Ismael Sarmiento Ramírez, Alimentación y sociabilidad en la Cuba decimonónica
Ismael Sarmiento Ramírez, Alimentación y sociabilidad en la Cuba decimonónica, Santiago de Cuba, Ediciones UO, 2021, 517 p.
Texte intégral
1En Amérique latine comme dans le reste du monde, pendant longtemps, l’alimentation, à l’instar de bien d’autres aspects de la vie quotidienne, n’a pas été considérée par les historiens comme un possible (ou nécessaire) objet d’étude. Elle était alors confinée dans les publications portant sur la gastronomie ou se trouvait réduite à l’analyse des plaisirs de groupes sociaux privilégiés et raffinés, de repas exceptionnels contribuant à rendre mémorables et marquantes les célébrations de la vie sociale.
2De la sorte, la consommation quotidienne des gens sans histoire n’apparaissait guère non plus que toute une série de paramètres indispensables à sa compréhension : caractères diversifiés de l’offre selon les quartiers, le monde urbain ou rural, limitations du pouvoir d’achat d’une grande partie de la population et impossibilité d’accès à certains produits souvent d’ailleurs absents des puestos callejeros où s’approvisionnait l’essentiel de la population, traditions culinaires en général marquées par l’histoire complexe de ces pays.
3Le présent livre, de plus de 500 pages, est le résultat d’une énorme et longue recherche dans une dizaine d’archives espagnoles et cubaines, havanaises mais, cela mérite d’être souligné, provinciales (Camagüey, Sancti Spiritus, Santiago), sans compter le travail en bibliothèque sur des livres devenus rares car oubliés, et bien entendu les ouvrages de voyageurs européens ou nord-américains dont le regard extérieur (selon les cas intéressé, étonné ou dégoûté) est toujours plein de remarques judicieuses et utiles voire d’enseignements. Une autre source, plus inattendue, a été celle des livres de cuisine, surtout du milieu du xixe siècle, que l’auteur n’a pas utilisé de manière simplement statique et descriptive mais, selon son expression, comme les témoins originaux et créatifs de « un mapa gastronómico de Cuba ».
4Le livre de manière normale s’ouvre sur un chapitre très fourni consacré aux aliments consommés à Cuba à l’époque étudiée, en faisant un distinguo fondamental entre des produits du pays souvent issus de la petite agriculture locale et de l’élevage criollo, et ceux, arrivant pour certains à grande échelle grâce aux importations liées aux intérêts des puissants secteurs de l’économie hispano-cubaine d’alors. Le second chapitre, très réussi et vivant, porte sur les produits vendus, leurs circuits de commercialisation jusqu’aux plazas de mercados locales. Sont détaillés les moyens de transport, les conditions et les problèmes d’hygiène, les techniques de conservation plus ou moins efficaces, le petit monde haut en couleur et animé des vendeurs et surtout des vendeuses, les prix et leurs évolutions. Tous ces éléments sont autant de contributions à une connaissance très fine de réalités cubaines quotidiennes du xixe siècle souvent négligées, voire délaissées.
5Avec le troisième chapitre on entre dans le quotidien des pratiques alimentaires de la population cubaine et de fait, l’affirmation d’une cuisine criolla. Ismael Sarmiento y détaille les héritages divers qui la composent et se sont soit ajoutés tels des strates, soit combinés dans une sorte de créolité alimentaire. Ils furent en effet variés au fil des apports de l’histoire : aborigènes, espagnols, africains mais aussi, à l’époque étudiée français (surtout dans l’Oriente) et asiatiques (coolies chinois) pour contribuer à ce que l’auteur appelle la culture alimentaire cubaine. Il insiste également sur le cycle quotidien de cette alimentation, ses horaires et ses habitudes, bien évidemment sur les différences, très importantes, que l’on pouvait observer selon la position et le statut des individus dans cette société très hiérarchisée pour bien des raisons, dont l’esclavage était la principale, sans oublier, dans un autre domaine, le clivage Espagnols/Cubains qui se retrouvait aussi dans l’alimentation et auquel le livre consacre des pages très suggestives et révélatrices quant à la constitution de la conscience cubaine de l’époque.
6Les boissons se trouvent au chapitre suivant. Une large place est faite bien sûr à celles à fort degré alcoolique, fabriquées sur place et qui ont fait la renommée internationale de Cuba, le rhum bien évidemment, ou bien importées soit d’Europe soit des États-Unis, mais le livre n’oublie pas toutes les autres qui depuis longtemps faisaient partie du quotidien tropical pour tout le monde à Cuba.
7Le dernier chapitre, disons la dernière partie (puisqu’il occupe une centaine de pages) est consacré à la question de l’alimentation durant les guerres d’indépendance, surtout parmi ses combattants patriotes, les mambises. Reprenant, en les élargissant et en les adaptant au propos de ce livre, les travaux que l’auteur a réalisés sur le quotidien de cette guerre, il montre ainsi avec un grand luxe de détails la situation alimentaire dans l’Oriente cubain en 1868, les privations endurées par l’Ejército libertador, les voies compliquées et parfois violentes de son approvisionnement, les tentatives des préfectures et des sous-préfectures pour affamer les combattants, les exploitations agricoles qui les ravitaillaient de gré ou de force.
8Trois produits de base posaient de sérieux problèmes et en fait manquaient toujours aux combattants : le sel, le sucre et le café. Le livre consacre aussi des pages très intéressantes à la consommation d’alcool avant de se terminer par des analyses très nouvelles et pertinentes sur la créativité des mambises dans ce domaine aussi essentiel pour leur survie et leur victoire que les armes.
9Le livre se termine par une cinquantaine de pages où est offert un large éventail de recettes cubaines de l’époque que l’on peut bien sûr lire de deux façons : une gastronomique, mais aussi une autre sociologique et historique, puisque ces recettes sont accompagnées d’une étude nutritionnelle et sont en fait l’expression de ce qu’analysent toujours avec finesse et précision les chapitres précédents.
10Ce travail très documenté, toujours dynamique, de lecture agréable et sur bien des points nouveaux, est un apport remarquable pour la connaissance de Cuba au xixe siècle, de ses composantes mais aussi de ses rythmes individuels et collectifs, de sa créativité face à des apports contradictoires et de sa plasticité dans la construction de sa créolité.
Pour citer cet article
Référence papier
Bernard Lavallé, « Ismael Sarmiento Ramírez, Alimentación y sociabilidad en la Cuba decimonónica », Caravelle, 121 | -1, 189-191.
Référence électronique
Bernard Lavallé, « Ismael Sarmiento Ramírez, Alimentación y sociabilidad en la Cuba decimonónica », Caravelle [En ligne], 121 | 2023, mis en ligne le 11 décembre 2023, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15113 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.15113
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