1Deux hommes déambulent dans les rues vides de Dublin. Il est entre une heure et deux heures, au cours de la nuit qui suit le 16 juin 1904. Les deux hommes reviennent du quartier des bordels. Le premier, Leopold Bloom, la quarantaine, rentre chez lui pour retrouver son épouse ; le second, Stephen Dedalus, la vingtaine, le raccompagne. À propos des personnages composant ce « duumvirat » (Joyce, 2006 : 988), le narrateur précise d’emblée leur rapport ambivalent à leur île : « Tous deux préféraient le genre de vie continental plutôt qu’insulaire, un lieu de résidence cisatlantique plutôt que transatlantique. » (ibid. : 989)
2Ainsi commence l’épisode 17 d’Ulysse de James Joyce. L’opposition entre mode de vie continental et mode de vie insulaire n’arrive pas ici par hasard : dans la vaste transposition de l’Odyssée que constitue Ulysse, cet épisode correspond au retour à Ithaque, au moment où le héros s’apprête à retrouver son îlot conjugal. La présente occurrence du mot « insulaire » (insular, Joyce, 1986 : 544) est d’autant plus importante qu’elle est unique dans le roman : nulle part ailleurs l’adjectif n’apparaît, se retrouvant lui-même dans la position d’une île perdue parmi les quelque 265 000 mots d’Ulysse. Pourtant, la question de l’insularité peut être abordée dans l’œuvre comme un problème géographique, esthétique et, enfin, politique.
3La première interrogation qu’elle entraîne est la suivante : quelle est la place de l’Irlande en Europe ? La citation liminaire oppose le continental à l’insulaire, mais aussi le cistatlantique au transatlantique, autrement dit aux États-Unis, terre d’émigration pour plus de cinq millions d’Irlandais entre 1845 et 1914. Bloom et Stephen se sentent européens ; ils ne rêvent pas du Nouveau Monde. Mais qu’est-ce qui rattache à l’Europe quand on vit sur une île ? Et même sur une île, l’Irlande, colonisée par une grande puissance elle-même insulaire, l’Angleterre.
4Ensuite, si l’on considère l’antagonisme insulaire/continental du point de vue de la création littéraire, la deuxième question est celle des modèles à suivre. Qui est le grand modèle de la littérature européenne ? Joyce se l’est demandé dès ses années de licence et plus encore quand il se met à écrire, à l’instar de Stephen, son alter ego romanesque. Est-ce Homère ? Cette solution semble toute désignée. Pourtant, elle a été paradoxale, nous le verrons.
5Enfin, il faut revenir à la situation initiale de cet épisode 17 afin de ne pas perdre de vue qu’il y a deux personnages distincts. Et l’incipit du chapitre insiste d’emblée sur leur différence : « Quelles routes parallèles Bloom et Stephen suivirent-ils en rentrant ? » (Joyce, 2006 : 988) Les deux hommes marchent ensemble, mais chacun reste sur sa propre trajectoire. Il n’y a pas d’intersection possible. Chacun reste isolé. Pourquoi ? Il y a une raison qui m’intéressera plus spécialement. Bloom se caractérise par une forme d’isolement hyper-distinctive, voire ségrégative : il est juif. Du fait de cette judéité, il devient une île à la dérive, en butte aux vexations et aux menaces. La question devient pour lui : comment être juif à Dublin ?
