Becerril Hernández, Carlos de Jesús, El juicio de amparo en materia fiscal en México, 1879-1936 (Centralización judicial y desempeño económico)
Becerril Hernández, Carlos de Jesús, El juicio de amparo en materia fiscal en México, 1879-1936 (Centralización judicial y desempeño económico), Valencia, Ed. Tirant lo Blanch, 2018, 373 p.
Texte intégral
1Avec cet ouvrage, l’éditeur Tirant lo Blanch initie une nouvelle collection d’Histoire du droit en Amérique latine qui permet la publication de thèses mises ainsi à la disposition des lecteurs en version papier et digitale. Le titre de la collection est cependant trompeur car le travail de C. J. Becerril aborde un sujet beaucoup plus vaste que celui d’une histoire du droit stricto sensu. Il s’agit en effet d’analyser les sentences produites par la Cour Suprême du Mexique (Suprema Corte de Justicia de la Nación) pour des recours concernant exclusivement des raisons fiscales pour lesquelles des personnes morales ou physiques se sont considérées violentées dans leurs droits. Pour cela, l’auteur expose d’emblée une approche qui prend à la fois en considération le droit fiscal, l’évolution de l’état de l’économie du pays, le projet politique mis en œuvre (État libéral, social, fédéral ou centralisé), les relations entre les administrations concernées, le profil des requérants. La question posée qui donne son unité à l’ouvrage est donc celle du rôle des institutions juridiques dans le développement économique national. La tâche est donc vaste et les sources choisies – sentences de la Cour publiées avec leur motivation dans un hebdomadaire spécialisé (427 pour xixe siècle, 174 pour xxe siècle), des textes théoriques de juristes et des textes normatifs - ne permettent pas de couvrir tous les champs envisagés. On regrette notamment que la question essentielle du coût de la justice ne soit abordée que de très loin.
2Le livre est structuré en quatre chapitres chronologiques qui abordent une période plus vaste que celle annoncée dans le titre. Le long premier chapitre (d’une centaine de pages) porte en effet sur les années 1847-1879 et la première moitié est consacrée à la justice administrative en matière fiscale, celle-là même qui disparaît en 1879 sur décision de la Cour Suprême consacrant l’amparo (procédure de demande de protection des garanties individuelles non respectées par une autorité publique) comme seule voie de recours. Le but de l’auteur est alors de montrer que l’arbitrage entre ces deux recours est un choix politique. Le premier est celui des conservateurs, peu exigeants sur la séparation des pouvoirs (car la justice administrative vue comme un fuero et est aux mains de l’Exécutif) tandis que le second est celui des libéraux, plus soucieux de donner à la justice un espace autonome. C’est pourquoi, selon C. J. Becerril, l’amparo n’a pu se consolider qu’avec l’implantation d’un État libéral stable pendant le Porfiriat. En cela, il s’oppose bien hâtivement à l’idée que la Constitution de 1857 ne serait qu’une fiction, ce qui peut difficilement convaincre pour deux raisons. La première est qu’il s’agit d’une conclusion générale tirée de l’analyse de sources très restreinte et peu variées, très normées aussi et qui ne permet pas d’appréhender l’ensemble des enjeux auxquels les acteurs répondent. On peut noter par exemple, et c’est une remarque valable sur l’ensemble de la période étudiée, que les autres moyens de résoudre les conflits avec les administrations fiscales ne sont jamais pris en compte, en particulier les liens de clientélisme tissés entre les personnes imposables (en particulier les entrepreneurs et les propriétaires) et les gouverneurs. Les moyens ne manquaient pas de résoudre les difficultés, la voie judiciaire n’étant utilisée qu’en dernier recours dans la mesure où elle était la plus coûteuse. S’il est légitime de concentrer l’analyse sur le rôle de médiateur joué par la Cour Suprême entre les contribuables et l’État, il est donc plus hasardeux de tirer une conclusion générale sur la qualité du régime sur cette seule base. La deuxième raison est d’ordre plus méthodologique et concerne la grille d’analyse. Il est en effet assez déroutant que la seule explication donnée à la disparition du recours administratif soit la répétition des arguments donnés par Ignacio Vallarta, président de la Cour Suprême. Ceux-ci peuvent être résumés en une phrase : la justice administrative devait disparaître car elle était une violation du principe de séparation des pouvoirs ; elle existait en effet au sein même de l’Exécutif qui devait donc statuer sur les abus commis par ses propres représentants. Dans la mesure où elle fut rétablie en 1936 pour les questions fiscales (en 1946, les tribunaux administratifs entrent indirectement dans le cadre de la Constitution), il semble que la séparation des pouvoirs n’ait jamais été aussi respectée que pendant le Porfiriat, ce qui ne peut manquer de surprendre le lecteur. On ne peut en tirer que la conclusion suivante : la Cour Suprême a beaucoup œuvré pour rendre crédible la fiction constitutionnelle. Mais il manque alors un éclairage sur les raisons pour lesquelles l’Exécutif (soit Porfirio Díaz) était sûr de pouvoir compter sur les membres de la Cour, censés être autonomes. Un début de réponse est cependant fourni par une réflexion culturelle sur l’adhésion des juristes au projet porté par le Porfiriat. Il s’agit en effet du moment où l’État met en place une véritable réforme fiscale qui vise – en même temps qu’il développe le marché intérieur – à asseoir ses ressources sur les revenus et patrimoine des citoyens et des entreprises pour ne plus dépendre des revenus douaniers. L’amparo sert-il ainsi à protéger les citoyens des possibles abus liés au calcul ou à la mise en œuvre du recouvrement de l’impôt tout en participant à la légitimation de la vaste réforme fiscale alors mise en œuvre.
