Juan Pro, Monika Brenišínová, Elena Asótegi (ed.), Nuevos mundos, América y la utopía entre espacio y tiempo
Juan Pro, Monika Brenišínová, Elena Asótegi (ed.), Nuevos mundos, América y la utopía entre espacio y tiempo, Tiempo Emulado, Iberoamericana-Vervuert, Madrid, 2021, 367 p.
Texte intégral
1Parmi les nombreux effets retours en Europe, tous étroitement liés à la progressive découverte d’un nouveau continent après 1492, l’invention de la notion d’utopie par Th. More (1516) et ses innombrables déclinaisons postérieures en constituent sans doute l’un des plus féconds. Comme les coordinateurs de l’ouvrage le rappellent dans leur introduction, Utopie et Amérique eurent très tôt partie liée, constituant deux des piliers de la modernité occidentale. À leur manière, tous deux sont des éléments constitutifs de la « culture occidentale » telle qu’elle s’est progressivement développée de part et d’autre de l’Atlantique à partir du 16e siècle. C’est sur la base de cet utile rappel que les trois coordinateurs ont construit leur table des matières en l’alimentant d’une sélection de douze textes parmi ceux présentés lors de deux colloques tenus à la fin de l’année 2019 dans le cadre d’un programme international de recherche baptisé « Histopia » (la visite du site du projet permet de se faire une idée de l’approche et de la problématique retenues : https://utopia.hypotheses.org/).
2La sélection proposée donne à voir la diversité des situations ou contextes spatiaux-temporels dans lesquels la représentation ou la construction utopiques se sont alimentées des réalités, ici exclusivement latino-américaines tant vues que rêvées, et ce depuis cinq siècles. Les contributions de A. Mondragon González et de Monika Brenišínová abordent la question de l’utopie à partir du prisme religieux. Le premier étudie la dimension utopique dans les premiers projets missionnaires des religieux dominicains en Amérique. Très concrètement, il confronte les projets respectifs de Domingo de Betanzos, de Julián Garcés et de B. de Las Casas et enfin de F. de Vitoria qu’il présente comme autant de réponses alternatives aux changements radicaux que l’Europe chrétienne est en train de vivre en ce début de 16e siècle à la suite de la découverte américaine. Quant à Monika Brenišínová elle s’intéresse à la dimension utopique présente dans l’art des couvents du centre de la Nouvelle Espagne du 16e siècle. Elle appuie son analyse sur les fresques et les sculptures présentes dans les couvents de la ville de Mexico ainsi que des États d’Hidalgo, Morelos, Tlaxcala et Puebla dont la liste exhaustive est précisée p. 150. Sans véritable surprise, son analyse systématique de ces peintures « américaines » dont elle offre quelques belles reproductions au fil du texte, démontre combien elles parlent d’abord de l’Église européenne et de ses représentations sur le monde américain dont elle découvre avec effroi qu’il ignore la « vraie religion » tout en rêvant de transformer ce terrain vierge de toute influence chrétienne en une utopie christianisée.
3Dans un deuxième temps, la dimension littéraire des utopies surgies sur le terrain latino-américain quitte les temps proches de la découverte pour aborder la construction utopique à la fin du 19e siècle et au cours du 20e siècle. Le texte de H. García Fernández s’intéresse aux images utopiques relatives à l’Amérique présentes dans des œuvres littéraires de la seconde moitié du 19e siècle et du premier 20e siècle. En d’autres termes, l’auteur centre son attention sur une période où l’Amérique retrouve en Espagne une place de premier plan, marquée par une forte dimension mémorielle commémoration du 4e centenaire de la découverte – qui coïncide avec le retour au premier plan d’un C. Colomb jusqu’alors très largement oublié – mais aussi avec celle du centenaire de l’indépendance de la plupart des colonies espagnoles que télescope la perte des dernières colonies espagnoles en Amérique et aux Philippines. Dans cette période, d’intenses et profondes réflexions sur le ser espagnol recoupent une introspection sur le rôle de l’Espagne dans les terres américaines tout en cherchant à re-construire un nouveau lien avec les anciennes colonies. Ce courant intellectuel qualifié d’« hispano-américanisme » prétend valoriser la force des liens qui unissent les anciennes colonies à leur ex-mère-patrie via la culture et la langue. De la même manière, ce même courant considère que l’Amérique latine pouvait contribuer à l’élaboration d’un modèle utopique pour une modernité à inventer avant de revenir vers une Espagne à la recherche d’un nouveau départ dans une période marquée par de profondes crises et interrogations de toute nature, qu’elles soient politiques, identitaires voire existentielles. Quant au texte de J. Jensen il s’attache de son côté à l’étude d’un discours fictionnel de la découverte proposé par C. Fuentes dans un texte de 1993, c’est-à-dire en plein boum éditorial – et aussi en plein débat – associé à la polémique commémoration du 5e centenaire de la découverte de 1492… Cette uchronie imaginée par le grand romancier mexicain lui permet précisément de mettre en avant les caractères utopiques qu’il considère comme étroitement liés à l’histoire américaine. Enfin, le texte de M. Martin Rodriguez analyse l’originalité de l’œuvre de N. Vitor publié en 1895 au Brésil et intitulée Hirayo et Garbha. Il y étudie plus précisément ce qu’il qualifie de « totalitarisme horizontal » tout en montrant combien l’auteur se distingue dans le courant littéraire qualifié d’anti-utopie.
