1Durant plus d’une quarantaine d’années (des années 1960 jusqu’au début des années 2010), Romain Gaignard a posé une à une les briques de l’édifice latino-américaniste toulousain (et français), selon un processus de construction qui a valorisé rencontres, hasards de la vie et exigences politiques des plus hautes instances nationales. Repoussant les frontières académiques et institutionnelles, jouant avec les emboîtements d’échelles, tant spatiales que temporelles, il a ainsi pratiqué avant l’heure la pluridisciplinarité, a saisi les opportunités politiques et institutionnelles du moment et a privilégié le travail en équipe.
2Il apparaît ainsi à la lumière du temps que le chemin suivi a été tracé au gré d’une logique créatrice et organisatrice, intéressante à évoquer à l’occasion de ce numéro anniversaire de Caravelle. Sur la base de conver-sations réalisées durant l’automne-hiver 2012-2013 (les années précé-dentes, aussi), du livre-hommage paru en 2003, d’articles publiés, déjà, dans Caravelle dans les années 1990, et des entretiens menés à bien par des collègues du Lisst-Cieu-Cas (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires-Centre interdisciplinaire d’études urbaines-Centre d’anthropologie sociale) en 2010 dans la perspective de la journée d’études « Le patrimoine immatériel du Toulouse scientifique moderne, 1960-1990 » qui a eu lieu à l’UTM le 21 juin 2011, nous relatons ici la contribution fondamentale de Romain Gaignard à l’adoption d’orientations scientifiques et à la création de structures de recherche qui ont guidé le développement, à Toulouse en particulier et en France en général, des activités de recherche et d’enseignement, de documentation et de publication, et des relations internationales liées à l’Amérique latine.
3En 1958, étudiant à l’Université de Bordeaux (où il est élève-inspecteur aux PTT), Romain Gaignard obtient brillamment l’Agrégation d’histoire à l’âge de 22 ans et enseigne dans la foulée au Lycée Montaigne de Bordeaux. La géographie et l’Argentine (et l’espagnol qu’il ne pratique pas) vont alors croiser son chemin du fait de l’intérêt que lui portent les géographes de l’Université bordelaise, Henri Enjalbert et Louis Papy, qui l’encouragent à entreprendre une thèse d’Etat en géographie.
4Proposition lui est faite de la part de Jean-Noël Salomon, professeur de littérature espagnole et latino-américaine à l’Université, d’aider un collègue argentin, Mariano Zamorano, ancien boursier du gouvernement français à Bordeaux pour réaliser une thèse sur le vignoble du Médoc, à mettre en place un Institut de géographie à la Faculté de lettres de l’Université nationale du Cuyo sise à Mendoza, au pied des Andes. Le projet s’inscrit, en fait, plus largement dans la politique du gouvernement français de la fin des années cinquante, de développement de la coopé-ration universitaire entre la France et plusieurs pays latino-américains clés. La Direction des Affaires culturelles au Ministère des Affaires étrangères déploie progressivement le dispositif : Claude Bataillon est dépêché au Mexique, Olivier Dollfus au Pérou, Jean Bordes au Chili, Yves Leloup, puis Raymond Pebayle au Brésil. Romain Gaignard a la mission en Argentine de remettre à flot l’Institut Français de Buenos Aires, objectif vite abandonné, et de participer au développement de l’Institut de Géographie de l’Université nationale du Cuyo à Mendoza qui va, avec Mariano Zamorano et Ricardo Capitanelli, devenir le centre moteur de la géographie universitaire argentine.
5Une rencontre avec Pierre Monbeig, qui avait réalisé sa thèse sur le front pionnier de la culture du café dans l’Etat de Sao Paulo (Brésil), et une autre avec Pierre Chaunu, l’historien de l’Atlantique, persuadent Romain Gaignard de la faisabilité d’un projet de recherche sur ce front pionnier que fut la Pampa à la fin du XIXe siècle. Le départ avec son épouse Marie-Thérèse, en mai 1960, est précédé de la rédaction, en guise de familiarisation avec le contexte argentin, d’un long et important article sur l’économie du pays, paru dans les Cahiers d’Outre-Mer. Cette première investigation, en l’absence de tout contact universitaire, montre la rareté de l’information et le convainc de la nécessité de mener à bien ses recherches, une fois en Argentine, en mobilisant le maximum de collègues argentins géographes, historiens, agronomes, en provoquant la pluri-disciplinarité et l’échange scientifique. Ce sont deux façons de procéder, deux postures qu’il adoptera définitivement.
