Navigation – Plan du site

AccueilNuméros122Dossier – Les frontières en Améri...Mettre en perspective la frontièr...

Dossier – Les frontières en Amérique latine : constructions, déconstructions, mises à l’épreuve

Mettre en perspective la frontière, depuis la frontière : le cas de Made in Tijuana (2004) et Tijuanologías (2006) d’Heriberto Yépez

Anais Fabriol
p. 81-94

Résumés

Publiés au début du xxisiècle, somme d’essais courts provenant de blogs ou d’articles préalablement parus dans des périodiques, les recueils Made in Tijuana (2005) et Tijuanologías (2006) de l’auteur mexicain Heriberto Yépez cherchent à redéfinir le rapport entre frontière et culture, dans une perspective critique et ironique. Cet article propose, à l’aune de ces textes, de réfléchir à ce qu’un auteur se revendiquant comme frontalier pose comme bases pour une analyse de la frontière nord du Mexique comme objet d’étude culturelle et littéraire.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

  • 1 Lussault, Michel. Hyperlieux, les nouvelles géographies politiques de la mondialisation, Seuil, 201 (...)
  • 2 Voir Chandler, Raymond, The Long goodbye, Vintage Books, 1992 [22e édition, 1954], Los Angeles, (p. (...)
  • 3 García Canclini, Néstor, Culturas híbridas, Estrategias para entrar y salir de la modernidad, De Bo (...)

1Réceptacle à fantasmes, hyperlieu selon la définition de Michel Lussault1, la frontière mexicano-américaine, et plus particulièrement celle qui se trouve dans la ville de Tijuana (État de Basse-Californie, nord-ouest) s’est transformée en objet littéraire dès la première moitié du xxsiècle, que ce soit de la part d’auteurs locaux (Tijuana In d’Hernán de la Roca) ou de romanciers californiens (surtout en ce qui concerne le récit policier, comme dans le cas de Raymond Chandler, qui – par la voix de son narrateur – considère que Tijuana, comme toute ville frontalière, ne fait partie réellement d’aucun pays2). À partir des années 1990, ce territoire, où s’était développé un maillage culturel public dense, est devenu également l’objet d’une réflexion théorique sur la diffusion culturelle, dans le sillage d’un texte publié par l’universitaire mexicano-argentin Néstor García Canclini, qui définissait la frontière comme « une zone d’hybridation culturelle3 ». Cette définition a surtout essaimé hors de la zone frontalière ; cependant, elle a aussi donné naissance à une longue postérité de réflexions portant sur la culture du nord du Mexique.

  • 4 Voir Trujillo Muñoz, Gabriel, Entrecruzamientos, Mexico, Plaza y Valdés, 2002 et Berumen, Humberto (...)

2Néanmoins, la littérature produite en Basse-Californie est assez peu prolixe sur les théories de Canclini et de ses exégètes4, jusqu’au début du xxie siècle, lorsque Heriberto Yépez (né en 1974), dans des chroniques qu’il tient sur son blog et dans la revue culturelle du quotidien national La Jornada, décide de redéfinir ce qu’est l’acte d’écrire sur la frontière, depuis la frontière, et ce qu’est la culture frontalière. Ces écrits, s’ils ne passeront pas inaperçus, seront par la suite regroupés dans deux volumes, Made in Tijuana (2005) et Tijuanologías (2006). Avant de parler plus avant de ces deux œuvres, il convient de préciser qu’elles paraissent au moment où l’auteur acquiert une visibilité nationale, puisqu’il publie successivement les deux principaux ouvrages de son œuvre publiée jusqu’à la période actuelle, El Matasellos (2004) et A.B.U.R.T.O (2005), chez Random House Mondadori-Mexico. D’une certaine manière, il est donc à ce moment l’un des auteurs bas-californiens, voire issus de tous les territoires de la frontière nord-est, le plus en vue. Le fait qu’une partie de ces chroniques paraissent dans des quotidiens nationaux comme La Jornada ou Reforma ajoute une visibilité supplémentaire à ces textes. Si, dans ces écrits, la vision de la frontière s’inscrit en faux par rapport à celle qui s’est érigée sur les thèses de Canclini, que propose-t-elle, au-delà de la déconstruction d’une théorie postmoderne ? Que nous dit-elle sur les possibilités narratives offertes par la frontière ?

3Partant du principe que notre étude s’appuie sur des textes peu accessibles, nous avons choisi de les analyser tout en en résumant le contenu, puis d’essayer de comprendre quels sont les principaux axes qui sous-tendent la réflexion de Yépez, tant d’un point de vue conceptuel que narratif.

Made in Tijuana : la théorie

  • 5 Cet ouvrage, publié en 2004, a la particularité d’avoir été primé et édité lors du Premio Estatal d (...)
  • 6 Yépez, Heriberto, Made in Tijuana, Mexicali, ICBC, 2004, p. 11.

4Made in Tijuana, le premier de ces deux ouvrages5 se compose de treize chapitres. Les premiers sont consacrés à la conception des imaginaires frontaliers, puis à l’art et enfin à la littérature produits en Basse-Californie. Dès le tout premier texte, la théorie de Canclini (et surtout celle de ses suiveurs) est attaquée ; le titre (« Adiós happy híbrido. Variaciones hacia una definición estética de la frontera. Más allá del mítico personaje mixto »6) est l’on ne peut plus explicite, tout comme l’est le début de l’essai :

  • 7 Idem, p. 11-12.

