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Comptes rendus

Pablo Mijangos y González, Historia mínima de la Suprema Corte de Justicia de México

México, El Colegio de México, 2019, 306 p.
Évelyne Sanchez
p. 187-190
Référence(s) :

Pablo Mijangos y González, Historia mínima de la Suprema Corte de Justicia de México, México, El Colegio de México, 2019, 306 p.

Texte intégral

1Dans la collection « Historia mínima » publiée par El Colegio de México, l’ouvrage de Pablo Mijangos occupe une place particulière. En effet, si l’auteur a dû renoncer – non sans regrets – aux références précises à un appareil critique et aux sources pour permettre une lecture plus fluide à un vaste public, il nous offre une vaste synthèse, dense et parfaitement actualisée sur l’histoire de la Cour Suprême du Mexique de 1821 (consacrant quelques pages aux Audiences avant la nomination des magistrats de la première Cour en 1824) jusqu’à nos jours. Organisé en huit chapitres, l’ouvrage suit une structure classique, chronologique, qui met en exergue tant l’évolution institutionnelle de la Cour que ses liens avec les autres pouvoirs et en particulier avec l’Exécutif. L’auteur s’en tient rigoureusement à son projet annoncé en introduction : il ne s’agit pas tant d’une histoire sociale de l’institution (son organisation, son fonctionnement, l’histoire sociale de ses membres et des relations de pouvoir qui s’établissent entre eux) que celle de la place de l’institution dans la mise en place et la consolidation du système politique du Mexique indépendant. Il explore ainsi le rôle de la Cour Suprême dans la régulation de la relation entre société et État et dans la mise en place de structures économiques et fiscales. Il s’agit sans doute de l’axe d’étude le plus approprié pour offrir un ouvrage qui est à la fois une réflexion profonde et synthétique sur l’évolution politique du Mexique sur la longue durée et des questionnements suffisamment vastes pour intéresser un large public.

2Le premier chapitre traite d’un bloc la période qui a précédé la Constitution libérale de 1857, politiquement très instable et qui voit la place de la Cour Suprême évoluer en fonction du projet politique, centraliste ou fédéraliste, mis en œuvre. Malgré ces aléas, l’auteur montre que certains caractères essentiels de cette institution se sont installés de façon durable pendant cette période : citons ici son rôle de contrôle en dernière instance de la constitutionnalité, grâce à la mise en place à partir de 1847 de l’amparo (dont les origines sont l’objet de controverses historiographiques) qui protège les individus contre les abus de pouvoir (certains le nomment un peu abusivement d’habeas corpus mexicain). Mais cette période se distinguait aussi des suivantes en raison de la pluralité des ordres juridiques qui ouvraient le champ d’interprétation et le choix du juge. En l’absence de codes civils et pénaux et de codes de procédures, les juges pouvaient choisir la source du droit qu’ils pouvaient appliquer et, à partir des Sept Lois de 1836 (sorte de Constitution conservatrice), la Cour fut chargée d’éclairer leur choix, rôle qui devait disparaître avec la codification dans les années 1870 et 1880.

3Le chapitre suivant traite de la période non moins agitée entre la Révolution d’Ayutla jusqu’à la prise de pouvoir par Porfirio Díaz en passant par le Second Empire. On en retient la fin des fueros militaire et ecclésiastique, la défiance des autres pouvoirs vis-à-vis du judiciaire pendant cette période agitée qui a vu la modification à plusieurs reprises des modes de nominations des magistrats (appelés ministres), de la durée de leur fonction, de renouvellement et du profil de leur poste. Le troisième chapitre, portant sur le Porfiriat, met surtout en valeur le travail mené par le Président de la Cour Suprême, Ignacio Vallarta. Pour cela, l’auteur part de l’idée en son temps soutenue par F. X. Guerra de la fiction constitutionnelle du régime : comment un régime stable a-t-il pu être instauré dans le respect de la Constitution et de son principe fondamental de séparation des pouvoirs ? Vallarta a joué un rôle important dans la légitimation du régime en faisant de la Cour un garant crédible. Il a ainsi cherché à dépolitiser l’institution tout en refusant de s’emparer des litiges les plus épineux, soit ceux qui concernaient les procédures électorales et les questions fiscales. La Cour refuse ainsi de reconnaître la validité de « l’incompétence d’origine », c’est-à-dire le fait qu’aucune décision prise par une autorité élue frauduleusement n’est valable (et on comprend pourquoi !), allant jusqu’à affirmer que la justice n’était pas apte à trancher dans les cas de conflits électoraux. De même, la Cour renvoyait les plaignants contre les lois fiscales qui pouvaient être injustes aux élections : si la fiscalité déplaisait aux citoyens, ceux-ci étaient encouragés à changer de députés, sans que la constitutionnalité de la loi pût être posée. C’est aussi en 1882 que la personnalité juridique des pueblos fut clairement supprimée. Quant à l’augmentation des procédures d’amparo, comme l’ont noté par ailleurs Timothy James et Carlos de Jesús Becerril Hernández, elles furent l’occasion d’une centralisation du pouvoir judiciaire. La multiplication des codes a d’ailleurs permis d’en appeler de plus en plus souvent à la Cour pour des questions de violations de garanties individuelles au cours de procédures non respectées. La conséquence sur le travail au sein de la Cour Suprême se fit immédiatement sentir et, remarque l’auteur, a été un problème constant au xxe siècle : les magistrats se sont trouvés noyés dans la masse des dossiers et la durée de leur traitement s’est vue considérablement allongée.

