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Comptes rendus

Marco ESTRADA SAAVEDRA, Juan Pedro VIQUEIRA (coord.).- Los indígenas de Chiapas y la rebelión zapatista, microhistorias políticas

Mexico, El Colegio de México, 2010.- 457 p.
Michel Bertrand
p. 297-300
Référence(s) :

Marco Estrada Saavedra, Juan Pedro Viqueira (coord.).- Los indígenas de Chiapas y la rebelión zapatista, microhistorias políticas.- Mexico, El Colegio de México, 2010.- 457 p.

Texte intégral

1A la vue de ce nouvel ouvrage sur le Chiapas zapatiste, le lecteur pourrait ressentir une certaine saturation, tant il est vrai que cette question a été l’objet, des années durant, de publications nombreuses, sous la forme de livres autant que d’articles. De fait, et comme le souligne J.P. Viqueira dans son introduction, tous ces travaux relevaient souvent d’analyses engagées, le débat étant alors plus « politique » que circonscrit au seul champ scientifique. Le recul de la place occupée par le zapatisme, à tous les niveaux de la vie politique mexicaine, tant locale que régionale ou nationale, ainsi que dans l’opinion publique, qu’elle soit nationale ou internationale, a ouvert une nouvelle étape dans l’étude de cet épisode politique original dans l’histoire des mouvements guérilleros d’Amérique latine. Il a permis d’aborder cette même question sous un angle nouveau, moins immédiatement « politique », plus dépassionné et sans doute plus proprement « scientifique ».

2Telle est clairement l’optique choisie par cet ouvrage collectif qui aborde le zapatisme non à partir de ses discours – dont les fameux « communiqués de guerre » du sous-commandant – mais en s’intéressant à son impact sur les populations indigènes dans le cadre de leurs communautés indigènes. Ce renouvellement correspond au recul de la violence politique dans la région, permettant aux chercheurs la réalisation d’un véritable travail de terrain. Levons d’emblée une première observation qui sera inévitablement formulée à l’encontre de la démarche : sur quelles bases ont été choisis les divers « terrains » d’étude ? La réponse est formulée dès l’introduction : il n’y a ici aucune prétention à une quelconque représentativité dans le choix des objets étudiés. Les communautés retenues illustrent des situations diverses qui ne représentent qu’elles-mêmes. Seul point commun peut-être à signaler : aucune d’entre elles ne fut réellement un « fief » du zapatisme. Dans le même temps, toutes furent impactées par les événements politiques se déroulant dans la région, et ce dès avant le 1er janvier 1994. En ce sens, les cas choisis sont révélateurs de situations plus banales et donc, à ce seul titre peut-être, plutôt révélatrices de la situation régionale.

3On l’aura compris : comme le titre l’indique, il s’agit d’une certaine manière de faire le choix du « micro » afin de suivre les stratégies des acteurs locaux au moment où le zapatisme commence à pénétrer dans leurs communautés. Ce choix méthodologique de la micro-histoire se trouve conforté dans le parti-pris narratif revendiqué par les auteurs. Pas de débats théoriques ambitieux, pas d’analyses politiques sophistiquées : le choix fait ici est celui de la récollection de l’information et de sa mise en contextes afin de rendre compte de la complexité des réalités sociales. La mise en œuvre d’une telle optique a une conséquence inhabituelle sur les textes regroupés, à savoir leur longueur : leur taille minimale est de 40 pages, deux d’entre eux atteignant ou dépassant la centaine…

