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Comptes rendus

Elisa Speckman Guerra, El derecho a vivir como una mujer amante y amada. Nydia Camargo, su crimen y su juicio (México, década de 1920)

Évelyne Sanchez
p. 179-181
Référence(s) :

Elisa Speckman Guerra, El derecho a vivir como una mujer amante y amada. Nydia Camargo, su crimen y su juicio (México, década de 1920), México, El Colegio de México, Colección La aventura de la vida cotidiana, Serie Historia-Investigación, 2019, 123 p. (edición electrónica)

Texte intégral

1En 2014, Benoit Garnot publiait son ouvrage Une histoire du crime passionnel. Mythe et archives (Paris, Belin) dans lequel il retraçait l’histoire d’une catégorie juridiquement inexistante de crime puisque inventée par les écrivains et les journalistes. Pour cette raison, son objet devenait difficilement saisissable : face aux archives judiciaires, comment l’historien devait-il s’y prendre pour délimiter son corpus ? Mais l’auteur est allé plus loin, car il a pu montrer comment une opinion publique compréhensive vis-à-vis d’accusés qui faisaient souvent la une des journaux franchissait les portes des tribunaux par le truchement de jurys populaires enclins à la clémence. C’est ainsi que, pour ne pas avoir à condamner un accusé à la lourde peine prévue par la loi, un jury préférait proclamer son innocence. Le législateur, qui n’est pas resté aveugle à ce phénomène, a alors allégé les peines et obtenu ainsi des condamnations plus nombreuses. Opinion publique, jurys populaires, législateurs attentifs et crimes d’honneur (terme moins accrocheur, mais plus proche de la réalité que celui de « passionnel »), ce sont tous ces éléments que l’on retrouve dans le livre, court, mais très riche, d’Elisa Speckman Guerra. A travers « l’affaire » Nydia Camargo, une femme accusée d’avoir tué son amant, l’autrice cherche à appréhender l’ensemble des contextes – juridique, politique et surtout culturel – qui a amené un jury à l’acquitter (notons que le terme espagnol absuelta est emprunté au vocabulaire religieux) et complète son approche par une rapide analyse de l’inscription de cet événement dans la mémoire collective, du moins jusqu’au film consacré à cette affaire en 1964.

2Peu intéressée par le côté anecdotique du crime, E. Speckman ne fait pas mystère ni de la culpabilité de l’accusée – il n’y en eut d’ailleurs pas puisque la victime, morte à l’hôpital, avait eu le temps de la désigner et que Camargo avait reconnu les faits – ni de la sentence annoncée dès le chapitre introductif du livre. Prenant acte de ces deux faits, le problème posé consiste alors à expliquer le verdict difficilement compréhensible si l’on ajoute que la légitime défense a rapidement été écartée pour expliquer le meurtre. L’historienne, qui connaît bien l’histoire de la criminalité, de la justice pénale et du genre, va mobiliser sa large expérience pour proposer un panel d’hypothèses qui vont se compléter pour expliquer un événement désormais considéré comme un révélateur d’une société en profonde transformation au lendemain de la Révolution mexicaine. Cet événement, qui a provoqué 1 million de morts (pour 16,5 M d’habitants), a favorisé une explosion de la violence et sans doute d’une accoutumance à celle-ci, voire d’une certaine acceptation. Mais c’est la voie du nationalisme que suit Speckman, guidée par le plaidoyer de l’avocat de Nydia Camargo qui avait beau jeu de questionner l’honorabilité de l’amant assassiné, un consul chilien, pour encenser les vertus des femmes mexicaines dont sa cliente aurait été la représentante. La culture juridique est le second fil conducteur suivi par l’historienne, car son évolution était littéralement incarnée lors de l’audience entre, d’une part, l’avocat de l’accusée, célèbre juriste formé sous le Porfiriat et, d’autre part, le jeune procureur issu de la nouvelle génération de juristes mise en place par le régime révolutionnaire. Il est particulièrement intéressant de voir qu’entre les deux hommes, un étrange équilibre existait : le premier avait l’avantage de l’expérience et de la réputation, mais le second appartenait au camp des vainqueurs. Ce dernier a pourtant bien vu qu’il devait en partie céder : tel le législateur français qui a dû réduire la peine pour obtenir des condamnations, il a opté pour reconnaître des circonstances atténuantes (et a délibérément ignoré les aggravantes) afin d’obtenir une condamnation. Comme le remarque justement E. Speckman, la pression de la presse et de l’opinion publique l’avait fortement encouragé à suivre cette stratégie.