La hibridación para describir los fenómenos de contacto en la frontera Mexico-Estados-Unidos ha llegado a su fin. La metáfora de la hibridación probó ser ingenua, neoliberal, hegeliana. La metáfora fue alentada por un célebre libro de Néstor García Canclini (Culturas híbridas) que definitivamente fue leído a la ligera. Refriteado hasta el cansancio […].
El fronterizo – especialmente del lado mexicano- empezó a ser definido y a autodefinirse como “híbrido”, queriéndose aludir a esto por su ambivalencia o cruce de un código a otro […]
7.

5Si Yépez admet que la définition de la culture hybride frontalière n’est pas directement le fait de Canclini, en revanche, il critique le fait que la mauvaise compréhension de ce dernier, construite sur culture postmoderne liée à la frontière et à la ville de Tijuana, ait conduit à une interprétation erronée de cette théorie. Cette mauvaise compréhension sous-entendrait que la culture frontalière est constamment en tension entre deux pôles, la culture mexicaine « centrale » et la pop-culture états-unienne, et donc qu’elle n’a pas de devenir ni d’implications propres. C’est donc pour cela qu’il lui préfère la figure de l’Aleph borgésien :

  • 8 Idem, p .15.

Que la frontera es un Aleph significa que la frontera es un plagio, una recolección patafísica. El Aleph es un simulacro de la captura de la totalidad de la cultura. Sólo en este sentido es la frontera un Aleph: la ironía de una orgía semiótica8.

  • 9 Idem, p. 16. 

6En élargissant l’univers des possibles à deux objets de la culture littéraire (l’Aleph borgésien et la pataphysique jarrienne), Yépez tient à distance la conception même de l’imagerie de pacotille liée à cet univers et susmentionnée dans le texte (les bars, le mur liminaire, le bestiaire frontalier, etc.). Plus qu’un endroit où s’hybrideraient deux cultures dominantes, dans une danse inégale où les deux côtés entreraient en compétition avant de fusionner, la frontière serait une sorte de bûcher des vanités, un lieu où tout ce qui peut avoir été imaginé ailleurs peut se refléter à la manière d’un miroir, ou devenir un objet de la culture visuelle ou littéraire locale, dans ce que Yépez qualifie de cannibalisme culturel9. Il n’y a donc pas réellement de mélange stable possible :

  • 10 Idem, p. 18.

La mezcla de la frontera es violenta. No alcanza fusión porque es tan inquieta que cuando apenas se quieren fundir o anular los contrarios, la sopa se rebela y los ingredientes que han querido ser fundidos en ella reaparecen, incluso sobrecodificados, exagerados, en su apariencia autónoma, en un retorno de un primer y segundo estado surgidos a partir del deseo de llegar a un tercero10.

  • 11 Idem, p. 26.

7La culture frontalière ne fonctionne donc pas, du moins à Tijuana et selon l’acception de Yépez, sous le régime de la fusion, mais bien de la fission, puisqu’instable, elle libère de l’énergie : ainsi, les contraires ne sont pas assimilables ; leur rencontre ne peut provoquer qu’une réaction en chaîne. C’est pourquoi l’on se rapprocherait plus d’une conception brechtienne, où l’art serait la somme des contradictions d’une époque11. Il n’y aurait donc pas de synthèse possible, mais plutôt une mise en exergue des contradictions entre les différents éléments culturels, une sorte d’attraction/répulsion constante, comme quand deux aimants sont mis en présence – ce sera d’ailleurs par cette métaphore que se conclura l’article. Cette conception s’éloignerait donc en grande partie de la transculturation telle que définie par Fernando Ortiz en 1940, puis par Ángel Rama (Transculturación narrativa, 1982), et se rapprocherait peut-être plus de ce que Antonio Cornejo Polar appelle de ses vœux en 1994 – en proposant de dépasser Rama et Canclini – :

  • 12 Cornejo Polar, Antonio, « Mestizaje, transculturación, heterogeneidad », Revista Crítica Literaria (...)

[…] habría que formular otro dispositivo téorico que pudiera dar razon de situaciones socio-culturales y de discursos en los que las dinámicas de los entrecruzamientos múltiples no operan en funcion sincrética sino, al revés, enfatizan conflictos y alteridades12.

  • 13 Idem, p. 135-157.

8En mettant le conflit au centre de sa réflexion, Yépez pose ainsi la frontière comme un ensemble qui gravite autour d’un même centre, mais dont le mouvement, du fait du rejet des différentes parties, se trouve constamment inachevé – ce qui pourrait être l’un des points communs avec la transculturation telle que la conçoit Ortiz – . Dans les chapitres suivants, il présente les différentes manifestations des arts et de la littérature à Tijuana lors de la première décennie du xxie siècle. Le dernier chapitre, intitulé « Crónicas malsanas »13, aborde la question, plus politique, de la complexification de la traversée de la frontière, notamment pour les migrants illégaux, et porte sur l’impossible transcription littéraire de ce qu’il s’y passe, ainsi que sur les mythes générés par l’évolution des rapports frontaliers.

9L’intérêt de Made in Tijuana est double : tout d’abord, c’est un ouvrage qui pose une base théorique propre, où la création frontalière est redéfinie en se basant sur un questionnement plus large. Fort d’une formation de philosophe – discipline qu’il enseigne à l’Université –, Yépez extrait le débat de la dichotomie Mexique/États-Unis pour définir et narrer la frontière – comme souvent chez lui, les références sont avant tout européennes, ce qui peut être interprété comme une volonté d’extraire la représentation du territoire des clichés habituellement liés au Mexique ou à Tijuana. Dans cette logique, l’hybridité est montrée comme une vision réductrice, une sorte de nivellement par le bas où seraient fusionnés tous les symboles de la culture populaire frontalière (sombreros, ânes déguisés en zèbres, cantinas et maisons closes très accueillantes pour les touristes, habitants devenus des gringos sans le savoir) ; cette hybridité s’opposerait au processus de fission, par essence toujours actif et toujours en évolution, prêt à lancer ses électrons sur d’autres noyaux. C’est sans doute ce changement constant et cet inachèvement qui peuvent laisser penser à un processus partiellement transculturel, mais où les cultures en contact ne seraient pas uniquement celles auxquelles on s’attend.

