Navigation – Plan du site

AccueilNuméros122Comptes rendusJosé Armando Hernández Souberviel...

Comptes rendus

José Armando Hernández Soubervielle, Un novohispano entre Asia y Portugal. Sodomía y movilidad, desde un proceso inquisitorial del siglo xvii

Thomas Calvo
p. 157-159
Référence(s) :

José Armando Hernández Soubervielle, Un novohispano entre Asia y Portugal. Sodomía y movilidad, desde un proceso inquisitorial del siglo xvii, México, UNAM-El Colegio de San Luis, 2021, 130 p.

Texte intégral

1Entre les histoires de vie que renferment les archives du Saint-Office de Lisbonne, il est celle du soldat « mexicain » Pedro de Medina, fils d’un immigré portugais peut-être converso (judaïsant), jugé en 1657-1658. « Un homme, parmi des milliers d’autres, pris dans un univers dont l’élasticité maritime et des circonstances particulières l’obligèrent à trouver diverses formules afin de préserver sa vie » (p. 19). Vie réduite, comme toujours, à quelques traces, celles qui intéressèrent l’Inquisition, dans un procès conduit contre le péché. Nous sommes entre le destin de Menocchio et l’ombre des grands empires ibériques, entre individualité et contexte : on approche la global microhistory, avec les changements d’échelle requis. D’entrée, l’auteur nous avertit : les documents anciens qui traitent de la sodomie sont nombreux, mais parmi eux, peu nous permettent de voyager entre le Mexique et le Portugal. Et lui-même, fin connaisseur de l’architecture, de la religion et du commerce de sa région de San Luis Potosi, s’ouvre ainsi aux grands espaces. D’une certaine façon, l’un et l’autre se sont embarqués sur ces voiliers qui sillonnaient les océans, « ces îles d’hommes seuls » selon Hernández, et que nous avons dépeints par ailleurs entre prison et cercueil.

2Au moment de son arrestation Medina a 33 ans, et son habillement attire le regard : tout en rayures, il porte « les étoffes du diable » selon Michel Pastoureau. Il est d’ailleurs proche de l’indigence. Arrêté, il livre sa version de son histoire aux inquisiteurs. Habilement, dans un premier temps, il s’en tient à 1656-1657, lorsqu’il se décrit prisonnier sur un navire hollandais, provenant de Batavia (île de Java) et passant par le cap de Bonne Espérance où il fait escale. C’est là que Pedro aurait eu une première relation avec un autre prisonnier, Manoel Roiz, un jeune soldat portugais qui sera son dénonciateur, une fois arrivés à Lisbonne. Bien entendu ils se rejettent mutuellement la culpabilité de l’initiative. Le voyage reprend jusqu’aux côtes lusitani­ennes : et aussi la copulation, une douzaine de fois selon Medina, 200 selon l’autre ! Sans témoins ?

3Toujours selon Pedro, les pieds sur terre ferme, il aurait été pris par les affres du repentir et aurait essayé, en vain, de se dénoncer auprès du Saint-Office, jusqu’à ce qu’il soit arrêté. D’une certaine façon, c’était la propre Inqui­sition qui aurait failli : pourtant son dénonciateur et amant n’eut pas de mal à joindre les inquisiteurs. Précédemment Medina avait-il tenté d’arriver à un accord avec Manoel ? On navigue ici sur des eaux troubles.

4C’est alors qu’a lieu un rebondissement. Un autre soldat portugais, prisonnier sur le même bateau hollandais, se présente devant l’Inquisition, affirme y avoir connu Medina, qu’il sait dans les cachots de l’institution. Il s’auto-dénonce d’avoir eu des pratiques hérétiques forcées sur le navire : il prend les devants face aux risques d’une dénonciation par Pedro. Et l’affaire de sodomie, tout naturellement, dérive vers l’hérésie : la pêche est bonne pour les inquisiteurs, pour qui les filets sont toujours tendus. Qui plus est, un autre soupçon s’abat sur le soldat de Nouvelle Espagne.

5Et les interrogatoires prennent une nouvelle tournure, cette fois dictée par le Saint-Office : il doit remonter à 1652, alors qu’il est esclave dans l’Inde des Mogols – il a été capturé par les Maures aux Philippines, puis vendu –. Son maître l’oblige à renier Dieu et la Vierge. Mais sa foi l’empêche d’être un renégat au prix de sa liberté. Un autre point noir apparaît : comment alors a-t-il pu secouer le joug ? Et de même, avec les calvinistes hollandais, qui l’avaient racheté : un autre point mystérieux. À tout il répond par la négative : pendant ce temps la sodomie perd de son acuité. Les juges cherchent une vérité, l’accusé défend sa vie.