3Cet aspect de l’analyse est présent dans les chapitres suivants, consacrés d’abord au Porfiriat, puis à la Révolution, avant et après la loi sur les amparos votée en 1919 (chapitres 3 et 4). L’auteur insiste sur le fait que la Cour est toujours attentive au fait que ses sentences ne compliquent pas les efforts de l’État et de ses entités pour effectuer les prélèvements. Les garanties individuelles étaient donc reléguées au second rang, après le besoin des États de renflouer leurs caisses. Pour cela, les sentences n’avaient aucune valeur juridictionnelle et ne s’appliquaient qu’aux cas sur lesquels la Cour avait statué, situation qui ne changea qu’à partir de 1908 lorsque les sentences pouvaient servir de précédent mais seulement à la condition que cinq sentences consécutives et identiques soient émises, ce qui était un fait rarissime ! En effet, les chapitres 2 et 4 dans lesquels l’auteur présente une analyse statistique des affaires traitées pendant le Porfiriat et après la loi de 1919, montrent que les affaires étaient ventilées entre des catégories tellement nombreuses qu’il y avait peu de chances pour que des sentences soient appliquées sur des cas équivalents. Se trouvent parmi les plaignants des personnes morales et physiques (nettement plus nombreuses puisqu’elles représentent 93% puis 64% sur les deux périodes). Ces dernières dont la situation professionnelle était très variable (avec une majorité de commerçants et de propriétaires) s’opposaient à des prélèvements qui l’étaient plus encore, et les litiges pouvaient aussi bien concerner la constitutionnalité des impôts visés (sont-ils proportionnels et équitables ?) que la mise en œuvre de leur prélèvement (amendes en cas de retard de paiement, embargos, etc.).
4L’auteur souligne également le fait que la Cour se déclarait incompétente sur les questions constitutionnelles : les contribuables devaient choisir les députés susceptibles de voter les budgets et les impôts qui leur convenaient, l’équité de la fiscalité étant le domaine réservé du Législatif. J. C. Becerril ne manque pas de souligner une contradiction dans ce discours, en remarquant que cette même réponse était adressée aux femmes (et aux étrangers) alors même que le droit de vote leur était refusé. On comprend qu’avec tant de limites aux actions de la Cour Suprême, le régime n’ait pas jugé nécessaire de maintenir une justice administrative puisque l’autonomie de la justice n’avait pas de raison de l’inquiéter.
5Avant de conclure cette recension, il est important de relever les pistes de recherche que l’ouvrage de J. C. Becerril permet d’identifier. La plus prometteuse, me semble-t-il est celle des concerne les juges de districts. En effet, dans un tableau synthétique sur les étapes de la procédure de demande d’amparo, depuis le dépôt devant le juge de district jusqu’à l’application par le juge de district de la sentence de la Cour Suprême (pages 134-135), l’auteur montre le rôle clef de ces juges qui, dans les États, reçoivent les premières demandes de protection, prononcent les premières sentences, avant que celles-ci soient validées ou non par la Cours lorsque l’une des deux parties fait appel. Ce rôle clef – y compris bien sûr en matière de gestion du territoire – peut expliquer pourquoi la législation a cherché à professionnaliser des juges bien avant la promulgation des codes. Il explique aussi pourquoi il est possible de trouver dans la correspondance de Porfirio Díaz (conservée dans la bibliothèque de l’Université Iberoamericana de Santa Fe, México) les lettres par lesquelles les gouverneurs des États demandaient au Président de valider leurs choix lors des nominations des juges de premières instances. Ces sources sont claires : nous sommes très loin de la séparation des pouvoirs que proclamait Ignacio Vallarta ! Mais cet intérêt du centre pour des juges de premières instances ne peut être compréhensible que si l’on montre leur rôle dans des rouages qui les dépassent. On ne peut que montrer de la gratitude à l’auteur d’avoir pu apporter les éléments qui permettent de résoudre ces questions et doivent encourager des études au plus près du terrain.
Pour citer cet article
Référence papier
Évelyne Sanchez, « Becerril Hernández, Carlos de Jesús, El juicio de amparo en materia fiscal en México, 1879-1936 (Centralización judicial y desempeño económico) », Caravelle, 115 | 2020, 190-193.
Référence électronique
Évelyne Sanchez, « Becerril Hernández, Carlos de Jesús, El juicio de amparo en materia fiscal en México, 1879-1936 (Centralización judicial y desempeño económico) », Caravelle [En ligne], 115 | 2020, mis en ligne le 09 février 2021, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/9211 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.9211
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page