Tijuanologías : la mise en pratique ?

  • 14 Yépez, Heriberto, Tijuanologías, Mexicali/Mexico, UABC/Libros del Umbral, 2006, 177 p.

10Paru l’année suivante et publié par l’Université de Basse-Californie, Tijuanologías14 se présente à la manière d’un « ensayo urbano ». Dans ces textes, beaucoup plus littéraires que ceux de l’ouvrage précédent, Yépez tente de définir la ville de Tijuana et son rapport à la frontière à partir de séries de personnifications et de métaphores. Il s’agit bien moins d’édicter une théorie littéraire que de tenter de l’appliquer, à travers une série de textes de non-fiction, subdivisés en deux grands chapitres : « Tijuanologías, ensayos urbanos en diez postales » d’une part, et « Cruces/Tijuana PM » en seconde partie.

11L’idée qui sous-tend la première partie est celle que la frontière, et Tijuana, par dérivation, est une mise en scène constante, où les acteurs sont toujours les mêmes et où toute représentation serait codifiée par ces stéréotypes. Cette mise en perspective semble découler du fait qu’il n’y aurait pas de place pour l’improvisation, comme dans une sorte de jeu de rôle où tous les personnages seraient des archétypes dont les caractéristiques sont écrites par avance :

  • 15 Idem, p. 15.

Vivir aquí es ser personaje, porque en la frontera no hay habitantes sino arquetipos. La frontera no tiene vida, tiene metafísica, escuchad su pedo. Con ustedes, el Pollero. Con ustedes, el Turista. Con ustedes, la Puta. Con ustedes, el Híbrido. Con ustedes, el Migrante. Cada uno pasa a ser un teatrero, o mejor dicho, un nick electrónico. Hablar de la frontera es usar mayúsculas. Es estar al corriente de la prensa, de la bibliografía, de la última teoría15.

12Ainsi, la zone frontalière serait une sorte de théâtre perpétuel, où les rôles ont été définis il y a bien longtemps, et dont désormais la plupart des actes ont lieu en ligne (d’où le « nick electrónico »). Il est intéressant de constater que Yépez place l’« hybride » frontalier déjà décrié dans Made in Tijuana en tant que figure du folklore local, au même titre que les prostituées, les migrants, les passeurs ou les touristes. Ainsi, d’une certaine manière, il accomplit ce qu’il avait décrit dans son précédent ouvrage comme cannibalisation culturelle, à savoir la récupération d’un concept extérieur pour l’adapter aux réalités frontalières. Il entreprend ensuite la présentation de plusieurs images de la ville : de son refus de son passé indigène à la création de son saint non officiel Juan Soldado, en passant par la gastronomie. La frontière, une fois de plus, n’est pas tant un symbole de domination économique qu’une altération des éléments fondateurs des cultures états-uniennes/centre-mexicaines et de leur transformation en objet satirique :

  • 16 Idem, p. 48.

Todos los signos de dominación son irónicamente invertidos en Tijuana. Comenzando por los patrones de belleza norteamericanos – desde las camisetas en venta hasta el vocablo mismo biútiful lanzan la fealdad y la mofa mexicana contra tales paradigmas anglo s– y terminando con el signo mismo del dólar, vuelto dala, hay una comedia de poder operando16.

  • 17 Idem, p. 49.

13Tous les signes qui fonderaient la domination économique du voisin états-unien sont donc devenus des objets grotesques, tant en ce qui concerne l’usage d’un anglais abâtardi, que ce soit le biútiful précédemment cité, les articles vendus aux touristes (t-shirts hideux, souvenirs caricaturaux) ou encore ce qui fonde l’hégémonie de la première puissance économique mondiale, c’est-à-dire sa monnaie. Utilisé couramment comme moyen de paiement en Basse-Californie (du moins, dans les zones touristiques), le dollar a, selon Yépez, été ridiculisé dans le langage, d’abord par les vendeuses de fleurs mixtèques qui essaient de soutirer de l’argent aux gringos, et ensuite par les blagues à teneur homoérotique qui se sont greffées sur cette acception. Cela peut, une fois de plus, nous renvoyer au concept de la cannibalisation culturelle qu’évoquait l’auteur au début de Made in Tijuana ; ce qui fonderait la supériorité et la richesse des États-Uniens n’est finalement que leur capacité à payer qu’on les ridiculise – ce qu’ils jugent acceptable, puisqu’ils ont quitté leur territoire de résidence dans ce seul et unique but. Dans une conception qui pourrait rappeler la théorie hégélienne du maître et de l’esclave, Yépez poursuit de la sorte : « el fronterizo no se agacha ante el norteamericano; en su relación de asimetría y servicio al otro anglo, el mexicano juega rasposamente a-ser-el-agachado, […] [a] dominar de modo secreto o abierto por medio del lenguaje verbal y corpóreo17. » Ainsi, le dominant se fait prendre au piège de la serviabilité de celui qu’il considère comme inférieur, mais qui est en réalité le véritable maître de céans (puisqu’il se trouve sur son propre territoire, ce qui n’est pas le cas du touriste états-unien). Le frontalier, a fortiori celui qui travaille en zone touristique, est donc nécessairement actif et conscient du rôle qu’il joue ; il met en scène sa soumission pour mieux dominer. Il s’agit donc plutôt d’une construction langagière, que Yépez finit par résumer de la sorte :

  • 18 Idem, p. 51. Nous avons reproduit fidèlement la ponctuation du texte tel qu’il apparaît dans l’ouvr (...)

