Quelle évolution de la place des femmes dans la culture héroïque centraméricaine ?
Résumés
L’hypothèse principale de ce travail est que les héros nationaux ont longtemps été un outil de diffusion d’une masculinité dominante et de légitimation de l’ordre patriarcal établi en Amérique Centrale depuis la proclamation de l’indépendance en 1821. Dans une première partie, ce sont les ruptures et continuités dans l’évolution des modèles héroïques qui sont interrogées, pour ensuite déterminer la place des femmes dans la narration officielle. La troisième et dernière partie se penche sur les enjeux actuels des liens entre Histoire et Genre.
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L’article a été soumis pour évaluation le 11/09/21 et a été accepté pour publication le 15/01/22.
Texte intégral
Introduction
- 1 « Catalina, la mujer de la bandera » (13 min.) [https://www.youtube.com/watch?v=CwlkGqRRyaA (consu (...)
1Dans le cadre des commémorations de 2021, le rôle des femmes dans le processus indépendantiste de l’Amérique hispanique a été mis en valeur par des actes officiels, comme avec l’inauguration du paseo de las heroínas en plein cœur de la capitale mexicaine avec 12 statues de « grandes femmes » ; ou celle d’une galerie de portrait des Beneméritas de la patria au Costa Rica. Des activités académiques ont aussi été réalisées en ce sens, de même que des supports audiovisuels destinés au grand public, tels que la vidéo sur Catalina Echevarría de Vidal diffusée par Canal Encuentro, chaîne de télévision argentine1. Les études de genre développées depuis les années 1980 ont revalorisé la place des femmes dans l’écriture de l’Histoire, y compris en Amérique Centrale. La visibilisation de leur rôle comme actrices historiques reste toutefois un défi actuel étant donné la force des représentations patriarcales, et ce d’autant plus que l’on remonte dans le temps du fait de la difficulté à trouver des sources adéquates. À l’heure de commémorer le bicentenaire de l’indépendance centraméricaine, il s’agit ici de faire un état des lieux sur la condition des femmes dans les modèles héroïques, en retraçant les évolutions du récit historique depuis le xixe siècle jusqu’à nos jours.
- 2 Voir notamment : Jelin, Elizabeth, et Lorenz, Federico Guillermo (comp.), Educación y memoria. La (...)
2Comme dans le reste de l’Amérique hispanique, le récit traditionnel du processus indépendantiste en Amérique Centrale a été focalisé sur les próceres ou « Pères de la Patrie », considérés comme les seules figures dont le souvenir était digne d’être perpétué. Il s’agissait pour la plupart d’hommes provenant de l’élite créole dans une vision homogène et excluante de la nation en tant que communauté imaginée selon l’expression de Benedict Anderson. Les héros sont à la frontière entre la réalité et la fiction, car ils sont construits comme des modèles que les générations futures doivent prendre comme exemple. Si le modèle héroïque vient de l’Antiquité, sa signification aurait radicalement changé à partir de la révolution française en mettant en relief la figure du citoyen en armes2.
- 3 Sommer, Doris, Foundational Fictions: The National Romances of Latin America, University of Califo (...)
3L’hypothèse principale de ce travail est que le héros a été un outil de diffusion d’une masculinité dominante et de légitimation de l’ordre patriarcal établi en Amérique Centrale depuis la proclamation de l’indépendance en 1821. Dans une perspective décoloniale, plusieurs autrices telles que Doris Sommer et Ochy Curiel ont mis en avant le lien entre la construction des États-nations et les normes hétéro-patriarcales3. La culture héroïque développée a été intrinsèquement liée à la notion de virilité, basée sur le sens du sacrifice, de l’honneur, de la maîtrise de soi, et inscrite dans une tradition judéo-chrétienne. Il s’agit à la fois d’un ensemble de valeurs et de codes comportementaux :
- 4 Corbin, Alain ; Courtine, Jean-Jacques et Vigarello, Georges (dir.), Histoire de la virilité, 2e t (...)