6Ses reniements sont possibles, probables. Il affine sa stratégie, insiste sur son passé de victime, et pensant noyer le poisson, revient sur ses expériences homosexuelles, cette fois initié par un jeune hollandais, mais en une seule occasion. « Son récit semble tenter de démontrer entre les lignes que son corps, corrompu par sa débilité, trouvait la consolation dans une foi inébranlable » (p. 58). Foi qu’il conviendrait de qualifier. Il se dit « vieux chrétien » : douteux, possible, probable ? Suivant le personnage, Armando Hernández va de zones d’ombre en suppositions : Medina est-il hispano-portugais, métis portugais ? Il a 17 ans vers 1641, âge auquel on pouvait entrer dans l’armée, du moins légalement, et moment de crise pour les Portugais dans l’Empire espagnol, après la Révolution de Lisbonne de décembre 1640. Serait-il passé aux Philippines peu après, comme une échappatoire ?

7En février 1658, après trois mois de prison, on lui octroie un avocat, ce qui permet d’affiner sa défense, insistant sur sa volonté, dès le départ, de tout confesser, et sur les sévices qu’il aurait reçus. Finalement, plus de huit mois après son incarcération, vient la sentence. Outre l’assistance à un autodafé, il sera fouetté, sans que le sang doive couler, par les rues de Lisbonne ; et surtout il est condamné à servir cinq ans sur les galères, ce qui équivalait au temps passé au service des Hollandais. Il échappait donc au bûcher, et la monarchie portugaise récupérait une proie qui pouvait avoir son utilité. Surtout à un moment où l’Estado da Índia d’Asie vacillait. Soulagé sur ce point, il étendit sa géographie érotique, déchargeant sa conscience encore plus : vers 1652 il aurait eu une relation avec un Vénitien dans la Malacca hollandaise, gagnée sur les Portugais en 1641.

8Tout le reste, sur Medina, se perd en conjectures et dans la mer saumâtre où il dut vraisemblablement aller ramer. Conjectures qui retiennent l’attention de l’auteur, sur le sens à donner aux pérégrinations du héros, soldat espagnol, esclave de musulmans, serviteur d’hérétiques, prisonnier du Saint-Office portugais, et tout ceci sur les sept mers… Est-ce un bon exemple « d’exceptionnel normal » tel que le définit Edoardo Grendi, ramené à des mondes pour le moins exotiques, et « des temps durs » (tiempos recios) selon sainte Thérèse ? Dit autrement : les quatre parties du monde où voyagea Medina forment-elles déjà un œkoumène homogène, sinon harmo­nieux ? Que deviennent, dans ces espaces lointains, ces particules que sont les esclaves chrétiens, aux mains de musulmans, voire du Mogol, beaucoup convertis en renégats ? C’est un « monde informel », dans ce qui fut « l’Empire portugais informel » selon les historiens lusitaniens. Informalité des grands espaces impériaux, qu’il faut conjuguer dans ce cas précis avec le confi­nement, étouffant et complice à la fois, de ces minuscules « îles d’hommes seuls ».

9Un livre et des morceaux de vie frappés des mêmes sceaux, ceux de l’interrogation, du mystère, mais aussi des plaisirs interdits et des servitudes. L’homme a l’âge du Christ. Il connaîtra sa propre Passion, d’esclavage et de prisons en galères. Il vivra aussi, dans le secret, ses propres passions, d’océan en océan. Il faut remercier Armando Hernández de nous avoir dévoilé, avec beaucoup de nuances et de respect, cette existence située sur tous les confins.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Thomas Calvo, « José Armando Hernández Soubervielle, Un novohispano entre Asia y Portugal. Sodomía y movilidad, desde un proceso inquisitorial del siglo xvii
 »
Caravelle, 122 | -1, 157-159.

Référence électronique

Thomas Calvo, « José Armando Hernández Soubervielle, Un novohispano entre Asia y Portugal. Sodomía y movilidad, desde un proceso inquisitorial del siglo xvii
 »
Caravelle [En ligne], 122 | 2024, mis en ligne le 27 juin 2024, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15677 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127h4

Haut de page

Auteur

Thomas Calvo

Colegio de Michoacán

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search