6Il travaille à l’Université de Mendoza en 1960 et 1961 et de 1964 à 1969. Il arpente l’Argentine (également le Paraguay qui le fascine, et presque tous les pays d’Amérique latine). Il s’emploie à lancer des programmes de développement avec des organismes comme le Secrétariat d’Etat à l’Agriculture et à l’Elevage ou l’INTA (sous la direction d’Horacio Giberti). Il participe notamment à la fondation de la Faculté de géographie de l’Université Nationale du Nordeste à Resistencia (capitale du Chaco) en mobilisant des compétences extérieures et en favorisant la formation de boursiers en France. Parallèlement, il est très présent à Rosario, à Córdoba, à Tucumán et à Bahía Blanca.
7Etant l’un des rare Français à bien connaître la Pampa et l’Argentine, il est sollicité par le BDPA (Bureau pour le Développement de la Production agricole) qui est chargé d’aider à l’installation d’anciens agriculteurs français d’Algérie, proches de l’OAS, orientés vers l’Argentine après 1962. Assistance technique, travail avec des ingénieurs agronomes : autant de manières de pratiquer une « géographie appliquée » (comme l’on disait alors) dans le cadre d’activités de coopération internationale. Il n’en oublie pas pour autant les rencontres universitaires et accompagne Pierre Monbeig dans la réalisation en 1966 à l’IHEAL d’un grand colloque international sur « les problèmes agraires des Amériques latines ».
8Le travail de terrain s’achève en Argentine en 1969 avec le retour définitif en France. Romain Gaignard est maître-assistant à Caen « pour ordre » mais doit rechercher une université où enseigner. La visite en Argentine quelques années auparavant de Bernard Kayser, géographe toulousain qui s’intéresse aux transformations du monde rural, va déterminer la suite de sa carrière. En effet, celui-ci cherche à installer un pôle de recherche sur l’Amérique latine à partir de la tradition latino-américaniste naissante à Toulouse où Paul Mérimée, Frédéric Mauro et Jean Roche viennent de créer en 1963 la Revue Caravelle dédiée à l’Amérique latine. Bernard Kayser et Bartolomé Bennassar envisagent d’élargir les études hispaniques dans une vision pluridisciplinaire. Cette rencontre, suivie d’entretiens à Toulouse, va déclencher le processus de mise sur pied de structures et d’activités latino-américanistes, fondatrices pour Toulouse et même pour l’ensemble de la France.
- 1 Jean Andreu, Bartolomé Bennassar et Romain Gaignard, Les Aveyronnais dans la Pampa. Fondation, déve (...)
9Fin 1969, donc, Romain Gaignard devient chargé d’enseignement sur un poste de maître de conférences en géographie à l’Université de Toulouse (l’Université de Toulouse-Le Mirail, construite dans la ville nouvelle éponyme, sera inaugurée en 1972). En 1970, Romain Gaignard et Bartolomé Bennassar fondent le CIELA (Centre Interdisciplinaire d’Etudes Latino-Américaines), structure informelle d’enseignement et de recherche où les accompagnent Georges Baudot, Jean Andreu, Pierre Vayssière. Un projet de recherche commun est promptement défini. Découverte par Romain Gaignard en 1967 au détour d’une de ses innombrables traversées de la Pampa, Pigüé, petite ville centre d’une colonie agricole d’Aveyronnais implantée dans les années 1880, au Nord de Bahía Blanca, est choisie comme objet d’une recherche pluridisci-plinaire (aspects historiques, géographiques, socio-linguistiques). Romain Gaignard avec Jean Andreu et Bartolomé Bennassar mobilisent quatre étudiants motivés par un troisième cycle. La réussite de cette expérience de recherche conforte le CIELA : un accord est passé entre les trois départements d’histoire, de géographie et d’espagnol pour valoriser les enseignements dispensés dans des U.V (Unités de Valeur) Amérique latine. Et cette recherche débouche sur un livre publié, avec succès, en 1977, aux Editions Privat1.