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6L’Irlande se présente comme une périphérie océanique de l’Europe. Caractérisée par son éloignement, elle demeure rattachable au reste de l’entité européenne. Dans Ulysse, deux termes concurrents désignent l’île : isle et island. Island, hérité du germanique, apparaît avant 1150, en vieil anglais. Au contraire, isle est un emprunt plus tardif au français, apparaissant seulement en moyen anglais. La plus ancienne occurrence dans l’Oxford English Dictionary date de 1290. Dans les deux cas, naturellement, une seule traduction s’impose en français. Le mot isle, quand il désigne l’Irlande à l’intérieur d’Ulysse, apparaît une fois dans la locution « île des saints » (Isle of saints, Joyce, 1986 : 34) et une autre dans l’expression « île des soifs terribles » (isle of dreadful thirst, ibid. : 34). Island est employé une fois dans la locution « Île des saints et des sages » (Island of saints and sages, ibid. : 277) et à une autre reprise dans le syntagme « l’île natale » (the home island, ibid. : 513). Les autres occurrences faisant référence à l’Irlande s’insèrent dans les groupes nominaux « l’île » (the island, ibid. : 6, 282, 327, 328) ou « notre île » (our island, ibid. : 281, 327). L’équilibre est donc subtil. D’un côté, island semble l’emporter par son emploi majoritaire dans le roman ; de l’autre, isle a l’avantage de surgir dès le chapitre d’ouverture et, qui plus est, dans des expressions folklorisantes.
7L’une de ces expressions, « île des saints et des sages », avait déjà servi de titre à une conférence écrite et prononcée en italien par Joyce à Trieste en 1907, L’Irlanda : Isola dei Santi e dei Savi. La vision qu’il offre de l’île encore colonisée a de quoi horrifier :
Les conditions économiques et intellectuelles qui sont en vigueur dans [le] pays ne permettent pas le développement de la personnalité. L’âme du pays est affaiblie par des siècles de luttes inutiles et de traités rompus, l’initiative individuelle paralysée par l’influence et les admonitions de l’Église, tandis que le corps est enchaîné par les sbires, les douaniers et la garnison. Une personne qui se respecte ne veut pas rester en Irlande mais fuit au loin, comme d’un pays qui a été visité par un Jéhovah courroucé. (Joyce, 1982 : 1023)
8Fuir cette île, c’est précisément ce que l’auteur a déjà fait quand il prononce ces lignes dans lesquelles le sentiment anticolonial et l’anticléricalisme sont manifestes. En octobre 1904, Joyce avait obtenu un poste de professeur à l’École Berlitz de Zurich. Il quitte l’Irlande avec Nora, exerce d’abord à Pola, en Istrie, avant d’être nommé à Trieste en mars 1905. Commence un exil aussi long que le reste de sa vie. Trieste, Rome, Trieste à nouveau, Zurich pendant la Grande Guerre, Paris de 1920 à 1939. Après 1904, Joyce ne fera plus que des séjours brefs en Irlande : il s’ancre dans le continent européen et il choisit Paris comme lieu de résidence.
9Le premier épisode d’Ulysse fournit une autre clef pour comprendre cette fuite. Rappelons-nous : l’action se déroule le 16 juin 1904, quelques mois avant que Joyce, qui se projette dans Stephen, ne quitte l’île. Or, dans le chapitre inaugural, le jeune poète et son colocataire Buck Mulligan se plaignent de l’état de l’Irlande. Stephen commence par comparer l’art irlandais au « miroir fêlé d’une servante » (Joyce, 2006 : 14). Et Buck d’ajouter : « Bon Dieu, Kinch, si toi et moi on pouvait seulement travailler ensemble on arriverait peut-être à faire quelque chose pour l’île. L’helléniser. » (Ibid. : 15) L’Irlande serait ainsi la dernière partie de l’Europe à ne pas avoir subi l’influence de la Grèce. Le projet de Buck s’entend d’un point de vue culturel, mais l’emploi du mot « île » (island) convoque une rêverie géographique : il s’agit de jeter une chaîne à travers l’Europe pour relier l’Irlande à la myriade d’îles qui composent la Grèce.
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10Ce souhait d’helléniser l’île résonne plus particulièrement dans le domaine de la création littéraire : Buck propose à Stephen un chemin à suivre dans sa quête esthétique. Cette voie est paradoxale pour son temps : elle va contre la doxa du renouveau gaélique amorcé à la fin du xixe siècle. Or Joyce n’a jamais adhéré à ce mouvement et n’a pas pu bénéficier des effets de réseau qui en ont découlé. En 1904, par exemple, il est refusé dans une anthologie de jeunes poètes lyriques irlandais intitulée New Songs (Joyce, 1982 : cxiii).
