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Comptes rendus

Verena Dolle (ed.), La representación de la Conquista en el teatro latinoamericano de los siglos XX y XXI

Hildesheim, OLMS, 2014, 370 p.
Claire Pailler
p. 201-204
Référence(s) :

Verena Dolle (ed.), La representación de la Conquista en el teatro latinoamericano de los siglos XX y XXI, Hildesheim, OLMS, 2014, 370 p.

Texte intégral

1Après l’abondance d’éclairages et de rétrospectives sur la rencontre et le choc de deux mondes qu’a suscitée le cinquième Centenaire de 1992, si l’on peut à présent prendre quelque champ et ébaucher quelque bilan, on constate la maigreur des études portant sur la production théâtrale proprement américaine inspirée par ce sujet.

2À cet égard, l’ensemble qu’offre Verena Dolle constitue donc un apport bienvenu, tant par la quantité que par la qualité de ses contributions. Ces différents travaux sont précédés d’une excellente introduction. Une présentation, très fouillée et éclairante, replace la démarche au regard des différentes approches déjà réalisées sur ce sujet de la Conquista, dans le théâtre européen et dans le cinéma.

3L’ouvrage est organisé en cinq chapitres qui réunissent de façon équilibrée les productions des différentes régions du continent : Mexique ; Amérique Centrale ; un regroupement comprenant Colombie, Venezuela et Brésil ; « el entorno de los Andes » ; Argentine. Sont étudiées une trentaine de pièces qui se sont succédé sur plus d’un siècle, du romantisme « attardé » de l’Argentin Nicolás Granada, de 1897, jusqu’au Colón, el huevo conquistador d’un autre Argentin, Leandro Rosati, de 2010.

4Ainsi, du Mexique au Cône Sud, dix-huit études analysent comment la dramaturgie met sa lecture de l’histoire, ou de ses chroniqueurs, au service d’une idée, voire d’une idéologie, nationale ou nationaliste, grâce à son impact direct, social et/ou politique, sur le public, avec les variantes dues tant aux conditions locales qu’à la conjoncture internationale.

5Ceci est perceptible dès le premier contact avec le Mexique, lieu de la « Conquista por antonomasia » : la figure de la Malinche est reprise dans la perspective plus large de l’hétérogénéité, là où elle apparaît comme porteur d’un néocolonialisme en rapport avec une globalisation menaçante pour l’identité individuelle et/ou collective.

6En Amérique Centrale, où la Conquête n’a pas eu le même caractère traumatisant, on trouve, à côté d’une allusion appuyée à la politique d’expansion agressive des États-Unis, le thème d’une « évangélisation pacifique des indigènes » associé à l’idée d’une Amérique latine aux harmonieuses racines ethniques et d’une mise en valeur d’une culture indigène idéalisée, proche de la « nature ». En ce sens l’autre figure de la controverse américaine, Bartolomé de las Casas, est particulièrement présenté comme « el apóstol de la causa indígena y precursor de los derechos humanos en Hispanoamérica ».

7Le territoire de la Colombie n’ayant pas été marqué précisément par un conquistador déterminé, le théâtre utilise, outre Bartolomé de las Casas, les multiples héros de la Conquête territoriale : Lope de Aguirre, Núñez de Balboa... Les pièces étudiées sont alors essentiellement le reflet de la crise aiguë traversée par le pays au cours des dernières décennies du XXe siècle. Cette tension se manifeste dans l’usage répété de la parodie et de la satire. L’allusion subversive aux différents acteurs de la Conquête est à replacer, ici aussi, dans le contexte de la forte présence et de la pression des États-Unis, ressenties comme un néocolonialisme.

8Le Venezuela, pour sa part, affiche peu d’œuvres traitant de la Conquête, et le théâtre s’attache davantage au « mythe fondateur » d’une nation, au destin d’un peuple héritier d’ancêtres dépossédés porteurs d’une histoire héroïque.

9Si la proximité géographique justifie la présence du Brésil dans ce chapitre, il n’en reste pas moins qu’il représente un cas particulier, à la fois par l’origine et les modalités de sa Conquête, et par la façon dont le thème est traité dans les rares œuvres qui lui sont consacrées et où le conquérant est particulièrement vilipendé. Les Portugais apparaissent comme des balourds incapables de communiquer avec les indigènes ou bien, à travers une série d’épisodes comiques ou absurdes, l’histoire du Brésil est présentée comme un long déroulement de violence, d’oppression et de méconnaissance.

10Le quatrième chapitre, qui regroupe les terres andines et « el entorno de los Andes », introduit, à côté de Pizarro et de Valdivia, les figures mythiques de la résistance indigène : Atahualpa et Lautaro, bien que ce dernier, pas plus que son peuple, les Araucans, n’apparaisse guère dans la mémoire nationale chilienne avant la découverte et la réhabilitation de la richesse culturelle indigène par Pablo Neruda. De fait, le retour sur l’épisode de la Conquête espagnole est essentiellement l’occasion d’une réflexion sur l’histoire, présentée comme un ensemble de variables qui ne peut prétendre à une vérité absolue.

