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Comptes rendus

Sarah Albiez-Wieck, Lina Mercedes Cruz Lira, Antonio Fuentes Barragán (ed.), El que no tiene de inga, tiene de mandinga. Honor y mestizaje en los mundos americanos

Frédérique Langue
p. 171-173
Référence(s) :

Sarah Albiez-Wieck, Lina Mercedes Cruz Lira, Antonio Fuentes Barragán (ed.), El que no tiene de inga, tiene de mandinga. Honor y mestizaje en los mundos americanos, Madrid, Iberoamericana-Vervuert, 2020, 445 p. (prólogo J. P. Zúniga).

Texte intégral

1Dans la lignée de l’historiographie conséquente portant sur le métissage en terres américaines, cet ouvrage à plusieurs mains occupe d’entrée une place particulière. Reprenant en grande partie des thématiques bien connues des historiens de l’Amérique espagnole et luso-brésilienne et réunissant selon une pratique désormais bien ancrée des américanistes des deux continents, il reprend en effet un fil conducteur majeur, celui de l’honneur dans les différentes déclinaisons qu’autorise une société d’Ancien Régime. Il aborde dans le même temps la question des « catégories » en usage dans les sociétés indianas, sans compter le rôle dévolu à la justice lorsqu’il s’agit de trancher en faveur des métis ou de leurs contempteurs. Historiens et anthropologues de diverses générations se rejoignent ici en une démarche tout aussi éprouvée bien qu’un peu oubliée au cours de ces dernières années dominées par la tendance à un recentrage disciplinaire. C’est donc un véritable dialogue qui est ici décliné au fil des chapitres, entre historiographie de la période moderne et des considérations épistémologiques plus contemporaines autour des normes qui régissent en première instance des pratiques et des stratégies, voire des processus de négociation expérimentés au quotidien et les représentations sociales qui les inspirent.

2L’« expérience américaine » est en effet faite de confrontations, mais aussi d’adaptations permanentes au cadre normatif issu de la péninsule, qu’il s’agisse de revendications sociales et d’élaboration de généalogies spécifiques sur le modèle toutefois des élites nobiliaires que nous avions eu l’occasion d’observer sur plusieurs terrains. Tel est le sens des stratégies matrimoniales fondées sur l’honneur des uns et des autres, des contestations fiscales, de l’intromission des femmes et plus encore des métisses dans des relations sociales marquées en définitive par la fluidité et perméabilité des frontières de couleur, des dénominations et des hiérarchies sociales dans l’espace public et au quotidien. En témoignent plusieurs contributions, et, en tout premier lieu, l’étude à caractère de synthèse de Verónica Undurraga Schüler (« Sangre, herencias y alcobas. El honor en la experiencia y en la historiografía de la América colonial »), centrée sur la question de l’honneur en tant que « réalité personnelle dynamique » et « expérience », associant dans une perspective d’histoire culturelle un itinéraire de recherche amplement reconnu et un bilan historiographie pour l’Amérique coloniale, du xvie au xixe siècle. Spécialiste de la question pour le Chili, l’auteure prend en compte aussi bien des statuts revendiqués et défendus au détour de sources judiciaires qu’un modèle incontestablement inspiré de la noblesse, celui de l’honneur et de ses usages sociaux, et, in fine, des négociations qu’il inspire aux différents acteurs sociaux en présence (et tout particulièrement des métis et des femmes de tous statuts) confrontés à des normes culturelles. Mauricio Alejandro Gómez Gómez prolonge cette approche en termes de subversion de la réalité indiana en abordant les formes de coexistence et de violence qui marquèrent le processus de métissage, à la fois biologique et culturel, dans le royaume de Nouvelle-Grenade, entre Indiennes et Espagnols en contexte urbain, et cette voie d’ascension sociale alternative que représenta pour les Indiennes le concubinage.

