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Comptes rendus

Luis Castro Castro, Antonio Escobar Ohmstede (coord. y ed.), Independencias, repúblicas, y espacios regionales. América Latina en el siglo xix

Michel Bertrand
p. 182-186
Référence(s) :

Luis Castro Castro, Antonio Escobar Ohmstede (coord. y ed.), Independencias, repúblicas, y espacios regionales. América Latina en el siglo xix, coll. Tiempo Emulado, Iberoamericana Vervuert, , Madrid-Franfurt, 2022, 541 p.

Texte intégral

1Le propos de cet ouvrage s’inscrit dans le long cycle commémoratif du bicentenaire des indépendances en Amérique latine initié au cours des années 2000 et fait le choix d’un point d’observation indiscutablement original inscrit dans l’histoire régionale latino-américaine. Son propos est d’offrir une vision renouvelée de ces indépendances largement, voire prioritairement, abordées par l’historiographie depuis une perspective avant tout nationale en lien avec la question de la construction de l’État et de la nation. Constatant précisément que ces projets politiques nés au 19e siècle – qui ont contribué à la mise en place de dynamiques centralisatrices et hégémoniques – suscitent aujourd’hui bien des débats et interrogations, les coordinateurs de l’ouvrage considèrent particulièrement opportune la mise en œuvre de leur réflexion menée dans le cadre d’un projet de recherche dont le présent ouvrage constitue l’un des rendus. Au fil de l’ouvrage, le propos est d’illustrer l’affirmation qui soutient leur démarche : mettre en évidence la nécessité de ne pas limiter l’analyse aux seuls espaces nationaux actuels pour comprendre toute la richesse et la complexité du 19e siècle en Amérique latine.

2L’ouvrage regroupe 14 contributions réparties en quatre grandes sections d’ordre géographique : trois correspondent au cône sud, quatre à la région de l’Alto Perú et du Sud andin, 3 à la région du nord du Pérou jusqu’à la région caraïbe et enfin quatre à un espace sans doute plus artificiel comprenant l’Amérique centrale, l’espace caraïbe et l’Amérique du Nord. Un quinzième texte joue le rôle de contrepoint à ces 14 contributions qui ont en commun d’aborder la question étudiée depuis divers espaces régionaux d’Amérique latine : il propose en effet une réflexion sur ces constructions territoriales depuis l’ancienne métropole au cours de la première moitié du 19e siècle. C’est dire la grande cohérence interne de l’ouvrage, constat qui est loin d’être la règle dans nombre de publications collectives, facilitant ainsi le dialogue entre les diverses collaborations malgré la grande diversité géographique choisie. Il est vrai que la remarquable introduction offerte par les deux coordinateurs s’efforce précisément de souligner les principales concordances entre la quinzaine de textes autour des quelques grands axes de réflexions qui ont structuré l’abondante littérature relative aux indépendances et à la construction des États et des Nations au 19e siècle en Amérique latine.

3Dans le premier ensemble, le texte de Maria Regina Celestino de Almeida et Vânia Maria Losada Moreira centre l’attention sur la place et le rôle de la question indienne dans le processus d’indépendance brésilien alors que « l’idéologie qui consolida l’État brésilien et construisit une mémoire nationale s’appuyait exclusivement sur les valeurs et la certitude de la supériorité de l’homme Blanc » (p. 37). C’est dire que la question indienne a été systématiquement occultée par l’historiographie brésilienne, position relayée non moins systématiquement par la littérature ou encore les modes d’expression artistique. C’est cette occultation que les auteures qualifient d’« historicide », selon le mot de J. Hill, conception aujourd’hui largement reprise et dont elles rendent compte dans leur contribution.

4Le texte de G. Cid aborde le cas chilien, pays où le récit national centraliste s’est imposé au point de se « naturaliser ». Dans sa contribution, il fait le choix de la longue durée séculaire afin d’identifier les transformations subies par la question provinciale : exprimée au départ en termes de régionalisme et perçue fondamentalement comme facteur de désordre, elle se transforme progressivement, dans le cadre démocratique de la seconde moitié du siècle, en aspiration à l’« autogouvernement » exercé en priorité au niveau municipal.

5Le cas du Rio de la Plata abordé par Sol Lanteri et Flavia Macías est étudié en suivant une démarche « au raz du sol » et en croisant les échelles d’observation régionale et locale dans deux espaces régionaux différents : la région de Tucuman et l’intérieur de la province de Buenos Aires. Grâce à cette juxtaposition spatiale et à l’échelle du 19e siècle, les auteures mettent en évidence des processus comparables en termes de diversité, de complexité des situations et d’incertitude dans lesquelles se retrouvent plongés les acteurs et agents institutionnels impliqués. Les auteures s’inscrivent ainsi dans la ligne de la rénovation historiographique en cours qui reformule les liens entre centre et périphérie en accordant à cette dernière la principale attention.

