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Dossier – L’Anthropocène, vu d’Amérique latine

Table ronde : Vers une histoire transatlantique de l’anthropocène ?

Antoine Acker, Sébastien Rozeaux, José Augusto Pádua, Iva Peša et Charles-François Mathis
p. 107-126

Texte intégral

1Cette table ronde s’est tenue le 16 mars 2022 à la Maison de la recherche de l’Université Toulouse Jean Jaurès. Elle a été organisée par Antoine Acker (IHEID Genève) et Sébastien Rozeaux (Framespa), avec le soutien de l’IPEAT, de la Chaire Amérique latine, de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse (Atecopol), de l’IHEID et du Fonds national suisse. Y ont participé Charles-François Mathis (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), José Augusto Pádua (Université fédérale de Rio de Janeiro, Brésil) et Iva Peša (Université de Groningen, Pays-Bas), tous trois spécialistes en histoire environnementale de l’Europe, de l’Amérique latine et de l’Afrique, respectivement.

Antoine Acker et Sébastien Rozeaux : Quelles sont les singularités et les évolutions de l’histoire environnementale pour la région que vous étudiez ? Y assiste-t-on à une inflexion que l’on peut identifier de façon plus large, en direction d’une histoire connectée aux problématiques écologiques, planétaires, et peut-être à la question du changement climatique qui nous obsède de plus en plus ? Comment envisagez-vous la notion d’anthropocène, désormais omniprésente dans ces débats ?

  • 1 Chakrabarty, Dipesh, The Climate of History in a Planetary Age, Chicago, University of Chicago Pre (...)

Iva Peša : L’histoire environnementale en Afrique n’est pas vraiment récente. Il y a eu, depuis une vingtaine d’années, des histoires environnementales. Mais elles se sont surtout focalisées sur la vraie « nature », les parcs nationaux, l’agriculture. Je crois qu’avec ce tournant vers l’anthropocène, il y a eu aussi plus d’attention portée sur l’histoire environnementale urbaine, les industries. Dipesh Chakrabarty insiste dans son dernier ouvrage, The Climate of History in a Planetary age (2021), sur l’importance de ce tournant vers le planétaire1. C’est un peu problématique parce que Chakrabarty a dit que le changement climatique allait toucher toute la planète, mais il n’a pas vraiment distingué les vulnérabilités et responsabilités des différentes parties du monde. La position de la Grande-Bretagne dans l’anthropocène est différente de celle du Congo, et il est important d’y réfléchir. Bien sûr, le changement climatique est un phénomène planétaire, mais il y a aussi des différenciations.

José Augusto Pádua : Travailler avec des perspectives globales et planétaires me semble essentiel, mais il est nécessaire d’examiner la manière de travailler avec ces catégories. Il y a quelques décennies, la pensée sociale latino-américaine travaillait beaucoup dans une perspective globale, influencée par le concept de « système mondial » (world system), des relations entre centre et périphérie dans le monde contemporain. Il s’agissait d’une perspective qui prétendait être mondiale, bien qu’elle ne soit que modérément planétaire, pour reprendre la distinction développée par Chakrabarty, parce qu’il fait la distinction entre le global, dans ses relations interhumaines, et le planétaire, la vie d’une planète qui existe depuis bien avant l’apparition des humains et qui, probablement, demeurera après la fin de la présence humaine sur cette Terre. La vision du système mondial a pris en compte le monde biophysique d’une manière limitée, essentiellement comme une réserve de ressources matérielles pour l’économie mondiale. Cette perspective a été largement abandonnée parce qu’elle était devenue trop rigide et ne tenait pas suffisamment compte des nuances et complexités des contextes sociaux, locaux et nationaux. Par moments, c’était presque comme si les pays périphériques étaient des marionnettes des forces « centrales » du capitalisme contemporain. 

À un très haut niveau d’agrégation, il y a, bien sûr, la relation entre l’humanité et la planète. Nous dépendons tous de l’existence de la planète, de l’atmosphère, de l’interaction de la planète avec le soleil, la lune, etc. Mais, en même temps, l’expérience concrète des humains s’inscrit dans des lieux spécifiques, circonscrits. On doit également tenir compte du fait que ces expériences physiques sont ensuite imbriquées dans des contextes historiques, sociaux et culturels locaux, régionaux, nationaux, etc. Penser uniquement dans le contexte de l’humanité et de la planète, comme c’est le cas dans la plupart des débats sur l’anthropocène, peut devenir excessivement rigide et abstrait. Il est essentiel de localiser l’histoire de l’anthropocène, c’est-à-dire penser en même temps l’anthropocène planétaire et l’anthropocène qui se construit et se renouvelle dans la diversité des espaces locaux ou nationaux. 

L’historiographie de l’environnement en Amérique latine est relativement récente et beaucoup de thèmes et de lieux ont été jusqu’aujourd’hui peu travaillés. Il y a une certaine tendance à discuter de thèmes internes à notre macro-région plutôt que de thèmes mondiaux, planétaires. Il est clair que la frontière entre ces deux domaines est ténue car on ne peut pas penser à l’histoire de l’Amérique latine sans considérer sérieusement la présence de la région dans la constitution des chaînes globales de circulation de marchandises et de ressources naturelles, ou dans les flux de travailleurs asservis dans le monde moderne.

  • 2 Pádua, José Augusto et Carvalho, Alessandra Izabel de, “The construction of a tropical country: a (...)

Dans une enquête récente que j’ai publiée, centrée sur le cas de l’historiographie sur le Brésil, j’ai réparti la production livresque depuis les années 1970 en six thèmes : Forêts, Agriculture et élevage, Biodiversité et extraction de la flore et de la faune, Dynamiques urbaines et industrielles, Régions, territoires et socio-diversité, Pensée environnementale et environnementalisme2. Les interactions du Brésil avec d’autres régions et pays, que ce soit par les flux matériels ou culturels, apparaissent dans certains de ces travaux, mais ils sont rarement envisagés dans une perspective globale. Une exception, cependant, est le livre Brazil and the Struggle for Rubber : A Study in Environmental History (1987) de Warren Dean, qui réfléchit au problème de la domestication de l’hévéa et de la production de caoutchouc par le biais de plantations au niveau mondial, en soulignant la place de l’Amazonie brésilienne dans cette histoire.

  • 3 Magalhães, Nelo, Fressoz, Jean-Baptiste, Jarrige, François et alii, « The Physical Economy of Fran (...)

