Guillermina del Valle Pavón, Negociación, lágrimas y maldiciones; la fiscalidad extraordinaria en la Monarquía hispánica, 1620-1814
Guillermina del Valle Pavón, Negociación, lágrimas y maldiciones; la fiscalidad extraordinaria en la Monarquía hispánica, 1620-1814, Colección Historia Económica, Instituto de investigaciones Dr Josa María Luis Mora, México, 2020.
Texte intégral
1L’ouvrage coordonné par Guillermina del Valle Pavón regroupe 8 contributions qui couvrent des périodes et des espaces divers de l’histoire impériale espagnole. Leur objet concerne l’étude des « contributions extraordinaires » perçues par la monarchie espagnole en complément de ses ressources fiscales habituelles toujours insuffisantes pour faire face à ce que les documents de l’époque qualifient d’« urgencias ». Comme le rappelle la coordinatrice dans son introduction, cette composante de la fiscalité coloniale a donné lieu ces dernières années à des enrichissements historiographiques significatifs en lien, il faut bien le rappeler, avec les nombreuses recherches ayant porté sur la fiscalité « ordinaire ». Tout particulièrement, la plupart de ces travaux ont permis de dégager un aspect important du système fiscal colonial. Loin d’un fonctionnement de type absolutiste, tous ces prélèvements, tant ordinaires qu’extraordinaires, reposaient au contraire sur la dimension « pactiste » du système politique d’une monarchie espagnole de l’époque moderne se caractérisant par son hétérogénéité. Si les premiers sont consentis par les villes de la Péninsule, tout spécialement dans le cadre des Cortès, les seconds sont négociés un par un avec les diverses corporations qui structurent la société de l’époque, qu’il s’agisse des municipalités ou cabildos, des consulats de marchands ou bien sûr de l’Église. Progressivement, l’intervention des Cortès sur le droit du roi à prélever l’impôt se vidant de tout réel contenu au cours du xviie siècle, la dimension pactiste de ces prélèvements s’efface progressivement dans la Péninsule pour prendre un caractère d’imposition de moins en moins négociée. Tel n’est pas le cas dans le cadre impérial où la structure de l’impôt ne coïncide pas avec celle de la métropole. La première source de revenus américains de la Monarchie reste constituée, jusqu’à la fin de la période coloniale, par le tribut prélevé selon un barème strictement imposé aux populations indiennes. Il est suivi des prélèvements indirects provenant des innombrables taxes perçues sur les opérations commerciales. À l’inverse, l’impôt extraordinaire garde sa dimension négociée avec les diverses corporations invitées à apporter leur soutien à un Monarque toujours à court d’argent, consolidant ainsi le caractère pactiste du système colonial espagnol. En effet, le montant de ces contributions qui n’ont rapidement d’extraordinaires que le nom, eu égard à leur fréquence, est fixé dans le cadre de véritables négociations. Celles-ci impliquent les divers interlocuteurs de la Monarchie, le plus souvent directement avec Madrid par l’intermédiaire de leurs « procuradores » même si les autorités coloniales – à commencer par les vice-rois – interviennent inévitablement dans le marchandage. Ce dernier portait autant sur le montant que s’engageaient à verser les sujets américains qui proclamaient ainsi leur fidélité au Monarque que sur les compensations, de natures diverses, concédées aux généreux « donateurs ». Ces dernières se déclinaient sous des formes variées, qu’il s’agisse de privilèges d’ordre économique octroyés notamment aux consulats renforçant ainsi leur monopole, mais aussi sous la forme de distinctions, honneurs, privilèges ou titres conférés à d’autres corporations, notamment aux villes. Il est probablement vain de s’interroger sur le caractère plus ou moins « forcé » ou au contraire « volontaire » de ces prélèvements, qui s’accompagnent d’ailleurs parfois, notamment au xviie siècle, du recours à un bel oxymoron qui les qualifie de « donativo forsozo »… De fait, on ne peut qu’être d’accord avec Guillermina del Valle Pavón selon laquelle « el carácter gracioso de estos servicios en muchos casos resultó ser mera retórica, debido a que se exigieron por la fuerza » (p. 12).