11Mais l’injonction de Mulligan est rendue vaine par un obstacle majeur : Stephen ne sait pas le grec. Comment donc pourrait-il helléniser l’Irlande sans avoir appris le grec ancien chez ses maîtres jésuites ? C’est Mulligan qui nous l’apprend et qui se fait fort de lui enseigner cette langue ancienne : « Ah, Dedalus, les Grecs. Il faut que je t’apprenne. Il faut que tu les lises dans l’original. » (Joyce, 2006 : 12) Cette ignorance est d’autant plus ironique que Stephen Dedalus est, par son prénom et son nom mêmes, un personnage grécisé (Stéphanos Daídalos). Là encore, Mulligan ne manque pas de le souligner : « Quelle dérision, fit-il gaiement. Ton nom absurde, un Grec ancien. » (ibid. : 10) Un Grec ancien qui ne connaît pas le grec : on peut espérer mieux pour rattacher l’Irlande à la Grèce antique.
12C’est que chez Joyce lui-même l’hellénisme a suivi des voies tortueuses. En 1902, des témoins de sa vie rapportent que Joyce ne s’intéresse pas du tout à Homère. Il considère que les poèmes épiques grecs ont précédé l’Europe et restent à ce titre en dehors de la culture européenne. Pour le jeune Joyce, c’était La Comédie de Dante qui avait donné à l’Europe son épopée de référence. Dans un carnet de notes de jeunesse, il va jusqu’à décrire l’hellénisme comme « l’appendicite de l’Europe » (Ellmann, 1962 : 119).
13Pourquoi Joyce décide-t-il ensuite de prendre l’Odyssée comme plan de base de son roman entamé en 1914 ? Il choisit Homère à cause d’Ulysse, le seul personnage, selon lui, qui ait jamais été décrit de façon complète et intégrale dans toute la littérature européenne (Budgen, 1975 : 18-19). Ulysse est le fils de Laërte, mais il est aussi le père de Télémaque, le mari de Pénélope, l’amant de Calypso, le compagnon des guerriers grecs autour de Troie. Ulysse incarne l’homme complet. Et dans cette complétude se retrouve l’insularité : en tant que roi d’Ithaque, Ulysse est un pur insulaire. Mais Bloom, la version joycienne d’Ulysse, est un insulaire complexe : irlandais par sa naissance, juif par son ascendance hongroise. Selon l’expression facétieuse de Declan Kiberd, Bloom est un work in progress du point de vue de la nationalité. Il se cherche, il erre entre deux points : l’héritage hongrois et le devenir irlandais (Kiberd, 2010 : 82). C’est un être transitoire.
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14Pourquoi Joyce a-t-il ainsi fait d’un juif le héros de son odyssée abrégée ? Je reformule la question autrement : Bloom est-il l’être insulaire par excellence parce qu’il est juif ? Ce Bloom qui, faisant les frais de divers glissements onomastiques, comme le remarque Derek Attridge (Attridge, 2000 : 56-57), se transforme par exemple en Bloomusalem dans l’épisode de Circé (Joyce, 1986 : 395 ; Joyce, 2006 : 708). Pour ce dernier temps de la démonstration, il faut revenir aux occurrences du mot « île » évoquées en première partie. À l’échelle du roman, ces occurrences sont rares. Or à quatre reprises, la notion d’île est concomitante à la notion de judéité.
15Dans le chapitre inaugural, alors que Stephen et Buck préparent leur petit-déjeuner, la laitière passe :
— C’est une bien belle journée, monsieur, dit-elle. Que Dieu en soit loué.
— Qui donc ? dit Mulligan en lui jetant un coup d’œil. Ah, oui, assurément.
Se penchant en arrière, Stephen prit le pot au lait dans le placard.