Y uno de los mensajes del “verbo” popular y culto de Tijuana es que tú vienes a Tijuana para conocer a México, pero como tú bien sabes, brother, esto no es México, ¡of course not!, y por mi parte tampoco pienso darte tu México, sólo te daré “México”, su simulacro, porque así tú lo quieres, no estás preparado para lo verdadero, got it? No lo mereces, you fucking idiot, o yo mismo no lo comparto, así que por mientras, diviértete, okey? Come in! No cover!!!
Ah, perdón. Me faltaba algo :
- Welcome!
18

  • 19 Ce concept sera prolongé et mieux explicité dans A.B.U.R.T.O.

14Ainsi, en rabaissant l’image stéréotypée construite par l’économie du tourisme de passage, l’une des plus anciennes de la ville, à l’état de simulacre, ce « Mexique » qui n’est que fantasme et n’a jamais existé en-dehors de la fiction, le frontalier ouvre la porte à une transaction possible : contre des dalas sonnants et trébuchants, la mise en scène pourra avoir lieu dans un espace dédié (la cantina, la discothèque, ou tout endroit destiné à l’accueil des touristes). Clairement, la zone frontalière n’est pas le Mexique, les deux contractants le savent ; et le touriste sait qu’il est en train d’être dupé. Cette dissimulation renvoie à un fonctionnement déjà évoqué dans les lettres mexicaines, notamment par Samuel Ramos et Octavio Paz19 ; le Mexicain occulterait alors sa véritable identité derrière une attitude hermétique (sourire, caractère stéréotypé), ce qui serait en partie lié à un complexe d’infériorité.

  • 20 Idem, p. 52.

15Yépez affirme quant à lui que ces masques sont « une vengeance », une manière d’empêcher les gringos d’accéder à la connaissance de l’essence même du pays20. Le partage n’est pas possible (« no lo comparto »), premièrement parce que le touriste vient chercher ce simulacre, et deuxièmement pour l’empêcher d’accéder à l’altérité, qui pourrait lui donner des clés de compréhension de son environnement proche, et lui permettrait de déceler l’imposture et de passer de l’état de proie à celui d’être avisé.

  • 21 Idem, p. 60. Nous avons reproduit fidèlement la typographie d’origine.

16Cette « vengeance linguistique » est aussi là pour rappeler que la frontière transforme la langue de l’autre en objet burlesque, de chaque côté de la frontière. Cela renvoie également au rejet et à la fascination par les frontaliers du spanglish, et par-là même, des chicanos ou pochos, dont ils critiquent l’adoption aveugle des valeurs états-uniennes – paradoxalement, tant le Mexique que les États-Unis sont des pays ouvertement racistes, la frontière inverse simplement les ordres de valeur. L’idée de fission, évoquée dans Made in Tijuana réapparaît également lorsqu’il affirme que « en la frontera, nada es contra ti nada es personal, gringos, chicanos, chilangos, indios, nativos, existimos todos contra todos21. » Il n’y a donc pas exactement un peuple frontalier, mais bien de nombreuses individualités qui surnagent et semblent se fédérer dans le rejet qu’elles peuvent avoir d’un ou plusieurs stéréotypes, d’un ou plusieurs fantasmes. La frontière n’est pas seulement avec l’Amérique anglophone – elle l’est aussi avec le reste du Mexique, considéré comme arriéré (mépris d’ailleurs bien rendu par le centre, qui considère le nord comme malinchista, c’est-à-dire vendu aux étrangers), elle l’est aussi à l’intérieur même de la ville et de la frontière.

  • 22 Idem, p. 89.
  • 23 Même s’il peut subir le racisme des douaniers et le contretemps de l’interminable file d’attente du (...)

17Après avoir critiqué ce travers, Yépez l’emprunte allégrement et attaque en règle les auteurs du « Centre », Villoro en tête, pour un article publié dans Letras Libres en mai 2000, où il détecte tous les lieux communs post-cancliniens précédemment dénoncés (prostitution, trafic de drogue, hybridation culturelle, misère des nombreux migrants venus du Sud, etc.). Dans cet article – qu’il considère emblématique d’une longue série – l’idée est que la ville est « bizarre » et « exceptionnelle » à cause de la présence de la frontière et des États-Unis, alors que de nombreux traits qui lui sont attribués existent ailleurs, y compris à Mexico ou à Los Angeles, pourtant sensiblement éloignée de la ligne de démarcation. Or, ces traits ne sont pas exceptionnels – car « la frontera es un concepto universal22 ». Du fait de l’avènement d’Internet à la fin de la décennie précédente, l’altérité se trouvant désormais partout, la matérialisation d’une limite physique n’a plus le même poids symbolique. Le frontalier, du reste, n’est pas nécessairement préoccupé par la traversée de la frontière, du fait de visas spécifiques et du fait qu’il n’appréhende pas celle-ci comme infranchissable23 ; cette vision s’est tout simplement retrouvée amplifiée avec l’arrivée du numérique. La frontière se trouve à la fois partout et nulle part à la fois, ce qui rend finalement Tijuana à la fois universelle et pionnière en ce sens, puisque la sensation de frontière y est expérimentée depuis sa fondation au xixe siècle.

  • 24 Trujillo Muñoz, Gabriel, Literatura Bajacaliforniana Siglo xx, Mexicali, Larva, 1997.
  • 25 Trujillo Muñoz, Gabriel, Entrecruzamientos, Mexico, Plaza y Valdés, 2002.

