Navigation – Plan du site

AccueilNuméros122Dossier – Les frontières en Améri...Une culture diplomatique de la fr...

Dossier – Les frontières en Amérique latine : constructions, déconstructions, mises à l’épreuve

Une culture diplomatique de la frontière dans les Andes (années 1930-années 1950)

François Bignon
p. 29-48

Résumés

Les acteurs de la négociation frontalière entre le Pérou et l’Équateur ont développé une culture diplomatique commune mais qui menait au blocage des négociations. Culture des élites andines, elle s’enracinait dans l’héritage ibérique, tout en revendiquant un caractère latin, opposé à l’approche pragmatique de la frontière, perçue comme « anglo-saxonne ». C’est cette dernière qui s’imposa pour des raisons d’intérêt stratégique des puissances régionales, dans le traité de frontière de 1942, surmontant temporairement l’inertie de la culture diplomatique.

Haut de page

Texte intégral

1Avant que la paix ne fût signée en 1998, le conflit frontalier qui opposa les Républiques du Pérou et de l’Équateur depuis l’époque des indépendances était communément considéré comme le plus vieux conflit frontalier de l’Amérique latine. L’objectif de ce travail est d’expliquer les ressorts de cette inertie tout en analysant les facteurs qui ont conduit à la dépasser pour effectivement tracer la plus grande partie de la frontière au cours des années 1940.

  • 1 Berstein, Serge (dir.), Les cultures politiques en France, Paris, Le Seuil, 1999.
  • 2 Jacobsen, Nils, Aljovín de Losada, Cristóbal (dir.), Cultura política en los andes (1750-1950), Lim (...)
  • 3 Espinosa, Carlos, « Ecuador se inserta en el sistema de Estados: las relaciones internacionales de (...)

2Dans le giron de cette interminable lutte s’est développée une manière spécifique d’aborder la question frontalière. Nous qualifions cette approche partagée de « culture diplomatique de la frontière », qui, à l’instar des cultures politiques1, est caractérisée par la convergence parmi un groupe humain d’imaginaires et de savoir-faire portant sur un objet, en l’occurrence la question frontalière. Elle relève donc du discours tout autant que de pratiques qui s’en inspirent. Cette culture est dite diplomatique car elle est activée dans le cadre de négociations interétatiques sur la délimitation de la frontière, mais elle ne concerne pas que des diplomates. Elle recrute au sein d’un groupe d’hommes issus d’un milieu socialement homogène (élites urbaines riches et éduquées) et transnational, établi dans les différentes capitales de la région andine et américaine, et qui dès le xixe siècle, partageait déjà une « culture politique dans les Andes »2. Bien que l’objet de ce travail consiste à mettre en avant cette culture commune parmi les représentants du Pérou et de l’Équateur, on en trouvera la trace dans les conflits frontaliers de tous les pays voisins. Cette culture diplomatique du xxe siècle s’appuyait d’ailleurs sur un ensemble de pratiques déjà communes aux jeunes États qui formèrent dès le deuxième tiers du xixe siècle un « sous-système d’États souverains dans la région andine », caractérisé par l’intégration rapide des normes westphaliennes européennes et par un esprit libéral appelant à l’harmonie entre les nations par le développement du commerce3.

  • 4 Jaramíllo Sevilla, Juan Carlos, « La historia de límites en los libros de texto del Ecuador : análi (...)

3La ligne frontière établie entre le Pérou et l’Équateur en 1998 était largement héritière d’une phase décisive de construction qui se déroula entre les années 1930 et 1950, autour du traité signé en janvier 1942, à la suite d’une courte guerre qui contribua à délimiter dans les textes puis démarquer sur le terrain la plus grande partie de la ligne frontière. Le conflit perdurait depuis l’époque des Indépendances, lorsque le Pérou et la Grande Colombie récemment indépendants n’avaient pas réussi à s’accorder sur une frontière internationale basée sur les frontières internes de l’empire espagnol disparu. Les gouvernements de Lima et Quito avaient ensuite connu des phases successives de rapprochement ou d’affrontements armés (1828, 1859, 1910), dont l’historique a peuplé les ouvrages nationalistes d’histoire et les manuels d’écoliers des deux bords, figeant deux versions irréconciliables de l’affaire4. Le survol des négociations entre les années 1930 et 1950 permettra de comprendre la tortuosité de la question. En 1936, les deux parties convenaient d’activer un protocole signé déjà en 1924 qui prévoyait l’ouverture de négociations bilatérales directes à Washington. En cas d’échec de délimitation de tout ou partie de la frontière, le président des États-Unis serait sollicité comme arbitre. Dès le départ les discussions patinèrent. Les délégués péruviens s’appuyaient sur la Cédule Royale de 1802 qui avait intégré les territoires amazoniens à la vice-royauté du Pérou, et projetaient un référendum auprès des populations concernées. Ils contestèrent par ailleurs la nature même de l’arbitrage étasunien potentiel, et proposèrent d’en définir les contours par la Cour Permanente de Justice Internationale de La Haye. Les Équatoriens au contraire, qui souhaitaient reconstituer le territoire de l’Audience de Quito préexistant à la Cédule de 1802, entendaient négocier une ligne transactionnelle, et aboutir à l’arbitrage au plus vite. Face à l’impasse, les discussions furent abandonnées en septembre 1938, officiellement transférées à Lima par les Péruviens. Devant la montée des tensions aux frontières, les États-Unis, l’Argentine et le Brésil, rejoints plus tard par le Chili, proposèrent leurs « amicaux services » en mai 1941, formule originale qui permettait d’éviter l’évocation d’une « médiation » trop contraignante aux yeux des Péruviens, mais d’avancer plus résolument qu’avec de simples « bons offices ». Les Péruviens d’ailleurs rejetèrent officiellement l’offre de ce qu’ils considéraient comme une médiation déguisée, tout en continuant à discuter ces questions avec les intéressés. Les deux pays s’affrontèrent alors par les armes en juillet 1941, apportant une éclatante victoire au Pérou, sanctionnée par un traité de « paix, d’amitié et de limites », signé à Rio de Janeiro en janvier 1942 puis ratifié par le parlement équatorien sous la contrainte de l’occupation d’une portion méridionale de son territoire. En plus de définir une ligne frontière par l’énumération de points de référence, l’accord signé à Rio prévoyait la libre circulation sur l’Amazone, renouant avec une tradition américaine présente dès le début du xixe siècle. Des commissions mixtes arpentèrent alors le terrain durant toute la décennie pour pratiquer des relevés et placer des bornes le long des milliers de kilomètres de frontière. Cependant, les relevés aériens révélèrent dans une région de Haute Amazonie l’existence d’un fleuve inconnu jusque-là qui ne permettait pas, selon les Équatoriens, d’appliquer le principe du divortium aquarum. Il s’appuyèrent sur cet incident pour remettre en cause l’exécution du traité. Pour cette raison, la frontière connut encore deux épisodes belliqueux, en 1981 et en 1995, mais le différend portait alors sur quelques dizaines de kilomètres linéaires, une portion bien faible des milliers de kilomètres de cette frontière qui traverse les marécages de la côte pacifique, escalade la Cordillère des Andes pour plonger très profondément au cœur de la forêt amazonienne.

  • 5 Sur le « tournant culturel » de l’histoire de la diplomatie, voir Badel, Laurence et Jeannesson, St (...)
  • 6 Kohen, Marcelo G., « La contribution de l’Amérique latine au développement progressif du droit inte (...)
  • 7 Parmi les sources principales, l’Archivo de Límites du Ministère des Relations Extérieures du Pérou (...)