Charles-François Mathis : Pour la France, l’Angleterre et peut-être l’Europe, cela fait une vingtaine d’années que l’histoire environnementale commence vraiment à se faire entendre. Il me semble que le concept d’anthropocène a aidé à cela. Il a été beaucoup repris dans les journaux, en réponse aux questions du changement climatique, et a légitimé, en quelque sorte, les travaux d’histoire environnementale. Je pense notamment à celui de nos collègues Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil, L’événement anthropocène (2013). Pour préparer cette table ronde, j’ai regardé le programme de la Société européenne d’histoire environnementale (ESEH) en 2019. Quand on regarde les titres des sessions, des communications, très peu mobilisent ce concept. Je fais partie du comité qui a sélectionné le meilleur article d’histoire environnementale de l’ESEH. On a reçu une trentaine d’articles de toute l’Europe. Ce n’est pas totalement représentatif mais ça donne une idée de la production actuelle. Là encore, le mot anthropocène apparaissait parfois en introduction, en conclusion, mais cette dimension proprement planétaire de l’histoire environnementale telle que la voudrait Chakrabarty n’est pas vraiment saisie. Je crois que les raisons sont celles qui ont été notamment évoquées par mes collègues. Les expériences réelles des individus aujourd’hui dans l’histoire sont des expériences locales. C’est à cette échelle qu’on trouve des sources et des traces qui permettront de faire de l’histoire. Il est, en ce sens-là, assez significatif de voir, quand on regarde la collection « Anthropocène » au Seuil, qui a été fondée par Christophe Bonneuil, qu’il y a très peu d’historiens. C’est parce que l’anthropocène dans ce sens-là, et en suivant ce que dit Chakrabarty autour de ces approches en termes de globe et de planète, apporte des éléments conceptuels de réflexion qui sont mobilisés en géopolitique ou en philosophie, mais qui sont difficiles à traduire concrètement dans une production historique, si ce n’est dans la prise en compte d’échelles différentes, c’est-à-dire : entremêler le local, le régional, le national, le mondial, l’international et le planétaire. Ceci n’est pas forcément toujours très évident, ou alors dans une approche qui s’appuie sur la quantification, la circulation de matière, d’énergie, de biens, etc. Je pense à un article très intéressant de Nelo Magalhães, Jean-Baptiste Fressoz, François Jarrige, Thomas Le Roux, etc., dans Ecological Economics, qui traite de l’économie physique de la France entre 1830 et 2015 et évoque ces flux de matière3. Il présente la France comme un parasite mondial qui ne peut se développer que par le recours à des importations massives d’énergie, notamment de charbon en provenance d’Angleterre et de Belgique, et de bien d’autres territoires. Si on cherche les traces véritables de ces réflexions sur l’anthropocène et de son application d’une manière ou d’une autre, il s’agit souvent d’une histoire de l’énergie, parce qu’on a moyen de mobiliser ces aspects quantitatifs, loin d’être suffisants, évidemment. 

  • 4 Hecht, Gabrielle, Being Nuclear: Africans and the Global Uranium Trade, Cambridge MA, MIT Press, 2 (...)

Iva Peša : Je crois que le concept récent de global microhistory offre peut-être des opportunités pour connecter différents lieux dans le monde par rapport à des marchandises et ressources spécifiques comme, par exemple, le caoutchouc. Gabrielle Hecht a écrit une histoire mondiale de l’uranium, dans laquelle elle retrace la production et la circulation de minerai d’uranium au Gabon et en Afrique du Sud ainsi que son traitement en France4. Cela peut également permettre de faire une connexion entre les lieux :  l’environnement, le mondial et le planétaire ; voir comment ces différentes choses se passent en même temps.

Antoine Acker : Je suis d’accord avec le diagnostic sur la difficulté de faire une histoire planétaire même si, finalement, le changement climatique nous place, en tant qu’historiens, dans une position un peu inédite, car on se retrouve face à un phénomène planétaire, en cela que les molécules de CO2, elles, ne se différencient pas régionalement. Elles se retrouvent dans l’atmosphère sans que l’on sache exactement d’où elles viennent.

  • 5 Malm, Andreas, Fossil capital: The rise of steam power and the roots of global warming, Londres, V (...)
  • 6 Ruddiman, William F., Plows, Plagues, and Petroleum, Princeton, Princeton University Press, 2010.

Je crois que cette tentative de théoriser le changement de la planète, à travers un diagnostic sur l’histoire humaine, existe. Les historiens le font assez peu, en effet. Il y a, par exemple, Andreas Malm, qui est plutôt un sociologue de l’économie5. Pour lui, cette histoire de l’anthropocène est l’histoire du capitalisme. Elle commence avec l’entrée de la machine à vapeur dans l’industrie textile britannique et se poursuit jusqu’au nouveau rôle de la Chine comme usine du monde à la fin du xxe siècle. Il y a aussi cette idée de relier l’histoire de l’anthropocène et l’histoire de l’espèce humaine, une histoire de l’évolution qui a plutôt été développée par des biologistes évolutionnistes comme William Ruddiman6. Les historiens ont assez peur de cette vision de long terme, parce qu’ils l’assimilent souvent à de l’essentialisme. Il y a aussi cette volonté, chez les historiens et les anthropologues, de relier l’histoire de l’anthropocène à celle de la colonisation : expliquer comment les empires modernes et la mise en place d’une économie atlantique puis globale ont créé de nouveaux besoins énergétiques, de nouveaux standards de mobilité, de surexploitation des ressources naturelles, qui ont conduit à ce changement planétaire.

  • 7 Pomeranz, Kenneth, The Great Divergence, Princeton, Princeton University Press, 2001.
  • 8 McNeill, John R., “Cheap Energy and Ecological Teleconnections of the Industrial Revolution, 1780- (...)

Ainsi, on peut connecter des réalités régionales différentes. Il y a des concepts comme celui de l’historien Kenneth Pomeranz qui répond un peu à cette idée de pays parasites ; les puissances industrielles auraient vécu des « hectares fantômes » qu’elles avaient dans leurs colonies et de la main-d’œuvre exploitée là-bas7. Il y a ce que John McNeill appelle les « teleconnections », c’est-à-dire la façon dont les dynamiques de croissance d’un pays industriel peuvent bouleverser les paysages et les écologies à l’autre bout du monde8. Je pense aussi à l’idée de plantationocène, selon laquelle le système des plantations, le commerce atlantique et l’esclavage ont créé de nouveaux besoins énergétiques, et sont intimement liés à l’industrie textile britannique, par exemple. On a donc des concepts qui font le lien entre des histoires régionales, une histoire mondiale et l’échelle planétaire. Cela renvoie aussi à la question des origines de l’anthropocène : quand l’anthropocène a-t-il commencé ? Quand les écologies de la planète ont-elles commencé à se connecter vers une trajectoire de dégradation à grande échelle ? 

José Augusto Pádua : Si le concept de l’anthropocène prend autant de place dans les débats académiques et politico-culturels, c’est parce que les concepts précédents, tels que la modernité et la mondialisation, ne suffisent plus à aborder une dimension fondamentale du monde contemporain : l’entrée du planétaire et du biophysique au centre de la discussion quant au devenir des sociétés humaines. Selon moi, et je suis là les recherches de John McNeill, la transformation quantitative de l’action humaine en une force géophysique remonte à la Grande Accélération, qui est un point de rupture, avec la forte croissance de beaucoup d’économies après la Seconde Guerre mondiale. Elle est issue d’une histoire complexe qui passe par les systèmes coloniaux, les révolutions industrielles, etc. Ainsi, la discussion sur l’origine de l’anthropocène peut devenir stérile et sectaire car, en histoire, les changements majeurs ne se produisent pas de manière simultanée et géographiquement homogène. Plus qu’un système mondial, j’aime penser aujourd’hui à une histoire connectée qui se construit sur le mouvement même des sociétés et de leurs interactions. Je ne pense pas qu’une conspiration internationale venue d’en haut ait conduit différents pays à entrer dans une Grande Accélération. Mais certains facteurs ont convergé dans cette direction : la disponibilité du pétrole bon marché en provenance du Moyen-Orient, la formation d’entreprises de plus en plus transnationales dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la disponibilité du crédit via la Banque mondiale (créée en 1944) et d’autres institutions, la constitution d’un fort imaginaire politique autour de l’idéologie du développement (après la guerre), etc. Mais l’idée d’un partage des facteurs historiques ne signifie pas qu’il faille penser à des mouvements mondiaux automatiques. De nombreux pays et régions du monde ne sont pas entrés directement dans la Grande Accélération. Les histoires locales, y compris la présence du colonialisme, sont essentielles pour comprendre les différences de participation à la Grande Accélération. Même dans le cas d’un pays entré de plain-pied dans la Grande Accélération comme le Brésil, il y a eu à l’échelle locale de nombreux différends politiques, idéologiques et économiques pour que cela se produise. J’ai ainsi interrogé des personnes qui ont dirigé la politique économique du Brésil dans les années 1950 et 1960 : elles ont déclaré que l’entrée des multinationales de l’industrie automobile dans le pays avait été négociée. Cette négociation s’est traduite, implicitement, par un abandon progressif du réseau de transport ferroviaire. La même chose s’est produite aux États-Unis avec l’émergence des industries automobiles. Il y a beaucoup de médiations, de conflits, de confrontations de projets, en fonction des intérêts des groupes et classes sociales concernées. 

