1D’après Saint Thomas d’Aquin, l’homme est à la fois particulier et une personne unique et irremplaçable. Ce double caractère apparaît dans le sentiment des penseurs hongrois par rapport à la situation géopolitique de la Hongrie. Herder, le philosophe allemand, prédit au xviiie siècle la mort des peuples qui ne sont pas reliés avec la mer, qui se retrouvent isolés à l’intérieur du continent. Cette prédiction laisse une trace ineffaçable dans l’imaginaire hongrois. Ces images de l’isolement géographique et linguistique y deviennent les bases des mythes collectifs et personnels de l’identité. Ces mythes sont justement des invariants puisqu’ils sont identifiables et gardent, à travers les transformations et modifications, leur caractère essentiel. C’est grâce à cette dimension universelle de la condition insulaire que l’image de l’île peut apparaître dans la littérature d’un pays dont la situation géographique exclurait la possibilité d'une île.
2Pour comprendre la mentalité hongroise insulaire qui se forme depuis deux siècles à partir de ce sentiment d’isolement « au milieu de l’Océan des peuples européens », il nous paraît révélateur d’esquisser un très bref aperçu sur les conceptions politiques de la Hongrie issues de sa situation géographique et géopolitique.
- 1 Les citations issues des œuvres hongroises sont traduites en français par l’auteure de la présente (...)
3Un des poètes les plus influents de la première moitié du xxe siècle hongrois, Endre Ady, introduit, grâce à son magnifique essai intitulé Sur la marge du Codex Corvin inconnu, l’image de la Hongrie comme « pays-bac qui, même dans ses rêves les plus astucieux, errait entre deux côtes : entre l’Orient et l’Occident, mais il préférait revenir en arrière1 » (Ady, 1905 : 15). C’est cette situation de l’entre-deux, ce flottement entre le progrès et le sous-développement qui déterminent la position insulaire de la Hongrie conçue comme une fatalité tragique historique.
4La pensée politique hongroise a été essentiellement déterminée par le modèle du libéralisme français dans la première moitié du xixe siècle (Csepeli, 2008). Il est intéressant d’observer que la notion de liberté et celle de nation n’y apparaissent pas contradictoires. Les circonstances politiques impliquent d’une manière logique le renforcement de la conscience nationale dès les débuts. La question se pose de savoir si c’est un phénomène spécifique à cette région et si les conceptions libéro-nationales hongroises sont authentiques ou de simples emprunts. Le xixe siècle peut être considéré historiquement en Hongrie comme un essai de rejoindre l’Europe occidentale. Dans la vieille Europe, c’est l’État bourgeois qui nourrit la conscience nationale caractérisée par une sorte de fierté. Dans la jeune Europe, c’est le manque de cet État, d’où une sorte d’envie et d’illusion, alimentées par la conscience d’une supériorité orgueilleuse. Ce sentiment de supériorité illusoire signifie nécessairement une sorte d’auto-isolement.
5Après la première guerre mondiale où les régions ayant appartenu à la Hongrie se trouveront à une plus grande distance physique et psychologique de Budapest – donc les perspectives du centre et des périphéries seront infléchies –, dans les récits et les poèmes publiés dans la Voïvodine (actuellement en Serbie), abondent les images de la boue, du marécage et de la poussière, toujours dans un contexte très négatif. En revanche, la thématique de l’île, au sens concret et figuré à la fois, apparaît connotée positivement comme le symbole de l’espérance. L’île qui se trouve dans un fleuve ou dans une rivière représente la possibilité du transfert des cultures où les îles et îlots formés par la nature symbolisent la possibilité de franchir les frontières. Vers l’Occident évidemment.
6Sans les citer en détail, nous signalons juste que ces textes peuvent être lus dans un cadre postcolonial où l’île, arrachée de l’espace, est saisie ou bien comme prison (le village isolé, la campagne immuable se repliant sur elle-même), ou bien comme la promesse d’une nouvelle vie. Dans un récit d’Erzsébet Börcsök intitulé L’hiver à Bóka (1963), la métaphore insulaire soutient ces images : « Il ne voyait plus le village comme une prison qui le retenait captif, mais comme une halte, une île où la vie l’avait rejeté comme un naufragé [...]. Il voulait se rapprocher du village » (Börcsök, 1963 : 16–17).
