1Le Burkina Faso est un pays de l’Afrique de l’Ouest situé au cœur du Sahel. Cette situation géographique fragilise le pays du fait que les problèmes environnementaux ont toujours une influence sur le développement humain et la croissance économique1 . L’un des présidents qui a fait de la bataille écologique un credo et qui a érigé au sein du premier gouvernement le Ministère de l’Eau2 pour la survie de ses concitoyens demeure le Président Thomas Sankara. Comme le note le journal le Monde, « Thomas Sankara fait de la protection des arbres et du reboisement une priorité absolue3. » Le Président burkinabè affirmait que la lutte contre la désertification est un combat anti-impérialiste dans la mesure où pour l’impérialisme, l’exploitation des hommes est un acte tout à fait normal, à fortiori, l’exploitation des forêts. Ouédraogo (2020) constate, à cet effet, que « L’éducation environnementale était au cœur de l’action révolutionnaire […] ». À ce sujet, la lutte pour la protection de l’environnement revêt plusieurs dimensions. Si cette révolution verte menée par le Président Sankara est un projet politique comme, par exemple, les 8000 forêts pour les 8000 villages4, elle est également un projet social pour le bien-être des populations. Cet engagement politique est consigné dans de nombreux supports audiovisuels. En effet, ce type de documents qui abordent les sujets écologiques se présentent sous la forme d’une filmographique vaste et multiforme. La cinématographie burkinabè médiatise la problématique écologique avec des sujets pluriels tels que l’eau, la végétation, le minéral et surtout l’agroécologie.
- 5 Sous l’angle esthétique, on se résumera à dire que ces films sont des reportages, résultat du trava (...)
2Dans ce vaste ensemble, il est à noter des créations audiovisuelles anonymes5, de formats non classiques : la plupart de ces films institutionnels sont des commandes d’ONG dont l’objectif est principalement la sensibilisation. Ces films se retrouvent rarement dans les canaux classiques de la diffusion et de la distribution. À l’opposé, se trouve une cinématographie classique avec des films de cinéastes de renom qui font de la question environnementale l’épine dorsale des sujets de leurs productions. En ce sens, Vignola (2017 : 28) écrit : « l’écosémiotique montre que la communication et la signification ne se produisent jamais ailleurs que dans le monde ». Par conséquent, Vignola (2017 : 28) suggère : « c’est le travail de l’écocritique […] d’effectuer de tels examens ». C’est pourquoi la présente étude vise à répondre aux questions suivantes : les films de notre corpus s’inscrivent dans une sémiosis écologique ? Quelles sont les manifestations de cette sémiotique critique de l’écologie dans ces films étudiés ? Pour répondre à ces interrogations, il convient de s’intéresser d’un point de vue informatif aux textes filmiques concernés par l’essence de leurs contenus narratifs.
3L’écosémiotique, suivant Gabriel Vignola, se trouve dans la grande mouvance des études éco-critiques. De façon synthétique, c’est la critique de l’écologie à travers les représentations culturelles. D’un point de vue stricto-sensu et synchronique, l’écocritique se rapporte aux représentations de la nature, de l’environnement, du monde vivant non-humain, dans les textes littéraires. D’un point de vue lato-sensu, diachronique, l’écocritique peut être perçue comme la prise en charge des questions environnementales dans l’ensemble des arts qui ont une dimension textuelle. C’est dans ce sens que l’écocritique s’intéresse au cinéma.
4Par conséquent, l’écosémiotique apparait comme l’approche théorique qui recherche et analyse les structures textuelles en relation avec le discours environnemental. L’écosémiotique s’inscrit d’un point de vue épistémologique dans l’esthétique environnementale. Celle-ci est une approche en termes de connaissance sur la représentation et la réflexion des sujets écologiques par des faits esthétiques. En d’autres termes, il s’agit de mesurer avec cette démarche de lecture, la part de l’art dans le débat sur la question environnementale. L’écosémiotique exprime la manière dont une forme de communication utilise des signes pour problématiser de façon sémiotique une réalité écologique. Il s’agit pour l’écosémiotique de s’intéresser dans le présent cas à la manière dont le cinéma médiatise le problème écologique dans toute sa dimension. Il faut dire que l’écosémiotique analyse de façon globale les textes dans une perspective écologique en prenant pour principe les divers rapports sémiotiques qui existent entre les êtres vivants par l’expression de la culture.