Charles-François Mathis : On peut toujours revenir en arrière, on peut choisir 1945 et dire : mais comment s’explique 1945 ? Alors, on propose la révolution industrielle. Oui, mais comment s’explique la révolution industrielle ? On remonte à Christophe Colomb. Oui, mais comment s’explique ce rapport à la nature d’appropriation ? On remonte au néolithique et à l’installation de l’agriculture. Du coup, il y a, à un moment, une sorte de dilution par des sauts en arrière constants et des explications qui font perdre son sens à l’anthropocène. Je suis d’accord aussi sur le fait que les conséquences de cette entrée dans l’anthropocène sont diverses selon les pays et avec des chronologies différentes. Mais dire ça, c’est dire que l’anthropocène n’a pas d’effectivité, en quelque sorte. Pour ma part, je pense que la révolution industrielle joue un rôle pivot. C’est aussi mon tropisme anglais et énergétique qui joue, mais pour une raison qui est la suivante : si l’on considère que l’anthropocène est le moment où l’humanité (avec des nuances : d’abord une certaine partie de l’humanité) acquiert un pouvoir global sur la planète, il faut qu’elle ait ce pouvoir, cette puissance. L’entrée vers un monde fossile, le recours à des énergies qui décuplent ou centuplent la puissance octroyée à une partie de l’humanité, est justement l’instrument de ce bouleversement qui ne s’opère pas immédiatement et est beaucoup plus notable après 1945.

  • 9 Malm, Andreas, Fossil Capital. The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Londres, V (...)

Il est intéressant, si on réfléchit à l’anthropocène, de penser à la façon dont on est entré dedans. C’est là que les travaux d’Andreas Malm me paraissent intéressants, même si je ne partage pas toujours ce qu’il dit. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il a travaillé sur les débuts de l’industrialisation en Angleterre, notamment autour de l’industrie textile9. Il a voulu montrer que l’industrie textile a, au départ, tardé à utiliser le charbon pour faire fonctionner ses machines parce que l’énergie hydraulique restait bon marché, facile d’utilisation, très puissante. D’après lui (c’est sa thèse), le passage au charbon résulte d’une volonté de contrôler la main-d’œuvre. L’avantage est de montrer que ce passage aux énergies fossiles, qu’on peut répliquer pour le pétrole ou pour bien d’autres phénomènes, n’a rien d’automatique et résulte de différents mouvements convergents. Mais il accorde, à mon sens, une importance démesurée à l’industrie textile. À force de réduire la focale – en passant du monde à l’Angleterre, de l’Angleterre aux industriels choisissant le charbon, et de ces industriels aux seuls patrons du textile –, on aurait pour un peu l’impression que quelques cotonniers du Lancashire ont fait entrer la planète dans l’anthropocène, en quelque sorte. Je caricature, mais c’est une vision qui me semble parfois un peu forcée. 

Iva Peša : Je voudrais dire que ces grands débats sur les origines de l’anthropocène portent en eux un potentiel décolonisant, en particulier pour l’Afrique et l’Asie. Mais ce potentiel n’est pas vraiment utilisé. En effet, les dates proposées pour le début de l’anthropocène ne cadrent pas précisément avec le tournant de l’histoire africaine, donc la colonisation et la décolonisation, qui sont très eurocentrées. En ce sens, les débats sur l’anthropocène pourraient permettre de décentrer le colonialisme européen dans l’historiographie africaniste, en soulignant l’importance historique d’autres événements. Or les débats sur la date de début de l’anthropocène restent très centrés sur l’Europe et l’Amérique et laissent peu de place à l’action africaine ou asiatique. Nous pouvons poser la question suivante : pourrions-nous envisager des dates de début différentes qui prennent au sérieux l’agency de l’Amérique latine, de l’Asie et de l’Afrique dans l’histoire de l’environnement ? C’est, à mon sens, une question importante mais pas encore suffisamment prise au sérieux dans l’historiographie.

Car les dates proposées pour le début de l’anthropocène ne concordent pas avec les dates de la colonisation, comme de la décolonisation. Donc, cela suggère que la colonisation n’est pas la chose autour de laquelle tourne l’histoire africaine. C’est toujours, par exemple, la révolution industrielle, la Grande Accélération, exogènes à l’Afrique, qui sont choisies pour déterminer le début de l’anthropocène. Ainsi, vue de Zambie, l’origine de l’anthropocène pourrait être le commencement de l’exploitation des minerais de cuivre. 

Antoine Acker : Je rappelle qu’un groupe qui s’appelle « La Commission internationale de stratigraphie » est en train de voter pour savoir si les géologues vont officiellement définir notre époque comme étant celle de l’anthropocène et définir une date qui devrait se situer au milieu du xxe siècle, mais qui doit encore être validée. Les historiens ne partagent pas ce besoin de fixer une date précise, dans un souci de nuance et de contextualisation, afin d’expliquer comment différents phénomènes se sont succédé dans la durée et dans une chaîne de causalité qui les relie entre eux.

Sébastien Rozeaux : On voit bien qu’on n’a pas tranché la question de la date. Quoi qu’en concluent les géologues, je ne pense pas que cela va déterminer, ni même vraiment grandement influencer notre façon d’y réfléchir. Ici, le consensus se fait plutôt autour d’une origine contemporaine, comme on le dit dans notre façon d’envisager la chronologie en France - un ancrage contemporain dont on voit bien cependant que, dès que l’on tire un ou deux fils, les perspectives s’ancrent dans des temps plus longs, plus anciens.

Dans les réponses que vous avez faites, le terme « énergie » a été récurrent et c’est là un sujet sur lequel on voulait revenir, tant cet enjeu nous semble essentiel. Le passage aux énergies fossiles est un changement majeur dans la perspective de l’anthropocène, que l’on peut voir de façon très éloignée dans la macrostructure et dans une approche quantitative, mais aussi appréhender comme vous le faites, Charles-François Mathis, dans La Civilisation du charbon (2021), vu par en bas, dans l’histoire presque quotidienne de la relation au charbon. Le cas du charbon en Angleterre se situe exactement au point d’articulation entre des logiques locales et globales, précisément parce que l’Angleterre est un empire et que le charbon et son économie se jouent aussi à une échelle plus globale, en lien d’ailleurs avec, au xviiie siècle et au xixe siècle, l’esclavage et les régimes différents d’énergie qui se superposent, se chevauchent.

  • 10 Debeir, Jean-Claude, Deléage, Jean-Paul, Hémery, Daniel, Une histoire de l’énergie. Les Servitudes (...)