7Pour illustrer cette connotation de l’île, le fait nous semble éloquent que les écrivains et les intellectuels hongrois lancent dans les années 30 une revue de littérature mondiale (œuvres en traduction hongroise) sous le titre Île [Sziget], qui a pour mission de publier des essais et des études à portée universelle face au contexte nationaliste et fermé de l’époque.
8Nous allons voir que certains écrivains, dans notre cas hongrois, seront contraints de quitter leur pays, leur langue, leur culture et souvent leurs proches, à cause des guerres et des événements, pas forcément des révolutions elles-mêmes (une sorte d’ouverture vers l’avenir) mais plutôt des répressions (une sorte d’isolement) à la suite des insurrections. Ils partent avec l’espérance d’une nouvelle vie, d’un refuge, mais finissent par se retrouver dans une intemporelle existence insulaire, même au milieu d’un continent.
9Georges Ferdinándy (1935–2024), l’écrivain hongrois choisi pour illustrer cette existence insulaire géographique et psychologique à la fois, fuit devant les vengeances politiques après la révolution hongroise de 1956. Il va d’abord en France, ensuite il accepte un poste de professeur à l’université de Porto Rico. Il laisse derrière lui le vieux monde et la vieille histoire continentale, traverse l’océan Atlantique vers une île tropicale.
10Notre auteur est un écrivain de renom, il écrit en français, en espagnol, en hongrois, et enregistre dans plusieurs de ses textes ses expériences insulaires. Nous avons choisi son premier roman célèbre intitulé Une île sous l’eau [Sziget a víz alatt] (1960), où, suivant une stratégie narrative expérimentale, l’écrivain élabore un récit autofictionnel qui met en abîme des dimensions temporelles et spatiales ; il navigue entre le passé et le présent sans avenir, et tout en notant les expériences vécues sur l’île de Porto Rico, il tâche d’écrire un livre à partir du témoignage d’un autre migrant hongrois venant de la République dominicaine après la mort de Trujillo, le président autoritaire et assassin des milliers de réfugiés haïtiens. Le résultat est un récit sur un récit du passé historique hongrois précédant la révolution de 56. Et ces deux récits analeptiques s’intègrent dans la narration au présent immuable de la destinée insulaire du narrateur migrant :
Les petites nations ont tendance à faire appel à l’opinion publique mondiale. Il est difficile d’accepter que personne ne les connaisse dans le monde. J’ai décidé d’écrire sur l’île. Là-bas, en Europe, personne ne sait qu’il y a des colonies ici, dans le pays de la liberté illimitée (Ferdinándy, 2019 : 24).
11Bien que notre écrivain adopte les langues des terres d’accueil, bien qu’il ait une réelle ambition d’enseigner aux jeunes costaricains et d’écrire l’histoire locale, il sera déçu puisqu’il n’y rencontre que des réfugiés hongrois et autres, ainsi que des autochtones, subissant tous le même destin : isolement linguistique et physique, due à la présence économique et politique des Américains. L’auteur, en se renseignant sur l’histoire de l’île, trouve un livre dans la bibliothèque et lit le suivant :
Le drapeau américain a trouvé sur l’île des gens pauvres mais satisfaits », ai-je lu. « Aujourd’hui, il flotte au-dessus d’un comptoir où travaillent des esclaves. Des serviteurs qui ont perdu leur terre et oublieront bientôt leurs chants et leur langue maternelle. » Le livre apporte également la preuve que, contrairement à la propagande du Nord, l’île aurait pu se suffire à elle-même. « Les États-Unis nous considèrent comme un peuple mineur », conclut l’auteur. Une province pittoresque mais arriérée qui a besoin de protection. Et ce qui pourrait un jour être un pont entre deux cultures, latine et anglaise, et anglo-saxonne (Ferdinándy, 2019 : 18).
12Dans ce roman relativement court mais plein de tensions, l’île apparaît dans toutes ses dimensions : géographique concrète, mythologique, symbolique, comme promesse du Paradis, comme symbole du destin migrant, comme isolement et solitude.