La virilité ne constitue pas une simple vertu individuelle. Elle ordonne, irrigue la société, dont elle sous-tend les valeurs. Elle induit des effets de domination – dont celle exercée sur la femme ne constitue qu’un élément. Elle structure la représentation du monde. Pour l’individu de ce temps, elle ne constitue pas tant une donnée biologique qu’un ensemble de qualités morales qu’il convient d’acquérir, de préserver, et dont l’homme doit savoir faire la preuve4.
4À partir de différentes sources écrites (articles de presse et ouvrages d’histoire, entre autres), mais aussi de l’iconographie et des marques territoriales (monument, toponymie), nous souhaitons interroger la remise en cause de ce lien et la progressive féminisation du récit traditionnel. Cet article présente une phase exploratoire de la recherche pour l’instant principalement basée sur des sources secondaires, car sans accès au terrain. Dans une première partie, ce sont les ruptures et continuités dans l’évolution des modèles héroïques qui sont interrogées, pour ensuite déterminer l’évolution de la place des femmes dans la narration officielle. La troisième et dernière partie se penche sur les enjeux actuels des liens entre Histoire et Genre.
Ruptures et continuités dans l’évolution des modèles héroïques
- 5 Cité dans Molina Jiménez, Iván, La estela de la pluma, cultura impresa e intelectuales en Centroam (...)
5Contrairement aux autres pays hispanoaméricains, l’Amérique Centrale acquiert son indépendance sans conflit armé face à la couronne espagnole, en s’annexant à l’empire mexicain d’Agustín de Iturbide en 1821 jusqu’à sa dissolution en 1823. Le Hondurien José Cecilio del Valle et le Guatémaltèque Pedro Molina, entre autres signataires de l’acte d’indépendance dans la capitale de l’ancien royaume du Guatemala, ont été les figures les plus célébrées. C’est leur rôle en tant qu’intellectuels, bien que directeurs de journaux opposés idéologiquement, qui les a élevés au rang de Pères de la Patrie. Del Valle, dont le surnom était « le Sage », avait lui-même déclaré en 1820 que : « Sur l’échelle des êtres, l’homme est le premier. Sur l’échelle des hommes, le Sage est le plus grand […], le Sage est celui qui se rapproche le plus de la Divinité : celui qui donne honneur à l’espèce, et lumière à la terre […]. Ses tâches sont immenses : ses œuvres sublimes, ses triomphes héroïques5 ». Si des militaires sont célébrés au Salvador comme le général Manuel José Arce, entre autres pour sa participation au « premier cri de l’indépendance » de 1811, un homme d’Église l’est également, José Matías Delgado. L’aspect guerrier a donc été un élément clé de la culture héroïque développée, mais il ne l’a pas été de manière exclusive.
- 6 Lacaze, Catherine, Francisco Morazán, le Bolivar de l’Amérique Centrale ?, Rennes, PUR, 2018.
- 7 López Bernal, Carlos Gregorio, Mármoles, Clarines y Bronces. Fiestas cívico-religiosas en El Salva (...)
- 8 Thibaud, Clément, Républiques en armes, les armées de Bolivar dans les guerres d’indépendance du V (...)
- 9 Tábora, Rocío, Masculinidad y violencia en la cultura política hondureña, Tegucigalpa, Centro de D (...)
- 10 García Buchard, Ethel, Política y Estado en la sociedad hondureña del siglo xix (1838-1872), Teguc (...)