Charles-François Mathis : Il me semble clair que l’anthropocène a beaucoup contribué à renouveler l’histoire de l’énergie depuis une quarantaine d’années. Dans les années 1980, on a commencé à réfléchir non pas tant à des sources d’énergie séparées (l’électricité, le pétrole, le gaz), mais à l’énergie dans son ensemble, avec l’histoire des « Servitudes de la puissance » de Deléage, Debeir et Hémery, par exemple10. À partir de là, ont émergé une réflexion plus générale sur l’énergie dans son rapport avec les sociétés humaines et l’Histoire, et, à l’occasion de la théorisation du concept d’anthropocène et des inquiétudes climatiques, des réflexions nouvelles sur le passage au charbon, au pétrole, et la façon dont cela s’est opéré. On a essayé alors d’aller au-delà de l’idée d’une histoire dirigée qui se faisait assez naturellement : on aurait choisi le charbon parce que c’était une énergie plus puissante, puis comme le pétrole était plus pratique, on l’adoptait, etc. Donc, il y a eu beaucoup de travaux centrés sur la révolution industrielle d’abord, puis sur le pétrole, qui ont mis en avant ces différents passages avec des réflexions autour de concepts comme celui de transition énergétique, lequel est critiqué par certains historiens. Jean-Baptiste Fressoz, notamment, montre qu’on est plutôt dans un processus d’accumulation d’énergies, en quoi il a parfaitement raison, mais il nie de ce fait l’existence des transitions énergétiques, ce que je conteste personnellement, en m’appuyant sur un autre concept, celui de système énergétique ou de régime énergétique, qui postule des liens entre certains choix énergétiques et les organisations politiques, économiques, sociales, culturelles qui utilisent ces énergies. Cette histoire de l’énergie qui essaye de mobiliser ces différents concepts tend de plus en plus vers une dimension sociale et culturelle, au-delà des simples aspects économiques, techniques, et montre comment, très concrètement, l’énergie est utilisée. On revient à cette dimension locale, concrète, matérielle, essentielle pour comprendre le passage à certaines énergies fossiles et les résistances pour les quitter, mais elle permet dès lors de faire le lien avec la dimension planétaire de l’anthropocène. Le travail que j’ai fait est, de fait, très centré sur l’Angleterre. Mais il est vrai qu’en réfléchissant à ces usages du charbon et en montrant la place des consommateurs (ça me paraissait important) dans ces histoires de transition et de résistance au changement, on pouvait pointer des éléments essentiels pour comprendre globalement la crise climatique, en quelque sorte.

  • 11 Clifford, Jim et Castonguay, Stéphane, « British Ghost acres and Environmental Changes in the Laur (...)
  • 12 Barak, On, Powering Empire. How Coal Made the Middle East and Sparked Global Carbonization, Berkel (...)

Je voudrais mentionner aussi les travaux de Stéphane Castonguay, un grand historien canadien qui mène un projet sur les « hectares fantômes » de l’industrialisation britannique11. Il montre comment le bois canadien a été central dans le développement de l’industrie britannique et qu’il y a eu des circulations énormes et des transformations des écosystèmes canadiens de certaines forêts, des plantations nouvelles de bois pour satisfaire les besoins du Royaume-Uni au xixe siècle. L’Angleterre a été un très grand exportateur de charbon, de plus en plus à mesure qu’on avançait dans le siècle, avec des maximums atteints au tout début du xxe siècle. Une partie de ces exportations, relativement faible, a été envoyée vers le Moyen-Orient. Un travail récent d’un historien israélien, On Barak, Powering Empire, montre comment ces exportations de charbon et l’installation des dépôts de charbon dans un certain nombre de places nécessaires pour l’approvisionnement et la circulation des bateaux à vapeur (notamment à Aden) ont transformé profondément les rapports sociaux, l’économie de ces pays et une partie des environnements12. Là encore, les puissances de cette région, notamment l’Empire ottoman, ont essayé de devenir des puissances énergétiques, charbonnières, pour échapper à l’emprise du Royaume-Uni tout en réutilisant, réinvestissant la manne charbonnière dont elles disposaient.

  • 13 Brownell, Emily, Gone to Groung: A History of Environment and Infrastructure in Dar es Salaam, Pit (...)

Iva Peša : Je crois que cette focalisation sur le charbon et le pétrole est importante. Mais il est aussi important de voir l’enchevêtrement avec le travail humain, les animaux de trait et les autres formes d’énergie comme le bois. En Afrique, il est vraiment difficile de décrire cette histoire bottom-up de l’énergie avant le xxe siècle. Emily Brownell a écrit une histoire environnementale de Dar es Salam en Tanzanie au moment de la crise du pétrole, dans les années 197013. Elle a ainsi montré comment le manque de pétrole a influencé la vie dans l’espace urbain, comment les personnes ont trouvé d’autres modes alternatifs de déplacement quand les bus ne roulaient pas, comment cela a engendré d’autres formes de socialisation et d’interaction avec l’environnement. Je crois qu’une histoire comme celle-là, de l’énergie, à plus large échelle, est vraiment importante. Les historiens environnementaux doivent aussi tirer meilleur profit de l’histoire orale, surtout pour le xxe siècle, parce que cela peut donner un peu plus d’informations sur les rapports à l’énergie et ses représentations, et comment l’absence ou la présence de formes particulières d’énergie influencent les idées, les interactions sociales. Des formes culturelles telles que la littérature ou même la chanson peuvent offrir des perspectives très précieuses sur l’histoire de l’énergie et stimuler des histoires orales.

  • 14 Pádua, José Augusto, “Brazil in the History of the Anthropocene”, dans Issberner, Liz-Rejane et Lé (...)

José Augusto Pádua : Pour réfléchir à cette diversité d’expériences concrètes de l’anthropocène, nous devons réfléchir à ce que signifie « être dans l’anthropocène ». Il me semble que nous pouvons considérer au moins trois dimensions dans la présence des pays dans l’anthropocène : 1) le degré de participation des sociétés nationales aux modèles de production et de consommation qui ont produit le phénomène mondial de l’anthropocène, 2) le rôle de certaines économies nationales en tant que pourvoyeuses de ressources naturelles et de main-d’œuvre pour d’autres pays et régions, 3) la place de chaque société nationale dans la formulation et/ou l’absorption des idéologies et des modèles de pensée qui construisent une « culture de l’anthropocène14 ».

En 1915, par exemple, le Brésil était responsable de la consommation de 0,14 % de la production mondiale de charbon minéral et de 0,6 % de la production mondiale de pétrole. Ce pays était donc hors de la civilisation du charbon. Il s’agissait d’une économie basée sur l’exploitation de l’énergie du corps humain des anciens esclaves et des pauvres (y compris des immigrants européens) et des forêts, sous forme de bois de chauffage ou de charbon minéral. En 1941 encore, environ 73 % de la consommation d’énergie primaire au Brésil provenait du bois. En 1976 seulement, la consommation de combustibles fossiles est devenue plus importante que celle du bois pour l’énergie.

  • 15 Fragoso, João et Florentino, Manolo, O Arcaismo como Projeto, Rio de Janeiro, Civilização Brasilei (...)

Il est à cet égard intéressant de noter que les historiens de l’économie ont écrit qu’au début du xixe siècle certains commerçants brésiliens disposaient d’un capital suffisamment important, notamment grâce aux profits tirés de la traite des esclaves, pour investir dans l’industrie. Or ces derniers ont préféré investir dans des plantations de café avec des esclaves, parce qu’il s’agissait là d’une activité plus valorisée socialement dans le contexte de l’époque. C’était un choix archaïque selon ces historiens, par la prime accordée aux facteurs culturels et à la position sociale15. Mais ces mêmes historiens économiques n’ont pas considéré un problème beaucoup plus matériel : il n’y avait pas de charbon disponible sur le territoire brésilien. Les premiers dépôts ont été ouverts au début du xxe siècle. Il s’agit là de facteurs écologiques locaux qui doivent être pris en compte. Keneth Pomeranz a souligné ce point lorsqu’il a discuté de l’industrialisation de la Chine par rapport à l’Europe. La Chine avait des technologies, mais pas de charbon à ce moment-là.