18Cette thématique critiquant une représentation grotesque et excessive de la frontière par des créateurs extérieurs au territoire reviendra à plusieurs reprises dans l’ouvrage ; elle n’est pas nécessairement propre à Yépez ; le thème a déjà été souvent évoqué par des écrivains de Basse-Californie, comme Trujillo Muñoz dans ses textes critiques Literatura Bajacaliforniana Siglo xx24 et Entrecruzamientos25. Cette matérialisation semble même, selon ce dernier, prendre sa source longtemps avant la publication de l’ouvrage de Canclini :

  • 26 Idem, p. 78.

En la primera mitad de los años ochenta, diversas instituciones del Distrito Federal descubren que Baja California es frontera. Y lo mejor: que da buenos dividendos hablar desde la zona rosa o desde algún café de Coyoacán, de la cultura fronteriza. En1981 se lleva a cabo el primer encuentro de literatura fronteriza en Tijuana. [...]La reacción contra tales imposiciones y distorsiones llevó a que los propios escritores fronterizos buscaran explicar lo que frontera significaba en términos sociales como existenciales26.

19Cette volonté de dépeindre la frontière depuis les États frontaliers est donc bien antérieure aux années 1990. Cependant, il semble que l’ouvrage de Canclini ait attiré des auteurs venus de Mexico, désireux de venir se frotter à l’hybridation culturelle. Cependant, Yépez considère également que cette nouvelle visibilité s’accompagne d’une certaine mauvaise foi. Si les représentations étaient plus réalistes, elles montreraient que tout le Mexique est affecté par les flux migratoires, que Tijuana n’est pas la seule ville à être touchée par des phénomènes de transculturation (peut-être que même Mexico est plus agringada que Tijuana ?), et que la frontière serait finalement le meilleur révélateur, plus de soixante ans après, de l’échec de la Révolution Mexicaine et du parti qui en est issu, le Parti Révolutionnaire Institutionnel. En voulant donner à Tijuana une image de coupe-gorge acculturé, Mexico aurait ainsi essayé de blanchir son image ; ce choix aurait été motivé par la proximité de la frontière états-unienne, sorte de marque d’impureté.

20Après avoir donc analysé – bien souvent de manière décalée, n’excluant pas une certaine mauvaise foi – le point de vue du Centre (et selon lui, de l’Amérique latine en général, dont Tijuana serait en quelque sorte le terminus), Yépez va s’interroger sur ce que sont venus chercher les gringos à Tijuana, et les raisons qui font qu’ils traversent la frontière :

  • 27 Yépez, Heriberto, Tijuanologías, Mexicali/Mexico, UABC/Libros del Umbral, 2006.

Es falso que los norteamericanos crucen la frontera en busca del Otro. Lo que los norteamericanos vienen a ver en su recorrido por los bares […] es a sí mismos […]; no vienen a conocer el exotismo de sus vecinos inmediatos, sino la persistencia del comercio, la celebración transnacional del silicón, la supervivencia del capitalismo aun en tierras adversa, la continuación ventajosa del lifestyle. Lo que les causa tanto placer es atestiguar que sus vecinos morenos son casi iguales a ellos: Tijuana es una ciudad turística, es decir, apenas diferente27.

  • 28 « Tijuana is nothing; all they want there is the buck. The kid who sidles over your car and looks a (...)
  • 29 Yépez, Heriberto, Tijuanologías, Mexicali/Mexico, UABC/Libros del Umbral, 2006, p. 132.

21Traverser la frontière n’est donc pas une garantie de côtoyer l’altérité, d’autant moins à l’ère des communications numériques. Visiter une ville touristique, c’est donc aller constater qu’autrui n’est pas très différent et se contente des mêmes choses, uniformisées pour tous les touristes, qu’ils soient états-uniens ou mexicains. Passer une frontière n’est pas ici gage d’exotisme : il s’agit juste d’aller constater que l’autre est le même. D’autant que cet exotisme n’est pas propre à Tijuana : il se trouve désormais partout, et pas seulement au Mexique. Il n’y a donc pas de multiculturalisme serein, mais bien un rejet mutuel entre ses différents composants. L’étranger n’est accueilli que pour lui soutirer son argent – ce qui reste assez proche de la vision qu’en avait Chandler28. L’auteur affirmera plus tard que la situation la plus compliquée quand l’on veut traverser en direction des États-Unis, c’est d’être « un norteamericano de vuelta a casa»29.

  • 30 Idem, p. 172.

22L’ouvrage, après des descriptions de passage de frontière (« Cruces ») et des bars de la ville (« Tijuana PM »), se conclut sur la constatation suivante : « esto es lo que pasa en Tijuana y lo que he visto suceder en Bogotá o Nueva York»30.  Ainsi, après avoir déclaré que la ville était en elle-même une limite entre Nord et Sud, sans pour autant faire partie de l’une de ces deux entités, Yépez conclut en démontrant que Tijuana, ville construite par rapport à la frontière, n’est finalement pas si exceptionnelle. Cette conclusion renvoie une fois de plus à cette idée de simulacre et de mise en scène : si chaque territoire est la source de fantasmes et de stéréotypes, en revanche, la mondialisation et l’omniprésence des technologies numériques déplacent leurs limites et finit par faire en sorte que les lieux se ressemblent tous, qu’ils soient réellement situés sur une frontière ou non.