5Selon le découpage temporel réalisé dans notre thèse de doctorat (V. Kabre, 2020), il existe deux grandes périodes perceptibles en termes de tendance esthétique dans le cinéma burkinabè :
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De 1947 à la période post-indépendance (jusqu’aux années 2000) ;
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Des années 2000 à nos jours : « le cinéma dit de la rupture ».
6La première période marginalise le sujet écologique comme thématique de façon formelle. Un film est notable sur la question. Il s’agit de Rabi (1993, 62mn) de Gaston Kaboré qui met au centre la rencontre d’un enfant avec une tortue comme sujet central. Le registre esthétique dominant de cette période primaire est l’éthnofiction. En revanche, la deuxième période du cinéma burkinabè, à partir des années 2000, est marquée initialement par la fiction comme genre majeur. C’est aussi à cette période que les enjeux environnementaux prennent réellement forme à l’écran dans le cinéma national burkinabè. À ce titre, il faut retenir le film Tamadjan, sous-titré L’Odysée, du réalisateur Issa Traoré de Brahima, sorti en 2017. Ce long métrage de fiction attire l’attention du spectateur sur le long parcours et la durée de vie que peut effectuer un sachet plastique. Ce film sensibilise en mettant en évidence les conséquences que peuvent engendrer les déchets plastiques sur l’environnement. Somme toute, le statut filmique de l’environnement change. Deux situations se profilent en termes de topos figuratif, matérialisées dans ce schéma.
Figure 1 : Les types de discours sur l’environnement
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Il est question de topos figuratif factuel quand la nature est le simple cadre de la représentation, le lieu d’actions. En ce sens, elle entretient l’illusion référentielle, l’illusion réaliste. Quant au topos figuratif matriciel, il fait référence à la nature comme épicentre de la narration filmique. Elle est l’objet du discours filmique et le moteur de l’histoire. De ce fait, les films de notre étude relèvent du « topos figuratif matriciel ». Avec ces films, l’interrogation porte sur des problèmes vitaux et de développement durable, avec comme épicentre l’environnement. L’humain et le non-humain sont en conjonction dans cette narrativité qui problématise l’écosystème. La synthèse des textes filmiques en témoigne.
8 La Forêt du Niolo est un film de fiction du réalisateur burkinabè Adama Rouamba. Long de 1 heures 27 minutes, ce film est projeté pour la première fois en 2017 au Fespaco. Cette création a remporté le prix du meilleur scenario à cette 25e biennale du cinéma africain. Dans le contenu, Kari est un village de la région de Niolo, convoité pour sa forêt. Pour cause, elle regorge de trois ressources minérales (eau, pétrole et gaz) que Kader Traoré veut à tout prix exploiter. Nathanaël et Aicha, les environnementalistes de l’ONG « Nature verte », s’opposent au projet et proposent l’exploitation du gisement d’eau. Une bataille en sourdine entre les deux clans déclenche les péripéties du récit filmique. Pour arriver à bout de son projet, Kader Traoré orchestre l’empoisonnement du lac du village. Il est retrouvé en fin de film, mort à son domicile, à la suite d’une marche de contestation des femmes.
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9L’exploitation d’un gisement d’or à Kalsaka6 suscite de l’espoir chez les populations autochtones de la localité. Mais les longues années d’exploitation finissent par faire déchanter les habitants de la localité. S’ensuit alors la fermeture de la mine. L’heure est désormais au bilan. Les promesses d’antan laissent place à la dégradation des sols cultivables, à la pollution de l’eau et à des engagements sociaux non respectés. Tout compte fait, on peut retenir que ce film de 80 minutes, long-métrage documentaire7 de Michel K. Zongo8, sorti en 2019, a reçu de nombreuses distinctions à travers le monde, parmi lesquelles, une mention spéciale du jury à la 30e édition des Journées cinématographiques de Carthage 2019 (JCC).
10Le constat qui se dégage des synthèses des deux films est qu’ils forment une filmographie écologique.
11Le tableau de présentation ci-dessous des deux films permet une mise en parallèle de laquelle se dégagent les points de convergence qui fondent leur choix comme corpus d’étude propice à une herméneutique écocritique.