13L’auteur-narrateur donne une description géographique de Porto Rico remarquablement précise, ce qui évoque les récits de voyages des explorateurs des siècles précédents. Les lieux géographiques les plus dominants sur l’île sont les montagnes. Le langage continental, même si le narrateur parle l’espagnol, est insuffisant pour parler des objets géographiques :
Coca, le cadre de mon histoire, est une petite ville située dans les montagnes de Porto Rico, à mi-chemin entre l’Atlantique et les Caraïbes. Une ville et des montagnes ! Mon vocabulaire n’a pas beaucoup de sens ici, dans l’archipel. Il me vient à l’esprit que je devrais peut-être dire municipalité et altitude. Car c’est une île minuscule, de la taille de la Petite Plaine hongroise. Sur toute sa longueur, une crête − appelée localement cordillère − se divise en deux. Coca, où je travaille, est un point de passage entre l’Atlantique et les Caraïbes. Une porte que personne n’emprunte. Il est plus facile de contourner les montagnes et de descendre le long de la côte. C’est presque incroyable que des gens vivent ici. On dit que c’est ici que les Indiens Tainos ont été déplacés lors de la conquête de l’île par les conquistadors espagnols. Mais il reste peu de traces de ce déplacement (Ferdinándy, 2019 : 10).
14L’auteur esquisse un vrai portrait de l’île tout en lui attribuant un visage, le visage du peuple local qui contourne les montagnes plutôt sur les côtes au lieu d’ouvrir « la porte », c’est-à-dire la petite ville où se trouve l’université du narrateur. L’île dans cette représentation devient également une sorte d’hétérotopie où se croisent des temps anciens et présents avec des espaces disparus et vécus presque sans traces.
15Le narrateur, véritable européen ethnocentrique, s’efforce de retrouver quelque part l’identité et la connaissance de soi des Portoricains, liée peut-être à leur langue ou à leurs traditions. S’il a du mal à capter le caractère « national » à l’européenne du pays, il se met à découvrir la terre. C’est une sorte de faux mouvement en l’absence de sa propre mère-patrie : « Apprenons au moins à connaître ce bout de terre, me suis-je dit ! Si la vraie connaissance de soi, basée sur la langue et la tradition, n’existe pas ici sur l’île. J’espérais que la découverte de la mère patrie n’était qu’à un pas » (Ferdinándy, 2019 : 58).
16Le narrateur, se souciant de la conscience identitaire de ses étudiants portoricains, ouvre largement la perspective insulaire et les emmène en voyage autour des îles caraïbes :
Nous avons parcouru Haïti, la Dominique, les îles Vierges. Mais mes enfants étaient plus conscients de la pauvreté qui règne partout. Que la vie n’est pas meilleure dans ces républiques. Mais ils ont dû se rendre compte que les États-Unis n’avaient pas pris le contrôle du monde entier. Et qu’après tout, les îles voisines sont indépendantes (Ferdinándy, 2019 : 71).
17Ce roman autofictionnel peut être lu comme une sorte de récit d’éducation aussi où le narrateur prend conscience de son altérité occidentale et surtout de sa naïveté concernant les catégories géopolitiques. Il écrit un livre sur la civilisation occidentale et il constate :
J’ai même changé le titre : ici, à Coca, l’infâme et banal Occident ne veut rien dire. D’ailleurs, c’est à l’Est, pas à l’Ouest. Le monde insulaire était majoritairement africain. Et amérindien : les peuples indigènes. Nos étudiants, écrivais-je, n’ont pas grand-chose à voir avec cet Occident inquiétant. Connaître le passé, comprendre le présent et préparer l’avenir sont ici des mots vides de sens. Le passé des manuels coloniaux ? La véritable histoire de l’île n’a jamais été écrite. (Ferdinándy, 2019 : 91).
18L’île est un symbole complexe aux significations multiples. Selon Carl Gustav Jung (1980), l’île est un refuge face à la menace de la mer de l’inconscient, une synthèse de la conscience et de la volonté. D’autre part, l’île représente également l’isolement, la solitude et la mort. Gilbert Durand (2016) évoque le thème de l’île comme symbole de l’intimité qui le relie au motif de l’enfermement et conçoit l’île comme une sorte de Jonas géographique.
