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Comptes rendus

Biodiversidad Amazónica

Catherine Heymann
p. 204-206
Référence(s) :

Biodiversidad Amazónica, Serie « Kené al Bicentenario : reflexiones desde el arte », Lima, Kené-Instituto de Estudios Forestales y Ambientales, 2021, 134 p.

Texte intégral

1Développement durable, identité et diversité culturelle « comme source inépuisable de créativité » sont deux des axes officiellement retenus dans le cadre de l’organisation du Bicentenaire de l’Indépendance du Pérou (2021-2024). L’Amazonie péruvienne a ainsi fait l’objet de plusieurs projets fondés sur l’articulation de ces deux axes.

2Kené-Instituto de Estudios Forestales y Ambientales est une organisation péruvienne, à but non lucratif, fondée en 2016, dont l’objectif est la conservation de la biodiversité du biome amazonien, envisagée au prisme du scientifique, du juridique et du politique. Avec « Kené al Bicentenario : reflexiones desde el arte », l’institution fait le pari d’une série éditoriale dans laquelle les connaissances des scientifiques dialoguent avec les cultures dont sont porteuses les œuvres contemporaines d’artistes indigènes amazoniens. Les travaux de plusieurs chercheurs ont montré que l’un des apports majeurs des peuples autochtones d’Amazonie est d’avoir permis par leurs connaissances (en botanique ou en éthologie animale, par exemple) et leurs pratiques, agricoles en particulier, de préserver un taux élevé de biodiversité, tout en augmentant le nombre et la distribution des espèces sylvestres utiles à la subsistance, mais aussi d’avoir construit un système de relations avec l’ensemble du vivant. Le premier volume de cette série (dont il existe une version sur papier et une autre en ligne) a choisi de mettre au cœur de la réflexion le rôle joué par les arts visuels contemporains dans la revalorisation des modèles de connaissance qui informent la pensée des peuples indigènes d’Amazonie, qui a contribué, pendant des millénaires, à l’équilibre des écosystèmes aujourd’hui en crise. Celle-ci engendre des processus irréversibles de dégradation des milieux qui ont un fort impact pour les humains. Et tel est bien le constat qui ressort des textes rédigés par quatre spécialistes.

3Camila Germaná évoque les risques majeurs liés à la déforestation, à une agriculture non appropriée aux sols, à l’augmentation de la pollution des eaux et à la mauvaise gestion des résidus toxiques. Elle insiste sur les conséquences de la rupture des dynamiques écologiques des écosystèmes pour l’ensemble de la planète. Portant un regard critique sur la cartographie nationale des écosystèmes hydriques et l’insuffisance de leur mise en relation globale, Carlos Cañas met en évidence les limites des politiques publiques en matière de protection (marées noires, projets hydro-électriques ou d’irrigation). Il souligne parallèlement la pertinence des modèles de gestion hydrique depuis la perception indigène pour laquelle ces écosystèmes sont des êtres vivants. Mariana Montoya étudie l’extraordinaire variété de la faune sylvestre et la régulation de son exploitation. Si l’on observe des améliorations pour le paiche (poisson), le lobo de río (grande loutre) ou le guacamayo (ara), le trafic d’espèces, la perte de leurs habitats et la surexploitation des populations persistent, voire s’amplifient à rebours, là encore, de la conception indigène pour laquelle il n’y a pas de solution de continuité entre l’homme et ce que nous nommons « nature ». Enfin, s’appuyant sur les données du Libro Rojo de la Fauna Silvestre (2018), Karim Ledesma souligne la très grande diversité des espèces de mammifères en Amazonie péruvienne, chauves-souris, rongeurs, primates et carnivores étant les ordres les plus divers. De manière générale, la disparition des mammifères de grande taille altère gravement la chaîne trophique ainsi que le renouvellement de la flore, générant de multiples déséquilibres.