4Malgré la conflictualité persistante, l’essentiel était donc réglé au milieu du xxe siècle. On ne peut alors que s’interroger sur les rapports qu’ont entretenus la culture de la frontière qui, comme on le verra, menait la plupart du temps au blocage diplomatique, avec l’accélération d’un processus de construction de la frontière qui semble la contredire. Il ne s’agit pourtant pas d’établir l’historique des négociations, le calcul scrupuleux des pertes et des gains, mais de contribuer à une approche culturelle des pratiques diplomatiques en documentant les origines, les caractéristiques et les enjeux de cette culture diplomatique5. En insistant sur la manière plus que sur le contenu, nous évacuons de fait l’étude des normes, à l’instar de la référence à l’uti possidetis, dont la centralité dans l’affirmation des frontières a été signalée à de multiples occasions, mais qui n’intéresse pas notre réflexion sur les pratiques6. Pour ce faire, c’est la correspondance des acteurs plus que les argumentaires historico-juridiques qui sont mobilisés. Les échanges informels entre délégations adverses, ou au sein même des chancelleries, nous permettent d’entrer dans les pratiques plus que dans les positionnements officiels qui peuvent surjouer certaines postures, même si cette correspondance, scrupuleusement archivée pour usage ultérieur, a ensuite pu être mobilisée comme argument même dans la controverse7.

5Il s’agira d’abord de déterminer les conditions d’émergence de cette culture à travers l’analyse des trajectoires d’individus et des théâtres où ils se rencontraient et des rouages bureaucratiques qui contribuèrent à former des « experts » de la question frontalière. Nous soulignerons ensuite que cette expertise s’est employée dans des pratiques partagées entre les délégations, malgré leur affrontement sans merci, ce qui nous permettra d’interroger la singularité régionale de cette culture. Enfin, nous montrerons que l’inertie de cette culture andine a été temporairement mise en échec par la concurrence d’une autre culture de la frontière, portée par les grands acteurs régionaux, plus sensibles aux résultats qu’au processus, et qui favorisa la démarcation effective des frontières.

Aux sources d’une culture partagée, des circulations multiscalaires

  • 8 Pons Muzzo, Gustavo, Las fronteras del Perú, Lima, Colegio San Julián, 1961, p. 8. La traduction, c (...)

6S’il est caricatural de réduire le tracé des frontières à des conversations secrètes de cabinet où des négociateurs mandatés par leur gouvernement tracent sur de grandes cartes les limites de leurs États, ces négociations ont bel et bien constitué un pôle qui a contribué à dessiner les frontières. Les historiographies nationales ont eu tendance à saluer, tel l’éducateur Gustavo Pons Muzzo, ces diplomates qui « de manière désintéressée et constante, ont défendu sur tous les fronts de la vie internationale, avec brio et compétence, les droits du Pérou à son intégrité territoriale », tandis que les éventuels « échecs dans la délimitation de nos frontières » se devaient essentiellement à « certains politiques »8. Érigés en véritables héros de la patrie, ces négociateurs péruviens n’en partageaient pas moins avec l’ennemi équatorien supposé, des caractéristiques communes quant à la manière d’aborder les questions territoriales.

  • 9 Sanchez Barberan, Matias, « Le républicanisme sud-pacifique à l’aune des recompositions impériales. (...)
  • 10 Voir par exemple le colloque « Exils latino-américains du long xixe siècle », organisé du 26 au 28  (...)
  • 11 Jacobsen et Aljovín, op. cit.
  • 12 Francisco Tudela au ministre des Relations Extérieures, 1er mai 1936, Genève ; Francisco Tudela min (...)

7Cette culture commune a pu s’abreuver à plusieurs sources. L’une des plus évidentes est la circulation permanente de ces élites à l’échelle régionale depuis l’époque de la colonisation ibérique. Les indépendances ont certes fragmenté cet espace en créant des États indépendants, mais elles n’ont pas fait disparaître ces circulations, bien au contraire. Le républicanisme dans le Sud-Pacifique a été le vecteur de migrations temporaires ou définitives entre le Pérou, le Chili et l’Équateur au milieu du xixe siècle9, et l’exil a généralement été une des modalités de politisation essentielle du continent au xixe et xxe siècles10. Par le jeu des rencontres militantes ou amicales et des alliances matrimoniales, ces circulations ont pu aboutir au xxe siècle à la constitution d’une élite socialement homogène, aux ramifications continentales qui, sans partager une seule et unique vision politique, pouvait relever d’une même culture politique11. Les diplomates issus de cette couche sociale apprenaient aussi à se connaître au sein des capitales où ils représentaient leur pays comme ministres plénipotentiaires ou ambassadeurs. Le Péruvien Francisco Tudela considérait ainsi son homologue équatorien Gonzalo Zaldumbide comme un « diplomate distingué et un vieil ami »12.

  • 13 Dumont, Juliette, Diplomaties culturelles et fabrique des identités : Argentine, Brésil, Chili (191 (...)
  • 14 José Pena, Héctor Oscar, El IPGH. Una historia de 90 años, Ciudad de México, Instituto Panamericano (...)

8Savoirs et pratiques associés à la frontière ont également circulé dans les réunions nombreuses et périodiques induites par le panaméricanisme. Créée institutionnellement à la fin du xixe siècle afin de rapprocher les États du Nord et du Sud du continent, l’Union panaméricaine s’engouffrait dans les années 1930 dans le vide laissé par l’échec de la Société des Nations et mit en place les éléments décisifs de la coopération politique, économique et culturelle entre les États du continent13. Les savoirs frontaliers circulaient dans les grandes réunions continentales et leurs commissions spécialisées qui se multiplièrent ou dans des organisations créées ad hoc, comme l’Institut panaméricain d’histoire et de géographie créé en 1928, dont le siège se situe à Mexico14. Au cours de ces réunions de plus en plus nombreuses dans les années 1930, les délégués des divers pays, qui sont ceux-là mêmes qui participent par leurs discours et leurs décisions au différend territorial, échangent et se forgent des arguments communs, quoiqu’appliqués à des contextes nationaux distincts.

  • 15 Dumont, Juliette, De la coopération intellectuelle à la diplomatie culturelle : les voies/x de l’Ar (...)
  • 16 Wehrli, Yannick, États latino-américains, organismes multilatéraux et défense de la souveraineté. E (...)

9Enfin, les délégués latino-américains se rencontraient en Europe dans le cadre de la Société des Nations (SDN) lorsque leurs pays y adhéraient, et y formèrent un groupe informel chargé de contribuer aux intérêts strictement latinoaméricains au sein de cette institution dominée par les Européens15. Le Pérou participa à ses activités depuis le début, tandis que l’Équateur attendit 1934, fidèle jusque-là à une stratégie isolationniste qu’il abandonne alors16. Dès lors, les Équatoriens tentèrent sans succès de porter la question frontalière devant l’institution de Genève, et des échanges informels avaient parfois lieu entre délégués équatoriens et péruviens.

10Les experts de la question frontalière apprenaient donc à se connaître et à identifier les arguments de leurs adversaires – ce qui peut expliquer leur mimétisme – bien que peu d’entre eux cumulassent les trois cercles mis en évidence. Homero Viteri Lafronte (1892-1976), cheville ouvrière de la diplomatie équatorienne dans la question frontalière avec le Pérou, avait dès ses études représenté son pays à Lima au cours du IIIe Congrès International d’Étudiants Américains. Docteur en jurisprudence, il avait par la suite assuré la représentation diplomatique de l’Équateur auprès du Pérou, du Brésil et des États-Unis, avant de le représenter au cours des Conférences panaméricaines de 1948 et de 1954. Il cumulait donc le théâtre régional et continental, mais pas européen. À l’inverse, le Péruvien Raúl Porras Barrenechea (1897-1960) avait représenté son pays à Paris et auprès de la SDN, mais ne disposait pas des relais panaméricains de ses collègues.

Une bureaucratie frontalière en voie de professionnalisation

  • 17 Bákula, Juan Miguel, El Perú en el reino ajeno: historia interna de la acción externa, Lima, Univer (...)
  • 18 Concha, Carlos, Memoria del Ministro de Relaciones Exteriores, 14 de setiembre de 1934-12 de abril (...)

