José Luis Caño Ortigosa y Fabio Yuchung Lee, El otro Ultramar. Crónica de un Jesuita en China. Relación del Padre Adriano de las Cortes del viaje naufragio en Chaucheo de la Gran China
José Luis Caño Ortigosa y Fabio Yuchung Lee, El otro Ultramar. Crónica de un Jesuita en China. Relación del Padre Adriano de las Cortes del viaje naufragio en Chaucheo de la Gran China, edición y estudio, Madrid, Sílex Ediciones, 2022, 389 p.
Texte intégral
1El otro Ultramar, chronique d’un jésuite en Chine, s’inscrit d’entrée dans un ensemble de récits fort documentés sur l’expansion coloniale espagnole vers l’Asie, les us et coutumes de cet Orient extrême et de son évangélisation que l’historiographie espagnole a contribué, depuis plusieurs décennies, à faire connaître avec précision. L’introduction à cette chronique est donc l’occasion de revenir sur la chronologie non seulement de l’« ère des découvertes » mais aussi des circonstances de la première globalisation et des intérêts en jeu, de ses navigateurs comme de ses traités, du rôle joué par les jésuites comme des rivalités impériales qui la sous-tendent, en tout premier lieu avec le Portugal. Cette très utile synthèse met en évidence les limitations premières de cette expansion, tributaire du traité d’Alcaçovas de 1479 et, par conséquent, de nouveaux passages vers la « mer du sud », puis via la Terre de Feu atteinte par Magellan (l’expédition partit de Séville en 1519) ultérieurement remplacé par Juan Sebastián Elcano, dont la première circumnavigation autour du monde contribua à renforcer la détermination castillane de consolider sa présence en Asie orientale.
2L’expérience tragique de l’Aragonais Adriano de las Cortes, son voyage malheureux entre les Philippines et Macao, sur un navire portugais destiné aux échanges commerciaux, s’inscrit par ailleurs dans le cadre des relations Asie-Amériques via le Pacifique, à la suite de l’ouverture par Legazpi (1565) de cette route plus sûre, assurant commerce et approvisionnement des possessions espagnoles, avec une base aux Philippines. D’où les tentatives d’établir des relations plus formelles avec les puissances régionales, aussi bien la Chine que le Japon, parallèlement à l’évangélisation de ces contrées et au renforcement de la zone d’influence depuis Manille (1571). Tentatives qui supposaient une meilleure connaissance des us et coutumes locales, des capacités commerciales, politiques et militaires, notamment dans la Chine des Ming, d’autant que le Portugal pouvait faire état d’une présence bien que contestée sur les côtes chinoises (persécution des envoyés portugais), depuis le début du xvie siècle, et d’informations conséquentes et soigneusement tues sur l’Empire du Milieu après leur acceptation à Macao (1557).
3Les Espagnols eurent recours aux Chinois du Fujian, présents de longue date à Manille, sans compter les interactions forcées avec le monde interlope des pirates, ou, plus simplement, une série d’ambassades destinées à formaliser les relations avec l’Empire du Milieu notamment sur le plan commercial, comme celle de Martín de Rada à Fujian (1575), point de départ de l’œuvre de Juan González de Mendoza sur l’histoire de l’empire chinois, de la cartographie et des études sinologiques espagnoles alors même que les Portugais privilégiaient dans un premier temps la connaissance du Japon. Le rôle de la Compagnie de Jésus est pour autant bien connu si l’on considère le rôle de l’Italien Michele Ruggieri dans l’établissement des jésuites en Chine, avant que Matteo Ricci ne s’y associe, ouvrant l’ère des dictionnaires bilingues et de nombreuses traductions à l’origine d’une information à la fois précise et abondante, et ouvrant la voie, de fait, aux relations avec Pékin. La sinologie pendant l’union des deux couronnes fait l’objet à cet égard de développements substantiels, notamment à propos du rôle joué par le Boxer Codex et ses dessins sur la diffusion d’un nouveau savoir sur la dynastie Ming, son fonctionnement politique, la religion et la nature en Chine.
