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Comptes rendus

Darío G. Barriera (coord. y ed.), Grietas argentinas. Divisiones ordinarias para pasiones extraordinarias

Frédérique Langue
p. 180-182
Référence(s) :

Darío G. Barriera (coord. y ed.), Grietas argentinas. Divisiones ordinarias para pasiones extraordinarias, Rosario, CBediciones, 2022, 141 p.

Texte intégral

1Une fois n’est pas coutume, commençons la lecture de cet ouvrage par ses dernières lignes, opportunément situées en toute dernière page : « Los más avezados dirán que la lista de grietas argentinas que ofrecemos no es exhaustiva. Sepan que tampoco hemos quedado exhaustos”. Après la récente arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Argentine suite à la victoire de J. Milei, et à la mobilisation à son encontre d’une grande partie de l’opinion publique et des intellectuels, cette précaution en forme d’avertissement sonne comme une incitation à résister. Lire Grietas argentinas avant cet événement et « dernière catastrophe » de l’histoire récente de l’Argentine ne manquait pas d’intérêt. Le relire à présent permet de revenir sur des discussions et débats parfois clivants, toujours fondés sur des dichotomies, s’inscrivant dans des configurations à la fois politiques et émotionnelles qui ne manquent pas d’éclairer la conjoncture actuelle, quel que soit l’ancrage de certains des thèmes choisis dans un passé plus lointain mais pas pour autant révolu de l’Argentine. Au-delà de l’enthousiasme, de la ferveur ou de la division suscités par certains thèmes, tel est le pari proposé ici autour de champs thématiques susceptibles de créer une « conjonction », à tout le moins une discussion partagée de ces fissures qui fondent l’histoire de l’Argentine, de l’histoire à la littérature en passant par le football ou la gastronomie.

2Les hypothèses de l’ouvrage sont en effet les suivantes : l’Argentine est un pays de « fissures », dont certaines sont inscrites durablement dans la mémoire du pays (par exemple, Unitarios y federales), aucune n’étant, en définitive, ni bonne ni mauvaise en soi. Elles comportent en revanche une utilité sociale inégalable, pas toujours transposable au domaine scientifique, et une valeur émotionnelle qui joue et influe sur des oppositions, telles que kirchnerismo/antikirchnerismo. Le péronisme, présent à l’origine de nombreuses « fissures », autorise par ailleurs une relative mobilité de part et d’autre de la ligne de démarcation, ainsi dans le cas des relations civiles y militares, contribuant de fait à nuancer l’histoire des idées et à forger des identités plurielles. Devant tant de prétextes à division, il convient indéniablement de s’interroger sur ce qui réunit : ici, la nation, qui tendrait à éviter que telle option politique ne se transforme en crevasse. Ce type d’échanges, autour d’idées revendiquées comme simples et abordables et qui se répondent en écho tout au long de l’ouvrage, constituerait de ce fait une réponse à la question touchant à l’utilité de l’histoire, de fait fort présente dans les différentes rubriques définies.

3Pour illustrer ce propos après lectures des 44 « fissures » – les textes sont courts, pas plus de deux/trois pages – qui ont inspiré cet ouvrage et des (presque aussi) nombreux auteurs qui se sont prêtés à l’exercice (de Valentina Ayrolo à Dora Barrancos, en passant par Darío Barriera, Marcela Ternavasio, Guillermo Wilde, María Inés Tato, ou Nicolás Quiroga pour n’en citer (inévitablement et très arbitrairement) que quelques-uns, nous avons choisi d’en considérer trois, centrées bien que de manière non exclusive (leurs orientations ne font que se détacher légèrement plus que dans d’autres cas) sur l’histoire dans sa longue durée (Civiles y militares, Civilización y barbarie, clericales y anticlericales, Indios amigos o indios enemigos, Nacionalistas vs liberales, Monárquicos y republicanos, Yrigoyenismo y antiirigoyenismo…), le temps présent et ses débats voire ses polémiques sous-jacentes (Estado y mercado, Malvinización o desmalvinización, Périodismo independiente/periodismo militante), et, enfin, l’idiosyncrasie à l’œuvre dans certains éléments incontournables de la vie culturelle (Maradonianos y antimaradonianos, Verdes o celestes, Vino o cerveza, Los Chalchaleros o Los Fronterizos, Gardel o Magaldi, Pugliese o Piazzola…).