Ainsi, les réalités locales doivent également être prises en compte dans les questions énergétiques, au-delà des combustibles fossiles. Le Brésil a ainsi connu un vaste mouvement socio-environnemental de paysans qui ont subi les effets de la construction des barrages hydroélectriques. La présence de grands fleuves a permis d’opter pour des centrales hydroélectriques qui produisent aujourd’hui environ 70 % de l’électricité et 13 % de l’énergie du Brésil (contre 2,5 % en moyenne mondiale), au prix de la construction de plus de 1 400 barrages. Bien qu’elle soit considérée comme une source propre dans de nombreux débats sur l’anthropocène, ses impacts sociaux et environnementaux sont immenses au niveau local. Cette option pour l’hydroélectricité n’est pas distribuée de manière homogène dans la géographie du monde. Cela dépend beaucoup des possibilités des territoires et des options politiques, économiques, des enjeux sociaux, environnementaux.

  • 16 Jones, Christopher F., « Petromyopia: Oil and the energy humanities », Humanities n° 5, vol. 2, 20 (...)
  • 17 Acker, Antoine, “A Different Story in the Anthropocene: Brazil’s Post-Colonial Quest for Oil (1930 (...)

Antoine Acker : L’historien Christopher Jones parle de « pétromyopie », c’est-à-dire le fait qu’on se focalise sur les seules énergies fossiles alors que, dans la transformation de notre planète, il y a beaucoup d’autres paramètres que la question des énergies fossiles16. J’ai ainsi trouvé un certain nombre d’archives qui montre que l’une des raisons centrales pour la transition énergétique vers le pétrole au Brésil était la protection des forêts et la peur qu’elles disparaissent17. Il y a eu une vraie mobilisation des élites brésiliennes, d’associations conservationnistes et aussi de l’État pour accélérer la production pétrolière dans l’idée de limiter la déforestation. On s’est rendu compte plus récemment que ce n’était pas forcément une très bonne idée mais, dans la perspective de ces temps où l’on ne faisait pas encore le lien entre le pétrole, les énergies fossiles et les émissions de CO2 (le phénomène chimique du réchauffement planétaire n’était pas connu avant les années 1960-1970), le pétrole était une énergie propre par rapport au bois, en particulier – un argument déjà mobilisé au xixe siècle pour encourager l’usage du charbon, d’ailleurs. 

  • 18 Jarrige, François et Vrignon, Alexis (dir.), Face à la puissance. Une histoire des énergies altern (...)

Charles-François Mathis : C’est vrai que l’on a ce focus sur le pétrole, le charbon, mais des travaux récents, notamment ceux de François Jarrige et Alexis Vrignon, ont montré qu’il y a beaucoup de pensées fortes et d’expérimentations nombreuses, y compris au xixe siècle et au début du xxe, favorisant différents usages énergétiques de l’eau, du vent, de la forêt18. Il y a donc une vraie dynamique, une véritable résistance de ces énergies traditionnelles face aux coups de boutoir des énergies fossiles. Il est donc important de penser ces alternatives, ces « possibles non advenus », qui restent d’actualité. Finalement, ils ne sont pas advenus pour différentes raisons : politiques, économiques, sociales, culturelles (qu’il faut comprendre), mais qui permettent, peut-être, de réactiver aujourd’hui un certain nombre de choses. Il y a notamment des modes : l’option pour l’archaïsme, on la trouvait déjà en Écosse au Moyen-Âge où, dans certaines villes, la différence entre l’usage du charbon et l’usage du bois s’explique par le fait que les élites ne voulaient pas du charbon. Même si le bois était plus cher, quand on était un grand bourgeois, on utilisait du bois pour se chauffer : ça sentait meilleur et on laissait le charbon aux pauvres. 

Antoine Acker : Mais il y a une focalisation sur les énergies fossiles et les énergies en général. L’anthropocène, c’est aussi la sixième extinction des espèces ou une déforestation massive. En tant qu’historien, je trouve que c’est quelque chose de très déconcertant dans le changement climatique aujourd’hui : les causes de l’accélération du changement climatique à venir ne sont pas encore connues, dans le sens où l’on a des hypothèses sur ce que l’on appelle des « tipping points », c’est-à-dire certains phénomènes planétaires tels que la fonte des glaces dans les pôles, des glaciers de l’Himalaya, ou la désertification de l’Amazonie, pouvant conduire à un scénario apocalyptique (en tous cas, encore plus important que celui prévu par le GIEC). Il s’agirait d’un réchauffement climatique accéléré qui placerait la planète dans une situation extrêmement difficile et nous placerait aussi, en tant qu’historiens, dans la nécessité de revoir notre focalisation et de réfléchir à des causes que l’on n’a pas encore historicisées comme, par exemple, la déforestation. On l’a, en tous cas, beaucoup moins historicisée à l’échelle planétaire que l’énergie.

  • 19 Fairhead, James et Leach, Melissa, Misreading the African Landscape: Society and Ecology in a Fore (...)

Iva Peša : En Zambie, par exemple, les mines de cuivre ont eu un lien avec le bois et les grandes plantations de pins et d’eucalyptus, des essences appréciées car elles poussent très vite. Mais le déboisement en Afrique, historiquement, est mal compris. C’est à cause de cela qu’il est très difficile de parler réellement de déboisement, comme dans l’étude de James Fairhead et Melissa Leach qui porte sur des villages situés à la frontière entre forêt et savane19. Beaucoup d’agents coloniaux et post-coloniaux ont vu des forêts autour des villages et ont cru qu’il s’agissait de rémanences de forêts vierges, donc d’un signe de déforestation. Mais c’était le contraire. Les administrateurs coloniaux ont « mal interprété » la déforestation : la couverture forestière autour des villages n’était pas le signe de déforestation d’une forêt tropicale humide autrefois vierge, les gens encourageaient eux-mêmes la couverture forestière. Ce n’était donc pas de la déforestation. C’est la même chose concernant l’expansion du désert du Sahara. Ces processus sont vraiment difficiles à quantifier et il est compliqué d’en comprendre les causes réelles et l’étendue de leurs apparitions ou réapparitions.

Antoine Acker : On a une vision, dans les archives coloniales, souvent, de terres en Afrique, en Amérique latine ou en Asie qui auraient été déboisées par une mauvaise gestion agricole, une surexploitation. On retrouve cela dans les rapports agraires des puissances coloniales sur la première moitié du xxe siècle, par exemple. On le voit aussi au Brésil. Pendant très longtemps, on a accusé les populations rurales et les populations indigènes de détruire la nature en pratiquant l’agriculture sur brûlis, alors que c’était là des pratiques menées à une échelle bien moindre que celle encouragée par l’agriculture industrielle.

2La table ronde se poursuit ensuite en dialogue avec le public. Nous avons repris ci-dessous quelques-unes des discussions qui se sont déroulées dans cette dernière partie.

Solène Rivoal (UT2J/Framespa) : J’aurais bien aimé entendre un débat sur cette définition de l’anthropocène que Charles-François Mathis a un peu évoquée. Vous semblez vous accorder sur une origine ancrée dans une période plutôt contemporaine. Mais si l’on écoute les antiquisants, les médiévistes et même les préhistoriens, il y a aussi d’autres scénarios. Je me souviens d’un appel à communication qu’on avait essayé de monter avec des collègues anglais, dans lequel on évoquait l’idée d’anthropocène. Quelqu’un avait cru bon de préciser : « l’anthropocène, dont l’origine remonte à la création des grands empires de l’Antiquité ». Or cette modification a été invalidée par un contemporanéiste. En repartant de ce que Charles-François a dit sur cette science du diagnostic, est-ce que, finalement, le tropisme contemporanéiste n’est pas aussi une science du diagnostic ? C’est-à-dire que c’est un peu l’époque pendant laquelle on peut quantifier des choses, alors que c’est beaucoup plus compliqué à la préhistoire, ou pour l’histoire ancienne.

