Navigation – Plan du site

AccueilNuméros114Comptes rendusPablo Emilio Pérez-Mallaína, Las ...

Comptes rendus

Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Las atarazanas de Sevilla

Editorial Universidad de Sevilla-Ayuntamiento de Sevilla-ICAS-Diputación de Sevilla, Sevilla, 2019, 773 p.
Michel Bertrand
p. 171-173
Référence(s) :

Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Las atarazanas de Sevilla, Editorial Universidad de Sevilla-Ayuntamiento de Sevilla-ICAS-Diputación de Sevilla, Sevilla, 2019, 773 p.

Texte intégral

1Le grand spécialiste de l’histoire de la mer et de ses gens, internationalement reconnu, qu’est Pablo Emilio Pérez-Mallaína aborde, avec ce nouveau livre, un aspect jusqu’alors assez négligé par les spécialistes de l’histoire maritime pluriséculaire de Séville. Pourtant, les atarazanas de la ville – immense ensemble de constructions à usage « industriel » autant que militaire dont l’origine remonte au xiiie siècle – ne sont rien moins que l’Arsenal des Galères du port. Ces dernières, qui avaient pour mission d’assurer le contrôle du détroit de Gibraltar, entretiennent un lien fort avec l’histoire maritime de la ville. Simple lieu de construction et de maintenance de ces navires de guerre au rôle stratégique jusqu’à la fin du Moyen Âge, elles voient leur fonction changer radicalement en 1493 lors du retour triomphant de Christophe Colomb de son premier voyage aux Indes. À compter de cette date, et alors que le rôle des galères décline progressivement tout au long du xvie siècle, l’histoire des atarazanas sévillanes change de cap : dorénavant, elles incarnent par excellence l’espace urbain que la ville dédie aux relations transatlantiques.

2Dès sa création en 1503, la Casa de la Contratación s’installe dans ces immenses entrepôts situés sur les berges du Guadalquivir couvrant une surface supérieure à 62 000 m2. Même si elle n’y reste pas – elle est rapidement déplacée dans les Reales Alcazares –, ces hangars n’en deviennent pas moins le lieu où les marchandises, arrivant de ou en partance pour l’Amérique, sont entreposées et placées sous la surveillance des Alcaídes de l’Alcazar de Séville. Ces milliers de mètres carrés disponibles, remarquablement situés et dotés d’un accès direct au port, se revalorisent aussitôt. Leurs responsables se chargent de les louer fort cher à tous ceux qui s’intéressent ou participent au commerce colonial. Bien plus même, ils n’hésitent pas à transformer ces vastes terrains en lieux d’habitation, profitant de la vigueur d’une demande suscitée par une activité économique rapidement florissante.

3Cette fonction des atarazanas – point d’ancrage sévillan des échanges avec l’Amérique – a une traduction très immédiate. Durant la phase d’organisation des expéditions d’exploration puis de conquête, la plupart des découvreurs et autres conquistadors y entreposent vivres et armements avant de s’embarquer. Par la suite, c’est dans ce cadre que s’installent nombre des activités artisanales liées aux échanges maritimes et destinées à l’entretien des navires transatlantiques. Enfin, au long des trois siècles de gestion sévillane – puis gaditane – des échanges avec l’Amérique, d’autres administrations s’y installent, contribuant à cannibaliser un espace architectural médiéval d’une ampleur exceptionnelle. Dès la fin du xvie siècle, c’est la Casa de Moneda qui y est implantée. Postérieurement, c’est l’administration des Douanes qui y trouve sa place, au prix de destructions sévères infligées au bâtiment initial. Enfin, au xviie siècle, ce qui n’était qu’une modeste chapelle de l’Arsenal est transformée en hospice à l’initiative de M. de Mañara, fonction conservée jusqu’à la fin du xxe siècle…

4On l’aura compris : ce que ressuscite Pablo-Emilio Pérez Mallaína de fort belle manière dans ce livre n’est rien d’autre qu’un pan essentiel de l’histoire de Séville, étroitement associé à son rôle commercial et industriel en lien étroit avec le monde maritime et transatlantique. L’ouvrage s’organise en deux parties inégales en nombre de pages. La plus importante qui correspond à la première partie, s’attache, en 7 chapitres, à reconstituer la construction puis la place occupée par cette implantation des atarazanas à Séville au cours du xiiie siècle. Certes, les premiers chantiers navals à vocation militaire remontent à l’époque almohade de la cité. Mais c’est en 1252, peu après la reprise de la ville par le roi Alphonse X le Sage, qu’est créé ce qui deviendra l’immense ensemble architectural urbain que constituent ces ­atarazanas. Une carte – p. 57 – offre au lecteur la possibilité de se représenter précisément l’espace urbain qu’elles occupèrent au maximum de leur activité. Elle permet de visualiser aussi l’importance que pouvait occuper cette activité économique située au cœur de la ville.