6Les quatre textes regroupés dans la seconde partie de l’ouvrage relative au Sud andin et à l’Alto Perú couvrent plusieurs des régions de l’espace considéré. Marta Irurozqui s’attache à étudier la question de l’affirmation de l’identité politique bolivienne à travers l’élection d’une assemblée constituante de 1839 suivie de la promulgation d’une nouvelle constitution mettant fin à la Confédération Pérou-Bolivie. Le choix de cet épisode historique majeur, connu en Bolivie comme celui de la « Restauration », est l’occasion de reconstituer les débats auxquels il donna lieu mais aussi de mettre en perspective les choix législatifs en vue d’organiser le nouvel ordre politique. L’un des intérêts de l’épisode retenu réside dans l’ampleur des participants au débat politique qui dépasse largement le strict cadre du seul congrès, ce dont l’auteure rend parfaitement compte.

7Sara Emilia Mata aborde le même type de questionnement pour la province de Salta et celle de l’Alto Perú entre 1820 et 1826. À une grande différence près : on est ici dans un contexte avant tout militaire, la région de Salta faisant l’objet d’un rattachement imposé à l’espace andin méridional au détriment de la capitale de l’ancienne vice-royauté de la Plata. Ici, l’indépendance à l’égard de l’ancienne métropole se combine aux rivalités entre les deux provinces voisines, rendant le déroulement du processus d’indépendance à la fois plus incertain et surtout plus complexe.

8Nelson E. Pereyra Chávez étudie quant à lui la formation de l’État au long du 19e siècle à l’échelle d’un espace rural péruvien, à savoir celui d’Ayacucho. Son hypothèse est que l’État s’y est organisé sur la base de principes libéraux répandus parmi la population indigène, prépondérante dans la région, par les élites provinciales adeptes de ces idées et indépendamment des aléas de type militaire. Ici, comme cela a pu être observé dans d’autres régions latino-américaines, ces populations se révèlent capables de mobiliser ces principes libéraux au service de leurs luttes, et d’abord pour l’accès à la terre.

9Le dernier texte de cet ensemble suit le processus d’indépendance dans le sud andin entre 1809 et 1815. Cette région, partagée d’abord entre trois pays puis, après la guerre du Pacifique, entre quatre, est un bon exemple de la pertinence du choix régional au détriment du cadre national, inévitablement changeant dans le cas étudié, pour analyser la formation des États au 19e siècle. Malheureusement ici, la très courte durée retenue pour l’analyse retire une bonne partie de l’intérêt du choix géo-historique initial.

10Le troisième ensemble de textes, avec trois contributions, concerne les régions du nord du Pérou, le Venezuela et la zone caraïbe de la Colombie. Celle de Susana Aldana Rivera, s’intéresse à la région septentrionale du Pérou et choisit d’aborder la question de l’indépendance comme un drame vécu au quotidien par les acteurs sociaux entre 1800 et les années 1820. Pour l’auteure, ces deux décennies signifient la désorganisation des liens et relations mis en place au long de la période coloniale que la population régionale vit comme un drame en raison des incertitudes et des innovations qu’elle génère, même si les nouveautés imposées par la vague des réformes de la seconde moitié du 18e siècle furent loin de les satisfaire. Il est vrai que si la période considérée voit s’affirmer le principe de la liberté, celle-ci n’en est pas moins ternie par le développement de la violence en lien avec la militarisation qui l’accompagne.

11Le texte de Edda O. Samudio Aizpurua étudie, pour la période 1777-1819, les provinces dites « Monárquicas » qui donnèrent naissance à la République Confédérée du Venezuela. Ce faisant, l’auteure souligne la continuité historico-géographique des nouvelles circonscriptions régionales imposées par les réformes des Bourbons. Ultérieurement à l’indépendance et sans véritable nécessité de redécoupages, elles se métamorphosent en subdivisions du nouvel État républicain. C’est dire qu’ici comme dans d’autres espaces latino-américains, notamment au Mexique, la force de la dimension régionale garantit la survie des subdivisions régionales héritées de la colonie sans apparente difficulté ni résistance.