Tableau 1 : Identification des films
Films
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Année
de sortie
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Réalisateur
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Genre
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Durée
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La Forêt du Niolo
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2017
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Adama Rouamba
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Fiction
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LM (1h27mn)
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Pas d’or pour Kalsaka
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2019
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Michel Zongo
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Documentaire
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LM (1h20mn)
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Il faut retenir que sur le plan formel, le corpus présente des éléments de ressemblance tels que la proximité temporelle de leur date de sortie, des réalisateurs d’une même génération, des durées filmiques d’une même classe. Tout de même, une chose qui n’est pas visible dans le tableau mais qui est fondamentale est la relation thématique, c’est-à-dire que les contenus investis renvoient à l’idée des rapports entre l’homme et son environnement. Par contre, sur le plan générique, ces films présentent des dissemblances : le premier est une fiction audiovisuelle, alors que le second est un documentaire. L’un se conçoit à partir de l’imaginaire créatif. L’autre est un travail sur la réalité. Au demeurant, ces deux films n’échappent pas esthétiquement à l’effet du réel.
13Cependant, il ne faut perdre de vue que leur dénominateur commun est la dimension écologique : l’un configure une écologie portant sur la gestion du couvert végétal, (La Forêt du Niolo, 2017) et l’autre sur la gestion de mineraie (Pas d’or pour Kalsaka, 2019).
14En substance, ces deux films résument le point de vue d’A. Romestaing et al. (2015) sur la question suivante : « quels sujets pour les textes écopoétiques ? ». La réponse des auteurs précités est que l’écocritique: « s’exprime pour l’ensemble des règnes minéral, animal, végétal… » (Romestaing et al., 2015 : 4). Ces films en question s’inscrivent dès lors dans une sorte de germination d’un environnement qui se prête à une écocritique, tel que le démontre le schéma suivant :
Figure 2 : Dimension écocritique
15Nous partons du postulat de Vignola (2017 : 23) que « dans une perspective écosémiotique, l’environnement social, culturel, émotif et affectif d’un individu humain est constitué, au même titre que son environnement physique, par un ensemble de signes ». Autrement dit, l’état de l’environnement physique peut influer sur le cours de l’environnement émotionnel. Comme conséquence, l’humain va produire des récits codifiés de signes pour traduire ses inquiétudes. Il va sans dire que ces deux films qui alertent sur les défis environnementaux sont construits par des univers discursifs desquels se dégagent des perspectives intermédiale, interdiscursive et interartiale.
16L’intermédialité, en tant que concept d’analyse sémiotique, a été inventée par Jurgen Ernst Müller à la fin des années 1980 pour l’analyse sémiotique des objets signifiants. L’intermédialité s’intéresse à la relation entre les médias à l’intérieur d’une œuvre. Elle est également une approche qui se penche sur l’intérêt des médias dans les processus d’énonciation. Au sujet de l’intermédialité, L. Herbert (2014 : 123) énonce qu’elle est « le milieu en général dans lequel les médias prennent forme et sens ». Elle s’applique à rechercher le sens qui découle de la relation et de l’interaction entre les médias à l’intérieur d’une œuvre.
17Dans le présent point de l’analyse, il s’agit d’interroger une relation transtextuelle qui porte sur une question écologique : la mise en abyme. Dans le lexique du cinéma, Journot (2002 : 77) explique que « La mise en abyme est indissociable du procédé du film dans le film, dans la mesure où le second film s’inscrit comme le reflet du film premier ».