5Précisément, après avoir étudié le rôle de ces constructions navales en étroite relation avec le paysage diplomatique européen de la fin du Moyen Âge, l’historien des gens de mer revient sur ce qui, probablement, lui tient le plus à cœur, à savoir une histoire sociale et politique de l’institution sévillane. Le chapitre 4 est ainsi consacré à une sorte de dictionnaire biographique des responsables successifs de l’institution, soit au total 37 alcaides entre le xiiie et le xviiie siècle (p. 265-6). Le chapitre suivant est consacré aux ouvriers de l’arsenal, tout ce petit peuple sévillan où se côtoient hommes libres et esclaves. À ce titre, les trois listes d’ouvriers retrouvées pour le xve siècle permettent d’avoir une vision assez précise de ces métiers associés à l’arsenal qui compte une main-d’œuvre aux qualifications précises. Enfin, le chapitre 6 aborde l’étude de l’usage de cette véritable « grande entreprise » médiévale qui regroupe plusieurs centaines de travailleurs (près de 500 au xve siècle). Il s’agit là d’une approche aux contenus d’ordre plutôt économique qui permet de saisir la place de cette activité dans l’économie sévillane : coûts de production, achat de matériels et de matériaux divers, impôts encaissés au nom du roi, revenus des locations d’espaces… L’ensemble des données ici présentées et commentées montrent que l’on a à faire à une véritable entreprise dont la dimension financière est loin d’être négligeable. À la fin du xve siècle, en une quinzaine d’années, les atarazanas perçoivent ainsi près de 5 millions et demi de maravédis à des titres divers…

6La seconde partie du livre se propose de mener l’étude des atarazanas pour la période moderne. Le chapitre 9 mérite ici toute l’attention puisqu’il est consacré à la douane des Indes. L’arsenal médiéval a alors été transformé en immense entrepôt pour toutes les marchandises allant et venant entre les deux rives de l’Atlantique. Mais son usage est en réalité bien plus divers : aux côtés des entrepôts privés on trouve un marché au poisson et même des espaces résidentiels. L’administration y renforce aussi sa présence : aux côtés de l’hôtel des monnaies, la création de la douane à la fin du xvie siècle transforme les atarazanas en lieu de perception de l’almorajifazgo. La reproduction de deux gravures, datant probablement du xviie siècle pour la première (p. 655) et du xviiie siècle pour la seconde (p. 683), offre une excellente idée de cette densification urbaine très élevée dont ces atarazanas ont fait l’objet. Le dernier chapitre du livre aborde une ultime transformation à laquelle cet espace urbain a été soumis. Il étudie en effet la construction du lieu d’accueil ou d’enfermement des innombrables miséreux traînant dans une ville qui attirait, au quotidien, de nombreux immigrants. Cette ultime construction d’importance de l’époque moderne va avoir un impact architectural néfaste sur le bâti médiéval : une partie des entrepôts est en effet détruite pour accueillir l’hôpital de la Charité. À cette date, les atarazanas avaient perdu leur autonomie juridique pour être intégrées au sein du vaste ensemble qui symbolise la puissance et l’autorité royales par excellence dans la ville, les Reales Alcazares.

7Ce livre, fruit d’une recherche de plus de dix ans, offre une vue complète de l’histoire d’une institution sévillane essentielle dans l’étude et la compréhension des relations de la ville avec l’espace fluvial et maritime atlantique. Accompagné de superbes illustrations couchées sur papier glacé, il ne s’agit pas seulement d’un excellent travail de recherche sur un aspect assez oublié de l’histoire urbaine sévillane mais aussi, et au sens le plus fort, d’un très « beau » livre. Avis aux amateurs !s

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Michel Bertrand, « Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Las atarazanas de Sevilla »Caravelle, 114 | 2020, 171-173.

Référence électronique

Michel Bertrand, « Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Las atarazanas de Sevilla »Caravelle [En ligne], 114 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/8448 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.8448

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search