11Ces circulations s’accompagnaient d’une professionnalisation administrative qui permit l’émergence d’un groupe de véritables experts de la frontière. Les pays de la région ont rapidement établi des services diplomatiques après leurs indépendance, mais jusqu’aux années 1930, les personnes en charge des questions frontalières faisaient plutôt figure d’amateurs éclairés. Encore au cours des années qui nous intéressent, les acteurs les plus visibles de la question frontalière étaient bien souvent d’éminents professeurs et savants, historiens, géographes, ou légistes (et parfois tout à la fois) approchés par les chancelleries pour leurs compétences. À la même époque néanmoins, des acteurs secondaires plus spécialisés émergèrent dans le cadre de la professionnalisation des carrières diplomatiques et administratives de chaque pays. Au Pérou, la loi 6602 de 1929 obligeait déjà les ambassadeurs à être fonctionnaires de carrière. À partir de 1935, afin de rompre avec la diplomatie d’Augusto Leguía qui, de 1919 à 1930 avait mené une politique extérieure considérée par ses ennemis comme autoritaire et antipatriote, le service diplomatique subit une profonde réorganisation. Les postes administratifs du « service diplomatique » et de plénipotentiaires devaient être mieux pourvus grâce au système de l’assimilation (proche du détachement français) et du concours public. Il s’agissait de créer une véritable carrière diplomatique dont les membres ne seraient pas dépendants du clientélisme politique, quoique la réforme avait également pour objectif de faire contrefeux aux programmes de politique extérieure des partis d’opposition et ne plaçait pas la chancellerie dans le cadre d’une stricte neutralité politique17. Parallèlement, les recommandations sur la stratégie à adopter dans le différend frontalier étaient formulées par une sous-commission de la Commission consultative, un organe composé d’une vingtaine de membres, issus du vivier de diplomates et de représentants éclairés de l’aristocratie locale. Enfin, les experts de la frontière pouvaient s’appuyer sur un système d’archives – en particulier l’Archivo de Límites (« les archives des frontières ») – de plus en plus performant. La chancellerie avait mené dans les années 1930 un travail d’inventaire et de classement sur des critères « scientifiques »18. Les experts de la frontière naviguaient ainsi entre ces différents organes en approfondissant leur connaissance de la question. Arturo García Salazar (1880-1958) s’est ainsi illustré dans les charges de directeur des archives des frontières, représentant diplomatique du Pérou à Quito, et même de la délégation péruvienne à Washington entre 1936 et 1938 pour entamer des négociations bilatérales avec l’Équateur.

12En Équateur, dont l’essentiel de l’action diplomatique était orientée vers sa question frontalière avec le Pérou, la professionnalisation était moins achevée, et les ressources moins abondantes. Mais l’on retrouvait également une Junte consultative des affaires étrangères, composée également d’une douzaine de personnes, recrutées parmi les experts de la question frontalière dans le champ juridique et militaire, qui pouvaient aussi être des leaders politiques, comme Carlos Arroyo del Río, docteur en droit, chef du parti libéral et futur Président de la République (1940-1944). La chancellerie s’appuyait également sur une Dirección de Límites (« direction des frontières ») présidée par le ministre et de première importance dans le dispositif diplomatique général. C’est elle en particulier qui contrôlait les archives qui, comme chez les Péruviens, jouaient un rôle essentiel dans la controverse.

13On peut s’interroger sur l’intérêt carriériste d’apparaître comme expert de la frontière dans les deux pays. Des personnages comme Arroyo del Río en Équateur, Victor Andrés Belaúnde ou Raúl Porras Barrenechea au Pérou ont construit une part importante de leur succès intellectuel ou politique sur leur supposée maîtrise de cette question. À un niveau moindre, on trouvait aussi dans les chancelleries de fins connaisseurs de la cartographie ou de l’historique juridique des négociations qui n’avaient pas les premiers rôles, mais qui pouvaient bâtir leur carrière sur cette spécialisation. La question frontalière constituait ainsi une source de légitimité et de revenus à un groupe d’hommes qui partageait dès lors des intérêts et des pratiques.

Les pratiques partagées d’une culture du blocage

14Forgée par les circulations continentales et les réunions panaméricaines, dans un milieu socialement homogène mais de plus en plus soumis aux impératifs de la spécialisation, cette culture de la frontière au croisement de l’histoire, du droit et de la géographie, s’est incarnée dans des pratiques partagées entre délégués péruviens et équatoriens dans la première moitié du xxe siècle, dont il convient de déterminer les principales caractéristiques. L’analyse de la correspondance diplomatique échangée au cours de la conférence de Washington (1936-1938) et des incidents de frontière entre 1933 et 1941, met ainsi en évidence au moins six pratiques communes aux deux délégations, que l’on peut regrouper dans une typologie (figure 1). Tandis que certaines pratiques dessinaient l’objectif de rétablir un grand territoire dont la légitimité se situe dans les titres juridiques (juridicisme), dans les représentations cartographiques (géographisme imaginaire) et dans les aléas de l’histoire (historicisme), d’autres comportaient des moyens mis en œuvre pour faire avancer la cause, comme des effets rhétoriques (Argumentum ad hominem), des moyens administratifs (spécialisation administrative) ou politiques (recherche de consensus interne). La distinction entre objectifs et moyens est uniquement heuristique, car l’un impliquait souvent l’autre. Les cartes du territoire national constituaient à ce titre autant un horizon à atteindre qu’un argument contre l’adversaire, et le compilationisme historique, en s’appuyant sur la légitimité des actes historiques et juridiques, nécessitait des recherches archivistiques et une administration spécialisée capable de fournir les documents idoines.

Figure 1 – Pratiques partagées de négociations frontalières
entre diplomates péruviens et équatoriens

Juridicisme Le tracé doit se baser sur les droits juridiques définis dans les traités et les actes du passé, plutôt que sur l’occupation effective du territoire.
Géographisme imaginaire Le véritable territoire national originel a été dépecé. Tout tracé en-deçà de cette ligne, matérialisée par les cartes historiques les plus favorables à la cause, est une défaite.
Historicisme (ou compilationnisme) Puisque les documents anciens constituent la source des droits territoriaux, il convient de les rechercher, de les accumuler et de les conserver pour les convoquer au cours des négociations.
Spécialisation administrative Pour mener à bien les négociations, des services juridiques, géographiques, historiques, archivistiques, doivent être créés pour fournir la matière essentielle des négociations.
Argumentum ad hominem Tout acte administratif ou diplomatique du voisin sera systématiquement retourné contre lui pour prouver l’appartenance nationale des territoires concernés.
Consensus politique Pour obtenir plus de poids dans les négociations, il convient de rechercher un consensus entre le gouvernement et les élites nationales sur l’objectif territorial.

Tableau réalisé à partir de l’analyse d’au moins 78 incidents frontaliers entre le Pérou et l’Équateur entre 1933 et 1941 et des argumentaires échangés par les délégations des deux pays à Washington (1936-1938).

  • 19 Jean Dobler, ministre de France en Équateur, au ministre des Affaires étrangères, 16 juin 1941. AMA (...)
  • 20 Ibidem.
  • 21 Tobar Donoso, Julio et Tobar Luna, Alfredo, Derecho territorial ecuatoriano, Quito, Editorial « La (...)

15En sus de ces pratiques qui relevaient du personnel diplomatique et administratif des chancelleries, les représentants élus des chambres législatives intervenaient dans le processus diplomatique en ne ratifiant pas les textes signés par les négociateurs ou « en manquant à l’échange formel des ratifications »19, comme cela pouvait être le cas dans de nombreuses démocraties modernes. On comprendra donc les appels alarmants des diplomates étrangers glosant sur l’inertie de la décision. Jean Dobler, ministre plénipotentiaire de la France à Quito en 1941, se plaignait des pratiques de ses collègues andins, qui « ne se sont jamais fait aucune concession » et qui « ont rédigé leurs traités dans des termes si généraux que ceux-ci leur permettaient toutes les divergences d’interprétation », qui avaient « constamment compté sur le temps, sur les changements qu’il apporte dans les choses et la lassitude qu’il provoque chez les hommes, pour échapper aux stipulations dont ils étaient convenus ». Tout ceci dénotait d’après le diplomate français une logique d’« avocats soumis et rompus à la procédure judiciaire la plus déliée »20, bien plus que des pratiques de négociateurs diplomatiques. Plusieurs acteurs de la négociation étaient d’ailleurs diplômés en droit, parfois docteurs en jurisprudence, appliquant aux frontières une doctrine juridique intransigeante qu’ils transmettaient à leurs étudiants lorsqu’ils étaient chargés d’enseignement21.