3Les deux contributions suivantes, celles de Raquel Gil Montero et Sarah Albiez-Wieck, s’attachent à considérer l’aspect fiscal du métissage, les stratégies sociales mises en œuvre de Charcas à Cajamarca et à la province de Michoacán, parallèlement aux revendications explicitement formulées par les intéressés quant à leur statut afin de se soustraire à une classification (fiscale) jugée arbitraire et, même, de fonder de « nouvelles identités fiscales », indissociables de « l’émergence du concept moderne de race ». La construction de généalogies sociales et la redéfinition de la « blancheur » sur les marges de l’indianité ou de la négritude dont le « stigmate » parcourt nombre de documents d’archives, qu’il s’agisse d’archives judiciaires ou ecclésiastiques – constamment mises à l’épreuve des faits lors des inscriptions dans les registres de baptême, ou lors de mariages et plus encore de dispenses préalables – est déjà bien connue des spécialistes d’Amérique espagnole. Ces généalogies revisitées et la blancheur revendiquée des métis en quête de statut social d’exception apparaît clairement dans les stratégies matrimoniales des castas, qu’il s’agisse de la Rioja coloniale (Roxana Boixados et Silvina Smietnansky), ou du centre-nord de la Nouvelle-Espagne et plus particulièrement de Zacatecas (Soizic Croguennec). Au cœur de ces alliances matrimoniales, terres et majorats, et, par conséquent, les lignages, réels ou recréés, jouent un rôle déterminant que confirment certaines de ces études de cas, ainsi l’analyse d’Antonio Fuentes Barragán pour Buenos Aires à la fin du xviiie siècle et au début du xixe autour des conflits suscités par l’application et plus encore l’interprétation de la Real Pragmática de matrimonios de 1776. Plusieurs des approches ici proposées soulignent par ailleurs que, dans ces stratégies d’honneur, mais aussi de coexistence et de subversion de l’ordre moral, les femmes jouent un rôle majeur (Lina Mercedes Cruz Lira sur les « libertés » de l’honneur féminin, ou encore Selina Gutierres Aguilera, María Alejandra Fernández).

4Les relations entre métissage et la formation de la nation cas constituent enfin une autre orientation majeure de cet ouvrage, avec les exemples emblématiques du Paraguay et du Brésil (Vania Maria Losada Moreia). Ignacio Telesca et Barbara Potthast en approfondissent les déterminants ethniques et politiques – l’« âme d’une race » – dans le cas du Paraguay, considérant l’impact du legs colonial sur la formation de la nation et en particulier sur l’identité guarani, en une sorte de « métissage à la carte » qui diffère de celui observé dans les pays voisins. Face aux discours nationalistes qui caractérisent le xixe siècle, le métissage semble à cet égard s’insérer dans une fiction de l’unité nationale.

5La lecture finale de ce bel ensemble, effectuée sous la plume de Max Hering Torres permet de mettre en exergue au moyen d’une « carte conceptuelle »/mapa conceptual – les phénomènes de mobilité et d’adaptation qui caractérisent la société indiana en tant que société d’Ancien Régime, fondée en première instance sur l’honneur, devenu au cours de la période coloniale, non un ensemble monolithique de privilèges portés par les élites nobiliaires (et la défense de la limpieza de sangre), mais un capital et un idéal symboliques amplement partagés, resignifiés et obéissant à une rationalité sociale qui transcende les frontières des « états » (estamentos). Loin des débats actuels sur la « race », des concepts essentialisés et de leurs contradictions renouvelées dans l’espace public, cet ouvrage collectif permet par conséquent de nuancer l’approche normative qui s’impose parfois encore aux historiens de la période moderne et au-delà. La variabilité des pratiques et des formes de sociabilité, la souplesse des acteurs sociaux, leur capacité de négociation, tendent à configurer un espace, majoritairement urbain, de démocratie raciale et d’identités nouvelles, se prêtant à la négociation au quotidien de ces « zones grises entre normes et actions » qui perdureront bien au-delà de la période dite coloniale. Il constitue par conséquent une lecture incontournable pour les spécialistes d’histoire sociale et culturelle d’Amérique espagnole et luso-brésilienne.

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Pour citer cet article

Référence papier

Frédérique Langue, « Sarah Albiez-Wieck, Lina Mercedes Cruz Lira, Antonio Fuentes Barragán (ed.), El que no tiene de inga, tiene de mandinga. Honor y mestizaje en los mundos americanos »Caravelle, 118 | -1, 171-173.

Référence électronique

Frédérique Langue, « Sarah Albiez-Wieck, Lina Mercedes Cruz Lira, Antonio Fuentes Barragán (ed.), El que no tiene de inga, tiene de mandinga. Honor y mestizaje en los mundos americanos »Caravelle [En ligne], 118 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/12618 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.12618

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