18Dans La Forêt du Niolo, la télévision garde son rôle traditionnel de média audiovisuel. Un statut qui lui permet d’emprunter expressivement les mêmes procédés de diffusion de la toile de cinéma à travers l’écran, cette surface plane qui réfléchit les images du projecteur cinématographique. Le réalisateur Adama Rouamba donne une place particulière à ce média en se fondant sur son statut de mass-média, capable d’informer des milliers de personnes dans un laps de temps et partout à la fois. Si pour le spectateur, la présence de la télévision dans l’écran de la salle de cinéma relève des effets optiques du montage, elle peut aussi révéler à la fois l’ingéniosité de l’organisation spatio-temporelle et signifiante du récit filmique en cours. En réalité, pour le spectateur du film, ce sont des plans de vues aériennes consécutives qui assurent la liaison entre des deux espaces distincts que sont Kari (lieu où se trouve la forêt du Niolo) et la capitale, lieu où se joue l’avenir de la forêt du Niolo. Pourtant, du point de vue intradiégétique, la distance ville-village ou encore capitale-Kari voire Niolo est mise en conjonction visuellement par la mise en abyme. Dans le récit filmique, les habitants de Kari, loin de la ville, suivent l’évolution du projet d’aménagement de la vallée du Niolo, supposée être un gisement de gaz et de pétrole, à travers le petit écran. La stratégie artistique adoptée par la réalisation du film est de placer fréquemment le petit écran dans le grand écran.
- 9 Le film Pas d’or de Kalsaka de Michel Zongo recourt également à la mise en abyme.
19Le petit écran (de la télévision) joue également une fonction d’alerte et d’information à l’intérieur du film, l’univers fictif primaire. Le grand écran (du film) assure cette mise en scène par le jeu de la narration. La mise en abyme est dans ce film un dispositif à la fois artistique, intermédial et cinématographique. Elle assure dans la présente situation filmique la médiation et la hiérarchisation entre narration globale, le film qui inclut, au travers de la télévision, des informations conjoncturelle et épisodique. Deux formes de communication s’entremêlent ici. Cette stratégie de mise en abyme9 demeure un procédé de narration majeure dans le film d’Adama Rouamba. C’est à partir de la télévision que la mise en intrigue de la tension narrative et son développement découlent. En témoignent ces occurrences dans le domicile des personnages aux sphères d’actions aux intérêts opposés :
- 10 C’est cette partie de reportage télévisuel qui informe sur la mort et à l’arrestation des assassins (...)
la télé chez l’ex-ministre Kader Traoré [03 :40- 04 :10]
- la télé chez le couple Nathanaël-Aicha [38 :40-39 :44]
- la télé au village chez Delanoë [1 :12 :47 -1 :13 :15]10
20Par ailleurs, les apparitions récurrentes de ce média modulent et cadencent des évènements principaux dans le film qui, en toile de fond, tiennent simplement de l’écriture du scénario. En guise d’illustration, les séquences suivantes sont pertinentes :
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cadrage de poisson mort : exposition du problème ;
-
reportage-télé sur l’arrestation des assassins de Nathanaël : climax du scenario.
21Tout de même, il faut relever que l’incorporation du média télévisuel est notable à des fréquences régulières, et cela n’est pas sans conséquence d’un point de vue significatif dans ce récit audiovisuel. Les fonctions attribuées généralement à un tel média dans ledit contexte comme le reportage de Nathanaël sur la mort des poissons dans leur biotope qu’est l’eau, relèvent de plusieurs champs. La caméra renvoie au spectateur ici, primo, l’information ; secundo : la narration ; tertio : la description. La narration, elle, participe de la manière de raconter et structurer le récit filmique d’Adama Rouamba d’un point de vue formel. En ce sens, la caméra sert d’auxiliaire du récit puisqu’il est vu dans le champ des actions, tenue à la main par un acteur qui exécute une partie de l’écriture filmique. Ce jeu narratif peut détourner l’attention du spectateur passif puisqu’il renforce le processus de vraisemblance. Sous l’angle psychologique, le spectateur est à un niveau primaire de perception, il a l’impression que le film ne relève plus d’une illusion référentielle, c’est-à-dire une imitation de la réalité avec un pseudo monde. La technique du film dans le film est une tendance pour effacer les marques de la narration. En effet, la réalisation du film opte pour une focalisation interne par le biais de la télévision comme objet de l’intermédialité. Pour Gaudreault et Jost (2000 : 128-129), le récit à focalisation interne présente la configuration suivante : « le récit fait connaitre les évènements comme s’ils étaient filtrés par la conscience d’un seul personnage ». Deux points de vue se superposent, celui du réalisateur qui n’est visible qu’à l’écran, tandis que celui du reporter-télé est présenté à l’intérieur du film dans son processus de conception des images en aval.
