, comme véritable creuset culturel, véhicule ductile de questionnements et refigurations de l’idée d’Europe. Elle en constitue même un souci thématique, identitaire, mais aussi inclusif majeur dont les littératures actuelles en français ne peuvent que se faire l’écho.
Pour citer cet article
Référence électronique
Ana Paula Coutinho, José Domingues de Almeida et Maria de Fátima Outeirinho, « Introduction », Carnets [En ligne], Deuxième série - 11 | 2017, mis en ligne le 30 novembre 2017, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/carnets/2296 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/carnets.2296
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