6En 1823, une République fédérale d’Amérique Centrale est créée unissant le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica. Malgré sa dissolution en 1839, cette période deviendra rapidement un mythe d’origine. Francisco Morazán, caudillo libéral hondurien et président de la Fédération pendant près de dix ans, sera pour sa part considéré comme le Bolívar centraméricain6. Son combat contre le caudillo conservateur guatémaltèque Rafael Carrera est immédiatement inscrit dans une perspective dichotomique entre civilisation et barbarie, chaque camp affirmant incarner le bien commun. C.-G. López souligne pourtant que ce sont les célébrations collectives qui sont officiellement privilégiées durant la période de la Fédération7. Sans doute est-ce pour assurer un équilibre entre l’individuel et le collectif, car selon C. Thibaud : « le caudillo doit partager les valeurs de ses hommes, sans pour autant dissoudre sa particularité qui le rend apte au commandement. Sa singularité procède paradoxalement de sa capacité à porter haut les valeurs du groupe sans se confondre avec lui8 ». En Amérique Centrale, le xixe siècle a été marqué par le phénomène du caudillisme notamment à partir des guerres fédérales. R. Tábora a montré comment la figure du caudillo, ce leader politique et militaire, a caractérisé la culture patriarcale de la région9. E. García considère également que l’homme en armes a été l’acteur fondamental du processus post-indépendantiste, et que c’est ce qui explique que le modèle du soldat-citoyen et la mémoire du héros sont perçus comme la seule histoire à commémorer10.
- 11 Fumero, Patricia, « De la iniciativa individual a la Cultura oficial: el caso del General José Dol (...)
- 12 Acuña Ortega, Víctor Hugo, “Costa Rica: la fabricación de Juan Rafael Mora (siglos xix-xxi)”, Cara (...)
- 13 Palmer, Steven, « Sociedad Anónima, Cultura Oficial: Inventando la Nación en Costa Rica, 1848-1900 (...)
7Aux premiers mouvements « indépendantistes » de 1811, à la signature de l’acte d’indépendance en 1821 et à la création de la République fédérale de 1823 viendra s’ajouter, en tant qu’épisode fondateur de la nation, la guerre contre les flibustiers dirigés par William Walker durant la décennie de 1850. Le combat pour expulser les Étasuniens envahisseurs a pris une ampleur régionale et sera considéré comme la véritable guerre d’indépendance, notamment au Nicaragua et au Costa Rica. Des soldats s’étant illustrés durant le conflit sont alors consacrés comme héros nationaux, tels que le Nicaraguayen José Dolores Estrada11, et les Costariciens Juan Rafael Mora12 et Juan Santamaría13. Si la majorité des próceres sont des créoles, hommes représentants les racines occidentales de la « race » et provenant des hautes sphères de la société, ce n’est pas le cas de Santamaría, simple soldat d’infanterie et dont le surnom « le hérisson » indiquerait ses origines afrodescendantes, même si cet aspect n’a été mis en avant que récemment.
- 14 Carrera Damas, Germán, « Del heroísmo como posibilidad al héroe nacional-padre de la patria », in (...)
- 15 Molina Jiménez, Iván, « “Marte en un Bochinche”… », op. cit.
- 16 Herrera Mena, Sajid, « Una religiosidad cuestionada: los liberales frente a la Iglesia salvadoreña (...)
8L’historiographie centraméricaine du xixe siècle peut se diviser en deux visions opposées : libérale et conservatrice, mais ce sont généralement les mêmes figures qui sont placées au premier plan, que ce soit pour les exalter ou au contraire les dénigrer. L’écriture de l’histoire, comme ailleurs dans le monde occidental, passait avant tout par un jugement des actions des grands hommes. G. Carrera, qui a étudié l’héroïsation de Bolívar au Venezuela, met en relief l’importance de la « conscience chrétienne catholique » d’une société peu institutionnalisée dans l’élaboration d’un panthéon hiérarchisé autour d’un Père fondateur14. I. Molina souligne que le recours aux références gréco-romaines en Amérique Centrale montre la difficulté d’inventer un passé spécifique, et les allusions à la Bible sont utilisées pour une meilleure circulation des figures héroïques parmi les couches populaires15. Comme le soutient S. Herrera, l’instauration d’une religion civique n’est pas à comprendre seulement comme une opposition à l’Église catholique, mais traduit la recherche d’une forme de religiosité laïque16. C’est une culture providentielle ou téléologique qui est ainsi développée, dans laquelle la poésie joue un rôle fondamental, car elle permet des comparaisons audacieuses.