4Cette édition de la « relation » d’Adriano de las Cortes – plus précisément de la Relación del Padre Adriano de las Cortes del viaje naufragio en Chaucheo de la Gran China , 1629 – est, certes, le récit d’une expérience, du naufrage de 1625 sur les côtes cantonaises, et d’une arrestation par les autorités de la province, avant que le « rachat » des pirates présumés ne permette au jésuite espagnol de regagner, via Guangzhou, Macao puis Manille. Mais cet ouvrage est également l’histoire d’un manuscrit, de sa transmission – puisqu’il en existe différentes versions, y compris des reproductions partielles et incomplètes – et ses interprétations. Deux œuvres portant ce titre sont ainsi recensées, l’une conservée à la British Library (une copie du xixe siècle, incomplète et à l’origine de deux éditions en espagnol et en français), l’autre par la Hispanic Society of America de New York, soit l’original complet du xviie siècle utilisé dans cette première édition complète et commentée, puisqu’il n’avait jusqu’alors fait l’objet d’aucune transcription et traduction. La trajectoire du manuscrit repris dans les éditions précédentes, réalisées à partir de l’exemplaire de la British Library (Béatrice Monco en 1991 pour l’édition espagnole et Pascale Girard en 2001 pour l’édition française) met en évidence (malgré le peu d’informations disponibles, à la différence d’autres documents conservés par les jésuites de Macao, récupérés comme butin de guerre, et conservés par la British Library) la disparition d’une partie du texte. D’où l’intérêt de cette nouvelle édition, qui s’appuie sur un manuscrit dont l’itinéraire newyorkais semble plus clair. Les deux écritures sont par ailleurs différentes (calligraphies du xvie et du xviie siècles) les corrections et ratures différentes, le manuscrit du xviie siècle, plus soigné, étant plus riche, notamment en illustrations (dessins, plans de temples et pagodes, d’écoles et de maisons, officielles ou non), et sa troisième partie complète. D’où l’hypothèse persistante que le père Adriano de las Cortes n’était pas parvenu à compléter une œuvre constituée initialement de 32 chapitres. Le débat quant à l’authenticité du manuscrit newyorkais (une copie complète et définitive ?) reste donc ouvert.
5El Otro Ultramar est par conséquent l’histoire revisitée du naufrage en 1625 du navire qui transportait le jésuite Adriano de las Cortes des Philippines à Macao, sur les côtes de la province de Canton, en d’autres termes d’un premier contact entre deux cultures, très différent des expériences vécues au même moment par d’autres évangélisateurs en Chine, de caractère parfois plus diplomatique il est vrai. Le récit est en effet celui d’une survie en terres inconnues voire hostiles, d’un navire pillé, les naufragés étant dépouillés de leurs possessions, certains victimes de cruauté voire exécutés en place publique, avant que les survivants faits prisonniers ne soient conduits à un village dont les autorités étaient peu familiarisées avec la présence d’étrangers (dont le séjour en Chine était pas ailleurs interdit). Les nationalités ou provenances de surcroît diverses de ces derniers (Portugais, Espagnols, Philippins, Japonais, Juifs, moros, etc.) ne contribue pas peu à la méfiance des autorités locales confrontées de fait aux incursions de pirates japonais. Un médiateur de confiance, chinois, parvient toutefois à faire connaître la nouvelle du naufrage à Macao, dont les autorités et les jésuites commencent à négocier en vue de la libération des prisonniers, qui regagnent Macao en février 1626 alors qu’Adriano de las Cortes choisit de rester à Manille après d’autres aventures maritimes locales.
6La découverte de l’altérité sous-tend à cet égard un récit organisé en 31 chapitres, une première partie couvrant les événements évoqués jusqu’au retour à Manille, les vicissitudes du voyage et les mauvais traitements subis, la nature des habitants de la province de Guandong, leurs us et coutumes soigneusement décrits (de la nourriture et des vêtements à l’architecture ou à l’enseignement et au développement d’écoles primaires, la religion et les temples, l’écriture et les conditions de sa maîtrise, les militaires, le rôle de Macao), le système politique et judiciaire mandarinal, la deuxième explicitant un certain nombre de dessins, plans et illustrations, tout en soulignant les conditions de l’évangélisation en Chine et proposant une brève relation de ses « rois ». La contribution essentielle de cette édition s’appuie par conséquent sur un récit riche d’informations ethnographiques, sociales et politiques, un dynamisme de la narration, un style vivant qui contraste avec les textes connus jusqu’alors, et enfin, sur la prise en compte de l’exercice concret du pouvoir politique et de la justice depuis le port de Macao, fort différent de l’expérience acquise par les Portugais en d’autres lieux.
7D’après ses éditeurs, le texte d’Adriano de las Cortes aurait par ailleurs valeur de point d’inflexion de la sinologie espagnole, l’Espagne jouant dès lors un rôle de pionnier en Europe pour ce qui est de la connaissance, déjà solide, du monde chinois. El otro Ultramar, son remarquable essai introductif et le texte lui-même, constitue de ce fait une lecture captivante, incontournable aussi bien pour le spécialiste de la présence européenne en Orient extrême que pour l’historien féru des premiers contacts ayant marqué l’expansion coloniale voire impériale. Soulignons enfin que le statut de « passeurs » entre Orient et Occident des deux éditeurs, leur connaissance pointue de la période considérée sans compter leurs capacités linguistiques déjà avérées, ne sont sans nul doute pas étrangers à cette véritable réussite éditoriale.
Pour citer cet article
Référence papier
Frédérique Langue, « José Luis Caño Ortigosa y Fabio Yuchung Lee, El otro Ultramar. Crónica de un Jesuita en China. Relación del Padre Adriano de las Cortes del viaje naufragio en Chaucheo de la Gran China », Caravelle, 121 | -1, 176-179.
Référence électronique
Frédérique Langue, « José Luis Caño Ortigosa y Fabio Yuchung Lee, El otro Ultramar. Crónica de un Jesuita en China. Relación del Padre Adriano de las Cortes del viaje naufragio en Chaucheo de la Gran China », Caravelle [En ligne], 121 | 2023, mis en ligne le 11 décembre 2023, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/15066 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.15066
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