19L’île est souvent interprétée aussi comme une image mythique de la femme, de la vierge, de la mère. L’exil volontaire vers l’île signifierait un retour à la mère, un désir de retraite. Dans le roman de Ferdinándy, la description du paysage met en image érotique des collines qui représentent deux seins. Face à son ex-femme qu’il appelle « la femme française », les filles et les femmes indigènes à Porto Rico sont autant d’îles elles-mêmes, îles de l’amour tropical (à propos desquelles il écrit d’ailleurs un autre roman sous le titre Amour tropical) :
Si nous levons les yeux − mais qui regarde le ciel ici ? − nous ne voyons que d’épaisses collines naines couvertes de buissons épineux. Au sud, sur la côte caraïbe, s’élèvent deux petits cônes pointus. Las tetas de Aibonito, les seins d’Aibonito. Un spectacle fascinant, si vous voulez imaginer l’image complète (Ferdinándy, 2019 : 12).
20La symbolique de l’île recrée donc l’ambivalence : d’une part « paradis sur terre », d’autre part « terre des morts », à la fois « point de force métaphysique » et « solitude », « symbole du centre vu sous un angle négatif » et « paysage cosmique essentiel ». Cependant, on ne peut négliger les nuances de sens du retour à l’intimité féminine.
21La transposition mentale d’une composante conceptuelle essentielle de la montagne − archétype et objet géographique centraux, voire analogie de l’île −, est la hauteur, le mouvement ascendant, une image de l’ascension intérieure. L’interprétation mystique du sommet découle également de l’idée que le mont est le théâtre de l’union du ciel et de la terre. Le haut et le bas sont les lignes d’horizon dans la dimension insulaire :
Le long de l’ancienne route, il y a un point culminant d’où l’on peut voir les côtes atlantique et méridionale par temps clair. Au loin, hors d’atteinte, sous l’écorce du ciel. En bas, la vie continue. Au sud, les petits-enfants d’esclaves jouent du tambour, au nord, les Américains construisent des hôtels. Les montagnards ‒ les Ajibaros – rêvent sous les tétons d’Aibonito (Ferdinándy, 2019 : 12).
22L’île comme paradis perdu est un jardin d’Éden où fuir devant les circonstances du présent équivaut à retourner à la source. D’innombrables légendes occidentales et orientales parlent du paradis perdu, sans parler des idéaux véhiculés par le dogme chrétien. S’il est pris comme symbole d’un état d’esprit, il correspond à un état dans lequel il n’y a plus de doute ni de distinction. Ce caractère « perdu » définit la psychologie particulière de ce paradis, qui se caractérise par un sentiment d’abandon, de mise à l’écart. L’attrait pour la retraite, le repos, le refuge, a deux faces opposées : d’une part, c’est un retour à l’état paradisiaque originel, à la nature, aux racines ; d’autre part, c’est l’acceptation de la passivité, le renoncement à l’action, l’anéantissement et, finalement, la mort (cf. Ádám, 2008).
23Sándor Márai, un autre écrivain de la migration hongroise d’après 56 mondialement connu, (lui aussi écrit d’ailleurs un roman intitulé L’île, une histoire fictive d’un meurtre passionnel sur une île croate), décrit presque cruellement dans son journal intime les étapes psychologiques de la condition migrante :
Dans un pays étranger, l’immigrant ou l’émigrant s’installe selon un calendrier émotionnel. La première année : la rébellion. Deuxième année : les plans de fuite (le Chili, c'est mieux, etc.) Troisième année : l’effondrement, la résignation (j’ai regardé le cimetière, je me reposerai ici, etc.) Mais vient ensuite la quatrième année, lorsque l’immigrant se réveille dans le pays étranger, s’étire, bâille, se frotte les yeux et pense avec indifférence : est-ce que c’est vraiment si mal ici ? (Márai, 2003 : 1953)
24Chez Ferdinándy, le narrateur descend dans les mêmes cercles de l’Enfer où l’île devient l’espace métaphorique de la totale purification de l’âme : « J'aurais également rompu avec cette vision si mes propositions avaient été acceptées. Où puis-je écrire que ce n’est pas ce que je voulais ? Il n’y a pas de cheminée sous les tropiques. C’est tout. Je laisse cela en héritage aux étudiants du nouveau millénaire » (Ferdinándy, 2019 : 65).