23Tijuanologías, à la différence de Made in Tijuana, cherche moins à théoriser qu’à proposer des représentations (en grande partie sous un régime d’autofiction, où l’on suppose que le « je » narrant ses aventures pour passer la frontière ou s’immiscer dans les bars sont des versions de l’auteur) de ce qu’est l’objet frontière-Tijuana. D’une certaine manière, il pourrait s’agit d’une mise en application de ce qui a été théorisé dans l’ouvrage précédent, sur des textes plus longs et avec plus de détails. Les procédés évoqués (la fission, le simulacre, le cannibalisme culturel), sont déclinés dans le texte, entrant cependant parfois en contradiction, puisque le narrateur semble peu fiable et affirme parfois le contraire de ce qu’il vient de théoriser.

Quelles représentations ? Pourquoi ?

24Ces deux textes, construits de manière parfois anarchique et répétitive, dont l’esprit confine bien souvent à la mauvaise foi et qui n’hésite pas à se contredire, énoncent cependant ce qui pourrait être une nouvelle définition de l’écriture frontalière : celle de parvenir à faire la synthèse – plus que l’hybridation – entre les idéologies du Mexique central et celles en provenance des États-Unis ; celle de pouvoir décrire le territoire parce que l’on y réside, à l’opposé de certains textes jugés excessifs, voire de mauvais goût (comme la chronique citée supra de Villoro, ou encore la Reina del Sur de Pérez Reverte, considérées comme des tentatives fantasmatiques de romanciers n’ayant pas réellement envisagé l’univers frontalier). Si les théories de Canclini servent d’amorce aux deux ouvrages, elles sont ensuite dépassées pour tenter de décrire le monde frontalier au-delà de l’hybridité. L’idée principale qui ressort de cette tentative de dépassement est clairement qu’il est dérisoire de parler des spécificités de la ville (ou, plus généralement, des spécificités d’une ville en particulier) à l’heure de la mondialisation et du numérique.

25La question principale qui sourd dans ces textes est la suivante : Tijuana est-elle réellement plus cosmopolite et plus bizarre que Mexico, voire que d’autres villes encore plus intégrées dans la trame mondialisée ? Dès lors, si l’on part du point de vue que la frontière est la seule véritable spécificité de ce territoire (qu’elle partage néanmoins avec d’autres villes du nord-ouest du Mexique comme Mexicali ou Ciudad Juárez), quels récits produire ? C’est sans doute la raison de la série de textes « Cruces », mais aussi le point de départ d’une interrogation sur ce qui peut et doit être raconté de la frontière, de son passage, mais aussi de ses spécificités : le passage n’est pas le même si on livre de la drogue, si l’on est un simple citoyen bas-californien muni d’un visa ou un migrant venu du sud.

26C’est certainement dans ces récits de passage des deux ouvrages que l’auteur pointe toute l’absurdité des règles régissant la traversée de la frontière, y compris pour les visiteurs légaux et pour les nationaux. C’est ici que le refus de l’hybridité comme théorie faisant autorité sur la frontière est peut-être la plus cruciale et la mieux explicitée. L’individualisme y primant peut également renvoyer le lecteur au concept de fusion culturelle : la frontière transforme les individus en électrons libres mais jouant des rôles écrits à l’avance (le trafiquant de drogue, la folle, le citoyen mexicain de classe moyenne dont le visa est à jour, le gringo qui repasse la frontière pour rentrer chez lui). En quelque sorte, tout y est prévisible ; et chacune des actions peut être déclenchée parce que l’un des personnages jouera sa partition ou en divergera légèrement (dans la mesure de son registre, si nous restons dans une métaphore musicale). Cette représentation prédéterminée est également celle qui prévaut dans les bars, autre lieu emblématique.

27En quelque sorte, ce que posent ces deux ouvrages, c’est une interrogation sur ce qu’est écrire sur un hyperlieu, et surtout, s’il existe une légitimité à narrer celui-ci. Cette idée de légitimité, comme nous l’avons vu, revient constamment dans le questionnement de l’auteur, que ce soit à travers une mise à distance des représentations des auteurs états-uniens (Chandler en tête) ou mexicains (Villoro, Paz, principalement). La critique des « tijuanólogos » issus du territoire, pas plus que ceux de l’extérieur, montre que cette légitimité ne va pas de soi. Il n’y a donc pas nécessairement de « label » garantissant une bonne vision de la frontière, d’autant que celle-ci n’est qu’un simulacre et une mise en scène. L’exercice ne semble donc pas avoir de résultat satisfaisant pour l’auteur ; il n’y a donc pas forcément de bonne manière de parler de celle-ci, ce qui peut expliquer les nombreuses contradictions qui peuvent émailler les récits – et qui sont omniprésentes dans les textes de Yépez. C’est également la raison pour laquelle il convient de nuancer une partie des assertions que contiennent les deux textes.

28Ainsi, la boucle paraît impossible à boucler. Si connaître le terrain est un plus, celui-ci n’étant qu’une mise en scène, il n’y a qu’à l’inclure dans la narration, comme l’on résumerait une pièce de théâtre. Le fantasme de l’hybridation vient s’intégrer dans cette mise en scène ; il s’agit donc d’un simulacre de plus, proposé aux touristes (Mexicains du centre, États-Uniens) de la même manière que les fameux « zonkeys », statues mi-âne mi-zèbre, que l’on trouve dans la Calle Revolución de Tijuana, que citent tous les auteurs extérieurs, Villoro en tête. L’hybridation serait donc une invention de Tijuana pour tromper les touristes ; et celle-ci ne serait pas nécessairement propre à la ville, puisque désormais, ces simulacres existent partout ailleurs. Il n’y a pas lieu de chercher un quelconque exotisme à Tijuana. L’exotisme est partout – ou il est mort.

  • 31 Idem, p. 92.