  • 22 « Memorándum con transcripciones de cablegramas y documentos anexos sobre la suspensión de las Conf (...)

16À l’évocation de ces pratiques constatées par le diplomate français, il ressort qu’aucune d’entre elles n’était effectivement encline au compromis. Les acteurs préféraient le statu quo aux concessions territoriales, quitte à faire perdurer une situation incertaine quant à la souveraineté de vastes territoires et de leurs habitants. Les blocages induits expliquent en grande partie la longueur inhabituelle de ce conflit frontalier. Les quelques tentatives d’accords transactionnels, qui auraient signifié des concessions mutuelles, portées par des personnages plus politiques étaient vouées aux gémonies par les diplomates. La proposition du général Alberto Enríquez, brièvement à la tête de l’Équateur entre octobre 1937 et août 1938, d’« arriver à un accord par le moyen de conversations entre les chefs d’État », et donc de court-circuiter les services des deux chancelleries, fut utilisée par ses adversaires politiques et tourna au fiasco22.

  • 23 Ainsi que deux au Moyen Orient et trois dans la région regroupant l’Asie, l’Extrême-Orient et le Pa (...)

17Cette culture de l’inertie n’était pourtant pas synonyme d’immobilisme. Les négociations, formelles et informelles, étaient fréquentes et se déployaient sur de nombreux théâtres. Elles pouvaient même évoluer dans une véritable culture affichée de la paix. Les pays andins comme latino-américains ont eu par exemple massivement recours aux procédures de la médiation et de l’arbitrage pour tenter de régler les différends internationaux, plus que toute autre région du monde. Beth A. Simmons avance que le continent latinoaméricain a connu depuis les Indépendances vingt-deux procédures concernant les frontières impliquant un arbitrage ou équivalent, contre un seul en Europe et deux en Afrique23. Le Pérou et l’Équateur eux-mêmes avaient contemplé cette possibilité dans leur différend, et le Pérou était au début du xxe siècle le meilleur avocat de ce type de règlement sur la scène internationale. D’autre part, les conflits territoriaux pouvaient donner lieu à des innovations textuelles, à l’image de ces « amicaux services » proposés en mai 1941 par les quatre pays devenant ensuite dans le traité de 1942 les « garants » de l’accord, autre formule nouvelle qui impliqua les États-Unis, le Brésil, le Chili et l’Argentine, dans la résolution du différend équatoriano-péruvien jusqu’à la fin du xxe siècle. Usage de procédures collectives et innovations sur le fond soulignaient certes l’activité constante des diplomates du continent sur ces questions de frontière, mais ne signifiaient pas pour autant que ces efforts aboutissaient. L’arbitrage pouvait être mis en échec, comme le prouvèrent les laborieuses tentatives avortées du Pérou avec ses voisins boliviens (1909), équatoriens (1910) et chiliens (1924), et les innovations diplomatiques étaient le fait des puissances voisines plus que des pays dont le territoire était directement impliqué. La discussion permanente n’empêchait pas une forme d’inertie des acteurs qui favorisait la procédure sur le résultat.

Une culture ibéro-américaine, américaine, atlantique ?

  • 24 Bély Lucien, « L’invention de la diplomatie », in Frank Robert (dir.), Pour l’histoire des relation (...)
  • 25 Espinosa, Carlos, op. cit.

18On remarquera que les pratiques diplomatiques évoquées plus haut n’étaient pas exclusives des diplomates andins. La professionnalisation des acteurs et la spécialisation administrative, par exemple, ont été à l’œuvre en Europe dès l’époque moderne24. L’argumentum ad hominem se basait quant à lui sur la pratique généralisée d’utiliser des actes unilatéraux comme sources de droit. L’évocation d’un grand territoire originel comme objectif territorial n’était pas étrangère à la France amputée de l’Alsace-Moselle. Aucune pratique radicalement nouvelle n’émergea donc chez les acteurs andins. On assiste plutôt à une assimilation des usages européens d’autant plus rapide que les États et les services étaient encore relativement jeunes25. La spécificité de la culture diplomatique andine se trouvait non dans le contenu de ces pratiques mais dans leur configuration : dans l’opiniâtreté de leur mise en œuvre, dans la symétrie parfaite entre Péruviens et Équatoriens, et dans leur application quasiment exclusive à l’objet frontière.

  • 26 Alberto Ulloa, ministre des Relations Extérieures, à Francisco Tudela, 23 juillet 1936. ALMRE, LEI- (...)
  • 27 Martínez Riaza, Ascensión, « Estrategias de ocupación de la Amazonía. La posición española en el co (...)

19Si les diplomates andins étaient ainsi les bons élèves de la diplomatie du territoire, dépassant en cela leurs maîtres européens, il convient d’analyser l’apport des influences nationales extérieures. Soulignons d’abord dans la correspondance et les argumentaires des acteurs la référence explicite et constante à l’héritage espagnol. Parce qu’ils allaient chercher la légitimité des tracés frontaliers dans l’histoire et dans le droit, c’est bien le contexte impérial qui avait prévalu entre les xvie et xviiie siècles qui était d’abord mobilisé par les diplomates. Les délégations péruviennes ou équatoriennes s’attaquaient par exemple sur les « cédules royales », ces textes issus de la couronne espagnole qui organisaient et réorganisaient le territoire entre Vice-royautés et Audiences ecclésiastiques. Celle de 1802 était au cœur de l’argumentation péruvienne. Ce faisant, la recherche documentaire pour soutenir les positions de chaque pays s’effectuait également dans les fonds de l’ancienne métropole. En 1936, alors que la guerre civile espagnole connaissait ses premiers soubresauts, le péruvien Raúl Porras Barrenechea, en poste diplomatique à Paris, allait consulter le fameux Archivo de Indias de Séville à la recherche de documents inédits26. Les pratiques liées à la bureaucratie de l’écrit de l’empire espagnol soulignent donc un lien indéfectible entre les diplomates des deux États indépendants de la région andine et l’ancienne métropole ibérique. Les Espagnols eux-mêmes étaient intervenus dans la controverse lorsque les parties sollicitèrent la couronne espagnole en 1887 pour rendre un arbitrage au nom de la « mère patrie ». Pour défendre leur point de vue auprès du Conseil d’État à partir de 1908, les délégations péruvienne et équatorienne y avaient mobilisé des réseaux d’experts juridiques et d’historiens27.

  • 28 Wolf, Theodor, Geografía y geología del Ecuador, publicada por orden del Supremo Gobierno de la Rep (...)
  • 29 Urquijo Torres, Pedro Sergio et Bocco Verdinelli, Gerardo, « Pensamiento geográfico en América Lati (...)
  • 30 Dagicour, Ombeline, « Construir el Estado, forjar una nación. La «nueva geografía» y su enseñanza e (...)
  • 31 Tobar Donoso, Julio, La invasión peruana y el Protocolo de Río: antecedentes y explicación históric (...)

20La référence espagnole est cependant loin d’être la seule, tant en ce qui concerne les travaux de terrain mobilisés que les acteurs impliqués. Les Européens, par le biais de leurs congrès de droit ou de géographie, de la circulation de leurs experts notamment géographes, ou de leurs missions militaires, ont souvent contribué à la réflexion sur les frontières de la région sud-américaine. Parmi eux, les Allemands forment un premier contingent, d’Alexandre von Humboldt, sans doute le plus célèbre savant et géographe passé dans la région, à Théodor Wolf. Ce dernier, auteur d’une géographie et d’une carte de référence de la République équatorienne, avait ainsi tendance à adopter les vues du gouvernement équatorien en matière de frontière internationale28. En dehors des Allemands, l’école française a eu également un impact décisif sur la géographie latinoaméricaine, tant à ses origines que dans ses orientations actuelles29. Au Pérou, la mission militaire française a dans les années 1920 tenté, en vain certes, d’importer les techniques les plus perfectionnées de cartographie, à une époque où le modernisateur autoritaire Augusto B. Leguía souhaitait figer définitivement ses frontières, probablement à l’encontre de ses services diplomatiques30. Il n’est enfin dans le domaine du droit que de lire sous la plume du chancelier équatorien Julio Tobar Donoso, acteur central du différend frontalier, les nombreuses références aux savants et hommes politiques français, de La Rochefoucauld à Gabriel Hanotaux, pour appréhender tout le poids de la pensée française sur ces juristes cosmopolites31.

