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Comptes rendus

Philippe Bonnal, Geneviève Cortès, Nelson D. Delgado, Sergio P. Leite, Christian Poncet et Éric Sabourin, Action publique, dynamiques sociales et pauvreté. La territorialisation en débats

Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, Collection « Territoires en mutation », 2019, 331 p.
Martine Guibert
p. 208-211
Référence(s) :

Philippe Bonnal, Geneviève Cortès, Nelson D. Delgado, Sergio P. Leite, Christian Poncet et Éric Sabourin, Action publique, dynamiques sociales et pauvreté. La territorialisation en débats, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, Collection « Territoires en mutation », 2019, 331 p.

Texte intégral

1Produit final du programme pluridisciplinaire de recherche CAPES-COFECUB 2013-2016 « Territoires, pauvreté et politiques publiques : une approche par la territorialisation », qui a réuni des chercheurs de l’UMR ART-Dev de Montpellier, du CPDA (Programa de Pós-Graduação de Ciências Sociais em Desenvolvimento, Agricultura e Sociedade) de l’UFRRJ - Universidade Federal Rural de Rio de Janeiro, du LEMATE - Laboratório de estudos da multifuncionalidade agrícola e do território de l’UFSC - Universidade Federal de Santa Catarina, cet ouvrage de 331 pages propose une série de 16 contributions, réparties en quatre parties et portant sur des situations étudiées au Brésil (la majorité), en Bolivie, au Nicaragua et en France. Certaines sont issue de réflexions qui ont été discutées lors d’un séminaire international de recherche réalisé à Rio de Janeiro en 2014, et qui, ensuite, ont été approfondies. Les références bibliographiques citées dans chaque contribution sont toutes réunies à la fin de l’ouvrage, des pages 295 à la page 331, ce rassemblement pouvant être gênant pour le lecteur habitué à la présentation qui associe le texte et son matériel livresque, ou pouvant être mis à profit en ce sens qu’il est source de découverte des publications utilisées par les autres auteurs.

2L’ouvrage démarre par une introduction dense qui justifie les choix faits d’une approche interdisciplinaire, croisant notamment sciences économiques, sciences géographiques et sciences politiques, et qui pose les éléments théoriques relatifs aux conceptions complémentaires du territoire et des processus de territorialisation. Elle pose d’entrée de jeu les dimensions que chaque discipline va plus particulièrement mettre en évidence, avec ses outils et ses objectifs. Elle définit aussi chaque notion dont elle annonce une étude selon une double entrée, en se penchant sur le « caractère multidimensionnel du territoire, à savoir sa fonction économique et productive, d’une part, sa configuration institutionnelle et organisationnelle, d’autre part, et sa dimension sociale et identitaire, enfin » et sur l’« l’expression, la nature et la prégnance des disjonctions introduites par les modes de territorialisation des individus et des groupes sociaux, d’un côté, et de l’action publique, de l’autre ».

3Muni de ce cadrage, le lecteur prend ensuite connaissances des résultats des travaux de chaque participant au programme, selon des jalons thématiques clairement établis. Premièrement, en guise de cadre théorique et méthodologique, ce sont les modalités d’appréhension de la territorialisation qui sont décortiquées avec l’idée d’une certaine confusion, à la fois d’un point de vue opérationnel, tant l’action publique (politiques de lutte contre la pauvreté) balance dans le temps entre approches descendantes et approches ascendantes (spatialisation), notamment en France, et d’un point de vue épistémologique, tant le territoire (ses définitions) se meut au gré des constructions sociales et des stratégies de pouvoir, ce qui oblige à se doter d’un pilote méthodologique décrit en sept points (p. 14) qui, tout en étant classique, vient à point nommé pour bien cerner la complémentarité recherchée dans tout travail interdisciplinaire.

4Deuxièmement, et après deux études de cas français, une analyse comparative amène le lecteur au Brésil et en Bolivie, et le texte suivant au Brésil. Consacrés aux questions de spécialisation productive des espaces, ils mettent en évidence le manque de discernement des acteurs publics au moment de la définition de politiques de développement territorial rural, du fait de la mauvaise compréhension des territorialités des populations locales, celles-ci ayant des pratiques réticulaires tout autant que territoriales, et passant outre les délimitations de zones censées être vouées à des productions intensives. De même, ils exposent les légitimations du développement d’activités de production agricole avancées par les acteurs publics et les grandes entreprises, auprès de populations autochtones en situation de grande pauvreté.

