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Comptes rendus

Fernando Rosas Moscoso, La crisis del siglo xvii: un ensayo de nueva historia global

Bernard Lavallé
p. 188-190
Référence(s) :

Fernando Rosas Moscoso, La crisis del siglo xvii: un ensayo de nueva historia global, Lima, Universidad Ricardo Palma, 2022, 415 p.

Texte intégral

1On a souvent remarqué (parfois pour le regretter) qu’en Amérique latine les recherches historiques et les ouvrages qui en découlaient portaient de manière presque exclusive sur le passé national. Tel n’est pas le cas du livre de Fernando Rosas Moscoso qui s’inscrit dans la ligne de l’histoire globale apparue depuis quelques décennies. Il réunit des travaux de l’auteur déjà publiés et remaniés (dans ses deux premières parties) ainsi que des recherches inédites (dans la troisième de près de deux cents pages).

2Le livre s’ouvre sur des réflexions théoriques autour de la notion de crise, largement utilisée en histoire, mais bien plus complexe qu’on ne le croit généralement, du fait, entre autres, pour l’époque étudiée, du poids variable des États et de leurs politiques, de l’existence de territoires coloniaux, de la concurrence des marchés, des situations du monde agraire, des facteurs climatiques, des contextes de décadence venant de loin, sans compter que dans une même société toutes les composantes ne furent pas affectées de la même façon, selon le même rythme, ni avec la même intensité. Fernando Rosas Moscoso souligne aussi que parfois les sociétés peuvent utiliser les crises comme moyen de déblocage et de projection des énergies positives. Il parle d’ailleurs de la « double face » des crises souvent devenues des turning points.

3La crise générale du xviie siècle est bien connue. On se souvient du diagnostic de John Eliott pour l’Espagne, des réflexions comparatives de Ruggiero Romano, plus récemment des travaux de Geoffrey Parker. Sur cette question comme pour bien d’autres, les recherches menées dans la perspective de l’histoire globale ont à la fois élargi les connaissances, nuancé les affirmations généralisatrices et montré surtout les raisons et les effets de l’imbrication des mondes, qui alors se mit en place à une autre échelle et avec une intensité jusque-là inconnue.

4La seconde partie du livre analyse d’abord successivement le cas de la Hollande, de l’Italie de l’Angleterre et de l’Espagne face à la crise du xviie siècle. La première, du fait de son histoire particulière et de son indépendance alors récente, tira parti de la crise généralisée, en particulier grâce à la diversification de ses activités et à sa flexibilité. Le cas hollandais permet aussi de comprendre comment la crise du xviie siècle lui fut positive dans la mesure où elle permit au système capitaliste de poser les bases de profondes transformations politiques, sociales, économiques et culturelles au siècle suivant.

5En Italie, la situation était en tout différente : des États morcelés aux moyens souvent faibles, à la position difficile face au pape ou à la couronne d’Espagne, des groupes dominants tantôt issus de la vieille aristocratie nobiliaire tantôt expression d’une puissante bourgeoisie marchande, industrielle ou financière, le poids des villes face aux campagnes. De manière très suggestive, ce chapitre se clôt sur une analyse d’indicateurs mentaux, selon l’expression de l’auteur, dans lesquels il voit de manière assez évidente et révélatrice des phénomènes de compensation, d’évasion ou de retour à un certain équilibre qui, comme dénominateur commun, doivent être pensés « dans la nature complexe d’une crise de décadence ».

6Pour l’Angleterre, Rosas Moscoso montre comment l’expansion démographique mais aussi un certain essor économique, bien qu’impactés par la guerre civile, révèlent dans la continuité une croissance significative. De plus, la crise agricole, notable dans la plupart des pays du continent au cours de la seconde moitié du siècle, ne semble pas avoir affecté ce royaume qui au contraire connut à cet égard un développement continu jusque vers 1750. D’une façon générale, les analyses révèlent un take off qui devait avoir un réel effet sur l’industrialisation à venir. Comme pour l’exemple italien, l’auteur porte une attention particulière aux indicateurs politiques et sociaux mais aussi aux changements (ou aux évolutions) des mentalités, liés à l’influence des nouvelles idées commerciales et juridiques. Il en est résulté de profondes mutations dans la vie sociale, politique mais aussi individuelle et familiale, la Couronne accompagnant les modifications des patrons de consommation. Ils eurent pour effet d’augmenter les productions nationales mais aussi de remplacer les concurrents européens sur leurs réseaux commerciaux, avec les conséquences internationales que l’on sait.

7Pour ce qui est de l’Espagne, mieux connue des hispanistes et des latino-américanistes, l’auteur se contente modestement de « Notas en torno a España y la crisis del siglo xvii ». Il reprend les grands débats que l’on sait (Carande, Morineau, Sanz Ayán, etc.) mais là aussi en faisant une place significative au contexte des mentalités collectives, comme l’avait fait Pierre Vilar.