— Les insulaires, fit Mulligan négligemment à l’adresse de Haines, parlent fréquemment du collecteur de prépuces. (Joyce, 2006 : 23-24)
16Quel Dieu collecte les prépuces ? Celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et les fervents catholiques que sont les Irlandais partagent en effet le même Dieu. Mais le catholicisme n’est pas le judaïsme. Cette périphrase résonne à la fois comme une raillerie à l’égard de la pieuse laitière et comme un trait d’esprit antisémite. Pour Mulligan, qui rêve d’helléniser l’Irlande, l’île et ses insulaires (islanders, Joyce, 1986 : 12) seraient peut-être plus civilisés si les juifs n’avaient pas inventé le Dieu unique. Cette interprétation est corroborée dans l’épisode 9, quand Mulligan et Stephen voient passer Bloom à la Bibliothèque nationale :
— Le youpin! s’écria Buck Mulligan.
Il bondit et saisit la carte.
— Comment s’appelle-t-il ? Youdi Moses ? Bloom.
On ne pouvait plus l’arrêter
— Jéhovah, collecteur de prépuces, n’est plus. Je suis tombé sur lui au musée où j’étais allé saluer Aphrodite, née-de-l’écume. La bouche grecque que la prière n’a jamais déformée. (Joyce, 2006 : 292-293)
17L’occurrence est probante. La conception d’un Dieu conçu comme « collecteur de prépuces » s’accompagne d’un puissant préjugé antisémite. Et, surtout, ce Dieu est mort ! Au profit du culte grec d’Aphrodite, auquel même Bloom participe en admirant la déesse au musée.
18Passons au deuxième lieu du roman où les thèmes de l’île et du juif s’entremêlent. Il s’agit d’une anecdote racontée dans l’épisode 6 par des personnages en route pour un enterrement dans une voiture à cheval. Parmi eux se trouve Bloom. L’anecdote est la suivante : un batelier du nom de Ruben voulait envoyer son fils sur l’île de Man pour l’empêcher de compromettre l’honneur de sa petite amie. Le père conduit en barque son fils jusqu’au quai du départ, le fils saute à l’eau. Il est repêché par un autre batelier, auquel le père donne un florin d’argent. Un des personnages conclut que c’est un shilling huit de trop. Comprendre : la vie du fils Ruben valait juste quatre pence. L’anecdote est construite comme une histoire drôle, presque comme une blague juive, mais elle se retourne in extremis en blague antisémite parce que Bloom ne parvient pas à s’imposer dans le récit choral de l’anecdote. Le récit de la blague tend vers une chute dirigée contre lui. Elle est destinée à l’isoler comme membre allogène de la société dublinoise. L’anecdote de Ruben le batelier marque un glissement du thème de l’île vers l’idée d’une insularité sociale et politique du juif, tout simplement parce que sa vie ne vaut rien aux yeux des autres hommes.
19Cet épisode prépare le passage au cours duquel Bloom est publiquement confronté à l’authentique violence antisémite. La scène, parmi les plus célèbres du roman, se déroule dans l’épisode 12 : à l’intérieur d’un pub, le héros est aux prises avec un groupe de nationalistes dont le plus virulent est un borgne appelé « le citoyen ». Il représente à la fois le cyclope d’Homère et la figure du nationaliste irlandais, le partisan de la devise Sinn Fein. Comme dans les deux exemples précédents, la judéité se retrouve associée à l’île :
— C’est pas un cousin de Bloom le dentiste ? dit Jack Power.
— Rien à voir, dit Martin. Ils ont le même nom, c’est tout. Lui il s’appelait Virag. Le nom de son père qui s’est empoisonné. Il a obtenu d’en changer par acte sous-seing privé, le père.
— C’est ça le nouveau Messie de l’Irlande ! s’exclame le citoyen. Île des saints et des sages ! (Ibid. : 485)
20Bloom n’est pas seulement un Christ outragé de parodie ; c’est un Ulysse qui n’est pas le bienvenu sur sa propre île. Parce qu’il est juif, le citoyen refuse de l’inclure dans la communauté insulaire assimilée à une communauté nationale :
— Quelle est votre nation, sans vouloir être indiscret ? demande le citoyen.
— L’Irlande, dit Bloom. Je suis né ici. L’Irlande.
