Navigation – Plan du site

AccueilNuméros120Comptes rendusRaphaël Colliaux, Silvia Romio (e...

Comptes rendus

Raphaël Colliaux, Silvia Romio (ed.), Autonomías indígenas en la Amazonía contemporánea

Catherine Heymann
p. 201-204
Référence(s) :

Raphaël Colliaux, Silvia Romio (ed.), Autonomías indígenas en la Amazonía contemporánea, Lima, Instituto Francés de Estudios Andinos, col. « Biblioteca Andina de bolsillo », 2022, 289 p.

Texte intégral

1Publié dans le cadre d’un programme scientifique français portant sur l’évolution de la politique amérindienne dans l’Amazonie contemporaine, l’ouvrage s’intéresse aux nouvelles formes de gestion politique des territoires amazoniens par les peuples autochtones, principalement au Pérou. S’appuyant sur les notions d’« autonomie des peuples indigènes », de « droit à l’autodétermination » et de « territorialité », les initiatives examinées se caractérisent par des revendications pour le contrôle de territoires plus étendus que ce qui est permis par les législations nationales actuelles ainsi que sur les ressources qu’ils contiennent.

2Dans leur introduction, R. Colliaux et S. Romio définissent l’objectif de l’ouvrage – la mise en relief de « modèles de gouvernances alternatives » (p. 10) – avant de contextualiser l’actualité du thème de la souveraineté territoriale. Ils en soulignent les causes immédiates (l’incapacité de l’État péruvien à gérer le territoire lors de la récente pandémie, ce qui a eu pour effet la mise en place de systèmes de contrôle de leurs territoires par les populations indigènes) et plus anciennes, liées à la violence des processus de colonisation, réactivée aujourd’hui avec l’essor d’une économie extractiviste (hydrocarbures, minerais, bois). Enfin, ils dégagent les éléments structurants des différents chapitres, en notant l’implication personnelle de plusieurs contributeurs dans les processus décrits, en laquelle ils voient la manifestation d’un renouvellement du « pacte de recherche » (p. 17).

3La contribution d’Irène Bellier qui ouvre le volume offre une vision panoramique. Elle est une « réflexion élaborée à partir du dispositif international sur les droits des peuples indigènes » (p. 37). Après avoir rappelé l’importance des débats à l’ONU et l’apport des organisations internationales sur cette question depuis plusieurs décennies – dont la Déclaration sur les droits des Peuples Indigènes en 2007 –, l’auteure s’emploie à cerner le sens de l’autonomie pour ces peuples indigènes et à dresser une typologie de ses différentes déclinaisons : autonomie de fait, légale ou expression de pratiques endogènes. Son propos, synthétique, est de faire ressortir les défis que posent ces droits et les obstacles dressés contre leur reconnaissance.

4Après l’évocation des contextes politiques successifs qui ont conduit les peuples indigènes d’Amazonie péruvienne à engager un processus de démarcation de leurs territoires, Alexandre Surallés analyse la notion de « territoire intégral ». Utilisant les points de vue de la géographie critique actuelle, il définit la territorialité comme une « pluralité de forces en tension » (p. 106) et fait valoir que le territoire indigène doit être appréhendé de manière « intégrale » dans la mesure où il est un espace d’échanges nombreux et de nature variée entre êtres humains et non humains. En ce sens, en faire un « objectif politique » est une stratégie essentielle pour reposer la question du territoire et de l’autonomie. La pénétration des fronts de colonisation et les industries extractives constituant une variable de taille dans la mise en œuvre de cette notion, l’auteur ébauche une typologie condensée en quatre cas de figure.

5Optant pour une perspective historique, les deux chapitres suivants étudient les luttes pour les autonomies indigènes et les raisons de leur actualité, dues non seulement aux écarts entre le droit et ses applications, mais aussi aux ruptures d’engagements dans les cadres juridique et institutionnel. Alberto Chirif retrace ainsi les étapes de l’histoire des droits indigènes au Pérou, maintes fois bafoués, depuis les années 1970, à la lumière des textes de loi, de la Constitution et des traités. Il décrit les initiatives actuellement engagées par les groupes wampis et achuar (au nord de l’Amazonie péruvienne), en soulignant les difficultés à exercer une forme d’autonomie locale dans un espace partagé de fait avec d’autres groupes ayant leur propre agenda. S’il met en évidence les manquements de l’État, l’auteur n’exonère pas les organisations indigènes de leurs responsabilités sur certains aspects de la question de la reconnaissance et de l’élargissement des droits indigènes. La réflexion de Richard Chase Smith, qui a participé au processus de formation d’importantes organisations indigènes du Pérou comme l’AIDESEP (Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana) et la COICA (Coordinadora de Organizaciones Indígenas de la Cuenca Amazónica) et a contribué à la mise en œuvre de processus juridiques de titres de propriété des terres et des territoires protégés, porte sur le « long chemin des peuples indigènes en quête du droit à l’autodétermination » (p. 169). Pour en rendre compte, il élargit le champ historique en analysant, de manière précise, le rôle joué par la Confédération iroquoise, tout au long du xxe siècle, ainsi que la stratégie juridique pour la défense territoriale.

