Thomas Calvo, Espadas y plumas en la monarquía hispana, Alonso de Contreras y otras vidas de soldados (1600-1650)
Thomas Calvo, Espadas y plumas en la monarquía hispana, Alonso de Contreras y otras vidas de soldados (1600-1650), Madrid, Casa de Velázquez-Colegio de Michoacán, 2019, 334 p.
Texte intégral
1L’exercice conjoint des armes et des Lettres a été un des idéaux les plus prégnants du xvie siècle espagnol. À ses deux extrémités Garcilaso de la Vega et Miguel de Cervantes en sont les expressions les plus achevées. À la même époque, l’Amérique, aurait pu en donner maints exemples, mais les chroniques des conquérants sont pour certaines devenues des œuvres littéraires grâce à la plume de tiers payés pour les exalter.
2Ce livre qui a su mettre en valeur toute sa matière, et en jouer excellemment aussi, s’est centré sur les Vies de sept soldats espagnols, le plus âgé né au milieu du siècle (1552), le plus jeune en 1598, et décédés pour la plupart dans le second tiers du xviie. De cet ensemble, le seul à jouir d’une certaine renommée dans les Lettres du Siècle d’or est le capitaine Alonso de Contreras, mais tous ont en commun que leurs textes ne furent pas édités de leur temps (mais y étaient-ils destinés ?) et durent attendre la seconde moitié du xixe siècle ou le tout début du xxe pour être connus des lecteurs, au moins des spécialistes.
3Grâce à ce qu’ils disent de leurs parcours, de leurs motivations et de tout ce qu’ils ont dû endurer, Thomas Calvo réussit à montrer, dans leur diversité, ce qui constituerait en quelque sorte les lieux communs de ces hommes, dans leur choix de vie, leur devoir, les exigences de l’honneur si présentes sous leur plume comme sous celle de bien de leurs contemporains. La multiplicité de leurs pérégrinations et les moments où ils eurent à intervenir sont aussi finement analysés dans la mesure où les inflexions politiques et impériales de l’époque furent alors nombreuses comme les théâtres d’opérations sur lesquels ils eurent à intervenir, où ils se retrouvèrent parfois contre leur gré (deux d’entre eux furent captifs des Barbaresques ou des Turcs) : toute la Méditerranée, chrétienne ou musulmane, mais aussi Constantinople, les Flandres, l’Allemagne, la Transylvanie, et même des destinations bien plus lointaines, la Nouvelle-Espagne, l’Arabie et la Perse, Mombassa…
4En général leurs états de service ne leur ont guère valu les promotions espérées. Certains restèrent simples soldats, comme leur naissance le laissait prévoir, d’autres furent officiers subalternes. Thomas Calvo les replace dans « un bosque de vidas » à l’intérieur de cette monarchie hispanique qu’ils servaient, dont ils étaient les représentants et dans laquelle ils cherchaient des appuis, des réseaux comme on dit aujourd’hui, une espérance de vie meilleure et plus sûre. La Couronne n’était d’ailleurs pas la seule majesté à servir, celle de Dieu devait l’être tout autant et offrait des issues que plusieurs hésitèrent à suivre mais que d’autres décidèrent d’embrasser avec des bonheurs là aussi inégaux.
5Un autre point commun unissait ces destinées. Ces soldats entrèrent vers 1600 dans les armées d’une Espagne encore triomphante et offrant donc toutes les espérances. Au soir de leur vie, un seul semble en avoir tiré effectivement avantage, les autres n’ont guère été dans ce cas, sauf à avoir un environnement familial capable de les aider. De toute façon, tous ont connu sous des formes variées et sur des terrains divers les signes de plus en plus manifestes d’une décadence impériale que rien ne semblait devoir arrêter.
6Dans cette première partie de l’ouvrage, son auteur fait montre d’une grande connaissance de l’histoire et de la culture du Siècle d’Or espagnol, et manifeste une finesse d’analyse remarquable de textes où ceux qui les écrivent, malgré les apparences, se livrent souvent peu, pas comme on l’attendait et dans des buts dont la définition n’est pas toujours évidente. Thomas Calvo réussit néanmoins à rendre signifiante chacune de ces Vies, et à les embrasser dans une mise en perspective commune qui pouvait au départ s’avérer mal aisée étant donné leurs nombreuses et profondes différences.
