Rogelio Altez, A duras penas. Sociedad y naturaleza en Venezuela durante el periodo colonial
Rogelio Altez, A duras penas. Sociedad y naturaleza en Venezuela durante el periodo colonial, Madrid, CSIC, 2022, coll. “Estudios americanos”, 212 p.
Texte intégral
1Déjà promise à un bel avenir avant la crise sanitaire provoquée par le Covid, l’historiographie des catastrophes et désastres naturels a connu un développement certain dans le domaine américaniste, en lien très fréquemment avec l’histoire de l’environnement, elle aussi à l’origine de publications majeures. Pour la période coloniale, peste et épidémies occupent certes une place prépondérante, suivies par les catastrophes naturelles (plagas, sequías) et autres séismes du quotidien dans la société d’Amérique espagnole. Cet ouvrage de Rogelio Altez, anthropologue et historien bien connu pour ses nombreux travaux sur les désastres et catastrophes naturelles dans le Venezuela colonial, reprend en partie l’argumentation consacrée à l’occasion d’une thèse soutenue à l’Université de Séville et qui donna lieu à la publication d’un ouvrage essentiel sur le sujet (Historia de la vulnerabilidad en Venezuela : siglos xvi-xix, Sevilla, CSIC/Universidad de Sevilla/Diputación de Sevilla, 2016). Ses recherches reposent en effet sur une hypothèse et concept en grande partie inédits, celle de la vulnérabilité des sociétés étudiées en contexte colonial et au-delà, une problématique dont les échos dans le temps présent ne manqueront guère et dont l’auteur n’a de cesse de développer les aspects critiques dans ses travaux récents. De l’universel au particulier, c’est du contrôle des territoires d’Amérique espagnole dont il est question ici, et qui constitue l’armature temporelle et spatiale de l’ouvrage.
2A duras penas se caractérise en effet par une démarche réflexive qui se déploie autour de la notion de menace naturelle et effectue par conséquent une révision – et critique – historiographique autour des thèmes évoqués, renouvelant les catégories communément utilisées à l’endroit de la société indiana. Partant de considérations braudéliennes, en d’autres termes de la variabilité des sociétés du Nouveau Monde, l’auteur souligne l’importance du processus historique sur le long terme et de ses facteurs de vulnérabilité pour les régions historiques, leur contexte naturel et environnemental, les sociétés coloniales hispano-américaines et l’espace vénézuélien en particulier. Après un premier chapitre consacré à des définitions revisitées et à leur fonction méthodologique (i.e. : société coloniale, l’unité historique d’un territoire et ses dimensions régionales, les modalités de peuplement et d’« implantation » dans la Capitanía General puis les réformes des Bourbons, le régime des Intendances (1776) et son accélération fulgurante en termes institutionnels : évêché de Mérida 1777, Audience de Caracas 1786, évêché de Guyane 1790, consulat de commerce de Caracas 1793, et archevêché de Caracas 1803), toutes évolutions dûment soulignées par des voyageurs et scientifiques tels que Humboldt ou Codazzi), l’auteur en décrit les interactions (sociales, économiques, institutionnelles etc.), mais également les continuités apparentes. « Contenir la nature » (chap. 2) va mettre l’accent sur les processus d’adaptation, notamment depuis la perspective d’une « « écologie culturelle, et des relations à l’environnement, en termes de pratiques mais aussi de réalités matérielles, comme le démontre l’exemple des salines d’Araya et de leur développement à partir du xvie siècle et de la demande européenne. Les « parents pauvres de Terre Ferme » (chap. 3) et la précarité des fondations urbaines et des réalisations architecturales, le processus de colonisation même de la région, sont abordés dans leur matérialité voire leur pauvreté par rapport à d’autres régions d’Amérique (métaux précieux, communautés indigènes plus sédentaires, à même d’être incorporées aux activités économiques des colons) et ce que l’auteur qualifie d’« agro dépendance ». La capitale Caracas n’en fut pas tout à fait exempte, malgré la croissance économique enregistrée au xviiie siècle grâce au commerce du cacao en particulier. Les « trames de la vulnérabilité » (chap. 4) sont détaillées (accès à l’eau, infrastructures, y compris de défense, protection du territoire ainsi vers Cumaná, édification de ponts). La nature apparaît ainsi comme une « menace » (chap. 5) à divers égards, liée à des phénomènes naturels comme aux conditions environnementales, géologiques et géomorphologiques des milieux naturels recensés dans le Venezuela colonial (cordillères, zone côtière, llanos etc.). Les séismes (restés dans la mémoire collective comme en 1812, quand les principales villes, y compris les plus anciennes, en furent victimes), glissements de terrain et autres inondations liées au climat en sont une composante fréquente, à laquelle l’auteur consacre des pages extrêmement précises, les répertoriant année par année tout en listant les dommages occasionnés aux bâtiments et à l’architecture urbaine. Les épidémies font l’objet d’un recensement tout aussi précis, s’appuyant sur une historiographie importante et des documents d’archives, de même que les pertes de récolte et famines.
3La définition des désastres est précise, l’événement résultant de la conjonction d’un phénomène naturel dangereux et d’une société ou d’un contexte de vulnérabilité (en référence aux travaux de Virginia García Acosta). Des « conjonctures de désastres » sont identifiées pour les régions de Mérida, Caracas et Cumaná : ainsi au début du xviiie siècle dans les environs de Cumaná (sécheresse, sauterelles et… voleurs, 1704), dans la région andine au xviie siècle (1764, tremblements de terre), ou encore les épidémies qui, à plusieurs reprises, déciment la population de Caracas (variole notamment, peste, fièvre jaune). La vigilance des gouverneurs puis des intendants est ici une source d’information essentielle. Les rapports de l’intendant Francisco de Saavedra (1783) présentent à cet égard un intérêt crucial pour les dernières décennies du xviiie siècle : il s’agit en effet d’une « impossible prospérité », vulnérable au quotidien, située sur les marges de l’empire (absence de métaux précieux), résultant de « déséquilibres structurels » malgré une croissance relative et le rôle de certaines productions nouvelles, outre le cacao à l’origine des fortunes d’un nombre réduit d’hacendados créoles voire de compagnies le commercialisant (Compañía Guipuzcoana) liées de la sorte au trafic d’esclaves, et le tabac, la canne à sucre, le café et l’indigo (chap. 6).
4La rupture des liens avec la métropole suite à la première révolution d’Indépendance du continent, ne constitue par conséquent pas une « solution » à cette « catastrophe incommensurable » aussi bien pour une société appauvrie que pour son économie déclinante, résultante de trois siècles de relations avec le milieu naturel : pour l’auteur, le modèle colonial prit fin sur un désastre. Le modèle d’analyse transversal donnera certes, matière à discussion, peu de catégories échappant à la critique de l’auteur. Il n’en reste pas moins que la précision de l’argumentation, fondée sur des recherches minutieuses dans les archives « américaines » et européennes, sans compter ses propositions critiques, à des années-lumière d’une histoire impériale, font de cet ouvrage une référence aussi bien d’histoire des catastrophes que d’histoire sociale.
Pour citer cet article
Référence papier
Frédérique Langue, « Rogelio Altez, A duras penas. Sociedad y naturaleza en Venezuela durante el periodo colonial », Caravelle, 119 | -1, 198-200.
Référence électronique
Frédérique Langue, « Rogelio Altez, A duras penas. Sociedad y naturaleza en Venezuela durante el periodo colonial », Caravelle [En ligne], 119 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/13549 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.13549
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