  • 32 Bowman, Isaiah, « The Ecuador-Peru Boundary Dispute », Foreign Affairs, juillet 1942, vol. 20.
  • 33 Simmons, « Territorial disputes… », p. 5.

21Plusieurs géographes étasuniens ont également contribué à la connaissance et la représentation des frontières de la région. Dans le cas péruano-équatorien, George McBride et son fils ou Isaiah Bowman ont été sollicités comme experts par les autorités andines. Bowman, ancien président de l’association américaine de géographie et président de l’Université John Hopkins de 1935 à 1948, a publié plusieurs ouvrages de géographie des Andes. Présent dans la région lorsque les tensions menaçaient de se transformer en guerre entre le Pérou et l’Équateur, il publia un article de résumé de la controverse après les combats32. Les géographes des États-Unis fréquentaient d’ailleurs directement leurs homologues ibéro-américaines dans les conférences et institutions panaméricaines. L’intérêt des acteurs privés se doublait aux États-Unis d’un intérêt diplomatique de la part de l’administration. Le Département d’État et la présidence américaine ont en effet été impliqués dans de nombreux tracés de frontières, sollicités comme arbitre ou comme médiateur. Les États-Unis auraient ainsi été impliqués directement dans au moins sept accords de frontières, qu’ils fussent appliqués ou non, entre 1878 et 1924, dont la médiation de 1910 dans la cas péruano-équatorien qui évita de justesse la guerre33. Le Président des États-Unis, comme d’autres chefs d’État (Roi d’Espagne, Président de la République française) pour rendre un arbitrage en qualité d’acteur neutre mais éclairé.

  • 34 Madariaga, Salvador de, Ingleses, franceses, españoles: ensayo de psicología colectiva comparada, e (...)
  • 35 Manuel de Freyre y Santander, ambassadeur du Pérou à Washington, à Alberto Ulloa, ministre des Rela (...)

22Plutôt qu’exclusivement ibéro-américaine, on pourrait donc argumenter que cette culture de la frontière était américaine au sens continental, voire atlantique, rassemblant les élites sud-américaines, nord-américaines et européennes. Deux objections interviennent alors. D’une part, le fait que des acteurs extérieurs aux Andes aient participé au processus de construction de la frontière ne signifie pas qu’ils partageaient toujours les mêmes pratiques ni les mêmes objectifs, comme nous le verrons dans le point suivant. D’autre part, les acteurs eux-mêmes eurent tendance à opérer une distinction entre le Nord et le Sud. Cette partition culturelle pouvait opposer un sud « latin » qui sacralisait le droit écrit, dans la continuité des pratiques de la couronne espagnole, au nord « anglo-saxon » pragmatique qui souhaiterait s’appuyer sur la réalité. Cette distinction reposait sur une évidente dimension stéréotypée, véhiculée entre autres dans les écrits de Salvador de Madariaga (1886-1978) qui avait présidé dans les années 1920 la commission du désarmement de la Société des Nations, et en avait tiré des conclusions sur la « psychologie » des nations. Son œuvre distinguait ainsi l’esprit pratique anglais de l’esprit espagnol et français, appuyé sur la notion de droit34. L’ambassadeur du Pérou à Washington en 1936, Manuel de Freyre y Santander, y fit explicitement référence pour mettre en garde contre un arbitrage du président des États-Unis35.

  • 36 Anderson, Benedict, L’imaginaire national, Paris, La Découverte, 2006.
  • 37 Ce qui confirme que l’usage de l’adjectif « latinoaméricain », certes popularisé sous Napoléon III (...)

23Pour factice que puisse paraître cette distinction, elle permettait d’expliquer commodément certaines positions. D’un côté, le gouvernement des États-Unis était prêt à bien des concessions pour mettre fin aux conflits de frontières et pacifier la région, particulièrement dans les années 1940 lorsque la guerre mondiale faisait craindre l’ouverture d’un front au sud du continent. De l’autre, les négociateurs des Républiques du Sud se retrouvaient bien souvent dans l’impossibilité politique de faire aucune concession territoriale lors des négociations. De ces positions apparemment opposées pouvait naître la croyance en une explication essentialiste. On observe donc que les propres protagonistes du conflit s’inscrivaient dans une « communauté imaginée » distincte de celle des États-Unis36. Leur culture diplomatique était andine par leurs acteurs, ibéro-américaine par ses origines, mais proprement latinoaméricaine quant à son autoreprésentation37. Du reste, cette communauté n’était pas qu’imaginée ou ressentie : elle avait des effets concrets. La croyance dans le caractère potentiellement pragmatique des États-Unis a empêché tout arbitrage de leur part dans le conflit entre le Pérou et l’Équateur.

Une mystique panaméricaine de la ligne frontière

24La distinction réelle ou supposée entre « anglo-saxons » et « latins » pouvait provenir d’un malentendu sur ce que devait être une frontière. Au sein des experts et diplomates du continent mobilisés par le conflit péruano-équatorien, l’inertie de la culture frontalière andine a été finalement mise en échec par un discours de la ligne frontière qui poussait à régler les derniers différends frontaliers. Ces pressions provenaient non seulement d’un hypothétique sentiment « anglo-saxon », mais surtout des intérêts bien compris des puissances continentales.

  • 38 Pons Muzzo, op. cit.
  • 39 Foucher, Michel, Fronts et frontières : Un tour du monde géopolitique, nouvelle édition revue et au (...)

25La volonté de faire coïncider définitivement l’État avec la nation était certes ancienne – ce fut un grand projet du xixe siècle européen et américain – et partagée par de nombreux acteurs. « Sans territoire il n’y a pas de patrie », affirmait encore le Péruvien Gustavo Pons Muzzo en 196138. Mais l’enjeu devint plus aigu sur le continent américain des années 1930. Les variations territoriales et l’indéfinition de la frontière qui avaient été nombreuses au xixe s. posaient de redoutables difficultés aux États, d’autant que seuls les litiges les plus inextricables n’avaient pas trouvé d’issue au xixe siècle39. Les guerres qu’elles engendraient, le commerce qu’elles empêchaient, les divisions politiques qu’elles supposaient, pouvaient apparaître parmi les cercles panaméricains comme des archaïsmes qui faisaient obstacle au développement et à la prospérité des nations latinoaméricaines. La phraséologie d’usage dans la diplomatie continentale qui désignait les « républiques sœurs » de « l’hémisphère occidental » reflétait parfaitement cet idéal d’unité par-delà les fragmentations politiques. Cet idéal s’incarnait aussi dans la question frontalière. Les deux principales puissances diplomatiques de l’hémisphère occidental, les États-Unis et le Brésil, agirent logiquement afin d’obtenir des États en conflit des concessions pour tracer des frontières définitives et acceptées par tous. Ces pressions peuvent être mises en évidence par l’agir de deux personnages qui, à titre privé ou public, ont gravité autour du conflit péruano-équatorien.

  • 40 Tobar Donoso, La invasión peruana…, op. cit, p. 369-370.
  • 41 Ibid., p. 411.
  • 42 Aranha, Oswaldo, Fronteiras e limites: (a política do Brasil), Ministério das Relações Exteriores, (...)
  • 43 Seul le conflit avec l’Argentine a demandé l’intervention d’un État tiers, les États-Unis, en 1895. (...)
  • 44 Seules les revendications territoriales du Brésil envers l’Uruguay et la Guyane française n’ont pas (...)