  • 20 Quenet, Grégory, « L’anthropocène et le temps des historiens », Annales. Histoire, Sciences Social (...)

Charles-François Mathis : C’est vrai que je conçois (mais j’imagine que ça peut se débattre) l’anthropocène comme un moment où l’humanité acquiert un pouvoir lui permettant de transformer la planète dans son ensemble, d’où mon choix, s’il faut en situer les débuts, de les placer au moment de la révolution industrielle, avec le recours aux énergies fossiles. Forcément, ça entraîne un tropisme contemporanéiste qui renvoie aussi à ce problème de source et de quantification. Je sais que c’est un des reproches que fait Grégory Quenet à cette notion dans un très bon article de 2017 paru dans les Annales, dans lequel il réfléchit sur l’anthropocène20. Il met en avant cette obsession de la quantification qui réduit, en quelque sorte, les études à la période contemporaine, car il est impossible d’opérer des comparaisons ou des quantifications très tenables, même dès l’époque moderne, et encore plus dans les périodes antérieures. Il me semble aussi que, non seulement, cela réduit la réflexion à l’époque contemporaine, mais, en plus, que cela peut également, si l’on prend l’anthropocène comme je l’ai défini, recentrer tout de suite sur l’Europe. C’est ce qu’évoquait Iva Peša auparavant. Forcément, si on prend en compte les lieux où cette possibilité de transformation planétaire s’est opérée, ce sont les puissances européennes, parce qu’elles sont à l’initiative et ont les moyens de départ pour faire ça par le choix des énergies fossiles, par la conquête coloniale, le développement économique, etc. Donc, dans la définition, on a forcément un anthropocène très contemporain, européen et quantificateur. C’est aussi, d’ailleurs, la raison pour laquelle j’y vois beaucoup d’inconvénients.

  • 21 Ruddiman, William F., op. cit.

Antoine Acker : Il y a une hypothèse systémique, celle de William Ruddiman21. Elle partirait d’une augmentation de méthane lente mais nette sur 5 000 ans qui aurait permis d’éviter un nouvel âge glaciaire en évitant une baisse de température d’environ 1,5 degrés. C’est un biologiste évolutionniste qui a travaillé avec des archéologues chinois. Pour lui, les seules explications possibles de cette augmentation de méthane, faible mais sur un long terme et du coup importante sur le long terme, sont les révolutions néolithiques et, en particulier, la riziculture est-asiatique, à cause de son ampleur, des émissions de méthane importantes qu’elle engendre. D’abord, ça décentre un peu. Ça veut dire que tout ne part pas forcément de l’Europe. Mais, en termes quantitatifs, c’est incomparable avec la Grande Accélération et les courbes exponentielles que l’on voit à partir de 1945. Par contre, ça nous invite peut-être à réfléchir sur une très longue période et à cette idée de « early anthropocene », d’anthropocène précoce. Certains pensent que la maîtrise du feu a produit une série de réactions majeures, qui pourrait permettre aussi de relier les époques, parce que s’il y a un recours au charbon, c’est aussi à cause d’une certaine demande énergétique, qui renvoie à une certaine évolution démographique qui elle-même renvoie, sur le long terme, à l’histoire de l’agriculture. L’hypothèse de l’anthropocène précoce n’est pas meilleure que celle de l’anthropocène contemporain, mais je trouve qu’elle nous invite, comme historiens modernistes et contemporanéistes, à revoir un peu nos chronologies. Il y a, en ce moment, un courant très intéressant qui vise à repolitiser l’histoire des révolutions néolithiques. Les historiens contemporains pensent souvent que si on revient à 5 000 ans, 8 000 ans… tout ça, c’est de la naturalisation, c’est de l’essentialisme, c’est juste de l’histoire de l’évolution de l’espèce. Ce n’est plus une histoire politique, du coup, ça nous fait sortir d’une discussion politique nécessaire sur les causes du changement climatique en particulier. Mais, en ce moment, des historiens de la préhistoire ou des archéologues montrent comment les révolutions néolithiques ont complètement changé les rapports de genre, ont genré les relations de travail, comment le travail forcé a émergé à cette époque, comment de nouvelles formes d’exploitation se sont développées, et comment certaines sociétés, certains groupes, ont refusé les révolutions néolithiques. Certains ont fait une transition vers l’agriculture et, finalement, en sont sortis parce qu’ils se sont rendu compte que ça créait des problèmes sociaux. Comme c’est une histoire très ancienne, on a beaucoup moins de traces, mais il y a réellement une histoire des rapports de domination qui se cristallise à cette époque-là. Les hypothèses qui confondent complètement l’histoire de l’anthropocène avec l’histoire du capitalisme passent un peu à côté de cette politique d’exploitation d’êtres humains par d’autres êtres humains imbriqués dans des changements écologiques sur le temps long.

Iva Peša : Pour moi, la véritable valeur du concept de l’anthropocène, c’est ce débat. Ce n’est pas vraiment la date du début de l’anthropocène qui est importante, c’est cette vulgarisation des aspects environnementaux dans l’histoire, dans les sciences sociales. C’est le plus important dans l’usage de ces concepts.

François Godicheau (UT2J/Framespa) : J’ai l’impression que le concept d’anthropocène pose, de toute façon, pour nous autres, historiennes et historiens, un problème. Le concept même contient l’idée d’un diagnostic. Les autres concepts proposés existent, comme capitalocène ou même plantationocène. Même si, évidemment, comme pour toute catégorie historienne, ils sont discutables, ces derniers ont, à mon sens, le mérite de contenir l’idée d’un processus, une relation sociale, économique et politique. Du coup, ils ont aussi le mérite d’engager la discussion de diagnostic dans un sens processuel. L’un des problèmes liés à la notion d’anthropocène est qu’elle fait beaucoup dériver la discussion vers du marquage temporel. On cherche l’épaisseur de la couche et cette obsession qui est la nôtre (en plus, on s’adresse à nous : « Vous les historiens, vous datez ») vient parasiter les réflexions, pas seulement en termes de causalité, mais de « comment ». Pas le « pourquoi », mais le « comment ». 

  • 22 Sovacool, Benjamin K. et al., “The Decarbonisation Divide: Contextualizing Landscapes of Low-Carbo (...)

Iva Peša : Je voudrais évoquer l’exemple de la « decarbonisation divide22 ». Comment, aujourd’hui, l’Europe devient plus verte par l’usage des énergies renouvelables. Mais peu de gens ont conscience que les éoliennes ou ce genre de dispositifs sont très intensifs, reliés à des métaux reliés eux-mêmes à des activités minières, souvent en Afrique, en Amérique latine, en Asie. Cela veut dire que l’Europe verte est une illusion parce qu’elle parasite d’autres pays. Mais je crois que les historiens peuvent nous aider à comprendre que ces phénomènes récents ont vraiment une longue histoire, pendant la colonisation et même avant. C’est aussi important pour les solutions sur le plan académique comme sur le plan politique. Il y a des discussions sur les réparations climatiques. Peut-être l’Europe peut-elle donner de l’argent pour l’extraction de charbon ou de pétrole dans les autres continents. Mais il est important que les historiens et les politistes dialoguent sur ces questions. L’histoire nous apporte des connaissances nouvelles, ça ne nous offrira pas des solutions simples, mais cela peut permettre de mieux s’informer. 