- 17 Payne Iglesias, Elizet, « La historia oficial. Orígenes de la historiografía liberal Centroamerica (...)
- 18 Ramírez Fuentes, José Alfredo, « De caciques a héroes nacionales », Identidades, 2016, n° 10, p. 1 (...)
- 19 Euraque, Darío, « Antropólogos, arqueólogos, imperialismo y la mayanización de Honduras: 1890-1940 (...)
9Le récit traditionnel commence à être interrogé à partir du début du xxe siècle quand différents secteurs de la société jusqu’alors marginalisés (femmes, ouvriers, indigènes notamment) luttent pour faire entendre leur voix. De manière générale, on peut dégager une certaine démocratisation de l’écriture de l’Histoire et le développement de la dimension collective de l’héroïcité. E. Payne qualifie de « version sociale-démocrate » la rupture théorique qui a lieu en Amérique Centrale à ce moment-là17. Les cultes aux héros nationaux sont alors transformés et de nouvelles figures pénètrent dans les panthéons, en particulier dans le cadre du centenaire de l’indépendance en 1921. C’est le cas des caciques indigènes qui avaient lutté contre les conquistadors espagnols : Tecún Umán au Guatemala, Atlacatl au Salvador, Lempira au Honduras et Nicarao au Nicaragua18. Même s’il n’y a pas de preuves historiques attestant de l’existence de certaines de ces figures, elles ont toutes été exaltées comme des symboles d’autonomie nationale dans un contexte d’hégémonie des États-Unis dans la région. En créant totalement une iconographie, les élites créoles ont toutefois pu manipuler ces figures selon l’idéologie officielle du métissage19.
- 20 Casaús Arzú, Marta Elena et García Giráldez, Teresa, Las redes intelectuales centroamericanas: un (...)
- 21 Arias Mora, Dennis, « Vicente Sáenz: el antifascismo itinerante o los fantasmas del patriarca », i (...)
10À l’heure où le Parti Unioniste Centraméricain (PUCA) notamment promouvait un projet de société populaire et pacifiste, les maîtres et maîtresses d’école sont élevés au statut de véritables défenseurs de la civilisation20. Toutefois, la force physique continue d’être exaltée, bien que certains préfèrent célébrer les travailleurs plutôt que les soldats. Même si les services rendus à la patrie sont considérés dans une dimension plus quotidienne, le modèle du soldat-citoyen est si ancré dans les représentations sociales qu’il est difficile de construire un archétype civique qui ne soit pas fondé sur l’idéalisation de la force masculine. Y compris les antiimpérialistes et antifascistes tels que Vicente Sáenz, considèrent que le manque d’implication politique des hommes est une preuve de leur féminisation21.
- 22 Corbin, Alain, Courtine, Jean-Jacques et Vigarello, Georges (dir.), Histoire de la virilité, 3e to (...)
- 23 Gómez Lacayo, Juan Pablo, Autoridad / Cuerpo / Nación. Batallas culturales en Nicaragua (1930-1943 (...)
11Les cultes hérités du xixe siècle ne disparaissent donc pas : les narrations sont actualisées au nom de la démocratie. En Europe, la boucherie de la Première Guerre mondiale a mis en évidence la vulnérabilité masculine, et la création d’armées professionnelles a contribué à créer une brèche entre les valeurs militaires et civiles22. Mais la situation en Amérique Centrale est différente étant donné la militarisation de la société à partir des années 1930 qui renouvelle l’équilibre des aspects guerriers et civiques des panthéons héroïques. J.-P. Gómez montre comment l’ascension d’Anastasio Somoza García au Nicaragua est due à la relation établie entre le champ militaire et le champ religieux23. Le patron d’autorité alors mis en place repose sur une nostalgie de l’époque coloniale et sur une revendication de la conquête des Amériques au nom de la civilisation chrétienne. Les valeurs de chasteté virile et de pudeur féminine vont de pair pour rehausser la figure du soldat comme fécondateur de la patrie.