6Dans son étude de cas, Thomas Moore se penche sur l’organisation spécifique des peuples indigènes dans le bassin du río Madre de Dios, au sud du Pérou, qui présente cependant des similitudes avec la perspective intégrale. Après avoir précisé les caractéristiques du peuplement et des territoires indigènes de cette région, il décrit l’arrivée de migrants venus travailler dans les mines d’or, la forêt et le commerce dans les dernières décennies du xxe siècle. Il examine les changements à l’œuvre dans la vision du territoire (p. 229) et l’organisation des naciones Arakbut, Ese Eja et Yine ainsi que leur lutte pour la reconnaissance de leurs « territoires de vie ». Privilégiant la gouvernance et non la propriété de l’ensemble de leurs territoires (constitués de zones naturelles protégées et occupées en grande partie par des « étrangers » à la région), leur stratégie vise à s’unir pour peser davantage dans les négociations avec les différents acteurs publics et privés.

7Dans le dernier chapitre, Roger Merino étudie la réalité et les effets institutionnels des luttes des organisations indigènes d’Amazonie péruvienne, en mettant en relief le choix d’une stratégie autre que celle de la politique électorale (comme en Bolivie et en Équateur). Il voit dans l’épisode du « Baguazo » en 2009 (forte mobilisation, violemment réprimée, des fédérations autochtones dans le département de l’Amazonas contre des décrets qui portaient atteinte à leurs territoires) la naissance d’« une nouvelle vague de politique indigène » (p. 252). Il analyse ainsi le potentiel stratégique de la transformation du cadre légal des titres de propriété et de la lutte pour l’autodétermination et l’autonomie. L’effort de coordination nécessaire au niveau local est décrit avec précision. L’enjeu et le défi sont d’importance : revendiquer l’autonomie de vastes superficies territoriales implique une forte intégration des groupes sociaux, d’où la nécessité que la nación postulée les englobe, ce qui n’est pas dans la « tradition » d’une majorité des sociétés amazoniennes.

8Marqué par des processus de colonisation et de dislocation depuis plusieurs siècles, aujourd’hui épicentre de conflits socio-économiques locaux liés à des formes d’exploitation prédatrices autant que déprédatrices, le territoire amazonien est le lieu par excellence qui, cristallisant les tensions, nourrit les aspirations à l’autonomie. L’ensemble des textes montre que les débats autour d’une redéfinition de la territorialité dans la recherche du modèle le plus approprié pour garantir une vie collective font apparaître une importante circulation de stratégies et de pratiques, qui s’est étendue de la zone nord-orientale au sud de l’Amazonie péruvienne ainsi que dans les autres pays du bassin amazonien. Plusieurs questions se trouvent posées parmi lesquelles les transformations de la politique indigène dans son rapport à l’État, les avantages et les limites du régime communal amazonien et la portée des stratégies de défense du territoire. Les défis sont multiples : qu’ils tiennent à la nature même du projet de « territoire intégral » et à son application ou aux obstacles dressés par l’État : opposition à la reconnaissance en termes légaux ou constitutionnels ; stratégies dilatoires dans les processus de démarcation territoriale et d’enregistrement ou non-application de décisions de justice. L’ouvrage met en évidence les éléments constitutifs d’une nouvelle étape de l’histoire des luttes, longtemps invisibilisée, des peuples indigènes d’Amazonie et, plus largement, des peuples autochtones américains. De ce point de vue, la variété des disciplines dont sont issus les textes – anthropologie, sociologie, droit et sciences politiques – montre l’intérêt qu’il y a à étudier la recomposition des sociétés indigènes à partir des contextes historiques, politiques, juridiques et culturels. La dimension comparative et les analyses linguistiques et sémantiques présentes dans l’ouvrage ne sont pas les moindres de ses apports.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Heymann, « Raphaël Colliaux, Silvia Romio (ed.), Autonomías indígenas en la Amazonía contemporánea »Caravelle, 120 | 2023, 201-204.

Référence électronique

Catherine Heymann, « Raphaël Colliaux, Silvia Romio (ed.), Autonomías indígenas en la Amazonía contemporánea »Caravelle [En ligne], 120 | 2023, mis en ligne le 16 juin 2023, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/14409 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.14409

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search