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Comptes rendus

Jean-Paul Zuñiga, Constellations d’empire, territorialisation et construction impériale dans les Amériques hispaniques (xviie-xviiie siècles)

Bernard Lavallé
p. 159-161
Référence(s) :

Jean-Paul Zuñiga, Constellations d’empire, territorialisation et construction impériale dans les Amériques hispaniques (xviie-xviiie siècles), Madrid, Casa de Velázquez, 2023, 281 p.

Texte intégral

1Dans le cadre et avec les contraintes qu’impose le genre de la recension, il est sans doute difficile de rendre compte de cet ouvrage à la fois magistral, foisonnant et novateur. Le recours à l’idée de constellations donne dès le titre l’idée de la complexité voire, à certains égards, des paradoxes envisagés dans cette étude d’un « amas de réalités spécifiques constituant par leur réunion un tout doué d’une certaine cohérence d’ensemble. C’est à l’image de ces ensembles qu’il convient de se représenter ce à quoi la « réalité » impériale hispanique a pu correspondre ». « L’Empire ne se constitue pas comme un ensemble politique autoréférentiel, mais est au contraire déterminé et surdéterminé par les interactions superposées, convergentes ou contradictoires entre différents espaces géographiques, politiques ou religieux ».

2Dès l’abord, l’auteur se pose donc la question des échelles à étudier, de la pertinence des ensembles en question, des possibilités de la fluidité des échanges et de leur potentiel créatif compte tenu des cadres contraignants dans lesquels s’inscrit toute circulation. Force est alors d’analyser conjointement circulation et contextualisation qui se conditionnent, se suscitent mutuellement et de toute façon se déterminent, en mettant au cœur de l’enquête les acteurs, les passeurs et les réseaux, au risque de retrouver les vieux débats entre histoire globale et histoire locale, voire micro-histoire.

3Jean Paul Zuñiga annonce donc qu’il tiendra le plus grand compte d’une longue série de composantes : des routes, des individus qui se déplacent et de leur statut, des temporalités, de la nature de ce qui est transporté, des fréquences et des quantités, des interconnexions qui révèlent « l’existence d’espaces d’imposition, de négociation et d’échange ». Cette étude de la mobilité des personnes est censée permettre « d’estimer son impact sur l’organisation de l’espace et sa possible influence en tant que vecteur de la territorialisation de l’empire espagnol ». Pour ce faire, l’auteur annonce à la fin de son introduction qu’il articulera sa recherche autour de trois problématiques : l’organisation du territoire et en particulier les formes d’occupation de l’espace ; la circulation comme élément structurant et de hiérarchisation territoriale ; la constitution et la mise en œuvre de réalités spécifiques à l’échelon local « permettant d’étudier l’inscription sociale des acteurs sociaux analysée à travers l’imaginaire du sang et du phénotype, en Nouvelle-Espagne, imaginaire que le monde colonial désigne sous le terme de caste ».

4Comme on pouvait s’y attendre, le livre s’ouvre (chap. I et II) sur le rôle depuis longtemps bien connu des villes dans la territorialisation de l’empire, avec leurs fonctions dans « l’emboîtement des niveaux de domination » mais aussi comme bastions de l’hispanité dans un monde différent et leurs relations avec les espaces ruraux dont les Espagnols qui y résidaient tiraient néanmoins une part non négligeable de leurs revenus mais surtout de leur prestige social. De cette analyse, l’auteur conclut et démontre les débuts puis l’affirmation de la hiérarchisation des espaces, avec leur marquage social dans le cadre d’une population néanmoins fortement « atomisée ».

5Avec le chapitre III s’ouvre la seconde partie de l’ouvrage consacré aux liens structurants de la communication et de la prise de possession de l’espace dans ce monde fragmenté, d’où l’effet des discontinuités, des « frontières » de fait et de la difficulté de passer de la notion d’espace à celle de territoire. Dans cette perspective, l’étude du maillage routier est fondamentale, neuve et très intéressante avec des exemples très parlants qui tiennent compte des impératifs de la géographie (« la tyrannie du terrain ») et leurs lourdes conséquences pour le courrier mais aussi et plus généralement pour la circulation des informations officielles et privées (chapitre IV).