11Les œuvres du théâtre équatorien sont, elles aussi, marquées, beaucoup plus que par un retour sur le personnage des conquistadors, par l’époque de leur création, dans un contexte hautement politisé ; elles reflètent ainsi les tensions et les affrontements idéologiques des dernières décennies du siècle. On retrouve, là encore, la marque de la pesante présence du grand voisin du Nord : « El predominio de la espectacularidad y la concepción colectiva del trabajo dan cuenta de una marcada preocupación ética, más atenta a una identidad cultural contemporánea que a una identidad histórica. » (Checa Puerta, p. 232)

12Alors que la Conquête représente pour le Mexique une référence fondamentale, ce thème n’apparaît qu’à de rares occasions dans le théâtre péruvien. Certes, le Pérou n’a pas connu de couple « fondateur de la nation » à l’image de Cortés et la Malinche, mais le métissage y est, là aussi, une réalité liée à la Conquête (et el Inca Garcilaso n’est pas le moindre de ses exemples. On se souvient aussi du courant de pensée dont Ciro Alegría s’était fait porteur dans son El mundo es ancho y ajeno, voyant dans le métissage la promesse d’une fusion harmonieuse des deux « races »). Bien au contraire, les dramaturges contemporains reprennent et retournent l’ancienne conception de l’affrontement entre « civilisation et barbarie ». Là, les valeurs positives sont incarnées par les indigènes et leur chef Atahualpa, alors que la barbarie des conquérants est dénoncée comme responsable et fondatrice des injustices du temps présent, dans un appel à un engagement social et politique.

13Offrant à l’ensemble un bouquet final, l’Argentine, paradoxalement, fournit le plus gros contingent de créations, interprétations et propositions sur le thème. Une vingtaine de pièces, s’échelonnant sur plus d’un siècle, trouve là, comme dans les autres pays du continent, l’occasion (le « pré-texte » ?) d’une transposition immédiate, reflet des problèmes politiques et sociaux contemporains. Le pays n’a pas connu l’ère des premiers conquistadors, mais la référence à la guerre meurtrière et dévastatrice que fut la « Campaña del Desierto » de 1879 contre les Indiens pampas suscite le parallèle, auquel s’ajoute le souvenir immédiat de la plus récente dictature militaire. Cette dernière a également entraîné une personnalisation et individualisation des victimes ; de plus, l’aspect génocidaire se nuance d’une reconnaissance générique. Cette attention aux femmes marginalisées et vaincues permet d’établir un parallèle entre la femme indigène et la femme ouvrière, que l’on retrouve dans le théâtre anarchiste des années 20 : la Conquête devient l’archétype structurel du processus par lequel une minorité, non plus ethnique, mais de classe, parvient à dominer une majorité et entraîner sa disparition. La trame historique dès lors est utilisée pour exposer les problèmes de la violation des droits humains, et la dramaturgie a recours aussi bien au registre de la parodie et du grotesque. (On pourrait en ce sens rappeler les Esperpentos de Valle Inclán.) Les faits historiques très librement évoqués sont en fait « una alegoría para la crítica del presente » (Dolle, p. 28). La Conquête apparaît comme le point de départ d’une invasion non seulement politique ou économique, mais aussi commerciale, voire culturelle, tant sur le plan national que continental. (On en retrouverait les échos, dès les années 1960-1970, dans certaines planches de Mafalda.)

14Ainsi donc le thème de la Conquête a été traité amplement et sans discontinuer par l’ensemble des dramaturges latino-américains. On peut noter une évolution dans son traitement en relation avec les courants de pensée qui se sont succédé au cours du siècle. Le problème est posé de l’intrusion d’un conquérant absolument dominateur ou du dialogue entre les cultures, comme l’indique V. Dolle en conclusion : « Varias tendencias y desarrollos en los últimos años van más bien hacia [...] una re-esencialización y una profundización de líneas delimitadoras/separadoras y han hecho evidente que la idea de interculturalidad e hibridación puede ser una ilusión, un pretexto bajo el cual siguen existiendo diferencias e incomunicaciones profundas. De ahí que me parezca oportuno analizar para investigaciones futuras la producción teatral latinoamericana bajo el enfoque de la ‘‘traducción cultural...” » (p. 29)

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Pailler, « Verena Dolle (ed.), La representación de la Conquista en el teatro latinoamericano de los siglos XX y XXI »Caravelle, 105 | 2015, 201-204.

Référence électronique

Claire Pailler, « Verena Dolle (ed.), La representación de la Conquista en el teatro latinoamericano de los siglos XX y XXI »Caravelle [En ligne], 105 | 2015, mis en ligne le 05 février 2016, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/1858 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.1858

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Auteur

Claire Pailler

Université de Toulouse

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