10Pendant ce temps, Romain Gaignard reste sollicité en France par le BDPA. Conseiller du directeur général, il anime la réorientation de son activité hors du champ ex-colonial africain afin de participer au développement agricole, rural et régional de pays d’autres continents. Il réalise ainsi des missions en Amérique latine, dans des pays aussi divers que l’Equateur, le Mexique (avec Jean Revel-Mouroz), le Venezuela, la Colombie, le Chili ou le Costa Rica, rencontrant souvent les plus hauts responsables nationaux. Il n’oublie pas l’Argentine pour laquelle il lance un grand projet de coopération franco-argentine pour le développement de l’Ouest semi-aride (Opération Zones Arides), arrêté par le coup d’Etat militaire de 1976.
11Eloigné de ses terrains en 1974 pour des raisons de santé, il mobilise son expérience et donne vie à ses centres d’intérêt en créant ou en sus-citant la création de différentes structures de coopération liées au secteur agricole. En 1975 naît ASSODIA (Association Sud-Ouest pour le Développement international Agricole) avec Jean-Claude Sabin et Henri Prugnaud ; en 1977, AGROPOL (Association pour le Développement international agronomique industriel et économique des Oléagineux et des Protéagineux) avec Jean-Claude Sabin. Suite à l’embargo américain, il s’agit, entre autres, de promouvoir la production de soja en France, en Argentine, en Colombie, cette culture-phare de l’agriculture états-unienne étant en train de se développer au Brésil. En effet, l’embargo décrété par les Etats-Unis en 1970 a démontré qu’il valait mieux ne pas dépendre exclusivement d’eux pour l’alimentation des élevages français, le soja fournissant la protéine indispensable aux rations des animaux.
12Alice Saunier-Saïté, Secrétaire d’Etat aux Universités puis Ministre, crée une Mission de la Recherche confiée à l’astronome Denisse. Celui-ci accueille l’idée d’Olivier Dollfus de susciter la pluridisciplinarité autour d’aires culturelles. Ce dernier va faire appel à Romain Gaignard pour l’Amérique latine et un travail d’équipe se met en place. C’est ainsi qu’est reconnue l’importance de la Documentation en Sciences Humaines et Sociales comme l’équivalent de la paillasse en sciences dures. La stratégie est de monter des structures fédératives de documentation en appui des équipes de recherche. Il en résulte la naissance du Réseau Amérique la-tine au sein du CNRS. Il s’appuie, bien entendu, sur le CREDAL (Centre de recherche et de documentation sur l’Amérique latine) à Paris (avec l’IHEAL) mais, en province, Toulouse est son point d’ancrage.
13C’est que les choses ont évolué à Toulouse. La politique de déconcentration lancée par la DATAR – Délégation à l’aménagement du territoire et à l’aménagement régional (pour lutter contre le « désert français »), appliquée en son domaine par la Mission de la Recherche et le CNRS, a permis à Claude Bataillon de migrer de Paris à Toulouse pour y créer, avec Romain Gaignard, le RETIMO (REcherches sur le TIers-Monde) puis une unité propre de recherche, le GRAL (Groupe de recherches sur l’Amérique latine). A partir de là, Romain Gaignard a obtenu des dotations de la DATAR et, sur cette base, il devient possible de créer un GDR Documentation associant Paris et Toulouse. A Toulouse, les crédits de la DATAR devant se traduire en termes de développement, Romain Gaignard crée en 1978 le SEDOCAL – Service de documentation sur l’Amérique latine, qui préfigure le CEDOCAL, et dont la vocation première a été de proposer un service de docu-mentation aux entreprises de la Région Midi-Pyrénées. Michel Poinard, géographe en cours de rédaction de sa thèse d’Etat sur les immigrés portugais, le développe avec Perla Cohen. La compilation d’informations socio-économiques, politiques, diplomatiques, culturelles, est assurée grâce à l’abonnement (coûteux) à huit quotidiens latino-américains reçus par avion et au micro-fichage des articles les plus intéressants. Le public est universitaire, entrepreneurial, administratif, moyennant souscription : les pays d’Amérique latine sont perçus comme autant de marchés potentiels en développement pour les industriels de Midi-Pyrénées. Le micro-fichage de thèses suit naturellement. Le SEDOCAL est alors l’un des rares systèmes de documentation flexible dans son fonctionnement et innovant dans son information. Par manque de pérennisation de ses moyens et du fait de devis de demandes de documentation restés sans suite, le SEDOCAL va peu à peu abandonner son S de service auprès des entreprises et administrations, et poursuivre sa vie de centre documentaire universitaire avec, à sa tête, Michèle Bincaz, recrutée aussi grâce à la Mission de la Recherche.