5Troisièmement, ce sont les thèmes de la territorialisation des politiques publiques, de la délimitation des territoires d’application et de leurs effets locaux, qui sont examinés, avec l’objectif de comprendre comment les réalités locales modifient les objectifs de départ. Ainsi, au Brésil, durant les quinze dernières années, l’action publique de soutien à l’agriculture familiale (et donc, de lutte contre la pauvreté en milieu rural) consiste en une série de mesures qui se succèdent dans le temps et qui portent sur des territoires aux contours évolutifs, ce qui brouille le message et ne correspond souvent pas aux représentations et aux besoins des populations cible. Si les 3i « idées, intérêts, institutions » (p. 156) ne convergent pas, les auteurs remarquent que l’idée de territoire, comme unité socio-spatiale de conception et comme échelle pertinente d’action, est désormais ancrée, permettant de dépasser les approches sectorielles et obligeant à penser la diversité des réalités rurales, surtout dans un pays aussi complexe. Fort à propos, le texte suivant passe en revue les politiques de décentralisation prônées au Brésil depuis 1998 (et même avant), en se focalisant en fin de réflexion sur le cas de l’État de Santa Catarina, ce cas permettant de conclure qu’une culture de la décentralisation et un savoir-faire en matière de gestion publique sont en train de naître, cahin-caha, au niveau de microrégions qui nécessitent, les processus de territorialisation étant récents, du temps et de l’expérience. Au Nicaragua, sur la base d’une politique environnementale qui promeut la participation citoyenne, la définition d’une aire protégée crée un territoire nouveau dont la gouvernance implique élus locaux et habitants, avec, parfois, des intérêts partisans politiquement parlant, qui ont du mal à se défaire des directives nationales. La Partie s’achève avec une étude des actions publiques dédiées à la lutte contre la pauvreté en milieu urbain en France.

6Dans la logique thématique suivie, qui amène à considérer de plus en plus finement la question de la prise en charge par l’action publique de la pauvreté et l’exclusion, en synergie avec une approche territoriale, la quatrième et dernière partie regroupe cinq analyses, dont quatre consacrés au Brésil et une à la France. Le Plan Brasil Sem Miseria est examiné en considérant autant les résultats que les notions conceptuelles mobilisées ; ensuite, ce sont le Programa Bolsa Familia, le PRONAF et le PRONAT qui le sont à leur tour, là-aussi en regard des acceptions employées des notions de pauvreté et d’exclusion. Les conclusions des deux auteurs se focalisent surtout sur « la permanence de relations paternalistes de réciprocité inégale » (p. 251) qui dévoient les objectifs de ces programmes qui parviennent difficilement jusqu’à leurs bénéficiaires. Le Programme Territórios da cidadania est au cœur du troisième chapitre de cette partie qui propose de réfléchir à la spatialisation de la pauvreté, autrement dit aux effets locaux et aux territoires de la pauvreté et de la précarité à prendre en compte dans toute action publique. Arilson Favareto vient alors à point nommé avec une analyse de fond des discours et des perceptions du monde rural et du secteur agricole par la société brésilienne et de la place qu’y tient l’agriculture familiale. Les dix dernières années de politiques publiques de soutien à cette catégorie d’acteurs du monde agricole, et de programmes de développement rural, ont débouché sur des innovations sociales et des résultats économiques assez probants (réduction de la pauvreté, notamment) mais l’auteur souligne le fait que de nouvelles mesures doivent être prises « pour penser le futur des régions rurales du Brésil » (p. 277) selon quatre grandes familles de défis articulés et novateurs.

7Développé dans les années 2010, le programme CAPES-COFECUB a permis aux vingt-six chercheurs réunis dans cet ouvrage final (dont il aurait été opportun de connaître l’attache institutionnelle) de dresser un bilan contrasté de la territorialisation des politiques publiques indirectement ou directement consacrées à la lutte contre la pauvreté (et contre les situations afférentes d’exclusion, d’inégalités, de précarité), enjoignant à les penser dans leurs multiples dimensions sociales, politiques et économiques, et à l’aune des représentations et des discours produits par les acteurs dominants, selon leurs intérêts et leurs stratégies de pouvoir. Concernant le Brésil, ce bilan, et les cas situés présentés, sont très instructifs s’ils sont pensés à la lumière de la décadence actuelle de l’appareil d’État brésilien et du démantèlement accéléré et brutal, en 2019 et en 2020, des dispositifs législatifs et normatifs péniblement mis en place dans les années 2000 et 2010. Le gâchis est grand face aux apprentissages cognitifs amorcés, aux innovations sociales expérimentées et aux résultats déjà obtenus ; à l’espoir alors suscité succède des sentiments d’amertume et de frustration que tout chercheur spécialiste des milieux ruraux latino-américains ne peut que ressentir.

8L’ouvrage est dédié à Philippe Bonnal, disparu durant sa finalisation.

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Pour citer cet article

Référence papier

Martine Guibert, « Philippe Bonnal, Geneviève Cortès, Nelson D. Delgado, Sergio P. Leite, Christian Poncet et Éric Sabourin, Action publique, dynamiques sociales et pauvreté. La territorialisation en débats »Caravelle, 115 | 2020, 208-211.

Référence électronique

Martine Guibert, « Philippe Bonnal, Geneviève Cortès, Nelson D. Delgado, Sergio P. Leite, Christian Poncet et Éric Sabourin, Action publique, dynamiques sociales et pauvreté. La territorialisation en débats »Caravelle [En ligne], 115 | 2020, mis en ligne le 09 février 2021, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/9280 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.9280

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Auteur

Martine Guibert

Université Toulouse 2 – Jean Jaurès

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