Le citoyen n’a rien répondu, il s’est contenté de se racler ce qui lui restait dans le gosier et putain, il a envoyé un mollard gros comme une huître direct dans le coin. (Ibid. : 476)
21Dans le texte original (Joyce, 1986 : 272), l’huître qui sert de comparant au crachat du citoyen n’est pas une huître comme une autre : ce crachat est gros comme une de ces huîtres qu’on sert au Red Bank, un restaurant réputé de Dublin. Or Bloom est passé devant quelques chapitres plus tôt, alors même qu’il se trouvait dans cette voiture à cheval où il faisait déjà les frais de l’anecdote sur le fils Ruben.
22À propos de ce passage fameux, Jean-Michel Rabaté signale que l’ironie des clients du pub met bien sûr en évidence la naïveté de la définition du concept de nation formulée par Bloom : « Une nation ? fait Bloom. Une nation c’est les mêmes gens qui vivent au même endroit. » (Joyce, 2006 : 476). Mais la posture agressive du citoyen et de ses acolytes révèle surtout les insuffisances flagrantes du discours nationaliste centré sur la race et le sang (Rabaté, 2001 : 31-34). Pour Philippe Zard, c’est carrément l’identité mouvante de Bloom qui permet à Joyce de penser les spécificités de l’Irlande en tant que nation en quête d’elle-même :
La judéité de Bloom, toute problématique qu’elle se présente à lui-même et aux autres – voire en raison même de sa problématicité –, est le levier dont le romancier se sert pour créer du jeu dans l’espace cohésif et insulaire de l’identité irlandaise. (Zard, 2018 : 168)
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23Comment s’enfuir d’une île où l’on se sent menacé ? S’agissant de Joyce lui-même, la première partie l’a expliqué. Il choisit l’exil volontaire, même s’il considérait que Dublin était la ville la plus proche du continent, assez ancienne pour être perçue comme une capitale européenne, mais suffisamment petite pour constituer un tout autonome (Gibbons, 2015 : 24). S’agissant d’Ulysse, tout le monde sait comment le héros trompe et humilie Polyphème. Et s’agissant de Bloom ? Joyce le fait s’échapper du pub par une apothéose héroï-comique au cours de laquelle le personnage sautant dans une voiture à cheval est transfiguré en Élie sur son char de feu montant au ciel. Mais cette ascension, précisément, ne se fait pas sans une ultime mention de l’île :
Les effets de la catastrophe furent instantanés et terrifiants. L’observatoire de Dunsink enregistra onze oscillations en tout, toutes d’intensité cinq sur l’échelle de Mercalli, et pareille secousse sismique se s’était pas produite dans notre île depuis 1534, l’année de la rébellion de Thomas le Soyeux. (Joyce, 2006 : 493)
24Par cet effet d’acmé, le passage parachève l’entrelacement du thème de l’île et du concept de judéité. Au-delà de cet extrait, en effet, les occurrences restantes des termes isle et island ne sont plus corrélées à la question de l’être-juif. Le phénomène de concomitance que le présent article s’attache à démontrer se concentre donc essentiellement entre l’épisode 1 et l’épisode 12, qui tranche la question. Bloom reste marginal au sein de la communauté nationale insulaire, forgée autour du « paysan catholique irlandais » (the Irish catholic peasant, Joyce, 1986 : 524). Mais remarquons avec Declan Kiberd, pour terminer, que cette conception étroite est critiquable et que Bloom donne une définition bénéfique de la nation conçue comme un ensemble admettant la diversité des personnes à l’intérieur de cet ensemble (Kiberd, 2005 : 312-313). Pour employer un terme à la fois agricole et sociopolitique, l’Irlande n’est pas une monoculture. Le plus grand défi lancé par l’Ulysse de Joyce ne consiste pas à faire de Bloom, au terme de son voyage, un insulaire comme les autres. Le défi consiste plutôt à penser « l’île des saints et des sages » comme une société pluriculturelle, à l’image de Bloom l’errant.