- 24 Lacaze, Catherine, Francisco Morazán, le Bolivar de l’Amérique Centrale ? op. cit., p. 255-256.
- 25 Pailler, Claire, Mitos primordiales y poesía fundadora en América Central, Paris, CNRS, 1989, p. 3 (...)
12Les mouvements révolutionnaires de la deuxième moitié du xxe siècle transforment l’archétype de l’homme nouveau en choisissant de nouvelles figures telles que Augusto C. Sandino (guérillero nicaraguayen ayant lutté contre la domination étasunienne et assassiné en 1934), ou bien en appelant les héros du xixe siècle à descendre de leurs statues pour partager le quotidien du peuple24. La rhétorique de l’immortalité, de la rédemption et de la réincarnation, en extrayant les héros de leur contexte historique, permet une actualisation du sens de leurs actions25. Les métaphores religieuses, notamment celles de la lumière et de la semence fertile, continuent ainsi d’être employées pour justifier la lutte armée contre les dictatures. Le citoyen était à nouveau appelé à être soldat, et le monde des armes en théorie réservé aux hommes s’ouvre alors aux femmes qui prennent massivement part aux Fronts de libération nationale, notamment au Nicaragua et au Salvador.
Place des femmes dans les narrations historiques officielles
- 26 Cañas Dinarte, Carlos, Historias de mujeres protagonistas de la independencia (1811-1814). Insurge (...)
- 27 Godineau, Dominique, « De la guerrière à la citoyenne. Porter les armes pendant l’Ancien Régime et (...)
13La plupart des figures incarnant la nation en Amérique Centrale, comme dans le reste de l’Amérique hispanique, sont donc des hommes. Quelques femmes ont toutefois été héroïsées dès le xixe siècle, telle que la Guatémaltèque María Bedoya de Molina, pour avoir animé une manifestation face à l’édifice où étaient réunis les délégués discutant de l’acte d’indépendance afin de faire pression pour sa signature. Selon C. Cañas, les idéaux de la Révolution française ont été déterminants pour soutenir le projet des indépendantistes, et il est possible que l’action de femmes révolutionnaires telles qu’Olympe de Gouges, ait également eu un impact26. D. Godineau souligne à quel point les femmes françaises étaient conscientes du lien entre le port des armes et la citoyenneté, et certaines revendiquaient le droit de former une garde nationale pour accéder à l’égalité politique27.
- 28 Ortemberg, Pablo, « Monumentos, memorialización y espacio público: reflexiones a propósito de la e (...)
- 29 Morant, Isabel (dir.), Historia de las mujeres en España y América latina, 3e tome : “Del siglo xi (...)
14Leona Vicario au Mexique, Manuela Sáenz en Équateur, Policarpa Salavarrieta en Colombie ou Juana Azurduy en Bolivie, sont devenues des héroïnes nationales pour avoir pris part aux mouvements indépendantistes. Dès 1825, Simón Bolívar avait déclaré Juana Azurduy « héroïne » du nouvel Etat. Nommée héroïne nationale bolivienne en 1962, elle fut consacrée « héroïne des Amériques » en 1980 dans le cadre du centenaire de sa naissance. P. Ortemberg considère que ses traits furent masculinisés dans l’iconographie pour dissimuler la transgression symbolisée par une femme ayant accompli des actes traditionnellement liés au masculin28. Il souligne qu’en parallèle, au début du xxe siècle, commençait à se diffuser un culte à un héros collectif, populaire, métis et féminin incarné dans « les héroïnes de La Coronilla » dans la ville de Cochabamba. Ce culte est pourtant également lié à une image maternelle : dès 1927, l’anniversaire de leur immolation est choisi pour célébrer la fête des Mères, ce qui montre la vigueur d’une « maternité patriotique » permettant aux femmes d’occuper une place visible dans le récit historique29.
- 30 Agulhon, Maurice, Marianne au pouvoir : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, (...)