22Les deux séquences ci-dessous illustrent cette idée :
Photogramme 1 : Image en temps réel dans le film
Photogramme 2 : Mise en abyme, résultat du travail du journaliste reporter
- 11 André Gaudreault définit la narratologie intermédiale en ces termes : « ce type de narratologie qui (...)
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Cette organisation intermédiale du récit engage de façon naturelle une dimension narratologique. Il s’agit-là d’une « narratologie intermédiale »11 au sens de Gaudreault. À cet effet, celui-ci affirme que « le cinéma a d’ailleurs la narrativité si bien chevillée au corps que l’on n’est jamais très loin de la narratologie dès qu’on l’aborde » (Gaudreault, 1999 : 139). Sous l’angle historique du concept d’intermédialité, Müller (2000 : 108) précise : « D’ailleurs, l’intermedium ne désigne pas à l’origine une fusion de différents médias, mais un phénomène narratologique ».
24Dans la deuxième posture, ce document audiovisuel veut répondre à une question : de quoi s’agit-il ? Ce qui saute aux yeux des spectateurs immédiatement, c’est la situation létale dans laquelle se trouvent ces organismes vivants. Enfin, ces mêmes images ont une valeur de description puisqu’au moment de la diffusion, il n’y a pas d’action sur le plan scénique. En effet, elles donnent à voir le paysage aquatique, le nombre approximatif des poissons non vivants, voire le type de ces animaux concernés…
25Tout compte fait, l’instrumentalisation de la télévision dans le processus narratif de ce film est d’une telle prégnance dans ce long-métrage que l’on compte au moins deux médias différents notables dans le récit fictif. Il s’agit de « Africa TV News » et « Canal Info TV ». Si la télé est le média par lequel l’intermédialité se recrée le plus dans ce film d’Adama Rouamba dont l’histoire globale ne cesse de rappeler la nécessité d’une exploitation judicieuse et rationnelle des ressources halieutiques, il faut noter qu’à côté de ce média de la modernité, un autre instrument joue sa partition dans l’expression des conséquences de la dégradation de la sphère aquatique par l’homme. Le son hors champ du tam-tam dans le film La Forêt du Niolo est annonciateur de la mort ! [56 : 31-56 : 38]. Les propos du personnage Delanoë sont corrélatifs au son du tambour : « encore, un décès ». Si le film d’Adama Roamba accorde une place mineure au retentissement du tam-tam en termes d’intermédialité, celui de Michel K. Zongo lui accorde une place centrale.
- 12 Le western est intrinsèquement un film de fiction qui raconte la conquête de l’Ouest aux Etats-Unis (...)
26Le concept de N’zassa, forgé par Jean Marie Adiaffi, est défini comme une sorte de « métaphore de l’hybridité générique », selon Tro Dého (2009). En réalité, cette hybridité se traduit par un mélange de genres/types discursifs. L’interdiscursivité se présente alors, à l’image du N’zassa, comme une combinaison entretenue par un dialogue entre deux genres artistiques institutionnellement distincts. Il s’agit à ce niveau de montrer que par le truchement de l’interdiscursivité, le réalisateur brise les frontières entre le documentaire et la fiction par moments avec la note du western12 dans sa création.
27Comme déjà mentionné plus haut, la dichotomie entre la fiction et le documentaire se construit sur la modélisation du réel. En ce sens, le documentaire apparait dès lors comme de la non-fiction. Or, dans le film Pas d’or pour Kalsaka (2019), le registre documentaire contient des séquences de création imaginaire telles que des motifs du western. Le réalisateur annonce la couleur sur cette représentation dans son discours filmique déjà en voix in dans le pré-générique du film [01 : 35-01 : 38]. Les images de ces trois cowboys prises dans leurs randonnées et chevauchées sont une sorte de symbolisation qui rencontre l’idée des « trois mousquetaires » qui pillent les ressources de Kalsaka. Cette image des exploitants, acteurs d’un libéralisme sauvage, épouse le point de vue de Michel Zongo sur la question minière dans ce contexte filmique. Derrière cette image, se profile l’idée d’acteurs armés défendant bec et ongles leurs intérêts économiques. À partir de sa subjectivité évidente, le réalisateur choisit le documentaire pour construire un plaidoyer.
