Sandra GAYOL.- Honor y duelo en la Argentina moderna
Sandra GAYOL.- Honor y duelo en la Argentina moderna.- Buenos Aires, Siglo XXI editores, 2008.- 284 p.
Texte intégral
1Le duel et les questions d’honneur qui y sont le plus souvent associées constituent un vieil objet d’histoire, pour le monde hispanique tout spécialement. B. Bennassar, dans son essai relatif à L’homme espagnol au Siècle d’Or, y accordait déjà une place significative. Postérieurement, les études de C. Chauchadis sur le duel dans l’Espagne moderne sont venues confirmer l’intérêt d’un tel sujet : il constitue en effet le matériau de toute une littérature espagnole du siècle d’Or au rayonnement européen dont témoigne à merveille le Cid de Corneille. Dans le même temps, le développement d’approches historiennes relevant de l’histoire culturelle permet aujourd’hui de porter un nouveau regard sur un sujet somme toute assez classique pour l’histoire de l’Europe, et tout spécialement pour son versant méridional. Ce faisant, les nouveaux questionnements mobilisés permettent de revenir sur le schéma accepté jusqu’à il y a peu, notamment par l’historiographie européenne, celle qui, il est vrai, a le plus approfondi cette question. Longtemps, la question de l’honneur et du duel a été étroitement associée à une mentalité archaïque dont le symbole est, inévitablement, le duel nobiliaire. Avec la progression puis le triomphe d’une mentalité dite « bourgeoise », étroitement associée au développement du capitalisme industriel et financier ainsi qu’à l’affirmation d’un Etat de plus en plus régulateur de la vie sociale, cette pratique reculerait pour ne résister, au XIXe siècle, que dans les régions les plus reculées d’Europe, identifiées avec celles restées profondément rurales. En réalité, la révision historiographique en cours, pour le cas européen, tendrait à invalider, ou plus précisément à nuancer, un tel modèle. Il n’est que de rappeler que, dans la France républicaine de la fin du XIXe siècle et même de la première moitié du XXe siècle, le duel est resté un recours fréquent, notamment comme réparation aux injures portées dans l’arène politique. Quant à l’Argentine, cette « autre Europe du bout du monde », elle suivrait un modèle qui lui serait propre.
2C’est clairement cette originalité argentine que choisit de reconstituer l’ouvrage de S. Gayol qui centre son observation sur la capitale du pays. La Buenos Aires de la fin du XIXe siècle et du début du XXe est une ville en pleine transformation. L’immigration massive signifie une multiplication par 10 de sa population en moins d’un demi-siècle. Dans ce contexte, c’est une société en plein bouleversement qui est choisie comme objet d’étude. Précisément, l’hypothèse de l’auteur est que, dans un tel espace social destructuré, la question de l’honneur a servi d’instrument susceptible de redéfinition d’un ordre social en offrant des « codes et des règles » communs et partagés. Dans le même temps, le duel constitue un comportement social stratégique au service de la différenciation sociale et de la recomposition d’une classe sociale dominante. En d’autres termes, l’affirmation de l’importance de l’honneur devient un facteur d’ordre social et d’intégration alors que le recours au duel permet la manifestation de la différenciation sociale.
3Afin de mener à bien son enquête l’auteur s’attache à une reconstitution précise des usages, des significations et des configurations qui encadrent la pratique du duel en lien avec la préoccupation pour la défense de l’honneur. Mais qu’est-ce que cet honneur ? Dans l’Argentine de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, il n’a plus grand chose à voir avec la conception féodale médiévale ni même avec celle du « caballero » colonial. Il n’a pas grand-chose à voir non plus avec le traditionnel et bien connu « pundonor » castillan, fondé sur le strict contrôle des femmes du groupe familial ou lignager. L’honneur dont il est ici question concerne tous les citoyens qui, tous sans exception, peuvent s’en revendiquer. L’honneur est ainsi un véritable droit, codifié par le code pénal et garanti par les institutions républicaines. Fondement commun partagé par tous les membres de cette société, il est présent partout, au travail comme dans les transactions commerciales, dans l’exercice de l’autorité ou l’administration de la chose publique. L’honneur est ainsi une norme partagée, garante de l’ordre social et sorte de protection devant les changements accélérés que vit cette société portuaire. Défendre son honneur est donc bien une obligation sociale qui s’impose à tous. Pour l’auteure, il n’existe pas de différences substantielles entre la conception de l’honneur que pouvait avoir un membre de l’élite et celle d’un homme des milieux populaires, mais plus simplement des variations de degré, ou d’emphase, dans sa mise en discours.