14À la fin des années 1970, le niveau régional d’action et de réflexion a donc émergé. Bernard Kayser fait connaître Romain Gaignard à Alain Savary, premier Président de la Région Midi-Pyrénées (1974-1981). Anticipant l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans le Marché commun européen, ce dernier en fait son conseiller pour l’international et lui confie l’aménagement du territoire, car il connaît bien son action auprès du Directeur du BDPA. Parallèlement, Romain Gaignard poursuit la rédaction de sa thèse d’Etat sur la mise en valeur de la Pampa argentine et l’occupation du sol, qu’il soutient en 1979 à l’Université de Bordeaux.
15Ces années 1960 et 1970 constituent une période durant laquelle Romain Gaignard s’emploie à définir des programmes de coopération de la France avec les pays en développement, au sein d’organismes qu’il a pu créer et/ou diriger. Au niveau national, les jeux de décision et les rencontres s’inscrivent dans une logique politique favorable aux délocalisations, avec la Datar très impliquée et des actions ministérielles dont Romain Gaignard peut se saisir comme levier de développement d’un ensemble de structures qui mettent en avant le latino-américanisme toulousain. Après l’élection de François Mitterrand, il entre dans une longue parenthèse parisienne, très active, qui lui donne l’occasion de suivre de loin et de pérenniser son action sur l’Amérique latine.
16En 1981, Romain Gaignard intègre à Paris le cabinet d’Alain Savary au Ministère de l’Education où il travaillera, entre autres, à la rédaction de la Loi Savary de 1984 et à la réforme du doctorat. Parallèlement, de 1982 à 1985, il est Directeur de la DRCI (Direction de la Coopération et des Relations Internationales du Ministère) qu’il a créée. De 1983 à fin 1985, il est Haut fonctionnaire de Défense, chargé des enseignements supérieurs et de la recherche. Il travaille avec les Ministères des Affaires étrangères, de la Coopération, de la Recherche et de la Culture. Entre autres initiatives et suivis de dossiers, il obtient que les décrets créant des Instituts autonomes au sein des universités comprennent l’IHEAL (qui s’en trouve régularisé !) et l’IPEALT dont il a suscité la création à Toulouse. Le décret 85-1244 du 28 novembre 1985 le fonde. Il est inauguré en février 1986 par Alain Savary (qui est le premier président de son Conseil d’administration). Georges Baudot est le premier directeur de l’IPEALT (dès février 1985 et la première assemblée qui institue la structure) ; les statuts définitifs sont adoptés par l’UTM en novembre 1986. Finalement, ce sont trois années qui ont été nécessaires pour faire naître et structurer l’instance fédératrice du latino-américanisme toulousain.
17La promotion de l’Amérique latine au niveau national est passée aussi par l’organisation en 1983 des Etats généraux des études latino-américaines, le sauvetage du Cofecub (Comité français d’évaluation de la coopération universitaire avec le Brésil), les premiers appels d’offres de coopération avec l’Argentine (1984) et la relance de la Maison de l’Amérique latine à Paris, en en faisant en 1984 une fondation rattachée aux Ministères des Affaires étrangères et de la Culture. Présidée par un membre de la diplomatie française (depuis 2003, Alain Rouquié), ses activités sont d’ordre diplomatique (implication des Ambassades latino-américaines en France), économique et culturelle (rencontres, débats, expositions, etc.). Romain Gaignard en est membre fondateur et siège au C.A. jusqu’à présent comme vice-Président de la Maison de l’Amérique latine.