Charles-François Mathis : Quand j’ai écrit l’ouvrage sur le charbon, j’analysais une situation historique particulière, celle de l’Angleterre des années 1830 à 1940 et du rapport que les Anglais avaient au quotidien avec le charbon. Je me suis évidemment demandé à la fin : qu’est-ce que cela nous dit de notre monde d’aujourd’hui ? Peut-on tirer quelque chose de tout cela ? Je me suis posé cette question qui se situe effectivement dans l’aspect processuel évoqué plus tôt. Je me suis centré sur la façon dont on a construit un imaginaire du rapport à l’énergie, en l’occurrence fossile, et je me suis demandé dans quelle mesure cet imaginaire-là implique un certain rapport au monde, au temps, à notre consommation, à nos modes de vie empêchant de faire les efforts nécessaires pour sortir de cette impasse fossile. On est dans une situation où, pour la première fois, on ne nous propose pas, pour le futur, une consommation supplémentaire d’énergie qui amènerait une amélioration des modes de vie. Jusque-là, toutes les transitions énergétiques, en tout cas, toutes les transformations énergétiques se sont accompagnées d’un surcroît d’énergie présenté comme une amélioration. Pour la première fois, il faut imaginer un futur de sobriété. Ça ne fait pas rêver. On peut faire rêver en affirmant que le nucléaire va nous donner une manne énergétique infinie. Dire qu’il va falloir réduire nos consommations énergétiques et s’appuyer sur un mix énergétique… Allez construire quelque chose de l’ordre de l’onirique, du positif, sur une telle proposition ! Là, du coup, le politique a son rôle à jouer pour la construction de cet imaginaire.

José Augusto Pádua : Je crois que les différents concepts alternatifs à celui de l’anthropocène, comme capitalocène, plantationocène, offrent des perspectives différentes sur le même processus historique. Du point de vue de l’histoire, c’est toujours un processus. Peut-être y a-t-il des affirmations, d’autres perspectives qui considèrent l’anthropocène non comme un processus mais comme un fait. Mais dans notre perspective historique, c’est toujours un processus. Il y a une chose que je crois importante du point de vue politique : la recherche en histoire (comme en anthropologie, en géographie) a montré les réalités sociales et géographiques que, souvent, une approche macro-économique ne montre pas. La consommation de fer dans le monde a produit des tragédies environnementales et sociales, comme en Amazonie. Il faut montrer, documenter cette réalité. C’est important pour le débat, pas seulement académique, mais aussi politique.

Antoine Acker : C’est quelque chose que l’histoire peut faire à travers les progrès qu’elle a connus dans l’élargissement du champ des actrices et acteurs dans les 30 ou 40 dernières années, avec l’histoire subalterne, l’histoire du genre, l’histoire globale aussi, en impliquant d’autres régions du monde que l’Occident dans l’histoire du développement économique. Il est vrai qu’il existe, en tout cas en Europe, un imaginaire positif lié aux progrès, à une nouvelle liberté conquise par les énergies fossiles et que, peut-être, une transition énergétique différente ne fait pas rêver. Mais si on regarde l’histoire de l’anthropocène depuis la perspective de l’industrie minière de la Zambie, par exemple, ou bien depuis la perspective des forêts ou celle des travailleurs forcés exploités dans les processus de déforestation au Brésil, ça ne fait pas rêver du tout, cette histoire du progrès. Les historiens et historiennes doivent montrer cette histoire des libertés perdues, qui est celle de la civilisation du charbon et, au-delà, de la civilisation moderne.

Laure Teulières (UT2J/Framespa) : On est tous convaincus que ce qui importe, c’est moins de se focaliser sur « quand » et « le nom », que de faire dialoguer ces interrogations avec nos démarches historiennes. Quand on dit que ce n’est pas processuel, ce n’est pas vrai. Je pense qu’on peut très bien aborder l’anthropocène sous l’angle des trajectoires, par exemple. Mais le terme même « anthropocène » n’a-t-il pas aussi une valeur ? On a beaucoup critiqué ce fait que l’« anthropos » est peut-être encore le masculin, et l’humain serait une force, peut-être, de la rationalité qui maîtriserait la planète… il peut y avoir tous ces aspects très critiquables. Mais, en même temps, l’anthropocène dit quelque chose de notre rapport, en quelque sorte, « décentré » d’une espèce aux autres espèces. On parle toujours de la planète, c’est très important, mais derrière il y a aussi le vivant : c’est aussi l’« anthropos » dans le changement d’échelle et peut-être de nature de ses relations aux autres vivants. Si on considère les humains et leurs animaux d’élevage, cela représente 97 % des mammifères aujourd’hui sur la planète. Face à une telle situation, le terme d’anthropocène a quand même une grande utilité.

Tamara Venit Shelton (Claremont McKenna College) : Je suis historienne de l’environnement et je suis Étatsunienne. Je voudrais intervenir sur la question du rapport à l’imaginaire et à la culture de l’anthropocène. À mon avis, l’anthropocène est un concept pertinent pour les historiens, parce qu’il traduit ce pouvoir des humains de tout transformer à des niveaux planétaires. Or, pour la plupart des acteurs sociaux, les problèmes environnementaux se situent à l’échelle locale, et non à une échelle globale. Or, ce qui est très intéressant avec l’entrée dans l’anthropocène, c’est que les êtres humains deviennent conscients de leur capacité à transformer la réalité. Que se passe-t-il quand on est conscient de son pouvoir de transformer la Terre ?

Charles-François Mathis : C’est très intéressant de voir les choses sous cet angle-là. Quand vous dites : à quoi cela nous amène d’avoir eu cette prise de conscience ? Ce que je trouve un peu déprimant, c’est que ça ne nous amène à rien. On est conscients, maintenant particulièrement, du fait que nos modes de vie sont capables de perturber l’environnement et le climat, et les résultats sont assez faibles. C’est une conscience de masse, et, individuellement, il est difficile de se l’approprier et de se dire : est-ce que ma goutte d’eau changera quoi que ce soit à l’action de la masse de l’humanité ? Donc, on ne fait rien ou pas assez.

Antoine Acker : Un scientifique suédois, Svante Arrhenius, a découvert la relation entre émissions de CO2 et réchauffement climatique et commençait déjà à mettre ça en contexte avec le charbon au début du xxe siècle. Il avait estimé que ça pourrait provoquer un réchauffement climatique allant jusqu’à 4,5 degrés sur une durée d’un siècle. Sauf que ce n’était pas du tout quelque chose qui l’alertait, à l’époque. Au contraire, il trouvait que c’était bien, parce qu’on allait repousser le prochain âge glaciaire. On allait gagner 150 ans sur la planète, d’une certaine manière. L’humanité allait survivre un peu plus longtemps. Je crois que, paradoxalement, on a perdu cette notion de contrôle avec l’anthropocène, parce que c’est aussi une prise de conscience du fait que notre impact est hors de contrôle et qu’on n’arrive plus à le maîtriser. Cela engendre peut-être un désenchantement parce qu’on ne sait pas comment analyser ce phénomène. Ça remet complètement en question l’idée d’intention humaine qui est au cœur de la discipline historique.