4La période révolutionnaire (1910-1940), objet du chapitre 4, a été marquée par quelques mesures décisives, telle que la création des « juntas de conciliación y arbitraje » (prud’hommes) prévue dans l’article 123 de la Constitution de 1917. Malgré les garanties données par l’Exécutif pour respecter sa non-ingérence (allant jusqu’à supprimer le ministère de la Justice), certaines décisions de la Cour montrent tant la culture révolutionnaire de ses magistrats que sa soumission au gouvernement en place. En témoignent le refus presque systématique de protéger les libertés individuelles lors de la répression féroce des cristeros ou bien son soutien aux efforts diplomatiques d’Obregón vis-à-vis des États-Unis et de la Grande-Bretagne en affirmant que l’article constitutionnel relatif aux sous-sols ne s’appliquait pas aux compagnies pétrolières de ces pays. De fait, la question de la crédibilité de l’institution va être un problème récurrent au long du xxe siècle, sujet que développe Pablo Mijangos dans le 5e chapitre concernant la période pendant laquelle se consolide un régime autoritaire (1940-1980). Le terrain avait été bien préparé par Lázaro Cárdenas comme le résume l’auteur : « En 1938, en fait, la Cour était déjà un simple appendice de l’exécutif, chargé de légitimer légalement ses décisions. » (p. 147). Il ne pouvait être plus clair. Les magistrats « formés dans une culture juridique formaliste et autoritaire » (p. 152), ont accompagné le régime et son projet de modernisation économique. Rien ne montre plus leur adhésion que leur passage de la Cour Suprême à des fonctions de députés ou de sénateurs du PRI, sans préoccupation apparente ni pour l’opinion publique, ni pour la réputation de l’institution. L’auteur montre avec beaucoup d’efficacité comment cette culture juridique mêlée aux intérêts personnels pour une carrière politique débouche sur la validation de méthodes policières criminelles : acceptation des aveux obtenus sous la torture, etc. Son analyse lui permet alors de s’éloigner de thèses légitimistes trop souvent représentées dans le monde académique et de critiquer vertement ceux qui ont conclu de cette période « que la Cour suprême était à la tête d’un pouvoir véritablement indépendant pendant les années d’autoritarisme » (p. 182).

5Dans les trois chapitres suivants (6, 7 et 8), l’auteur expose comment l’Exécutif a pris conscience du danger de disposer d’un pouvoir judiciaire sans aucune crédibilité, dans un contexte particulier de profonde crise économique et d’adéquation de l’appareil juridique au néolibéralisme. Concrètement, cela s’est traduit par une augmentation du budget de l’administration de la justice, par la création de la Commission Nationale de Droits Humains en juin 1990 (qui entérine le manque de légitimité de la Cour Suprême sur ce sujet) et par l’adéquation des lois et de la Constitution au droit international. P. Mijangos souligne que, malgré l’importance de ce dernier point, il n’a pas été mis fin à l’autoritarisme que l’on a pu constater dans plusieurs grands scandales qui ont fortement secoué l’opinion publique (citons par exemple l’affaire Lydia Cacho, les abus commis à Atenco, le massacre d’Acteal). Sur ce point, l’auteur voit plus de continuité que de véritable évolution. Pour autant, le rôle de la Courdans la société et dans le système politique a évolué profondément grâce aux recours aux amparos qui ont, au cours des dernières décennies, pris une importante inusité : « Il y a vingt ans, nous dit l’auteur, il était encore possible d’apprendre les règles de base de n’importe quelle branche du droit en étudiant le droit seul ; aujourd’hui, beaucoup de ces règles sont définies par des décisions d’amparo. » (p. 261). Il n’est cependant pas certains que l’opinion publique perçoive clairement ces changements : les scandales, la corruption, l’impunité et l’abus de pouvoir sont trop patents pour permettre une approche plus distante et dépassionnée dans ces débats. Heureusement, l’ouvrage de Pablo Mijangos propose une relecture de l’histoire de la Cour Suprême mexicaine dans la longue durée, constamment contextualisée dans le moment politique et économique qui promeut ou accompagne l’évolution de l’institution. En présentant un bilan historiographique complet (accompagné d’une très utile bibliographie classée en fin d’ouvrage), l’auteur réussit son pari de faire d’un ouvrage « grand public » un essai critique convaincant.

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Pour citer cet article

Référence papier

Évelyne Sanchez, « Pablo Mijangos y González, Historia mínima de la Suprema Corte de Justicia de México »Caravelle, 115 | 2020, 187-190.

Référence électronique

Évelyne Sanchez, « Pablo Mijangos y González, Historia mínima de la Suprema Corte de Justicia de México »Caravelle [En ligne], 115 | 2020, mis en ligne le 09 février 2021, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/9205 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.9205

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Auteur

Évelyne Sanchez

CNRS-IHTP

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