4La communauté de la Garrucha donne à voir une première situation : celle d’une population indigène soumise à une forte pression, de la part des propriétaires privés, dans la lutte pour le contrôle de la terre communautaire. Ici, le zapatisme apparaît donc comme un nouveau moyen de lutte parmi d’autres, plus anciens, au service de la défense des intérêts communautaires. Cette tradition combative va offrir au zapatisme un terreau favorable à son épanouissement local. Certes, des tensions internes vont surgir après la récupération des terres par la communauté organisée sous la férule zapatiste au détriment des propriétaires métis. Elles résultent de véritables combats internes en vue de la redistribution de ces terres entre villageois pro-zapatistes et villageois ayant combattu auparavant, sans succès, pour la récupération de ces mêmes terres. Le zapatisme crée ainsi une nouvelle inégalité dans l’accès à la terre au sein de la communauté. Seule l’intervention de l’Eglise, transformée en espace de négociation, permit d’éviter que le conflit ne débouche sur des affrontements irrémédiables. Aujourd’hui, dans cette communauté où la tradition du combat foncier était ancienne et où le zapatisme est venu apporter une contribution décisive à son règlement, le résultat est tangible : elle s’est profondément transformée, grâce notamment à la prise en mains de leur destin par ses membres.

5Dans la région de Buena Vista Pachán, l’expérience du zapatisme est vécue de manière radicalement autre alors que les conditions initiales ne sont pas fondamentalement différentes. Alors que la greffe zapatiste semble initialement prendre, un rejet se manifeste après 3 ans de cohabitation. Parmi les reproches adressés au zapatisme, l’un des principaux est sans doute celui de vouloir imposer une proximité acritique avec l’organisation alors que les membres de la communauté sont loin d’en partager toutes les initiatives. Il en est de même à l’égard de la politique gouvernementale, vis-à-vis de laquelle ces mêmes indigènes restent sur leurs gardes. C’est donc une communauté divisée, restée à l’écart de toute véritable transformation, qui est donnée à voir et dont une part importante des membres va chercher refuge dans l’adhésion aux cultes évangéliques…et dans l’émigration.

6Le cas des Zoques de la Sierra lacandona offre quant à lui une autre situation. La communauté étudiée avait depuis ses origines une relation étroite avec l’Eglise, plus spécialement la Compagnie de Jésus. Le zapatisme y fut perçu comme un moyen de lutte supplémentaire, cependant ni exclusif ni prépondérant. Il est vrai que ces Zoques, installés à la fin des années 1980 dans cette région, eurent à souffrir le rejet des occupants antérieurs, souvent téléguidés ou inspirés par le zapatisme naissant… Cette communauté se trouve donc en position d’équilibre le plus souvent instable, oscillant entre son adhésion aux mesures prises par les autorités gouvernementales à son encontre et les appels à la résistance lancés par le zapatisme.

7Les communautés Tojolabales de Veracruz et Saltillo, situées sur les marges de la zone zapatiste, proposent quant à elles une configuration radicalement autre. Le zapatisme leur permet de récupérer des terres, sans résoudre pour autant les problèmes essentiels qu’elles connaissaient. Aussi l’adhésion au zapatisme n’est-elle ici que lointaine, le choix étant plutôt de continuer à obtenir des autorités toutes sortes de réponses à leurs revendications : le zapatisme agit ici comme une sorte d’épouvantail agité devant les autorités politiques légales.

8Les cas de El Limar et de Huitiupán offrent quant à eux des situations réellement originales par rapport à l’adhésion au zapatisme. A El Limar, la division interne de la communauté en deux camps antagoniques va transformer l’adhésion au zapatisme – ou au contraire son opposition au mouvement – en simple instrument au service d’intérêts locaux fondés sur des conflits familiaux. A Huitiupán, le zapatisme se transforme en facteur d’éclatement de la communauté sous la pression d’intérêts antagoniques, certains pouvant d’ailleurs aller jusqu’à diviser les familles elles-mêmes. La dimension dramatique n’est d’ailleurs pas absente de ces deux reconstitutions, ces affrontements pouvant aller jusqu’à des exécutions afin de satisfaire des besoins de vengeance… Ces deux petits essais, à la narration le plus souvent fort bien menée, rappellent inévitablement à l’historien moderniste les études micro-historiques construites autour de ces rivalités familiales ou intra-familiales, depuis le célèbre village de Montaillou de E. le Roy Ladurie jusqu’à la ville de Lorca étudiée par J. Contreras, en passant inévitablement par celle de Santena scrutée si admirablement par G. Levi. C’est clairement un zapatisme atypique qui est ici montré à l’œuvre, le plus souvent sans réels liens avec le zapatisme originel ou ses représentants. Comme souvent, El Limar et Huitiupán révèlent la capacité des communautés indigènes à intégrer des nouveautés venues de l’extérieur pour se les approprier et les adapter à des enjeux locaux aux fondements forts éloignés des motivations initiales propres au zapatisme.