25La représentation de l’île elle-même, par sa forme fermée et délimitée, exige une structure narrative et figurative circulaire dans le texte nécessairement linéaire. Étendre l’espace n’est pas possible, alors la seule possibilité est de multiplier l’espace dans la dimension du temps. Dans le roman Une île sous l’eau, le narrateur parle à la première personne du singulier, et note dans son cahier le témoignage d’un autre migrant hongrois d’une autre époque historique (celle de l’amiral Miklós Horty, régent du royaume de Hongrie de 1920 à 1944). Le récit de l’épicier Paul Szabó est un témoignage très ambigu, justement par la sobriété du ton de ce second narrateur. Il raconte les événements les plus horribles sans aucune compassion, ce qui est contre-productif comme stratégie puisque le conteur enlève l’authenticité et la vérité de ce qu’il dit. Grâce à ce jeu entre vraisemblance et véracité, la mise en abyme structurelle devient un trompe-l’œil narratif. Le narrateur nous dessine les cadres de la narration : « Tout cela m’a déjà été raconté par l’oncle Szabo, un Dominicain qui a trouvé refuge chez nous après la mort du dictateur. Mais qu’en sauraient mes pauvres collègues de l’île ! » « Peu importe, dit l’oncle Szabo, la République Dominicaine est finie. Les Américains n’attendaient que cela pour envahir l’île. Qu’il [Trujillo] était un dictateur ? Coincé entre les oligarques et le clergé, que pouvait être d’autre un métis comme lui ? » (Ferdinándy, 1960 : 61)
26La fonction de la structure circulaire est donc de créer une ambiguïté sur ce qui est réel, ce qui est bon et ce qui est mauvais. Quand le voyage commence, le temps est dédoublé, il est divisé en deux perspectives temporelles narratives, en un avant et un après : « Il est devenu clair que les notions de bien et de mal, de péché et de punition que l’homme a apportées avec lui de quelque part dans l’Ancien Monde, ne sont pas valables ici. Nous vivons dans l’Ancien Testament, mais le Sauveur n’est pas encore né dans l’archipel. » (Ferdinándy, 1960 : 40)
27Pour mettre en exergue ce procédé lors duquel l’expérience insulaire individuelle s’étend vers des dimensions universelles, nous voudrions juste mentionner un ouvrage plus récent (2012), une sorte de mémoires, intitulé Sur les îles de l’altérité, écrit par Katalin Ferber, professeure, économiste comparatiste qui a dû quitter la Hongrie dans les années 1990. Elle se sentait de plus en plus isolée dans son pays, pour des raisons politiques, et son milieu professionnel est devenu étouffant. Elle a quitté cette étrangeté familière hongroise pour se diriger vers le Japon où elle enseigna pendant des décennies dans des universités différentes. Elle a choisi Japon cette grande île complètement étrangère pour la mentalité hongroise en toute connaissance de cause. Ensuite, dans le milieu d’accueil au Japon, l’île qui permet de vivre sur la surface mais résiste à toute pénétration identitaire ou culturelle des migrants, elle constate que l’existence insulaire au sens propre et figuré, est universelle. Elle conclut ainsi ses expériences au Japon :
Il ressort peut-être clairement de ce qui précède que mon approche aurait pu conduire à la rédaction de ce livre n’importe où. Je suis convaincue que je ferais des observations similaires en Australie ou dans la terre promise des États-Unis d’Amérique. Chacun voit (ou ne voit pas) l’endroit où il vit à travers sa propre personnalité, et décide lui-même, dans la plupart des cas, de la stratégie qui lui permettra de devenir un émigrant, un étranger conscient de ses droits, ou quelqu’un d’autre (Ferber, 2012 : 262).