8Cette série ne pouvait bien sûr faire l’économie de la crise du xviie siècle au Pérou et rappelle les nombreux travaux qui, d’une manière ou d’une autre, ont travaillé la question selon des angles d’attaque variés, dans des régions et sur des aspects très divers. Le livre examine ensuite ce que révèlent au cours de cette époque les indicateurs politiques, économiques, sociaux et mentaux. En prenant soin de souligner les inflexions sensibles au cours des décennies. Avec Andrien, Rosas Moscoso montre que jusqu’en 1660 les manifestations diverses de la crise sont manifestes. Après cette date commence une récupération économique d’abord lente puis plus nette par la suite et plus sensible que dans la plupart des régions européennes.

9Ces pages permettent à l’auteur de réexaminer la théorie bien connue de Ruggiero Romano sur les « conjonctures opposées » en Europe et en Amérique, mais aussi de rappeler la double face de toute crise qui, dans le cas de celle du xviie siècle, affecta de manière parfois contrastée les différentes régions de l’empire américain.

10La troisième partie de l’ouvrage nous transporte dans un autre espace lointain de l’Europe et de l’Amérique, mais néanmoins lié à elles de bien des façons : l’océan Indien bientôt inséparable de l’autre océan dit Pacifique. Elle le fait dans une perspective de rupture avec l’historiographie europeo-centrique qui a longtemps prévalu, en insistant sur le poids de l’Inde et de la Chine à l’époque étudiée, en montrant les raisons et les effets d’une économie polycentrée qui de ce fait s’étendait des ports européens aux côtes américaines et ne répondait pas forcément de manière mécanique et soumise aux intentions et aux injonctions économiques et politiques des lointaines capitales coloniales.

11Pour ce faire, Fernando Rosas Moscoso examine successivement le contexte géographique de l’océan Indien, ses ports, ses hinterlands et ses zones sensibles (golfe d’Aden, golfe Persique, Ormuz, Bandar Abbas), les routes de l’or et de la soie. Il retrace aussi les grands moments de cette vaste région : les empires safavide, ottoman et mongol, le sultanat du Gujarat, le royaume de Birmanie, etc. C’est ensuite le tour de l’irruption portugaise et son contexte ibérique, avant que n’apparaissent de nouveaux protagonistes de plus en plus puissants et présents, les Hollandais de la VOC, puis les Anglais de l’EIC dont les compagnies offraient sans doute un modèle plus efficace dans le cadre du monde émergent du mercantilisme planétaire.

12Sur les côtes asiatiques bientôt devenues inséparables de l’océan Indien, l’auteur analyse le rôle de la Chine, du Japon, de Macao, de Taiwan, bien sûr des Philippines, avec le port de Manille qui ouvrait une autre route à l’Asie vers le monde américain et au-delà hispanique et européen. Il s’intéresse aussi au Sud-Est asiatique (Cambodge et Siam) souvent oublié mais qui ne resta pas à l’époque à l’écart des luttes impériales et de l’essor économico-commercial que connut cette région du monde. Enfin, une place particulière est faite aux archipels des épices, que se disputèrent Portugais et Espagnols avant que les Hollandais n’y établissent un véritable empire colonial insulaire qui allait durer jusqu’à la seconde guerre mondiale du xxe siècle.

13Poursuivant cette dynamique mondiale des échanges, Fernando Moscoso s’intéresse enfin à ce qu’il appelle « les pulsations périphériques occidentales » à savoir les conséquences ou les répercussions de ce qui devint une première mondialisation dans des espaces où on les attendait moins, en Afrique du Sud et occidentale, dans l’Atlantique Sud, avec l’émergence de Buenos Aires « porte atlantique du Pérou ».

14Ce livre très documenté et dynamique, qui entend avec bonheur sortir des idées plus ou moins convenues, est un très sérieux apport à deux questions essentielles concernant le xviie siècle : d’une part, la réalité (les réalités, les nuances, les contradictions, les effets en contrecoup) de la crise généralisée dont il est si souvent question, d’autre part, l’étude de la mondialisation de l’économie à cette époque, dont l’expression mondialisation ibérique a sans doute faussé le sens, réduit la portée et tout simplement la réalité multifactorielle et polifacética comme on dit en espagnol, globale selon l’expression de l’histoire qui s’est attachée ce terme. Par la même occasion, cet ouvrage fait aussi comprendre l’importance du xviie siècle longtemps sous-estimé voire méconnu pour le développement du capitalisme qui allait donner au siècle suivant le cours que l’on sait.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Lavallé, « Fernando Rosas Moscoso, La crisis del siglo xvii: un ensayo de nueva historia global »Caravelle, 119 | -1, 188-190.

Référence électronique

Bernard Lavallé, « Fernando Rosas Moscoso, La crisis del siglo xvii: un ensayo de nueva historia global »Caravelle [En ligne], 119 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/13382 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.13382

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