7Dans la mesure où, comme annoncé dans la première partie de ce livre, les deux personnages centraux (et dans une certaine mesure collectifs, pourrait-on dire) sont les soldats et la monarchie hispanique, le croisement de leurs destinées, ou de leurs parcours va se retrouver dans les trois parties suivantes. Dans la seconde (Los socorros de Filipinas (1613-1620) el fracaso de un gran designio imperial) l’auteur le montre au travers de trois tentatives de socorros au lointain archipel (1613, 1617 et 1619) directement depuis Séville-Cadix et non pas la Nouvelle-Espagne. Le fil rouge du livre dans tout cela ? Alonso de Contreras qui commandait le galion La Concepción faisant partie de l’expédition de 1617 et fut perdu dans la baie de Cadix. Le succès de ces tentatives aurait pu dessiner un avenir différent aux relations de la Péninsule avec son très lointain archipel. Une alternative au carcan du Galion de Manille ? Dans cette suite d’échecs, Th. Calvo montre bien l’action des divers instruments dont disposait la Couronne pour sa politique et en fin de compte les défauts d’articulation entre les divers mécanismes agissant depuis son centre, ce qui était dû aux hommes, aux conflits d’intérêt, et à la conception même des dynamiques décisionnelles depuis longtemps installées.
8La troisième partie est en fait celle qui a suggéré la possibilité de ce livre. L’auteur explique comment il est né de discussions lointaines avec Jean-Pierre Berthe qui avait découvert le passage au Mexique de Contreras. Il y vécut en effet plusieurs années, d’abord dans le lointain et désolé Sinaloa (1635-1638) où il fut capitaine de presidio, puis à San Juan de Ulúa et il finit sargento mayor del reino, sous le vice-roi Cadereyta, en fait le numéro deux de l’armée en Nouvelle-Espagne, mais une charge finalement surtout administrative et peut-être guère exaltante. De tout cela Contreras ne parle pas dans le Discours de sa vie et Th. Calvo resitue ces épisodes dans les luttes de pouvoir complexes d’un pays qui, entre autres vicissitudes, eut trois vice-rois en trois ans avec tous les jeux de camarillas et de clientèles que cela implique.
9La quatrième partie profite, en quelque sorte, du séjour mexicain de Contreras pour dresser à cette époque, à la fin des années 1630, un panorama très précis et suggestif de la situation navale de l’empire à la fois aux Philippines et dans le monde caraïbe, los mares indianos, deux espaces très liés à la Novelle-Espagne, et démontre en quelque sorte par l’exemple le rôle et les effets de la mise en scène de l’histoire par l’historien. Le dernier chapitre (sur une affaire d’amour et d’honneur survenue à Manille en 1621) en est un excellent exemple. Au début et en note Th. Calvo donne une des clés de son livre en revendiquant « la construcción del historiador de su objeto histórico, así como la libertad de proceder que se puede tener a partir de circunstancias y documentos que, en teoría son los mismos, pero sobre los cuales cada uno aporta su propia elaboración, su emoción, sus intereses, todo ello “from below” como decía E. P. Thompson ».
10On est en présence d’un libre très original, qui apporte beaucoup dans plusieurs domaines de l’histoire de cette époque. Appuyé par un gros travail d’archives en Espagne et au Mexique mais aussi une profonde connaissance de l’histoire culturelle du Siècle d’Or, Thomas Calvo, avec une virtuosité certaine, joue avec ses sources pour les rendre signifiantes, montrer les mécanismes qui en coulisse les animent et les expliquent, dans le cadre d’une monarchie pluri-continentale qui survivait à ses faiblesses et à ses handicaps.
Pour citer cet article
Référence papier
Bernard Lavallé, « Thomas Calvo, Espadas y plumas en la monarquía hispana, Alonso de Contreras y otras vidas de soldados (1600-1650) », Caravelle, 114 | 2020, 174-176.
Référence électronique
Bernard Lavallé, « Thomas Calvo, Espadas y plumas en la monarquía hispana, Alonso de Contreras y otras vidas de soldados (1600-1650) », Caravelle [En ligne], 114 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/8471 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.8471
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