6Les deux chapitres suivants consacrés aux circulations impériales, à leurs fonctions essentielles et à leurs difficultés, dans ce vaste ensemble politique, social et économique, se centrent sur les signes forts de ces mouvements, leurs directions, leur densité et leur fréquence, en insistant de façon très suggestive sur la façon dont le cursus honorum des élites administratives pouvait être un révélateur et un vecteur de reconnaissance comme de construction de la territorialisation d’abord en voie d’installation puis affirmée.

7Cette « chair de l’Empire » est plus précisément étudiée dans trois lieux très significatifs – Lima à la fin du xvi° siècle, Quito et Santiago du Chili vers 1660 – où de manière à la fois variée mais convergente le rôle des élites apparaît central et fondamental pour cette construction, par le népotisme, l’accumulation patrimoniale et/ou le sens donné à la défense de la hiérarchisation. De ce fait, en conclusion de cette partie de l’ouvrage, l’auteur pose la question de « L’Empire : une affaire de familles ? ». Il y répond en s’attardant sur le fonctionnement des réseaux et en analysant leurs ambitions, démarche qui amène J.-P. Zuñiga à s’interroger sur « la fabrique familiale de l’Empire ».

8Puis l’ouvrage change, ou plutôt complète la perspective en s’appuyant sur le vécu des individus, en cherchant à voir comment ont pu jouer et interférer pour eux l’atomisation géographique et les processus d’identification sociale, comment la territorialisation a pu être décrite à la fois par les ressentis au quotidien mais aussi, selon une belle et heureuse formule (nombreuses dans le livre) avec « les yeux de la terre ».

9Les derniers chapitres (VIII et IX) poursuivent dans la voie ouverte par le précédent. Ils s’attachent tous deux aux aspects culturels. Le théâtre choisi est celui de la Nouvelle-Espagne au xviii° siècle et dans le cadre de la représentation de ses « merveilles » se concentre en fait sur des strates sociales autres que celles approchées jusque-là. À partir de l’iconographie bien connue des castas, très présentes aussi à la même époque dans d’autres parties de l’Empire (Pérou, Audience de Quito), l’auteur s’attache à ce monde très divers, dont ces portraits cherchent tout à la fois à donner l’image d’une société complexe où le métissage joue à l’évidence un rôle fondamental mais dont les efforts de classification révèlent le « rêve d’un ordre » que les faits tendent chaque jour à mettre un peu plus à mal. « Les nomenclatures phénotypiques » tout à la fois rendent compte de « la singularité des mélanges coloniaux », de la casta comme « géographie tropicale » et de son intégration dans le nouveau contexte intellectuel et scientifique du xviiie siècle finissant.

10Cet ouvrage a de nombreux mérites. On ne peut les citer tous. On évoquera ici, entre autres, celui de s’être attaqué à de nombreux terrains de recherche jusque-là traités de manière seulement ponctuelle et souvent sans réelle mise en perspective signifiante, d’avoir embrassé des espaces aussi vastes que divers alors que l’histoire latino-américaine souffre encore d’avoir été longtemps confinée dans le cadre de tel ou tel pays issu de l’Indépendance, de proposer un regard différent plein de promesses sur des sujets dont les approches méritent sans doute d’être renouvelées, et surtout d’avoir ouvert des chantiers qui à l’évidence vont donner des idées aux jeunes chercheurs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Lavallé, « Jean-Paul Zuñiga, Constellations d’empire, territorialisation et construction impériale dans les Amériques hispaniques (xviie-xviiie siècles)
 »
Caravelle, 122 | -1, 159-161.

Référence électronique

Bernard Lavallé, « Jean-Paul Zuñiga, Constellations d’empire, territorialisation et construction impériale dans les Amériques hispaniques (xviie-xviiie siècles)
 »
Caravelle [En ligne], 122 | 2024, mis en ligne le 27 juin 2024, consulté le 26 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15687 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127h5

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