José Augusto Pádua : Il y a un courant dans le débat sur l’anthropocène qui veut radicaliser l’anthropocène. Allons-nous contrôler le système Terre avec la géo-ingénierie ? C’est un courant minoritaire. Même Paul Crutzen, qui est le principal créateur du concept de l’anthropocène, n’a pas manqué d’envisager cette possibilité. Il a donné une conférence à ce sujet lors de la réunion de la Société européenne d’histoire environnementale à Munich. Il a dit plus ou moins ce dont on a discuté ici. Mais, finalement, il dit que si on ne trouve pas de solution politique, il sait peut-être quoi faire pour contrôler le climat avec la géo-ingénierie. Il recherche cela, il dit que c’est comme la recherche d’une alternative dans un contexte de désespoir total. S’il n’y a pas d’autres solutions politiques, au moins, il pourra donner une suggestion très concrète de ce qu’il faut faire. Mais, à mon avis, c’est une grande illusion. Jouer avec le système Terre n’est pas une chose facile à faire.

François Godicheau : On a parlé des imaginaires sociaux et je suis assez marqué par l’approche d’Anna Tsing, dans le Champignon de la fin du monde (2017, édition française). Elle donne à penser une autre manière d’imaginer le monde. Je voudrais savoir dans quelle mesure il y a des articulations entre les approches historiennes situées et une approche d’anthropologie. Pour pouvoir rendre séduisante l’idée d’un futur de sobriété qui, du coup, ne pourrait pas s’appeler comme ça… Il y a une transition de l’imaginaire à opérer qui est importante, même si ce n’est pas quelque chose de simple. On ne se dit pas qu’on va passer d’un imaginaire à un autre en disant : « Tiens, on va faire ça. » Mais l’apport des anthropologues dans l’articulation avec l’histoire me semble ici essentiel 

  • 23 Strauss, Sarah, Rupp, Stéphanie, Love, Thomas (dir.), Cultures of Energy. Power, Practices, Techno (...)
  • 24 LeMenager, Stéphanie, Living Oil: Petroleum Culture in the American Century, Oxford, OUP, 2014.

Charles-François Mathis : Il est vrai que quand j’ai pensé à une approche culturelle et sociale de l’énergie, j’étais frappé de voir que ce sont essentiellement les anthropologues qui ont travaillé là-dessus. Je pense en particulier aux travaux de Sarah Strauss et Stéphanie Rupp. Leur ouvrage s’intitule Cultures of Energy23. On pourrait ajouter également l’ouvrage de Stéphanie LeMenager, Living Oil24.

  • 25 Wilson, Sheena, Carlson, Adam et Szeman, Imre (ed.), Petrocultures: Oil, Politics, Culture, Montre (...)

Iva Peša : On peut également citer Petrocultures25. Pour moi, et pour finir sur une note un peu positive, c’est là l’autre grand mérite du concept de l’anthropocène : la nécessité de l’interdisciplinarité. Ce n’est pas une chose nouvelle. La collaboration avec des biologistes, des anthropologues, l’aspect matérialiste de l’histoire, voilà pour moi les grandes vertus d’une telle approche.

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Notes

1 Chakrabarty, Dipesh, The Climate of History in a Planetary Age, Chicago, University of Chicago Press, 2021.

2 Pádua, José Augusto et Carvalho, Alessandra Izabel de, “The construction of a tropical country: a review of environmental historiography on Brazil”, História, Ciências, Saúde – Manguinhos, v. 27, n° 4, oct.-déc. 2020.

3 Magalhães, Nelo, Fressoz, Jean-Baptiste, Jarrige, François et alii, « The Physical Economy of France (1830–2015). The History of a Parasite? », Ecological Economics, n° 157, 2019, p. 291-300.

4 Hecht, Gabrielle, Being Nuclear: Africans and the Global Uranium Trade, Cambridge MA, MIT Press, 2012.

5 Malm, Andreas, Fossil capital: The rise of steam power and the roots of global warming, Londres, Verso Books, 2016.

6 Ruddiman, William F., Plows, Plagues, and Petroleum, Princeton, Princeton University Press, 2010.

7 Pomeranz, Kenneth, The Great Divergence, Princeton, Princeton University Press, 2001.

8 McNeill, John R., “Cheap Energy and Ecological Teleconnections of the Industrial Revolution, 1780-1920”, Environmental History, n° 24, vol. 3, 2019, p. 492-503.

9 Malm, Andreas, Fossil Capital. The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Londres, Verso, 2016.

10 Debeir, Jean-Claude, Deléage, Jean-Paul, Hémery, Daniel, Une histoire de l’énergie. Les Servitudes de la puissance, Paris, Flammarion, 2013 [1986].

11 Clifford, Jim et Castonguay, Stéphane, « British Ghost acres and Environmental Changes in the Laurentian Forest during the Nineteenth Century », Journal of Historical Geography (à paraître).

12 Barak, On, Powering Empire. How Coal Made the Middle East and Sparked Global Carbonization, Berkeley, University of California Press, 2020.

13 Brownell, Emily, Gone to Groung: A History of Environment and Infrastructure in Dar es Salaam, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2020.

14 Pádua, José Augusto, “Brazil in the History of the Anthropocene”, dans Issberner, Liz-Rejane et Léna, Philippe (dir.), Brazil in the Anthropocene, London, Routledge, 2018.

15 Fragoso, João et Florentino, Manolo, O Arcaismo como Projeto, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 2001.

16 Jones, Christopher F., « Petromyopia: Oil and the energy humanities », Humanities n° 5, vol. 2, 2016, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3390/h5020036

17 Acker, Antoine, “A Different Story in the Anthropocene: Brazil’s Post-Colonial Quest for Oil (1930–1975)”, Past & Present, n° 249, vol. 1, 2020, p.167-211.

18 Jarrige, François et Vrignon, Alexis (dir.), Face à la puissance. Une histoire des énergies alternatives à l’âge industriel, Paris, La Découverte, 2020.

19 Fairhead, James et Leach, Melissa, Misreading the African Landscape: Society and Ecology in a Forest-Savanna Mosaic, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.

20 Quenet, Grégory, « L’anthropocène et le temps des historiens », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2017/2, p. 267-299.

21 Ruddiman, William F., op. cit.

22 Sovacool, Benjamin K. et al., “The Decarbonisation Divide: Contextualizing Landscapes of Low-Carbon Exploitation and Toxicity in Africa”, Global Environmental Change, vol. 60, 2020.

23 Strauss, Sarah, Rupp, Stéphanie, Love, Thomas (dir.), Cultures of Energy. Power, Practices, Technologies, Walnut Creek, Left Coast Press, 2013.

24 LeMenager, Stéphanie, Living Oil: Petroleum Culture in the American Century, Oxford, OUP, 2014.

25 Wilson, Sheena, Carlson, Adam et Szeman, Imre (ed.), Petrocultures: Oil, Politics, Culture, Montreal, McGill-Queen’s University Press, 2017.

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Pour citer cet article

Référence papier

Antoine Acker, Sébastien Rozeaux, José Augusto Pádua, Iva Peša et Charles-François Mathis, « Table ronde : Vers une histoire transatlantique de l’anthropocène ? »Caravelle, 119 | -1, 107-126.

Référence électronique

Antoine Acker, Sébastien Rozeaux, José Augusto Pádua, Iva Peša et Charles-François Mathis, « Table ronde : Vers une histoire transatlantique de l’anthropocène ? »Caravelle [En ligne], 119 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/13219 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.13219

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Auteurs

Antoine Acker

IHEID Genève

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Sébastien Rozeaux

Université Toulouse 2 – Jean Jaurès/FRAMESPA

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José Augusto Pádua

Université fédérale de Rio de Janeiro, Brésil

Iva Peša

Université de Groningen, Pays-Bas

Charles-François Mathis

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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