2Les contributions réunies dans l’ouvrage viennent offrir une illustration de cette particularité du système fiscal colonial. D’un point de vue chronologique, les huit textes se répartissent de la manière suivante : trois se rapportent à la première moitié du xviie siècle, un à l’extrême fin du xviie siècle et enfin quatre à l’extrême fin du xviiie siècle. Certes, les trois époques retenues correspondent indiscutablement à des périodes de crises financières majeures de la Monarchie espagnole, la dernière lui étant d’ailleurs fatale. Mais faute d’une justification de ces choix, le lecteur s’interroge sur la pertinence des regroupements effectués qui n’ont en commun, comme le précise d’ailleurs l’introduction, que de concerner des périodes durant lesquelles la monarchie se retrouva effectivement dans des situations d’urgence. Mais, à deux siècles de distance, sont-ce les mêmes « urgences » qui jouent ? Les besoins financiers de la première moitié du xviie siècle – étroitement liés à la politique militaire européenne de l’Espagne – sont-ils réellement comparables à ceux qui assaillent une métropole exsangue à la fin du xviiie siècle jusqu’à venir à bout de la domination coloniale ? Le recours aux saisies de bien de mainmorte en 1804 ne change-t-il pas radicalement la donne en remettant en cause la dimension « volontaire » des contributions ? Une réflexion sur les contextes respectifs des trois moments de crise financière retenus aurait été bienvenue pour en dégager la cohérence et ainsi légitimer la comparaison.
3En termes spatiaux, les efforts pour offrir une vision aussi large que possible des réalités coloniales américaines méritent d’être soulignés : un texte, centré sur Séville, concerne la Péninsule, trois s’appliquent à la Nouvelle Espagne, deux à la vice-royauté de Buenos Aires, un au Pérou et le dernier à la Nouvelle Grenade.
4La composition d’ensemble de l’ouvrage, qui ordonne les textes selon un ordre chronologique, révèle deux temps forts durant lesquels cette pratique des prélèvements extraordinaires apparaît comme systématique. Le premier regroupe trois textes qui traite de la première moitié du xviie siècle, période de stabilisation du système impérial qui fait suite à celle de la conquête. Celui de J. M. Díaz Blanco et de A. J. Hernández Rodríguez propose une reconstitution minutieuse de la « négociation » menée entre le Monarque et la corporation des cargadores de Séville en 1620. Au-delà de la complexité de la mécanique mise en œuvre afin de percevoir l’octavo de l’argent arrivé à Séville en 1620, les auteurs s’intéressent surtout au sens de la mise en place de ce prélèvement par le Monarque au détriment des commerçants du port. Pour eux, si négociation il y a, elle est totalement asymétrique tant le roi se trouve en position de force. Celle-ci ne résulte pas tant des questions liées aux relations entre vassaux et souverain ou en vertu du caractère sacré de ce dernier, mais plus simplement en raison de la position de l’un et des autres dans le système de la Carrera. Conformément aux règles de cette dernière, tout ce qui entrait dans le port passait d’abord par les mains de la Casa de Contratación, en d’autres termes de l’administration royale… On saisit tout de suite ce que cela pouvait signifier dans la négociation engagée. Dans le même temps, ceux qui, malgré les hauts cris de nombre de leurs semblables, acceptèrent de jouer la carte du Monarque en reçurent postérieurement et en retour récompenses et prestige au nom de la fidélité dont ils avaient témoigné. Ce faisant, la négociation imposée affaiblissait la cohérence de la corporation en invitant ses membres à la mise en œuvre de stratégies individuelles. L’imposition de l’octavo, certes habillée du voile de la générosité et de l’attachement des cargadores au roi, témoignait en réalité de la nature et de la mise en œuvre effective du pacte entre le roi et ses sujets. Elle contribuait surtout à la mise en cause par les commerçants sévillans d’un monopole dont ils étaient certes les premiers bénéficiaires, mais qu’ils ne cessèrent jamais de contourner pendant deux siècles.
5La contribution de G. Bautista y Lugo s’attache à la même reconstitution à propos du don gracieux imposé au cabildo de México sous la forme d’un prêt gratuit renouvelé à plusieurs reprises dans les mêmes années 1620. Dans une négociation tout aussi asymétrique menée avec le vice-roi, l’objectif du cabildo n’est pas tant d’en discuter le montant, mais bien les avantages obtenus en retour. En ce sens, s’ils acceptent de céder une partie de leurs ressources au nom de leur loyauté, ils se préoccupent de bénéficier de la gestion de la dette publique. De la même manière, ils obtiennent de voir protégés les capitaux des commerçants présents dans l’opération en obtenant la possibilité de stimuler l’activité commerciale de la ville dont ils sont les principaux acteurs et les premiers bénéficiaires. Comme le souligne l’auteur, ces dons gracieux devenaient pour les commerçants de Mexico « un instrumento para optimizar crédito local y alejar los intereses de la esfera de sus propios recursos ; para eso estaban los propios del ayuntamiento ».