26Le premier, Oswaldo Aranha (1894-1960), était le ministre des affaires étrangères du Brésil en 1942. En marge de la conférence panaméricaine de janvier 1941 qui scella un « Traité de paix d’amitié et de limites » entre le Pérou et l’Équateur, il avait dès le départ exercé des pressions sur son homologue équatorien pour qu’il acceptât un accord frontalier rapide et définitif, malgré l’évident désavantage des Équatoriens dont une partie du pays était occupée militairement. « Un pays qui n’a pas de frontières et comme un homme sans peau, avait-il résumé à destination de la nation défaite. Vous avez besoin de paix plus que de terres. […] Un sacrifice est préférable, même si c’est la perte d’un membre, en échange de sauver le reste et de le renforcer ensuite40. » La remarque n’était pas désintéressée. L’objectif premier de la conférence interaméricaine de Rio de Janeiro était de présenter un front uni à l’échelle du continent américain pour soutenir l’entrée en guerre des États-Unis qui venaient d’être attaqués dans le Pacifique par le Japon. En tant qu’hôte de la conférence, le chancelier Aranha avait tout intérêt à mettre rapidement fin à la querelle andine. Grâce à la signature de l’accord, il clôtura d’ailleurs triomphalement la session saisi par « une des plus grandes émotions de [sa] vie, en annonçant que les peuples courageux [de l’Équateur et du Pérou] se sont donné la main pour que l’Amérique continue sa marche que jamais personne n’arrêtera »41. L’éloge des frontières et des sacrifices consentis pour les obtenir faisait écho à l’intérêt du chancelier pour les questions frontalières du continent qu’il avait exprimé dans une brochure publiée en 194042. Il s’inscrivait ainsi dans une longue tradition brésilienne qui faisait de son gouvernement, au moins depuis le Baron de Rio Branco (1845-1912), le meilleur promoteur de la paix frontalière sur le continent par l’intermédiaire de la négociation directe43. Le Brésil était de cette manière sorti très avantagé du processus de clarification des frontières44.

  • 45 Son rapport a été publié dans une traduction à l’Espagnol précédé d’une importante introduction sci (...)
  • 46 McBride et Yepes, op. cit., p. 47-49. Les Équatoriens continuaient de protester sur le tracé d’une (...)
  • 47 Ibid., p. 203.
  • 48 Ibidem.
  • 49 Ibid., p. 205
  • 50 Rossignol, Marie-Jeanne, « Frontières d’empires : vers une nouvelle historiographie de la “frontièr (...)

27Si dans le cas brésilien, il est difficile de faire la part de l’idéal et de l’intérêt, il est d’autres acteurs pour qui l’idéal semble prendre le pas, même si cet idéal concorde avec les intérêts de l’État représenté. Le géographe étasunien George McBride (1876-1971) exprima en 1950 dans les termes les plus lyriques, sa croyance en une frontière idéale45. Les États-Unis étaient, avec le Brésil, l’Argentine et le Chili, chargés d’assurer l’effectivité de la démarcation entre le Pérou et l’Équateur après le traité de 1942. McBride fut désigné dès cette année-là représentant des États-Unis dans l’affaire par le Département d’État des États-Unis, assisté de son fils et du professeur Charles B. Hitchcock de la Société Géographique de New York. Chargé de superviser la campagne de démarcation, il travailla durant des années à cette tâche ardue et hautement diplomatique. Suite au tracé de la frontière entre les deux nations, il adressait au Secrétaire d’État Dean Acheson un rapport final dont le Département d’État lui refusa la publication46. Loin de se contenter de retracer l’historique de la polémique, les développements diplomatiques et militaires ainsi que le travail géographique de bornage qui avait été effectué, il y exprima sa propre vision des implications de son travail et de ce que devait être une frontière. L’accord entre le Pérou et l’Équateur signifiait que l’hémisphère occidental était désormais « territorialement mûr »47. « Le Nouveau Monde, déclara-t-il [était] devenu “vieux”48 ». Les motifs de conflits violents avaient désormais disparu et « les fabricants de futures guerres entre les nations d’Amérique Latine [devraient] chercher d’autres motifs »49. L’ordre pouvait maintenant régner à l’intérieur de chaque République, libre de développer son économie interne et les échanges pacifiques avec le voisin. Les territoires frontaliers, autrefois marginalisés, désormais cartographiés et connus de tous pouvaient maintenant être exploités de manière optimale. Le discours du géographe présentait l’existence d’une frontière clairement démarquée et reconnue par tous comme la solution aux maux d’Amérique du Sud. Il est intéressant de noter que cet enthousiasme pour la frontière ne correspond pas aux fameuses thèses de Frédérick Jackson Turner. Ce dernier avait évoqué en 1893 à Chicago la frontière comme une zone en perpétuelle progression, où la civilisation entrait en contact avec la sauvagerie, créant la spécificité américaine50. Son compatriote McBride avait au contraire comme idéal une ligne bien définie qui mettait précisément fin à l’époque de la zone indéterminée. Le contrepied de McBride aux thèses de Turner peut-il traduire une position de principe du Département d’État ? Le rapport de 1949 n’émanait pas du somment de l’État comme dans le cas des discours d’Aranha, mais il concordait avec les intérêts des États-Unis et avec l’action du Département d’État depuis 1940, qui avait fait de McBride son représentant. Il s’agissait bien d’une mystique individuelle ralliée à des intérêts nationaux.

  • 51 Walker, Charles, « El uso oficial de la selva en el Perú republicano », Amazonía peruana, vol. 4, n(...)

28Cette position étasunienne, en contradiction avec l’héritage turnerien, était d’autant plus frappante que la perspective turnerienne pouvait encore être revendiquée par les protagonistes péruviens et équatoriens. Un groupe d’intellectuels péruviens du début du siècle, dont Victor Andrés Belaúnde, considérait la région frontalière amazonienne disputée comme un espace régénérateur, faisant parfois référence explicite à Turner51. La vision normative de la frontière n’était donc pas exactement la même suivant que les États (Pérou et Équateur) se trouvaient empêtrés dans un conflit qui menaçait d’amputer leur territoire ou que la personne parlait depuis un État (États-Unis ou Brésil) qui avait réglé ses problèmes frontaliers. La mystique de la frontière comme ligne définitive était surtout soluble dans l’idéal panaméricain d’unité, d’où le fait qu’elle ait été exprimée sur ces théâtres diplomatiques par les acteurs qui avaient le plus d’intérêt à solidifier cette architecture continentale.

Conclusion

29Au milieu du xxe siècle, la culture andine de la frontière, qui s’imaginait latinoaméricaine, a été mise temporairement en échec par une autre approche de la frontière, portée par des acteurs aux intérêts nationaux et continentaux distincts. Le panaméricanisme frontalier vainqueur s’est appuyé sur un événement, la guerre qui opposa le Pérou et l’Équateur entre juillet et octobre 1941. Ce fait souligne les limites de l’étude de la culture diplomatique pour comprendre dans sa globalité l’horogénèse américaine. Les diplomates et leurs cercles, depuis leurs salons marquetés et leurs archives labyrinthiques, n’étaient pas les seuls à prendre en charge ces questions. Les états-majors, tout aussi intransigeants que les diplomates mais plus enclins à la confrontation directe, les autorités locales, au contact de réalités incomprises dans les capitales, les habitants enfin, qui contredisaient l’existence même des frontières par leurs déplacements quotidiens et leurs réseaux familiaux, constituaient autant d’acteurs qui pouvaient entrer en contradiction, confirmer ou infirmer les directives des diplomates. Loin d’être l’unique source décisionnelle, la culture de la frontière a surtout constitué un instrument de légitimité nationale au service d’élites souffrant de leur caractère transnational et cherchant à se dégager des accusations de trahison potentielle à la patrie. De là les difficultés à construire un véritable espace d’intégration régionale dans la deuxième moitié du xxe siècle. Pourtant précoces dans ce domaine avec la signature du Pacte andin en 1969, les pays de la région n’ont pas réussi à approfondir cette intégration au point de voir disparaître des frontières qu’un groupe d’hommes avait si scrupuleusement défendues.

Haut de page

Bibliographie

Anderson, Benedict, L’imaginaire national, Paris, La Découverte, 2006.

Aranha, Oswaldo, Fronteiras e limites: (a política do Brasil), Ministério das Relações Exteriores, Seção de Publicações et Palácio Tiradentes, Rio de Janeiro, 1940.

Badel, Laurence, Jeannesson, Stanislas, « Introduction. Une histoire globale de la diplomatie ? », Monde(s), dossier « Diplomaties », n° 5, vol. 1, 2014, p. 6‑26.

Bákula, Juan Miguel, El Perú en el reino ajeno: historia interna de la acción externa, Lima, Universidad de Lima, Fondo Editorial, 2006.