18L’effervescence intellectuelle est forte en cette fin des années 1970-début des années 1980 autour de l’Amérique latine. Engagement politique, suivi des évènements sur place, victoire de la gauche en France en 1981…, une ambiance qui est la toile de fond, par exemple, des semaines latino-américaines organisées à l’UTM en 1978, 1980, 1984 et 1986, dont le succès renforce le dynamisme latino-américaniste toulousain. Deux colloques suivent en 1984 et 1985, L’Ordinaire du Mexicaniste (futur ORLA – L'Ordinaire Latino-américain) est « rapatrié » de l’Université de Perpignan et remis à flot, grâce à Claude Bataillon qui pilote le GRAL (Groupe de recherche sur l’Amérique latine), devenu l’UMR CNRS-UTM 9959.
19Après 1985, Romain Gaignard, revenu à Toulouse, reprend le dossier du GRECO « réseau Amérique latine » auprès du CNRS et en obtient le renouvellement avec Jean Revel-Mouroz. Il y ajoute un volet recherche et anime la coopération entre une dizaine d’équipes de recherche CNRS ou universitaires, en impulsant la communication scientifique et l’anima-tion du latino-américanisme français. Les relations dynamiques créées par les centres de documentation et bibliothèques débouchent parallèle-ment sur la création du REDIAL – Réseau européen de documentation et d’information sur l’Amérique latine, dirigé par Mona Huerta. Après Claude Bataillon et Hélène Rivière d’Arc, Romain Gaignard a donc pris en 1987 la direction du réseau qui s’appuie sur l’axe Paris-Toulouse. Pluridisciplinaire, le GRAL est une pièce maîtresse du paysage latino-américaniste français avec le CREDAL, auprès, notamment, du CREALC à Aix-en-Provence, du GRESAL à Grenoble ou de REGARDS à Bordeaux.
- 2 Voir le N° 28 de Caravelle de 1977 « La terre et les paysans en Amérique latine » qui a pour écho l (...)
20A son retour à Toulouse en 1986, Romain Gaignard assure à nouveau son service d’enseignant au Département de géographie-aménagement (Institut Daniel Faucher), du DEUG (Diplôme d’études universitaires générales) au DEA (Diplôme d’études approfondies), et à l’IPEALT. Celui-ci dispense le DEA pluridisciplinaire « Etudes sur l’Amérique latine », les Départements ayant gardé sous leur aile les enseignements de premier et deuxième cycle. R. Gaignard dirige des thèses soutenues par des étudiants d’Amérique latine, d’Afrique, d’Europe, sur des théma-tiques relatives au sous-développement. Il est membre du Comité de Di-rection de la Revue Caravelle dont il avait intégré le Comité de Rédaction en 1975 et pour laquelle il a travaillé régulièrement (même en étant pris par les tâches ministérielles) et proposé des numéros thématiques qui sont des jalons encore reconnus par les chercheurs ruralistes latino-américains2. Par ailleurs, il est membre du Comité de direction de la re-vue Cahiers des Amériques latines de l’IHEAL – Paris 3-Sorbonne Nouvelle.
21Il continue à organiser les activités latino-américanistes en dirigeant, de 1987 à 1996, le GDR 26 « Réseau Amérique latine : recherche et documentation » et en reprenant en 1986 l’AFSSAL (Association Française des Sciences Sociales sur l’Amérique latine), créée par Frédéric Mauro afin de rassembler les chercheurs non rattachés à une équipe de recherche et qui intègrent ainsi, de fait, le GDR Réseau Amérique latine. Il en est Président de 1988 à 1995.
- 3 Décédé en 2009, hommage lui sera rendu en 2010 lors du Congrès du CEISAL organisé à Toulouse.
22L’AFSSAL était alors membre du CEISAL (Conseil européen des Recherches en Sciences sociales sur l’Amérique latine). Cette association a été fondée en 1971 à Vienne par le sociologue Hanns-Albert Steger de l’Université de Nuremberg. Elle réunit les chercheurs latino-américanistes d’Europe de l’Est et d’Europe de l’Ouest, et est reconnue par l’UNESCO en 1984. En tant que Président de l’AFSSAL, il participe à la IXème Assemblée générale du CEISAL en 1985 à Vienne et entreprend sa transformation en un réseau européen intégré et plus dynamique. Avec pour appui l’AFSSAL et le « réseau Amérique latine » (qui publient Alizés, revue de communication et d’information) et le Ministère des Affaires étrangères, il le fait évoluer vers un réseau de coordination véritable des activités latino-américanistes européennes, avec des programmes de recherche et des outils documentaires, en accord avec Hanns-Albert Steger et avec l’appui de collègues d’Europe de l’Est, notamment Andrzej Dembicz de Varsovie. Les membres français sont, entre autres, le « réseau Amérique latine », l’IPEALT et l’IHEAL. Romain Gaignard préside le CEISAL de 1995 à 2001, laissant sa place à Andrzej Dembicz3. En 1997, le CEISAL devient une ONG de l’UNESCO reconnue pour ses objectifs opérationnels. Depuis Toulouse, le CEISAL publiait Rumbos, équivalent d’Alizés au niveau européen.