29D’une certaine manière, cette vision acte la démultiplication – littéraire, du moins – de la frontière. Avec l’avènement des contenus en ligne, toutes les situations limites – sauf le fait de passer une frontière physique – sont désormais possibles partout. Cela s’oppose à la vision initiale de Tijuana : la frontière permettait de borner un territoire où il était possible de commettre des excès répréhensibles partout ailleurs. Le tournant du xxie siècle marque précisément cette possibilité de sortir de ce paradigme et de voir la démultiplication de ces comportements en ligne. Ainsi, Tijuana et la frontière sont devenus un site internet comme les autres : pour Yépez, désormais, « gracias a muchos websites ni siquiera [los escritores estadounidenses y de la Ciudad de México] tendrán que hacer el recorrido relámpago a “Margaritaville” »31: ils pourront assouvir leur goût pour le bizarre, la pornographie ou encore jouer un personnage stéréotypé sans même avoir à quitter leur domicile.

Conclusions

30Ces textes, où la théorie s’entremêle bien souvent avec la fiction et la non-fiction, cherchent à dépasser ce qui avait été posé lors des décennies précédentes, à savoir si la frontière mexicano-américaine pouvait être considérée comme un laboratoire de la mondialisation. Ces deux ouvrages s’inscrivent cependant dans une certaine tradition de la conception des relations interculturelles au Mexique, bien antérieure à García Canclini. L’originalité de l’idée de Yépez est sans nul doute de centrer son propos sur Tijuana, pour proposer quelque chose qui irait au-delà des théories des exégètes de Canclini, considérant qu’ils n’ont finalement fait que répéter des stéréotypes et des fantasmes. Made in Tijuana tente de partir à l’opposé et offre donc une série de concepts qui seront mis en pratique dans Tijuanologías : la fission et le cannibalisme culturel. Ces concepts présupposent qu’il ne s’agit pas d’une subduction culturelle, où la culture hispanique serait surpassée par la culture anglophone de masse, mais bien d’un jeu de dupes, où l’on offrirait un Mexique de pacotille, rassurant pour les touristes et pour les Mexicains venus du Centre, une sorte de vision fausse et dépassée de la frontière. Dès lors, en parler et créer de nouveaux récits présuppose de choisir les éléments issus de leur déconstruction qui auraient un quelconque intérêt pour construire une narration.

  • 32 Yépez, Heriberto, A.B.U.R.T.O, Random House Mondadori, Mexico, 2005.
  • 33 Yépez, Heriberto, Made in Tijuana, Mexicali, ICBC, 2004, p. 159 : « neuróticas o patafísicas han si (...)

31Considérant que toute synthèse est impossible et prônant l’éclatement, la théorie énoncée dans le premier chapitre de Made in Tijuana semble avoir été mise à profit dans les récits publiés de manière concomitante par Yépez ; notamment dans la manière de mettre en perspective la ville et le passage de la frontière dans A.B.U.R.T.O32, mais aussi à travers la manière dont entrent en contradiction les différentes formes de récit. Si l’on considère ces textes et Tijuanologías, le premier chapitre de Made in Tijuana tient beaucoup d’un manifeste, même s’il faut admettre qu’il a surtout été écrit pour fixer les propres règles de son auteur, que celui-ci peut se sentir libre d’enfreindre dès qu’il le souhaite – puisque toute réalité est contradictoire – ainsi qu’il le clame dans le dernier fragment de l’ouvrage33.

32Si Yépez est clairement et volontairement excessif dans ses textes, il faut cependant admettre qu’effectivement, la vision de la frontière qu’offrent des écrivains venus d’autres territoires – chilangos ou états-uniens, de Chandler à Villoro – tourne en fin de compte toujours autour des mêmes axes : la vénalité de ses habitants, ses plaisirs faciles, le fait qu’il ne s’agisse que d’un Mexique de simulacre, son manque même d’authenticité. Partant, toute perspective de transformer cette frontière en objet littéraire se retrouve quelque peu entravée : peut-on réellement représenter autre chose que ces images surannées et répétitives ? Et les auteurs locaux (Yépez en premier lieu, mais également certains de ses contemporains, comme Saavedra, par exemple) sont-ils en mesure de produire une autre vision de la ville, et partant, de la frontière ? Made in Tijuana, en tant qu’ouvrage primé au niveau local, reste néanmoins plus une tentative de construire (ou déconstruire ?) une théorie littéraire intrinsèque à la zone frontière qu’une volonté de construire un manifeste.

33Enfin, il convient de ne pas oublier que Culturas Híbridas de García Canclini est un ouvrage paru il y a trente ans, au début de l’ère de mondialisation, et bien avant la démocratisation des systèmes de communication numériques. Pour leur part, Made In Tijuana et Tijuanologías connaissent une construction concomitante à l’essor du blogging et des chroniques en ligne, qui permettent une meilleure diffusion de ce type de texte. Le monde a déjà changé et ces modifications ne vont faire que s’accentuer au cours des deux décennies suivantes. Ainsi, ce qu’entrevoyait Yépez avec l’avènement de la société numérique et des réseaux sociaux s’est en partie avéré exact, ou du moins a poursuivi le cours observé au début des années 2000. Le monde entier est devenu une sorte de frontière qui n’a rien à envier narrativement à Tijuana, puisque les mêmes codes et stéréotypes peuvent apparaître n’importe où. Dès lors, le rôle de l’écrivain pourrait aller au-delà de la représentation de la frontière là où elle est censée se manifester : il pourrait devenir intéressant de la traquer là où on se trouve.

Haut de page

Bibliographie

Berumen, Humberto Félix, Historia mínima (e ilustrada) de la literatura en Tijuana, Tijuana, Centro Cultural Tijuana, 2022.