4Des représentations artistiques, fondées sur une approche qui pour être sensible n’en révèle pas moins une connaissance approfondie, enrichissent la compréhension objective du fonctionnement des différents écosystèmes. Plus d’une trentaine d’œuvres – tableaux, dessins, photographies, détails d’illustration – et une sélection de poèmes d’Antonio Andaluz W., Alfredo Pérez Alencart et Saulo Pessato font dialoguer art et biodiversité. Dans sa présentation, María Eugenia Yllia, historienne de l’art, souligne qu’il « s’agit de défis partagés qui révèlent des modèles épistémologiques distincts, indigène et académique, lesquels, loin d’être opposés, sont en constant échange et se nourrissent mutuellement » (p. 16). Au cours des trois dernières décennies, les savoirs indigènes millénaires ont trouvé de nouveaux supports de transmission. L’appropriation de la conception occidentale de l’art pictural et sa réélaboration ont ouvert la voie à des représentations de leur(s) histoire(s) et de leur(s) culture(s) par ces peuples eux-mêmes, donnant lieu à de nouveaux répertoires.

5Les œuvres de quatorze artistes amazoniens, principalement shipibo-konibo, mais aussi asháninka, awajún-wampis, tikuna, kukama et murui, mettent en scène leur connaissance de la diversité du vivant, de ses interrelations et interactions permanentes. Présents dans le quotidien et les différentes cultures (artefacts, ornements, cosmovisions, chants, récits mythologiques) de ces connaisseurs privilégiés que sont ces artistes, végétaux, animaux, milieux aquatiques et êtres humains – simples maillons d’une chaîne – sont les protagonistes de leurs « récits » visuels : lupuna, géant de la forêt (Dimas Paredes), huayruro aux graines rouges et noires (Roldán Pinedo Shöyan Shëca), monilla amena qui, selon le mythe, a donné naissance au monde et à l’Amazone (Brus Rubio Churay), arbre promesse de futur (Diana Riesco Lind) ; colibri amateur de nectar (Alexander Shimpukat Soria), aras qui tiennent « salon » (Anderson Debernardi), oiseau-trompette (Enrique Casanto Shingari) ; félins (Norberto Fernández Norobé), poissons (Pablo Taricuarima, David Ramírez Nunta Inin Soi) ; singes (Gerardo Petsaín) ; êtres humains et non-humains qui interagissent (Elena Valera Bahuan Jisbe). Le tableau choisi pour la couverture – « Ani Xeati de los animales » (2016) – du peintre Robert Rengifo Chonomeni (1967-2019) – offre un exemple expressif de la conception shipibo-konibo. Importante célébration liée à la transmission des connaissances et des pratiques traditionnelles, l’Ani Xeati qui réunit les hommes et les femmes shipibo, revêtus de leurs habits au dessin géométrique (kené), fonctionne dans l’actualité comme un espace de cohésion sociale et constitue l’un des piliers de la mémoire et de l’identité de ce peuple. Dans l’« Ani Xeati des animaux », chacun des participants à tête d’animal (toucan, rongeur, singe, félin, etc.) rappelle que tous les êtres vivants qui appartiennent au milieu écologique ambiant ont une entité protectrice (madre ou dueño) avec laquelle existe une relation de proximité et de parenté.

6Les poétiques à l’œuvre dans ces toiles vont des représentations hyperréalistes (des photographies de Walter Wust sont incluses dans l’ouvrage), dont la précision du trait rappelle l’illustration naturaliste, à des compositions caractérisées par le jeu des formes, des lumières et des couleurs, remarquablement mises en valeur par la qualité de l’édition imprimée, servie par un format généreux (30 cm x 29 cm) et le soin méticuleux apporté au graphisme et à la mise en page. Par ailleurs, la rubrique finale consacrée aux parcours des artistes ébauche une histoire des nouvelles formes de peinture indigène, de leur diffusion dans le monde contemporain et de la sensibilisation de différents types de publics, notamment des secteurs urbains.

7Ce livre fait la démonstration que le dialogue entre arts et sciences du vivant œuvre à la connaissance – et à la conscience – d’espaces composés d’un ensemble d’écosystèmes, de milieux de vie urbains et ruraux, interdépendants et en partie autonomes, aux échanges multiples et aux interactions complexes. Dans sa conception ouverte, l’ouvrage traite de la vie de l’ensemble des êtres (humains et non-humains) et rend compte de la « composition des mondes », selon le titre d’une série d’entretiens avec Philippe Descola, dans leur diversité et leur beauté mais aussi, dans leur complexité et leur fragilité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Heymann, « Biodiversidad Amazónica »Caravelle, 120 | 2023, 204-206.

Référence électronique

Catherine Heymann, « Biodiversidad Amazónica »Caravelle [En ligne], 120 | 2023, mis en ligne le 16 juin 2023, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/14421 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.14421

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