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Comptes rendus

Hernán M. Venegas Delgado, Carlos M. Valdés Dávila, La ruta del horror, esclavos indios del noroeste novohispano y sus rebeliones en Cuba

Bernard Lavallé
p. 198-200
Référence(s) :

Hernán M. Venegas Delgado, Carlos M. Valdés Dávila, La ruta del horror, esclavos indios del noroeste novohispano y sus rebeliones en Cuba, La Havane, Ediciones Extramuros, 2020, 280 p.

Texte intégral

1Ce livre très intéressant et, à bien des égards, neuf est une nouvelle édition, très largement augmentée (de plus d’un tiers) d’un ouvrage initialement paru au Mexique en 2013 et réédité, vu son succès, l’année suivante. Il porte sur un aspect souvent minorisé voire ignoré de l’esclavage des Indiens dits « de guerre » sur les confins de l’empire, comme la frontière mapuche au Chili ou les Llanos aujourd’hui vénézolano-colombiens, et, ici, dans le grand nord mexicain. Ce dernier cas, surtout celui des Apaches, a suscité des études d’abord aux États-Unis et au Canada (C. J. Archer, W. Merrill), puis a eu beaucoup moins d’ampleur au Mexique même et surtout à Cuba, destination finale de ces captifs. Comme le soulignent les auteurs, ces silences relatifs ne manquent pas d’interpeller sur la façon dont cette histoire a été vécue dans les régions concernées et sur la manière dont elle s’est inscrite, ou effacée, dans la mémoire collective.

2Un des intérêts de ce livre élargi de manière substantielle est donc d’étudier l’ensemble de « la ruta del horror », du Nord mexicain à la Perle des Antilles où les captifs, du moins les survivants, étaient vendus comme esclaves. Ainsi que le rappellent des auteurs, les Apaches, les Chichimecas voire les Seri concernés ne devaient pas être les derniers à connaître pareil sort. Jusqu’au milieu du xixe siècle, donc bien après l’Indépendance, ce qui ne manque pas rétrospectivement de paraître étrange, les Yaquis en révolte du Sonora, les Mayas prisonniers lors de la « Guerre des castes » allaient subir un destin identique et se retrouver dans la grande île alors sans cesse en pénurie de bras pour répondre aux nécessités du boom sucrier.

3Le livre s’ouvre sur des chapitres situant les problèmes étudiés dans le nouveau cadre de la confrontation imposée par la Conquête, puis la colonisation, aux populations indigènes du Grand Nord mexicain : les crises et les déséquilibres que cette invasion créa dans leur société, les nouvelles règles de la cohabitation ou de la confrontation avec les Européens puis les créoles. Cette nouvelle situation fut aussi en grande partie la conséquence, et la justification ultime, des images que les Espagnols, autour du concept de barbarie, construisirent et manipulèrent au mieux de leurs intérêts. Ce n’est là qu’un exemple parmi bien d’autres à l’époque coloniale.

4Le corps central de l’ouvrage porte, comme l’indique le titre du livre, sur la route des « colleras » ces longues chaînes de captifs, rappelant celles du début du xvie siècle, conduits de leur région d’origine jusqu’à Veracruz sur des milliers de kilomètres et durant des mois de transfert à travers le Mexique. On y voit dans le détail le véritable et interminable calvaire enduré par les captifs : changements de climats, dénuement, mauvaise alimentation, longueur des étapes et du voyage dans son entier, mauvais traitements et terribles punitions affectant hommes, mais aussi femmes et enfants indistinctement razziés, avec comme objectif, du moins à une époque, vers les années 1769-1777, ce que les auteurs n’hésitent pas à qualifier de « solution finale » de la « question apache », toujours sans solution dans la perspective coloniale.

5Ces aspects humains, peu présents dans les travaux antérieurs sur la question, retiennent avec raison l’attention des auteurs. Ils ont aussi analysé avec précision les aspects financiers de ces interminables transferts dont la bureaucratie coloniale a conservé avec soin le souvenir et qui permet ainsi d’avoir, indirectement, une idée précise du fonctionnement des « colleras ». Un regret toutefois : s’il a été possible d’analyser certains de ces convois, les auteurs n’ont pas pu établir un bilan total, ce qui ne permet donc pas d’avoir une idée d’ensemble de l’ampleur du phénomène, au moins à l’époque où il a été le plus intense.

6À Cuba, ces captifs eurent des destins divers qui sont retracés. Les hommes furent surtout employés aux travaux de construction ou de reconstruction des défenses de La Havane, en particulier ceux de l’arsenal. Quant aux femmes et aux enfants, on les retrouve surtout comme esclaves domestiques avec des destins très variés.

7Dans les éditions précédentes, le livre se terminait sur la participation de ces Indiens, devenus esclaves à Cuba, aux rébellions contre la société esclavagiste de l’île au début du xixsiècle, et par là sur leurs possibles liens de solidarité avec les Noirs et les mulatos en rupture. Les chapitres ajoutés à la présente édition ont sensiblement complété ce propos avec une documentation sinon abondante du moins très révélatrice du Real Consulado de La Havane et des cabildos. On voit bien ainsi que par leur nombre et leurs refus du sort qui leur était fait, ces captifs furent pour les corps constitués cubains, et de façon durable, un sujet réel de préoccupation venant s’ajouter aux autres créés par le développement brutal de la société sucrière esclavagiste.

8Ce livre, nourri d’une abondante documentation en provenance des Archives Générales des Indes de Séville, des Archives Nationales du Mexique et de Cuba, complétées dans ce dernier cas par les archives municipales de villes comme Camagüey et Sancti Spiritus, a plusieurs mérites. Il offre une vue d’ensemble de la question de ses origines dans le Grand Nord mexicain à Cuba, il s’attarde à juste titre sur les aspects humains de cette tragédie, et apporte un élément important à la connaissance de l’esclavage indien qui, sous des masques divers, fut loin de disparaître de l’empire après les interdictions officielles du xvie siècle, en vertu du vieux proverbe espagnol « quien pone la ley pone la trampa ».

9Ajoutons que l’ouvrage se termine sur une bibliographie très utile des travaux existants sur la question, avec selon les cas des faiblesses ou des apports documentaires de qualité, et sur un cahier d’une dizaine de pages de représentations picturales d’époque des Indiens du Nord mexicain, très révélatrices de la manière dont les Espagnols et les Mexicains concevaient alors la « barbarie » de ces Indiens traités dans les colleras selon les règles d’une autre barbarie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Lavallé, « Hernán M. Venegas Delgado, Carlos M. Valdés Dávila, La ruta del horror, esclavos indios del noroeste novohispano y sus rebeliones en Cuba »Caravelle, 120 | 2023, 198-200.

Référence électronique

Bernard Lavallé, « Hernán M. Venegas Delgado, Carlos M. Valdés Dávila, La ruta del horror, esclavos indios del noroeste novohispano y sus rebeliones en Cuba »Caravelle [En ligne], 120 | 2023, mis en ligne le 16 juin 2023, consulté le 26 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/14381 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.14381

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