Bély Lucien, « L’invention de la diplomatie », in Frank Robert (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 107-137.

Berstein, Serge (dir.), Les cultures politiques en France, Paris, Le Seuil, 1999.

Bethell, Leslie, « Brasil y América Latina », in Istor. Revista de historia internacional, année XVII, n° 67, hiver 2016, p. 109-145.

Bowman, Isaiah, « The Ecuador-Peru Boundary Dispute », Foreign Affairs, juillet 1942, vol. 20.

Concha, Carlos, Memoria del Ministro de Relaciones Exteriores, 14 de setiembre de 1934-12 de abril de 1936, Lima, Imprenta Torres Aguirre, 1936.

Dagicour, Ombeline, « Construir el Estado, forjar una nación. La «nueva geografía» y su enseñanza en el Perú del Presidente Leguía (1919-1930) », Caravelle. Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, no 106, mai 2016, p. 79-96.

Dumont, Juliette, De la coopération intellectuelle à la diplomatie culturelle : les voies/x de l’Argentine, du Brésil et du Chili (1919-1946), thèse de doctorat, Université Sorbonne Nouvelle, 2013.

Dumont, Juliette, Diplomaties culturelles et fabrique des identités : Argentine, Brésil, Chili (1919-1946), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Des Amériques », 2019.

Espinosa, Carlos, « Ecuador se inserta en el sistema de Estados: las relaciones internacionales de Ecuador entre 1830 y 1870 », in Zepeda, Beatriz (dir.), Ecuador: relaciones exteriores a la luz del bicentenario, Quito, FLACSO Ecuador, 2009, p. 77-106.

Foucher, Michel, Fronts et frontières : Un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1991.

Jacobsen, Nils, Aljovín de Losada, Cristóbal (dir.), Cultura política en los andes (1750-1950), Lima, IFEA-UNMSM-Cooperación regional francesa para los países andinos, 2007.

Jaramíllo Sevilla, Juan Carlos, « La historia de límites en los libros de texto del Ecuador : análisis de contenido categorial o temático (Análisis) », Ecuador Debate, CAAP, n° 59, août 2003. p. 163-180.

José Pena, Héctor Oscar, El IPGH. Una historia de 90 años, Ciudad de México, Instituto Panamericano de Geografía e Historia, 2018.

Kohen, Marcelo G., « La contribution de l’Amérique latine au développement progressif du droit international en matière territoriale », Relations internationales, no 1, vol. 137, 2009, p. 13-29.

Madariaga, Salvador de, Ingleses, franceses, españoles: ensayo de psicología colectiva comparada, editorial Sudamericana, Buenos Aires, 1969 (1932).

Martínez Riaza, Ascensión, « Estrategias de ocupación de la Amazonía. La posición española en el conflicto Perú-Ecuador (1887-1910) », in García Jordán, Pilar (dir.), Fronteras, colonización y mano de obra indígena en la amazonía andina (siglos xix-xx), Fondo Editorial PUCP, 1998, p. 241-335.

McBride, George, Yepes, Ernesto, Mito y realidad de una frontera: Perú-Ecuador, 1942-1949: un testimonio inédito del Departamento de Estado, el informe McBride, Lima, Ediciones Análisis, 1996.

Pons Muzzo, Gustavo, Las fronteras del Perú, Lima, Colegio San Julián, 1961.

Porras Barrenechea, Raúl, Wagner de Reyna, Alberto, 1981, Historia de los límites del Perú, Lima, Ministerio de Relaciones Exteriores del Perú, 1997.

Rossignol, Marie-Jeanne, « Frontières d’empires : vers une nouvelle historiographie de la “frontière” nord-américaine avant 1848 », Revue Française d’Études Américaines, vol. 72, no 1, 1997, p. 91-102.

Sanchez Barberan, Matias, « Le républicanisme sud-pacifique à l’aune des recompositions impériales. Pérou, Bolivie, Chili. Années 1860 », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Extraits de thèses, mis en ligne le 29 mars 2021 [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/nuevomundo/83681 (consulté le 25 novembre 2023)].

Simmons, Beth A., « Territorial disputes and their resolution. The case of Ecuador and Peru. », United States Institute of Peace (USIP) Press, Washington, 1999.

Tobar Donoso, Julio, Tobar Luna, Alfredo, Derecho territorial ecuatoriano, Quito, Editorial « La Unión Católica », 1961.

Tobar Donoso, Julio, La invasión peruana y el Protocolo de Río: antecedentes y explicación histórica, Quito, Banco Central del Ecuador (« Colección histórica »), 1982.

Urquijo Torres, Pedro Sergio, Bocco Verdinelli, Gerardo, « Pensamiento geográfico en América Latina: retrospectiva y balances generales », Investigaciones Geográficas, Boletín del Instituto de Geografía, no 90, août 2016, p. 155-175.

Walker, Charles, « El uso oficial de la selva en el Perú republicano », Amazonía peruana, vol. 4, no 8, mai 1987, p. 61-89.

Wehrli, Yannick, États latino-américains, organismes multilatéraux et défense de la souveraineté. Entre Société des Nations et espace continental panaméricain (1919-1939), thèse de doctorat, Université de Genève, 2016, p. 148-152.

Wolf, Theodor, Geografía y geología del Ecuador, publicada por orden del Supremo Gobierno de la República, Tipografía de F. A. Brockhaus, 1892.

Wulf Andrea, L’invention de la nature : les aventures d’Alexander von Humboldt, Lausanne, Les éditions Noir sur Blanc, 2018.

Haut de page

Notes

1 Berstein, Serge (dir.), Les cultures politiques en France, Paris, Le Seuil, 1999.

2 Jacobsen, Nils, Aljovín de Losada, Cristóbal (dir.), Cultura política en los andes (1750-1950), Lima, IFEA-UNMSM-Cooperación regional francesa para los países andinos, 2007.

3 Espinosa, Carlos, « Ecuador se inserta en el sistema de Estados: las relaciones internacionales de Ecuador entre 1830 y 1870 », in Zepeda, Beatriz (dir.), Ecuador: relaciones exteriores a la luz del bicentenario, Quito, FLACSO Ecuador, 2009, p. 77‑106.

4 Jaramíllo Sevilla, Juan Carlos, « La historia de límites en los libros de texto del Ecuador : análisis de contenido categorial o temático (Análisis) », Ecuador Debate, CAAP, n° 59, août 2003. p. 163-180. Pour le Pérou, outre l’ouvrage de Pons Muzzo cité dans ce travail, voir Porras Barrenechea, Raúl et Wagner de Reyna, Alberto, 1981, Historia de los límites del Perú, Lima, Ministerio de Relaciones Exteriores del Perú, 1997.

5 Sur le « tournant culturel » de l’histoire de la diplomatie, voir Badel, Laurence et Jeannesson, Stanislas, « Introduction. Une histoire globale de la diplomatie ? », Monde(s), dossier « Diplomaties », n° 5, vol. 1, 2014, p. 6-26.

6 Kohen, Marcelo G., « La contribution de l’Amérique latine au développement progressif du droit international en matière territoriale », Relations internationales, no 1, vol. 137, 2009, p. 13-29.

7 Parmi les sources principales, l’Archivo de Límites du Ministère des Relations Extérieures du Pérou (ALMRE, Lima), l’Archivo Histórico du ministère des Relations Extérieures de l’Équateur (AHMRE, Quito) et particulièrement la série T intéressant la Dirección de Límites ; Les Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE, Nantes/La Courneuve).

8 Pons Muzzo, Gustavo, Las fronteras del Perú, Lima, Colegio San Julián, 1961, p. 8. La traduction, comme toutes les suivantes, sont de l’auteur de l’article.

9 Sanchez Barberan, Matias, « Le républicanisme sud-pacifique à l’aune des recompositions impériales. Pérou, Bolivie, Chili. Années 1860 », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Extraits de thèses, mis en ligne le 29 mars 2021 [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/nuevomundo/83681 (consulté le 25 novembre 2023)].

10 Voir par exemple le colloque « Exils latino-américains du long xixe siècle », organisé du 26 au 28 juin 2019 à la Maison de la Recherche (Paris) par Edward Blumenthal et Romy Sanchez.