12Le dernier texte de cet ensemble concerne la côte caraïbe de la Colombie, correspondant pour l’essentiel aux provinces de Cartagena et Barranquilla. Il met l’accent sur la question de la race afin de saisir l’inégal impact de l’indépendance sur les divers secteurs sociaux de la population régionale. En centrant son attention sur la composante indigène l’auteur souligne, comme Nelson E. Pereyra Chávez pour Ayacucho, la capacité de cette dernière à faire valoir ses droits en mobilisant les nouvelles règles imposées après l’indépendance, notamment celles concernant l’accès à la terre même si cela exige d’elle une mobilisation vigoureuse.

13Le dernier ensemble regroupe quelque peu artificiellement le reste des espaces régionaux latino-américains. À propos de La Havane, Izaskun Álvarez Cuartero revient sur la question de l’esclavage dans la constitution des Cortès de Cadix pour en souligner le terrible silence. Elle reconstitue ainsi les diverses raisons qui expliquent pourquoi, sous la pression notamment des propriétaires sucriers cubains et via leurs représentants, dont A. de Jauregui, la question fut totalement écartée même si certains tentèrent de l’imposer. Compte tenu de l’importance du rôle joué par les « planteurs du roi » ici clairement confirmée, on s’étonne de ne pas trouver en bibliographie le beau livre de D. Goncalvès qui en a offert une étude socio-historique remarquable.

14Deux textes concernent ensuite l’espace Centro-Américain bien que de manières très différentes. D. Arias s’attache aux débats théoriques surgis, entre 1800 et 1870, de l’émancipation des régions composant durant la période coloniale le Reino de Guatemala. C’est l’occasion de revenir sur les termes – Amérique, Centre Amérique ou encore « race latine », ce dernier concept ouvrant la voie à « Amérique espagnole » ou encore à « Hispano-Amérique » – qui surgissent au moment puis à la suite de l’indépendance afin d’identifier ces nouveaux espaces politiques en cours d’invention. De son côté, A. Méndez Zárate s’attache au rôle des municipalités dans la formation des États salvadorien et guatémaltèque au long du 19e siècle. S’inscrivant, sans le dire, dans le droit fil de l’analyse dont F. X. Guerra a été en son temps l’un des pionniers, il souligne le rôle central de ces structures municipales dans l’implantation des nouveaux États tout en perpétuant le plus souvent des pratiques politiques d’Ancien Régime. Il est vrai qu’ici, la continuité politique va de pair avec celle des acteurs sociaux eux-mêmes…

15Le dernier texte enfin revient sur un thème classique de l’historiographie du 19e siècle mexicain, à savoir les rapports entre pouvoir central et pouvoirs régionaux au cours de la première moitié du siècle. Durant ce demi-siècle à l’histoire confuse, le pouvoir central ne réussit pas à imposer son projet politique de nation, indépendamment de la forme politique qu’il ait pu prendre. Cette période est en effet profondément marquée par l’instabilité politique et la faiblesse de l’État central. Elle n’en voit pas moins s’imposer des bases juridiques communes d’inspiration libérale susceptibles de contribuer à l’homogénéisation politique d’une nation aux divers niveaux de son organisation, qu’elle soit provinciale, départementale ou à celle des divers États de la fédération.

16En guise de conclusion, les coordinateurs ont fait le choix d’un contre-point totalement pertinent. Il concerne le regard espagnol porté, au cours de la première moitié du 19e siècle, à la construction des divers États surgis de la dissolution impériale. À la mélancolie et à la nostalgie alimentées par le passé impérial récemment perdu, fait rapidement place l’élaboration d’un discours donneur de sens à l’ancienne construction impériale. Célébrant une monarchie antilibérale, corporative et interventionniste, ses thuriféraires la conçoivent comme un modèle remarquable « d’ingénierie politique » capable d’articuler une tradition proprement espagnole avec des réalités lointaines et diverses. On comprend combien cette mythification du passé impérial sert en réalité de fondement à un discours justifiant la permanence des « confettis » de l’empire – Cuba, Porto Rico et Les Philippines – où autoritarisme, esclavage et absence de représentation des populations locales consolident leur statut proprement colonial.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Bertrand, « Luis Castro Castro, Antonio Escobar Ohmstede (coord. y ed.), Independencias, repúblicas, y espacios regionales. América Latina en el siglo xix »Caravelle, 121 | -1, 182-186.

Référence électronique

Michel Bertrand, « Luis Castro Castro, Antonio Escobar Ohmstede (coord. y ed.), Independencias, repúblicas, y espacios regionales. América Latina en el siglo xix »Caravelle [En ligne], 121 | 2023, mis en ligne le 11 décembre 2023, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15081 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.15081

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