9Le dernier texte enfin centre son attention sur le cas de S. Andrés Larrainzar, village où furent signés les accords de paix de 2005. Village original puisque, s’il commence par se diviser lorsqu’y apparaît le mouvement zapatiste, il finit par trouver dans un second temps en son sein, et ce dès avant la signature même des accords de paix, une configuration inédite rendant possible une nouvelle cohabitation.

10L’ensemble de ces contributions est complété d’une dense réflexion finale soulignant la diversité des zapatismes. Comme l’écrit Marco Estrada Saavedra, c’est bien ce premier aspect qui est mis ici en évidence à travers ces diverses études de cas : sous le même nom se cache en réalité une hétérogénéité politique rarement soulignée auparavant. Bien plus, cette approche « au ras du sol », pour reprendre l’expression consacrée, dessine des chronologies fort diverses : adhésion ici, refus ailleurs, reflux enfin dans un troisième lieu comme le traduit la cartographie électorale reconstituée pour les années 1995-1998. Pourtant, au-delà de cette diversité, on retrouve dans ces reconstructions les mêmes fondements partout à l’origine de la prise en compte du zapatisme par les populations de la région. A n’en pas douter, c’est la question foncière, dont les racines remontent aux années trente du vingtième siècle, qui en constitue un premier facteur partout présent. La lenteur mise à répondre aux aspirations des populations sur cette question inscrite au cœur de la révolution mexicaine alimente frustrations et revendications. Sur ce terreau, le zapatisme devient pour ces populations rurales le dernier levier disponible dont ils peuvent se saisir. De la même manière, la poussée zapatiste suscite partout l’émergence de nouveaux mécanismes de solidarité internes aux communautés, quitte dans un second temps à se prolonger par de profondes divisions, sources de conflits inégalement graves. Par ailleurs, un autre point commun à toutes les situations observées se trouve dans le rôle central joué par les agents pastoraux du diocèse, adeptes de la théologie de la libération. Facteurs de conscientisation politique, on peut admettre que ces communautés ecclésiales de base et leurs agents constituèrent un autre terreau du zapatisme. Enfin, un dernier trait commun à toutes ces « micro-histoires » se situe dans le refus systématique d’un zapatisme « caporalisé » et contrôlé par le centre. S’ils adhèrent au zapatisme dans l’espoir de récupérer – enfin – les terres qu’ils convoitent, ces indigènes chiapanèques refusent de se voir dicter leurs stratégies depuis l’extérieur. On peut donc admettre avec Marco Estrada Saavedra que leur adhésion est d’abord « stratégique » en mettant le zapatisme au service d’intérêts clairement identifiés. C’est d’abord une leçon de pragmatisme sur les modalités d’adhésion au mouvement révolutionnaire de la part des communautés chiapanèques étudiées que fournissent ces études, révélant ce que l’on peut qualifier de « loyauté stratégique » vis-à-vis du zapatisme.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Bertrand, « Marco ESTRADA SAAVEDRA, Juan Pedro VIQUEIRA (coord.).- Los indígenas de Chiapas y la rebelión zapatista, microhistorias políticas »Caravelle, 97 | 2011, 297-300.

Référence électronique

Michel Bertrand, « Marco ESTRADA SAAVEDRA, Juan Pedro VIQUEIRA (coord.).- Los indígenas de Chiapas y la rebelión zapatista, microhistorias políticas »Caravelle [En ligne], 97 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/1525 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.1525

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