11 Jacobsen et Aljovín, op. cit.

12 Francisco Tudela au ministre des Relations Extérieures, 1er mai 1936, Genève ; Francisco Tudela ministre des Relations Extérieures, 18 mai 1936, Paris. ALMRE, LEI-6-12, legajo 569.

13 Dumont, Juliette, Diplomaties culturelles et fabrique des identités : Argentine, Brésil, Chili (1919-1946), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Des Amériques », 2019.

14 José Pena, Héctor Oscar, El IPGH. Una historia de 90 años, Ciudad de México, Instituto Panamericano de Geografía e Historia, 2018.

15 Dumont, Juliette, De la coopération intellectuelle à la diplomatie culturelle : les voies/x de l’Argentine, du Brésil et du Chili (1919-1946), thèse de doctorat, Université Sorbonne Nouvelle, 2013, p. 68-130.

16 Wehrli, Yannick, États latino-américains, organismes multilatéraux et défense de la souveraineté. Entre Société des Nations et espace continental panaméricain (1919-1939), thèse de doctorat, Université de Genève, 2016, p. 148-152.

17 Bákula, Juan Miguel, El Perú en el reino ajeno: historia interna de la acción externa, Lima, Universidad de Lima, Fondo Editorial, 2006, p. 125 et suivantes.

18 Concha, Carlos, Memoria del Ministro de Relaciones Exteriores, 14 de setiembre de 1934-12 de abril de 1936, Lima, Imprenta Torres Aguirre, 1936, p. LXXXXV.

19 Jean Dobler, ministre de France en Équateur, au ministre des Affaires étrangères, 16 juin 1941. AMAE (La Courneuve), Série Guerre, 1939-1945 : Vichy, sous-série B : Amérique, dossier n° 65.

20 Ibidem.

21 Tobar Donoso, Julio et Tobar Luna, Alfredo, Derecho territorial ecuatoriano, Quito, Editorial « La Unión Católica », 1961.

22 « Memorándum con transcripciones de cablegramas y documentos anexos sobre la suspensión de las Conferencias Limítrofes Ecuatoriana-Peruanas en Washington por causa del Perú. Memorándum enviado a la Delegación Ecuatoriana para su información », Octobre 1938. AHMRE, T.5.3.1.4.

23 Ainsi que deux au Moyen Orient et trois dans la région regroupant l’Asie, l’Extrême-Orient et le Pacifique. Simmons, Beth A., « Territorial disputes and their resolution. The case of Ecuador and Peru. », United States Institute of Peace (USIP) Press, Washington, 1999, p. 6-7.

24 Bély Lucien, « L’invention de la diplomatie », in Frank Robert (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 107-137.

25 Espinosa, Carlos, op. cit.

26 Alberto Ulloa, ministre des Relations Extérieures, à Francisco Tudela, 23 juillet 1936. ALMRE, LEI-6-12, legajo 569 ; ALMRE, LEI-6-46, legajo 571.

27 Martínez Riaza, Ascensión, « Estrategias de ocupación de la Amazonía. La posición española en el conflicto Perú-Ecuador (1887-1910) », in García Jordán, Pilar (dir.), Fronteras, colonización y mano de obra indígena en la amazonía andina (siglos xix-xx), Fondo Editorial PUCP, 1998, p. 241-335.

28 Wolf, Theodor, Geografía y geología del Ecuador, publicada por orden del Supremo Gobierno de la República, Tipografía de F. A. Brockhaus, 1892.

29 Urquijo Torres, Pedro Sergio et Bocco Verdinelli, Gerardo, « Pensamiento geográfico en América Latina: retrospectiva y balances generales », Investigaciones Geográficas, Boletín del Instituto de Geografía, no 90, août 2016, p. 155-175 ; Wulf Andrea, L’invention de la nature : les aventures d’Alexander von Humboldt, Lausanne, Les éditions Noir sur Blanc, 2018.

30 Dagicour, Ombeline, « Construir el Estado, forjar una nación. La «nueva geografía» y su enseñanza en el Perú del Presidente Leguía (1919-1930) », Caravelle. Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, no 106, mai 2016, p. 79-96. Le souvenir amer dont témoignent les diplomates des années suivantes sur la diplomatie de Leguía, qualifiée d’« entreguista », et notamment sur l’accord secret avec la Colombie, en témoigne.

31 Tobar Donoso, Julio, La invasión peruana y el Protocolo de Río: antecedentes y explicación histórica, Quito, Banco Central del Ecuador (« Colección histórica »), 1982.

32 Bowman, Isaiah, « The Ecuador-Peru Boundary Dispute », Foreign Affairs, juillet 1942, vol. 20.

33 Simmons, « Territorial disputes… », p. 5.

34 Madariaga, Salvador de, Ingleses, franceses, españoles: ensayo de psicología colectiva comparada, editorial Sudamericana, Buenos Aires, 1969 (1932).

35 Manuel de Freyre y Santander, ambassadeur du Pérou à Washington, à Alberto Ulloa, ministre des Relations Extérieures, 15 juillet 1936. ALMRE, LEI-6-16, legajo 569.

36 Anderson, Benedict, L’imaginaire national, Paris, La Découverte, 2006.

37 Ce qui confirme que l’usage de l’adjectif « latinoaméricain », certes popularisé sous Napoléon III pour d’évidents intérêts stratégiques, n’en a pas moins été légitimé par l’appropriation qu’en ont fait les habitants de cette partie du monde. Cf. Bethell, Leslie, « Brasil y América Latina », in Istor. Revista de historia internacional, année XVII, n° 67, hiver 2016, p. 109-145.

38 Pons Muzzo, op. cit.

39 Foucher, Michel, Fronts et frontières : Un tour du monde géopolitique, nouvelle édition revue et augmentée, chapitre IV, Paris, Fayard, 1991, p. 135-162

40 Tobar Donoso, La invasión peruana…, op. cit, p. 369-370.

41 Ibid., p. 411.

42 Aranha, Oswaldo, Fronteiras e limites: (a política do Brasil), Ministério das Relações Exteriores, Seção de Publicações et Palácio Tiradentes, Rio de Janeiro, 1940.

43 Seul le conflit avec l’Argentine a demandé l’intervention d’un État tiers, les États-Unis, en 1895. Tous les autres conflits frontaliers du Brésil ont été réglés par la négociation directe, même s’ils pouvaient intervenir après l’usage des armes comme dans le cas du conflit sur l’Acre avec la Bolivie. Simmons, op. cit., p. 5.

44 Seules les revendications territoriales du Brésil envers l’Uruguay et la Guyane française n’ont pas été pleinement couronnées de succès.

45 Son rapport a été publié dans une traduction à l’Espagnol précédé d’une importante introduction scientifique. Nous ne disposons donc pas du texte original en anglais, qui aurait permis de distinguer son usage des termes frontier, border, ou boundary : McBride, George et Yepes, Ernesto, Mito y realidad de una frontera: Perú-Ecuador, 1942-1949: un testimonio inédito del Departamento de Estado, el informe McBride, Lima, Ediciones Análisis, 1996.

46 McBride et Yepes, op. cit., p. 47-49. Les Équatoriens continuaient de protester sur le tracé d’une partie de la frontière et le rapport de McBride aurait pu être détourné par les protagonistes.

47 Ibid., p. 203.

48 Ibidem.

49 Ibid., p. 205

50 Rossignol, Marie-Jeanne, « Frontières d’empires : vers une nouvelle historiographie de la “frontière” nord-américaine avant 1848 », Revue Française d’Études Américaines, vol. 72, no 1, 1997, p. 91-102.

51 Walker, Charles, « El uso oficial de la selva en el Perú republicano », Amazonía peruana, vol. 4, no 8, mai 1987, p. 61-89.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

François Bignon, « Une culture diplomatique de la frontière dans les Andes (années 1930-années 1950) »Caravelle, 122 | -1, 29-48.

Référence électronique

François Bignon, « Une culture diplomatique de la frontière dans les Andes (années 1930-années 1950) »Caravelle [En ligne], 122 | 2024, mis en ligne le 05 août 2024, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15487 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127gy

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search