Catalogue Auguste Borget (1808-1877), les paradis perdus
Catalogue Auguste Borget (1808-1877), les paradis perdus, Musée Bertrand, Châteauroux, 2023, 96 p.
Texte intégral
1D’avril à juillet 2023, le Musée Bertrand de la ville de Châteauroux (Indre) a consacré une exposition au peintre Auguste Borget. En 1836, le jeune artiste originaire du Berry embarquait au Havre pour un long périple (1836-1840) qui allait le conduire à New York, dans plusieurs pays d’Amérique du Sud et en Asie. De ce voyage que désapprouvait son ami Honoré de Balzac (« On n’est pas grand peintre parce qu’on a vu des pays, des hommes », p. 12), naquirent des centaines de dessins, d’esquisses, de peintures, de textes et un riche carnet de voyage. Si la production artistique de Borget est aujourd’hui appréciée dans le monde anglo-saxon et à Macao, elle reste paradoxalement méconnue en France.
2Né à Issoudun, en 1808, dans une famille de négociants, la découverte du dessin conduit A. Borget à choisir une autre voie que celle de la finance à laquelle on le destine. À vingt ans, il part étudier à Paris. Conscient des dispositions du jeune homme pour les paysages, son professeur, Théodore Gudin, peintre officiel de la Marine nationale, l’encourage à aller peindre en extérieur, pratique alors peu courante. Au retour d’un voyage en Europe (Pyrénées, Suisse, Italie), Borget décide de ne plus travailler que « d’après nature ». Influencé par les modèles issus du courant romantique en plein essor et pensant que beaucoup de paysages européens ont perdu leur « individualité », il voit une promesse d’authenticité dans ceux des territoires lointains, souvent mal connus. En cette première moitié du xixe siècle, il choisit donc de parcourir le monde, seul, sans faire partie d’une mission scientifique, diplomatique ou artistique comme ce fut le cas d’autres peintres à la même époque.
3Une carte et une frise chronologique en double page (p. 18-19) illustrent l’ampleur du voyage réalisé. D’octobre 1836 aux premiers mois de l’année 1838, Borget est en Amérique : New York, Rio de Janeiro, Montevideo, Buenos Aires, Cordoba, Mendoza, Santiago du Chili, Valparaiso, Coquimbo et Huasco puis, après être passé par la Bolivie, il gagne les villes péruviennes de Tacna, Arequipa et Lima. À partir d’avril 1838, la traversée du Pacifique lui ouvre de nouveaux horizons : les îles Sandwich, la Chine où il séjourne un an (Hong Kong, Canton, Macao) avant de partir pour l’Asie du Sud-Est – les Philippines (Manille où il demeure plusieurs mois), la Malaisie, Singapour – l’Inde (Calcutta, Patna, Bénarès, Mirzapur et Allahabad) et enfin l’Afghanistan (Kandahar et Kaboul). Rentré en France en août 1840, le peintre réalise de nombreuses huiles sur toile à partir de ses croquis et des albums illustrés à partir de ses dessins. Sélectionné dans différents Salons, il a la faveur du public (plus que de la critique) jusqu’aux années 1850 où commence pour lui une nouvelle étape. Retiré à Bourges, il connaît une évolution spirituelle et choisit de consacrer l’essentiel de son temps et de sa fortune à la Société Saint-Vincent-de-Paul. Peu de temps avant sa mort, il décide de brûler tous ses papiers personnels.
4Dans le chapitre intitulé « Épreuves et enchantements, rencontres et amitiés, art et itinérance (p. 20-37), Lucile Magnin, spécialiste des peintres voyageurs européens en Amérique latine au xixe siècle, s’intéresse à l’étape sud-américaine de ce voyage, en s’appuyant sur le Carnet de voyage. Notes et dessins. S’en dégage un portrait de l’homme autant que de l’artiste. Sensible aux couleurs et à la lumière de Rio célébrées par d’autres peintres européens à la même époque, A. Borget nuance les impressions « paradisiaques » de l’environnement tropical avec des commentaires hostiles à l’esclavage, manifestant de l’empathie envers les populations d’origine africaine et chinoise. Après avoir fait route vers l’Uruguay, il séjourne brièvement à Buenos Aires et décide de traverser l’immense pampa argentine pour se rendre au Chili. Amené à partager le quotidien des gauchos, le voyageur rend compte au gré de ses rencontres, avec sensibilité et lucidité, des caractéristiques de l’époque qui succéda à l’Indépendance, en particulier le climat de violence issu de la poursuite de l’entreprise colonisatrice et de la résistance qu’y opposèrent les populations autochtones. Juan Manuel de Rosas commençait alors son second mandat, instaurant un régime autoritaire absolu ; il avait entrepris, quelques années plus tôt, la conquête de nouveaux territoires aux dépens des populations amérindiennes.