Photogramme 3 : Séquence de création du western
28Après avoir identifié la relation entre les médias, les genres cinématographiques, il s’agit à cette étape de se focaliser sur le rapport entre les arts ou les procédés artistiques à l’intérieur de ces films. Au sujet de l’intermédialité, Ouédraogo (2022 : 207) écrit : « Si des médias peuvent se croiser et s’entrecroiser dans une œuvre, les arts ne sont pas en reste. Walter Moser a créé le concept d’interartialité au cours des années 2000 pour répondre de l’effectivité du mélange des arts ».
29Avec La Forêt du Niolo (2017), le réalisateur opte pour cette approche interatiale dans les quinze dernières minutes de son film. Cette séquence finale présente des femmes qui se dirigent vers le domicile de Kader Traoré, un homme qui veut à tout prix exploiter les ressources de la forêt du Niolo contre vents et marées. Cette volonté farouche d’exploiter la vallée du Niolo entraine des morts par empoisonnement. Les femmes, dans ce film, n’ont plus de mots, devant ce drame humain en cours au village, doublé par le meurtre du journaliste Nathanaël. Il ne leur reste que l’art verbal, comme l’a conçu la scénarisation du film, le chant de la revendication, de la contestation, de la dénonciation est un épisode qui se trouve dans les moments de résolution du conflit qui oppose, depuis le début du film, Kader Traoré au village du Niolo.
30Le chant des femmes, repris en chœur, dans cette partie du film, n’est pas une musique décorative. Il porte leurs aspirations. En termes d’intermède musical, ce chant apparait dans la trame narrative globale. C’est un chant funeste chanté d’abord en soliloque dont le refrain est ensuite repris en chœur dans la suite de son exécution par les autres femmes en direction du domicile de l’ex-ministre Kader Traoré [1 : 21: 00 -1 :25 : 09]. Au cours de cette procession, les femmes s’expriment par sublimation, elles « ouvrent leurs pagnes » devant la réticence des forces de l’ordre armées qui leur interdisent le passage vers le domicile de Kader Traoré. Cette gestuelle est une inscription métaphorique qui, d’un point de vue référentiel, porte à croire qu’elles ont préféré apparaitre dans leurs tenues d’apparat de dame Nature pour défendre le sort de la nature à Niolo, dans le film.
31De même, avec le film Pas d’or pour Kalsaka (2019), Michel Zongo met en évidence la fonction de lanceur d’alerte et d’activiste. Il affecte à ce rôle dans son film une résonnance africaine avec la séquence de l’homme au tambour d’aisselle.
Photogramme 4 : l’homme au tambour d’aisselle
32Dans l’Afrique traditionnelle, les signaux de ces objets sont une science. Dans ce cas précis de crise relatée par le film de Michel Zongo, il s’agit de dire aux adeptes du cinéma négro-africain que rien ne va. Un tel langage reste à décrypter à l’intérieur d’un autre langage dit moderne qui le porte. Une posture qui justifie le fait que le langage tambouriné est un discours sans conteste de l’art négro-africain.
33L’analyse des films qui abordent la question écologique s’inscrit dans une perspective écosémiotique. Celle-ci se déploie à partir de plusieurs dispositifs discursifs. Dans le cas de la présente étude, il s’agit de l’intermédialité, l’interdiscursivité et l’interatialité. De l’intermédialité, il y a le recours au média télé ; de l’interdiscursivité, il y a la mise en scène du western principalement ; de l’interatialité, le chant et le tambour parleur. Ce sont ces différentes relations transtexuelles qui donnent de l’étoffe au récit écologique. Elles créent un environnement intersémiotique qui s’articule autour de la prise en compte de l’écologie dans ces films. Elles sont à la limite dans une sémiosphère puisque le discours sur l’écologie se construit en se fondant sur des pratiques et formes d’expression culturelle africaine et sur le plan formel des canons cinématographiques de l’Occident. Or dans le cas de l’Afrique, il est notable que la plupart des discours ontologiques mis en scène relèvent aussi de l’art, d’où la difficulté à fixer des frontières rigides entre ces théories d’analyse textuelle, employées dans ce cadre. Les concepts d’intermédialité, d’interdiscursivité et d’interatialité n’appartiennent-ils pas à une même souche théorique : la sémiotique?