6Le texte de L. de Nardi aborde quant à lui la question du don gracieux prélevé sur les communautés indiennes à travers trois corregimientos andins au milieu du xviie siècle. Sans surprise, l’auteur souligne les efforts faits par ces populations pour échapper à ces prélèvements supplémentaires qui viennent s’ajouter à tous les autres. Par contre, il observe que parmi les donateurs se retrouvent d’abord des contributeurs ayant une étroite relation avec le service royal, notamment parmi les bénéficiaires de charges. Par ailleurs, il souligne aussi la proportionnalité entre les montants versés et les positions socio-économiques des donateurs laissant entrevoir selon lui une dimension volontaire permettant de mesurer leur soutien apporté à la monarchie. Enfin, la mécanique prévalant dans la perception de ces dons gracieux suscite une certaine émulation entre tous les donateurs, l’ensemble de ces derniers ne se recrutant pas exclusivement parmi les plus aisés des régions considérées. C’est donc aussi le bénéfice symbolique obtenu par les contributeurs qui peut expliquer leur acceptation de ces prélèvements.
7Un second ensemble de textes concerne le recours à ces mêmes prélèvements à l’extrême fin du xviiie siècle. Si trois textes abordent la question dans la même optique que les textes précédents, renforçant la cohérence de l’ensemble, la contribution de V. L. Grieco relative à la corruption, fort intéressante par ailleurs et alimente la discussion sur un sujet passionnant largement traité depuis une vingtaine d’années, se situe quelque peu en décalage par rapport au reste de l’ouvrage. Quant aux trois autres contributions, elles portent sur la Nouvelle Grenade, la Nouvelle Espagne et la vice-royauté de La Plata, confirmant la permanence et la généralité d’une pratique bi-séculaire. On soulignera en particulier la possibilité d’une comparaison entre deux vice-royautés – Nouvelle Espagne et La Plata – à compter des années 1790 à travers les textes de E. Nieves Pimentel et de J. Kraselsky. Le premier revient sur le débat des modalités mises en œuvre pour effectuer ces dons, soulignant que, dans le cas de 1798, ils furent « absolument volontaires ». Selon son analyse, le succès rencontré par ce prélèvement extraordinaire auquel toutes les composantes de la société coloniale acceptèrent de contribuer résulte de deux facteurs essentiels. Elle souligne d’abord l’implication du vice-roi et la mobilisation de ses représentants à travers toute la vice-royauté afin de susciter l’adhésion rappelant urbi et orbi le caractère volontaire de la contribution. Mais elle souligne surtout la très forte pression sociale qui s’exerçait sur les sujets du roi afin de les inciter à y contribuer. Pour elle donc, au-delà de la dimension fiscale sur laquelle on insiste le plus souvent, il faut prendre en compte la dimension symbolique de ces opérations à travers les contreparties qu’en espéraient les sujets. Tout particulièrement, c’est d’abord à l’échelle locale que l’impact pouvait se faire ressentir en permettant de mobiliser une participation à ce type de prélèvement dans le jeu politique proche.
8La contribution de J. Kraselsky fait le choix d’une chronologie qui enjambe la crise d’indépendance. On retrouve d’abord les mêmes motivations et mécanismes déjà signalés par les autres textes. Par contre, il est intéressant de constater que, après 1808, les nouvelles autorités recourent elles aussi à ce même mécanisme de prélèvement extraordinaire en y ajoutant une nouvelle dimension obligatoire. Pour le Cabildo, c’est là l’occasion de voir reconnu son rôle central dans le nouveau système politique qui s’installe. Quant aux commerçants du Consulado, également « invités » à contribuer, c’est le moyen d’obtenir des garanties pour le bon déroulement de leurs échanges. La principale nouveauté réside ici dans ce que tous les commerçants, espagnols comme étrangers, tout particulièrement les Britanniques, se retrouvent mis à contribution. Pour ces derniers, cela devient même la condition d’un accès aux activités commerciales associées au port.
9L’ouvrage coordonné par G. del Valle Pavón offre ainsi une vision assez complète, centrée sur deux périodes de crises majeures de la Monarchie espagnole, de la pratique de ces prélèvements extraordinaires aux Indes. Si l’on regrette l’absence d’une conclusion qui offrirait au lecteur une synthèse et dégagerait les rapprochements, mais aussi les différences d’un mécanisme de prélèvement qui se maintient plus de deux siècles durant, on n’en soulignera pas moins l’intérêt majeur des textes réunis : ils offrent en effet une belle synthèse sur une modalité de contribution fiscale dont le sens et la portée ne se limitent pas à sa seule dimension monétaire.
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Bertrand, « Guillermina del Valle Pavón, Negociación, lágrimas y maldiciones; la fiscalidad extraordinaria en la Monarquía hispánica, 1620-1814 », Caravelle, 118 | -1, 173-177.
Référence électronique
Michel Bertrand, « Guillermina del Valle Pavón, Negociación, lágrimas y maldiciones; la fiscalidad extraordinaria en la Monarquía hispánica, 1620-1814 », Caravelle [En ligne], 118 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/12638 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.12638
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