3Les articles et photographies de presse, dont plusieurs sont reproduites dans le livre, sont avec le plaidoyer de l’avocat et une publication du procureur, les principales sources consultées pour cet ouvrage (le procès en lui-même étant perdu). Ils montrent une presse largement intéressée non seulement par les faits divers, mais en particulier, dans les années 1920, par les femmes qui assassinent leurs amants/conjoints/maris, au point de les désigner par un néologisme créé pour la circonstance : les « autoveuves ». Cette presse, qu’elle idéalise Nydia Camargo comme une femme et mère mexicaine exploitée par une canaille, ou qu’elle condamne une « garçonne » en instance de divorce et vivant avec son amant tout en menant un commerce frauduleux (de produits de beauté soi-disant japonais fabriqués dans la cave) faisait état d’un public fidèle assistant au procès et largement gagné à la cause de l’accusée. Or, le jury populaire, composé d’un juge chargé de l’instruction et de neuf citoyens de plus de 21 ans et dotés a minima d’une instruction primaire complète, lisait cette presse et partageait sans doute le sentiment commun, tant sur le thème du nationalisme que sur celui des valeurs traditionnelles qu’aurait incarnée une improbable Camargo dépeinte par son avocat (et que les photographies de presse montrent pétrie d’humilité dans ses vêtements de deuil).

4Malgré cette guerre d’images en faveur de la défense, il fallait encore pouvoir présenter des arguments juridiques recevables. En d’autres termes, puisque l’accusée reconnaissait le crime, son avocat n’avait d’autre option, pour obtenir son acquittement, que de plaider son irresponsabilité. La loi lui mettait alors plusieurs instruments à sa disposition dont l’agissement « en défense d’un droit » qui, n’étant pas circonscrit par une définition minimale, laissait le champ libre aux interprétations et aux prouesses oratoires. L’ouvrage entre alors sur un terrain particulièrement intéressant et qui méritera d’être approfondi, qui est celui des adaptations de la législation et du système pénal face à ce type de procès très médiatisé. En effet, dès 1929 le jury populaire a été supprimé (il n’a fonctionné que de 1869 à 1929) et la même année l’irresponsabilité pénale pour défense d’un droit était restreinte aux seuls droits prévus par la loi (à l’exclusion de ceux défendables du point de vue des valeurs). L’ouvrage finit enfin par la description du film He matado a un hombre consacré à cette affaire et à l’analyse des éléments qui ont été modifié dans la narration du crime et du procès. Speckman souligne notamment la disparition des éléments nationalistes dans l’œuvre de 1964 et la permanence de la dignité féminine investie dans la maternité et l’abnégation.

5Dans la série de livres publiés par le Colegio de México au sein de sa collection sur la vie quotidienne et qui sont construits autour de l’analyse de procès, l’ouvrage d’Elisa Speckman occupe une place essentielle, car il parvient à articuler des faits et une procédure ponctuels et uniques avec des évolutions culturelles et institutionnelles essentielles de la période post-révolutionnaire. Rédigé comme un livre s’adressant à un large public, auquel il est parfaitement accessible, cet ouvrage propose aussi des questionnements et une approche qui intéresseront les lecteurs à la recherche d’un texte spécialisé sur l’évolution de la justice pénale et de la culture juridique au tournant des xixe-xxe siècles.

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Pour citer cet article

Référence papier

Évelyne Sanchez, « Elisa Speckman Guerra, El derecho a vivir como una mujer amante y amada. Nydia Camargo, su crimen y su juicio (México, década de 1920) »Caravelle, 118 | -1, 179-181.

Référence électronique

Évelyne Sanchez, « Elisa Speckman Guerra, El derecho a vivir como una mujer amante y amada. Nydia Camargo, su crimen y su juicio (México, década de 1920) »Caravelle [En ligne], 118 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/12654 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.12654

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Auteur

Évelyne Sanchez

CNRS-IHTP

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