5Des vues panoramiques (crayon graphite sur papier) – « Sierra de Cordoba, en regardant vers la pampa » (p. 27) –, des scènes saisies sur le vif – « Cavalière allaitant son bébé » (p. 26) –, des lieux – « À la villa Vicantia à Casucha où nous avons passé la nuit, le 3 juillet 1837 », ibid.) – ou le portrait en pied d’un gaucho (p. 25) vêtu d’un poncho bleu et rouge (crayon graphite et aquarelle) témoignent de l’acuité du regard du peintre et de l’attention qu’il porte à ses modèles. Son sens de la composition est manifeste dans sa représentation des difficultés qu’il dut affronter lors de sa traversée des Andes, à l’entrée de l’hiver 1837. Commentant le dessin « Souvenir du passage de l’Uspallata en Argentine » (p. 29), L. Magnin souligne combien la verticalité du format, le rehaut de gouache et les hachures destinées à matérialiser les rochers, ajoutent à l’impression d’altitude et d’austérité des sommets enneigés. Échappant aux grilles de lecture habituelles du « pittoresque », cette immense étendue de terre qu’est la pampa tout comme la Cordillère des Andes requièrent une adaptation plastique.
6Le Chili marque profondément Borget autant par les hommes qu’il y croise et dont il fait parfois le portrait – « Huaso dans le port chilien de Huasco » (p. 35) – que par sa rencontre avec Johann Moritz Rugendas (1802-1858). Ce peintre bavarois devait laisser une production artistique aussi riche que variée s’élevant à plus de 4 600 dessins et peintures (p. 31), qui constituent un tableau vivant de l’Amérique d’alors. Il avait parcouru le Brésil de 1822 à 1825 en tant que dessinateur de la mission scientifique du baron Langsdorff et réalisait à son compte, depuis 1831, un second voyage en Amérique du Sud, qui allait durer quinze ans. Ensemble, les deux hommes firent plusieurs excursions, Rugendas donnant des conseils à son ami quant à la technique du dessin, l’encourageant en particulier à approfondir ses connaissances anatomiques pour mieux représenter les figures humaines. De la vigueur et de l’adresse du trait de Borget dans ses représentations de la nature témoignent deux reproductions figurant dans le catalogue : « Deux araucarias (Chili) » au crayon graphite et fusain sur papier et un saisissant « Patagnol de La Angostura » (p. 32-33), le patagnol étant un point de halte et de ravitaillement en eau pour les gauchos, situé au pied de la Cordillère andine.
7Reprenant sa route, Borget fait une courte étape en Bolivie avant d’arriver au Pérou. Il rend compte de scènes de la vie quotidienne – « Deux moutards de Tacna. Indien revenant après avoir vendu l’alfalfa (luzerne) » (p. 36) –, puis de son éblouissement dans la blanche Arequipa où « (s)a main ne resta pas oisive et (s)on crayon ne se reposa pas un seul instant » (p. 35). C’est enfin la capitale, Lima dont il restitue le patrimoine architectural grâce à son art de la composition, à l’usage qu’il fait de la perspective linéaire et à sa maîtrise de la technique de la mine à plomb et à l’aquarelle rehaussée de gouache – « Rue de Valladolid, Lima » (p. 37).
8Le succès que connut Borget, au retour de son grand voyage, fut essentiellement dû aux tableaux qu’il réalisa à partir des dessins élaborés en Chine (paysages, coutumes, populations, bâtiments) : les images rapportées du « Céleste Empire » étaient alors rares. Il faut y ajouter la production indienne qui coïncida avec la vogue orientaliste. La partie américaine n’est cependant pas en reste : la qualité de la production artistique, loin des représentations anecdotiques ou d’un exotisme facile, la capacité de réflexion et d’analyse des écrits, l’épaisseur humaine du personnage (sa curiosité permanente, sa conscience de l’altérité et sa pratique interculturelle) sont palpables. Les paysages y tiennent une place importante : dans le monde moderne en particulier européen qui se développait alors, où la nature était de plus en plus considérée comme un élément à dominer pour le mettre au service des hommes, Borget, s’intéresse à représenter sa variété, son âpreté ou sa luxuriance, et la beauté de ses formes.
Pour citer cet article
Référence papier
Catherine Heymann, « Catalogue Auguste Borget (1808-1877), les paradis perdus », Caravelle, 121 | -1, 191-193.
Référence électronique
Catherine Heymann, « Catalogue Auguste Borget (1808-1877), les paradis perdus », Caravelle [En ligne], 121 | 2023, mis en ligne le 11 décembre 2023, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15119 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.15119
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