4L’entrée dans l’histoire se fait ainsi dès les premières pages avec la contribution Alpargatas o libros, signée de Nicolas Dip. Cette consigne volontiers brandie sous le péronisme exprimerait à la fois une revendication populaire, antiélitiste et une tragédie, en d’autres termes, le clivage entre classes populaires/moyennes, travailleurs et universitaires, à travers un certain nombre d’événements dont le coup d’État contre Perón en 1955. Le thème est prétexte à évoquer le rôle du mouvement étudiant – dont l’auteur est spécialiste – et celui de la nécessaire alliance entre travailleurs et classes moyennes afin de garantir le changement politique, entre les héritiers de la réforme universitaire de 1918 et le péronisme, deux logiques qui perdurent au moins jusqu’aux avant-gardes armées des années 1970, et que l’on retrouvera en filigrane dans d’autres entrées de ce petit livre (Educación pública vs educación privada, Laica o libre, Peronismo y antiperonismo …).

5Le deuxième exemple de ces approches synthétiques, cette fois plus proche de l’actualité, et qui condense à l’extrême les débats sur le sujet, est celui de « Bergoglio o Francisco », abordé par María Elena Barral. Le défi d’avoir un pape argentin conduisit en effet à une surinterprétation des gestes du nouveau pontife et de la politique perçue comme moyen de transformation, de son parcours : la militancia peronista, les « deux papes », du Provincial jésuite pendant la dictature militaire et sa responsabilité dans l’enlèvement et la captivité à l’ESMA de deux confrères jésuites, O. Yorio et F. Jálics. Depuis son élection le 13 mars 2013, la fissure entre partisans et adversaires ne s’est guère comblée. Elle aurait en revanche connu des déplacements, liés à la fascination ressentie par l’intéressé à l’endroit de la politique, passée ici au filtre des médiations cinématographiques, de l’omniprésente question des droits humains, de ses relations contrastées avec le kirchnerismo ou encore de prédications hostiles au libéralisme, à la globalisation, à la haine et à l’idéologie des puissants. Dès lors, il conviendrait de parler d’un art de la politique plus que d’antipolitique selon les termes choisis par l’auteure de cette entrée.

6Troisième invitation à la lecture, dans l’ordre ou le désordre, de cet ensemble, dont on peut légitimement penser qu’il a trouvé dans le cebado motif à inspiration lors de son écriture, à l’instar de son coordinateur : « Mate amargo o mate dulce » (Darío Barriera). Traditions en conflit, influences et métissages, formes de sociabilités, sont ici au rendez-vous, portés par des anecdotes tirées des archives sur l’« herbe du diable » dans la Province du Paraguay et du Río de la Plata, ses prohibitions ultérieures (jusqu’à la seconde moitié du xviiie siècle puis à nouveau au xixe siècle), par les oppositions entre ses détracteurs moralistes et ses partisans et producteurs (Jésuites), et enfin, ses utilisations diverses tout au long des « trois siècles » d’histoire de la yerba mate dûment étudiés par Juan Carlos Garavaglia.

7Le plaisir de la lecture induit par ce format dynamique, d’une certaine manière dialectique, les récits courts et la profusion d’anecdotes n’occultent cependant pas l’argumentation précise des auteurs sur un passé toujours bien présent. Ce format de débat non figé, ouvert à la contradiction et dans le même temps extrêmement précis, permet de ce fait de revenir dans un style agréable à l’essentiel sur les questions choisies, ainsi qu’à une « proposition éthique et politique ». Il témoigne par conséquent d’un autre aspect majeur du travail de l’historien, celui de sa capacité à sortir de sa « tour d’ivoire » dans la cité du temps présent.

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Pour citer cet article

Référence papier

Frédérique Langue, « Darío G. Barriera (coord. y ed.), Grietas argentinas. Divisiones ordinarias para pasiones extraordinarias »Caravelle, 123 | -1, 180-182.

Référence électronique

Frédérique Langue, « Darío G. Barriera (coord. y ed.), Grietas argentinas. Divisiones ordinarias para pasiones extraordinarias »Caravelle [En ligne], 123 | 2024, mis en ligne le 26 novembre 2024, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15965 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1315m

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