4C’est dans ce contexte très particulier que la question du duel va prendre toute sa place et manifester toute son importance. Bien que reconnu comme une sorte de « droit universel » par la société argentine, le duel s’impose en réalité comme l’instrument au service de la défense de l’honneur des membres de la « bonne société ». Ce faisant, le duel devient le signe tangible et institutionnalisé de la différenciation sociale. Il suppose en effet la maîtrise de « codes » stricts transmis notamment dans une littérature qui prolifère à cette époque. La possibilité de faire appel au duel pour régler des questions d’honneur devient alors, dans ce Buenos Aires de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, un moyen au service de la construction sociale de l’homme de qualité. Pouvoir bénéficier de ce qualificatif, ou plus précisément de celui alors en vogue de gentleman ne se réduisait pas à un attribut attaché à une position sociale, qu’elle fût héritée ou récente. Il résultait de la capacité à manifester, notamment via le duel et si possible avec brio, son appartenance à ce cercle restreint.
5L’objet d’étude ainsi dessiné, l’ouvrage s’y attache en deux parties. La première, qui regroupe les trois premiers chapitres, propose une étude de toutes les atteintes à l’honneur : atteintes verbales à travers les injures, bien sûr, mais aussi contextes de ces atteintes, qu’il s’agisse des lieux ou des moments qui se prêtent à ces agressions. La finalité de cette première partie est de reconstituer non seulement le rôle social de l’honneur mais plutôt celui des langages et des pratiques qui y sont attachés. Il permet ainsi de constater une mobilisation de l’honneur partagée par les diverses couches sociales de la ville et témoigne parmi elles de l’existence de références communes, contribuant ainsi à un certain ordre social dans une société caractérisée par son désordre.
6La seconde partie de l’ouvrage aborde alors l’une des manières de défendre cet honneur qui constitue l’un des « biens communs » aux habitants de la cité. A travers les 6 chapitres qui la constituent, l’étude analyse la forme la plus sophistiquée qui soit de résoudre ces questions d’honneur, à savoir le duel. Tout un chacun ne pouvait s’en prévaloir puisqu’il exigeait de répondre à certaines conditions d’appartenance sociale. Sa réalisation exigeait le respect de règles strictes en accord avec le code de l’honneur. Ce faisant, il constituait un instrument au service de la différenciation sociale, le duel ne pouvant se comparer à la rixe populaire. Dans le même temps, sa banalisation s’accompagne d’un vif débat parmi les élites politiques sur la possibilité ou la nécessité de le réglementer si ce n’est de l’interdire. Ces discours antagoniques révèlent précisément le sens et surtout la fonction sociale qu’il pouvait avoir pour ses défenseurs. Cependant, à compter des années 1920, les duels tendent à perdre leur intérêt aux yeux même de ceux qui s’en servaient pour affirmer leur position de supériorité dans cette société argentine. Leur nombre décline alors très vite – une centaine dans les années 1920 et quelques dizaines pour la décennie suivante alors que les années 1890 en comptèrent près de 700. Au-delà de cette dimension comptable, sa pratique passe du domaine de la revendication publique – associée à la gloire qui y était attachée – à celle du secret qui révèle au contraire une certaine honte de s’y adonner. Les discours de dénonciation se font de plus en plus nombreux et sont surtout de plus en plus relayés, notamment pas la presse. Ces divers phénomènes traduisent les évolutions profondes dans les échelles de valeurs de la société locale et la transformation du tissu culturel des élites de la ville. Comme l’écrit l’auteur, les fils des duellistes des années 1890 ont cessé de l’être, renvoyant la pratique du duel à une forme culturelle perçue comme dépassée, voire totalement anachronique en ce début de XXe siècle qui parie alors sur la « modernité ».
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Bertrand, « Sandra GAYOL.- Honor y duelo en la Argentina moderna », Caravelle, 97 | 2011, 286-289.
Référence électronique
Michel Bertrand, « Sandra GAYOL.- Honor y duelo en la Argentina moderna », Caravelle [En ligne], 97 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/1517 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.1517
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