Chandler, Raymond, The Long goodbye,Los Angeles, Vintage Books, 1992 [22e édition, 1954]

Cornejo Polar, Antonio, « Mestizaje, transculturación, heterogeneidad », Revista Crítica Literaria Latinoamericana, Año 20, n° 4 (1994), p. 368-371.

De La Roca, Hernán, Tijuana In, Mexico, Editorial Cultura, 1933.

García Canclini, Néstor, Culturas híbridas, Estrategias para entrar y salir de la modernidad, Mexico, De Bolsillo-Random House Mondadori, 2009 [première édition : 1991].

Lamore, Jean « Transculturation : naissance d’un mot », in Caccia, Fulvio et Lacroix, Jean-Michel, Métamorphoses d’une utopie, Paris, PSN, 1992, p. 43-48.

Lussault, Michel, Hyperlieux, les nouvelles géographies politiques de la mondialisation, Paris, Seuil, 2017.

Paz, Octavio, El Laberinto de la soledad, Madrid, Catedra, 2004 [première édition, 1950].

Trujillo Muñoz, Gabriel, Literatura Bajacaliforniana Siglo xx, Mexicali, Larva, 1997.

---, Entrecruzamientos, Mexico, Plaza y Valdés, 2002.

Villoro, Juan, «  Nada que declarar. Welcome to Tijuana », in Letras libres, n° 17, Mexico, 2000.

Yépez, Heriberto, Made in Tijuana, Mexicali, ICBC, 2004.

---, El Matasellos, Random House Mondadori, Mexico, 2004.

---, A.B.U.R.T.O, Random House Mondadori, Mexico, 2005.

---, Tijuanologías, Mexicali/Mexico, UABC/Libros del Umbral, 2005.

Haut de page

Notes

1 Lussault, Michel. Hyperlieux, les nouvelles géographies politiques de la mondialisation, Seuil, 2017, Paris. Selon Lussault, « l’hyperlieu renvoie au constat empirique du surcumul incessant, en un endroit donné, de réalités spatiales, matérielles ou immatérielles » (p. 55-56).

2 Voir Chandler, Raymond, The Long goodbye, Vintage Books, 1992 [22e édition, 1954], Los Angeles, (p. 36): « Tijuana is not Mexico. No border town is anything than a border town »

3 García Canclini, Néstor, Culturas híbridas, Estrategias para entrar y salir de la modernidad, De Bolsillo, Mexico, Random House Mondadori, 2009.

4 Voir Trujillo Muñoz, Gabriel, Entrecruzamientos, Mexico, Plaza y Valdés, 2002 et Berumen, Humberto Félix, Historia mínima (e ilustrada) de la literatura en Tijuana, 2022, Tijuana, Centro Cultural Tijuana.

5 Cet ouvrage, publié en 2004, a la particularité d’avoir été primé et édité lors du Premio Estatal de Literatura, dans la catégorie Essai.

6 Yépez, Heriberto, Made in Tijuana, Mexicali, ICBC, 2004, p. 11.

7 Idem, p. 11-12.

8 Idem, p .15.

9 Idem, p. 16. 

10 Idem, p. 18.

11 Idem, p. 26.

12 Cornejo Polar, Antonio, « Mestizaje, transculturación, heterogeneidad », Revista Crítica Literaria Latinoamericana, Año 20, n° 4 (1994), p. 368-371.

13 Idem, p. 135-157.

14 Yépez, Heriberto, Tijuanologías, Mexicali/Mexico, UABC/Libros del Umbral, 2006, 177 p.

15 Idem, p. 15.

16 Idem, p. 48.

17 Idem, p. 49.

18 Idem, p. 51. Nous avons reproduit fidèlement la ponctuation du texte tel qu’il apparaît dans l’ouvrage cité.

19 Ce concept sera prolongé et mieux explicité dans A.B.U.R.T.O.

20 Idem, p. 52.

21 Idem, p. 60. Nous avons reproduit fidèlement la typographie d’origine.

22 Idem, p. 89.

23 Même s’il peut subir le racisme des douaniers et le contretemps de l’interminable file d’attente du poste-frontière.

24 Trujillo Muñoz, Gabriel, Literatura Bajacaliforniana Siglo xx, Mexicali, Larva, 1997.

25 Trujillo Muñoz, Gabriel, Entrecruzamientos, Mexico, Plaza y Valdés, 2002.

26 Idem, p. 78.

27 Yépez, Heriberto, Tijuanologías, Mexicali/Mexico, UABC/Libros del Umbral, 2006.

28 « Tijuana is nothing; all they want there is the buck. The kid who sidles over your car and looks at you with big wistful eyes and says “one dime, please, mister” will try to sell you his sister on the next sentence.  » (Chandler, Raymond, op. cit, p. 36).

29 Yépez, Heriberto, Tijuanologías, Mexicali/Mexico, UABC/Libros del Umbral, 2006, p. 132.

30 Idem, p. 172.

31 Idem, p. 92.

32 Yépez, Heriberto, A.B.U.R.T.O, Random House Mondadori, Mexico, 2005.

33 Yépez, Heriberto, Made in Tijuana, Mexicali, ICBC, 2004, p. 159 : « neuróticas o patafísicas han sido las exigencias de aquellos que dicen reglamentar la más racionalista forma de narrar... »

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Anais Fabriol, « Mettre en perspective la frontière, depuis la frontière : le cas de Made in Tijuana (2004) et Tijuanologías (2006) d’Heriberto Yépez »Caravelle, 122 | -1, 81-94.

Référence électronique

Anais Fabriol, « Mettre en perspective la frontière, depuis la frontière : le cas de Made in Tijuana (2004) et Tijuanologías (2006) d’Heriberto Yépez »Caravelle [En ligne], 122 | 2024, mis en ligne le 29 août 2024, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15610 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127h1

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search