23Ces deux décennies 1980 et 1990 parachèvent en quelque sorte le montage du Pôle latino-américaniste toulousain qui pèse dans la communauté universitaire toulousaine, française et européenne. Le GRAL, le CEDOCAL et l’IPEALT déploient leurs activités, sont des repères dans les instances nationales (CNRS, AFSSAL) et européennes (REDIAL, CEISAL) ; les Revues Caravelle et ORLA aussi. Le GRAL a depuis été dissous (moindre soutien ministériel vis-à-vis des équipes de recherche centrées sur des aires culturelles et difficile gestion de l’équipe durant les années 2000).
24Par la suite, Romain Gaignard est vice-président du Conseil Scientifique de l’UTM de 1991 à 1996, et président de l’UTM de 1996 à 2001. Suivant de loin les « affaires latino-américaines », il gère et innove directement désormais dans d’autres domaines universitaires : réforme du CIES – Centre d’Initiation à l’Enseignement Supérieur (direction de 1991 à 1996), création en 1994 de la Maison de la recherche de l’UTM, création du GIP Pôle universitaire européen Midi-Pyrénées (direction de 1995 à 1996 et présidence de 1997 à 1999), création en 1991 de l’équipe de recherche « Dynamiques rurales » et du DEA ESSOR « Espaces, sociétés rurales et logiques économiques » habilité par l’UTM, l’ENFA (Ecole nationale de formation agronomique) et l’ENSAT-INP (Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse-Institut national polytechnique), suivi du projet de centre universitaire Champollion (au Nord-Est de la région Midi-Pyrénées avec pour tête de réseau, le centre d’Albi). Au-delà du monde universitaire, il est Vice-Président du CESR (Conseil économique et social régional) de Midi-Pyrénées et suit les dossiers agricoles, éducatifs, internationaux…
25A la retraite à partir de 2001, Romain Gaignard consacre quelques années, jusqu’en 2010, à la concrétisation du projet d’Institut des Amériques (IdA) qui a pour racine la transformation en fondation et l’élargissement du GIS Amérique latine aux centres de recherches nord-américanistes. Jean-Michel Blanquer en a été nommé président, le réseau s’appuyant sur des pôles régionaux dont le Pôle Sud-Ouest. La création de l’IdA justifie le glissement en 2012 de l’IPEALT vers l’IPEAT – Institut Pluridisciplinaire pour les Etudes sur les Amériques à Toulouse ainsi que l’avènement d’un Master « Etudes sur les Amériques ».
26« J’espère que nous serons tous réunis dans dix ans exactement pour célébrer les noces d’or de Caravelle, de Toulouse et du latino-américanisme ». Romain Gaignard ne croyait pas si bien dire, en février 2003, lors de son discours pour la remise du N° 79 de Caravelle (voir note 2). « Concepteur, novateur, précurseur » comme aime à dire Marcel Barreau dans le « livre bleu », nom donné au livre-hommage paru en 2003 (sous la houlette de Dembicz, Guibert et Huerta) : sans ses qualités et son obs-tination pertinente, sa contribution n’aurait probablement pas été aussi déterminante pour fonder durablement la grande famille universitaire latino-américaniste toulousaine qui, de ses bases littéraires, historiennes et géographiques, a su accueillir d’autres visions et d’autres interprétations du continent de toutes les expériences et de tous les espoirs. Les briques, une à une rajoutées, patiemment, dessinent une mosaïque d’apports. Les générations actuelles et futures ne peuvent que constater la grande richesse de l’ensemble, elles doivent être également conscientes de sa fragilité face aux aléas institutionnels, individuels ou collectifs.