4Le dernier prisme retenu par les coordinateurs de l’ouvrage est celui qui aborde l’utopie en termes politiques. J. Gustafsson s’attache à l’une des utopies politiques venues d’Amérique latine parmi les plus fécondes du 20e siècle, à savoir la geste des barbudos cubains sous la houlette de leurs divers comandantes. À juste raison, on conviendra avec l’auteur que cette expérience utopique cubaine du milieu du siècle constitue probablement l’un des cas paradigmatiques dans le cadre de l’État-nation du 20e siècle. Tout spécialement, l’auteur concentre son attention sur certaines des questions essentielles à ce projet politique, telle la fondation utopique de la nation ou, bien plus encore, la Révolution à la fois sujet et objet central du projet politique castriste résumé dans la formulation « Nation, peuple, Révolution ». Inévitablement et à juste raison, J. Gustafsson s’interroge sur ce qu’il reste de cette utopie politique révolutionnaire en ce début de 21e siècle. Le futur idéal promis – éternel horizon d’attente de tout projet révolutionnaire et inhérent à toute utopie politique –, entre en contradiction avec un présent politique insulaire où la dimension totalitaire est omniprésente, comme l’illustrent les constitutions successives de 1976 et de 2019 (p. 98). Pour lui, l’utopie cubaine est en réalité aujourd’hui entrée dans une nouvelle phase, celle de la post-utopie, dont il voit les nombreuses manifestations dans la production culturelle cubaine dès les années 90, qu’elle soit narrative ou cinématographique. Pour lui, l’utopie cubaine s’incline toujours plus du côté de l’idéologie, la rendant ainsi, conformément à la terminologie d’Abensour, « éternelle ». C. Ferrera, de manière plus classique, analyse l’image utopique de l’Amérique en Europe à travers deux journaux du 19e siècle, le Correo de Ultramar et La América. G. Winck étudie de son côté la dimension utopique qui s’attache plus particulièrement au Brésil, le différenciant ainsi du reste de l’Amérique hispanique. E. Asótegi s’attache quant à elle à une dimension utopique liée à l’Amérique et profondément contemporaine en s’intéressant à la dimension écologique des projets utopiques actuels. Elle souligne en particulier comment ces utopies nouvelles prolongent en réalité de vieux schémas utopiques étroitement associés à la découverte de l’Amérique et attachés aux représentations de l’Indien sous la forme du « bon sauvage ». Ce véritable fil rouge utopique pluriséculaire débouche selon elle sur l’invention de ce qu’elle qualifie comme « l’indien écologique » à la fin du 20e siècle dont les projets zapatistes au Chiapas ou encore ceux de E. Morales en Bolivie lui servent d’illustrations. Enfin, le texte de E. Gonzalo Palomares étudie la dimension utopique présente dans les projets populistes dont on connaît l’importance pour l’Amérique latine du 20e siècle et même en ce début de 21e, en s’attachant tout particulièrement à l’analyse discursive de ce courant politique.
5Ces divers regards portés sur la place de l’utopie dans le monde latino-américain à travers ces dix contributions sont complétés par deux textes de portée plus générale. C. Cifuentes-Aldunate s’attache à réfléchir aux liens étroits qui associent Amérique et Utopie, en se fondant en particulier sur le regard de Las Casas. Quant à Juan Pro, sa contribution, qui ouvre l’ouvrage, n’est rien moins qu’un effort appréciable pour historiciser l’objet d’étude sur lequel repose le programme de recherche qui donne naissance au livre. Il souligne en particulier la double articulation à l’œuvre dans la réflexion menée par les divers participants et que l’on retrouve clairement au fil d’un ouvrage ayant choisi d’associer Amérique et Utopie : d’une part, la représentation de l’Amérique se construit dans un premier temps comme une projection utopique de l’Europe de la découverte dans laquelle le religieux est omniprésent ; d’autre part et après les indépendances, l’Amérique s’affirme comme un lieu de naissance et/ou un terrain d’expression utopique avant que ses diverses manifestations ou formes d’expression ne retrouvent droit de cité dans les imaginaires, notamment révolutionnaires, européens.
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Bertrand, « Juan Pro, Monika Brenišínová, Elena Asótegi (ed.), Nuevos mundos, América y la utopía entre espacio y tiempo », Caravelle, 121 | -1, 186-189.
Référence électronique
Michel Bertrand, « Juan Pro, Monika Brenišínová, Elena Asótegi (ed.), Nuevos mundos, América y la utopía entre espacio y tiempo », Caravelle [En ligne], 121 | 2023, mis en ligne le 11 décembre 2023, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15096 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.15096
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