- 31 Idem, p. 349.
- 32 Gutiérrez Viñualez, Rodrigo, Monumento conmemorativo y espacio público en Iberoamérica, Madrid, Cá (...)
- 33 Díaz Arias, David, « Mujer, madre y nación: el ángel de la independencia costarricense », Mesoamér (...)
15À l’instar de la Marianne française, les femmes ont été utilisées en Amérique latine pour représenter la nation sous forme d’allégories. M. Agulhon souligne que le succès de la figure est dû à sa polysémie et à son image principalement maternelle30. L’historien considère que la figure anonyme de l’allégorie incarnant la république est à opposer au portrait d’un individu, notamment d’un soldat, symbolisant un pouvoir autoritaire, bien que cette opposition repose sur la dichotomie entre le masculin lié à l’autorité, la force et le combat, face au féminin identifié à la conciliation, la douceur et la paix31. R. Gutiérrez a étudié l’usage des allégories féminines dans les monuments construits sur le continent américain et souligne que ceux-ci remplissent une fonction pédagogique en diffusant la vision officielle de l’histoire dans l’espace public32. La représentation de la nation costaricienne sous les traits d’un ange féminin pour la célébration de l’indépendance en 1924 par un peintre espagnol résidant au Costa Rica, Tomás Povedano y Arcos, illustre la circulation des codes33. C’est aussi une image maternelle qui est ici créée avec une connotation religieuse autorisant le parallèle avec la Vierge Marie, d’autant plus que la fête de l’ascension (15 août) a été choisie pour célébrer la fête des Mères en 1932. D. Díaz, en reprenant les travaux de Geneviève Fraisse, souligne la contradiction entre l’exaltation d’une allégorie féminine et la négation des droits politiques aux femmes du début du xxe siècle.
- 34 « Programa de la función fúnebre que se hará en el recibo, exequias e inhumación de los restos mor (...)
- 35 Revista del Archivo y Biblioteca Nacionales de Honduras, t. XXI, n.º 1-2-3, juillet-août-septembre (...)
- 36 Idem. Voir l’article sur le livre de Salvador Turcios.
16Les femmes ayant participé au processus indépendantiste dont le souvenir a été perpétué l’ont été en grande partie en tant qu’épouses des « grands hommes » : Pedro Molina dans le cas de María Bedoya, ou bien Francisco Morazán dans le cas de María Josefa de Lastiri. Le corps de cette dernière a été enterré dans le même mausolée que son époux à San Salvador en 1858, réunissant dans une vision romantique par-delà la mort un couple séparé durant leur vie tourmentée34. Il faut pourtant attendre la commémoration du centenaire de la mort Morazán, en 1942, pour que Josefa Lastiri soit revalorisée au Honduras. Une peinture est reproduite dans le numéro commémoratif de la revue des Archives nationales et la légende la qualifie de « belle femme, talentueuse, héroïque, et dévouée, digne épouse du Prócer d’Amérique Centrale35 ». C’est ainsi « l’héroïcité domestique de la femme classique de la Bible » qui est célébrée36. Même si les relations extraconjugales de Morazán ont été soulignées pour valoriser son côté séducteur, les écrits sur sa descendance se multiplient pour ancrer le noyau familial dans une vision catholique de la société. L’hommage rendu à la mère de Morazán, Guadalupe Quezada Borjas, va dans le même sens en célébrant sa capacité d’avoir su élever un héros de manière pieuse.
- 37 « Dolores Bedoya no es como la pintan », Prensa Libre, Guatemala, 14 septembre 2017 [https://www.p (...)
- 38 Iraheta, Patricia et Las Dignas, « Salvadoreñas en la independencia centroamericana », 2014 [http: (...)
- 39 Cañas Dinarte, Carlos, Historias de mujeres protagonistas de la independencia…, op. cit.
17La Guatémaltèque María Bedoya a bénéficié d’un culte officiel, même s’il a fallu attendre 1983 pour qu’un buste lui soit érigé Avenue de la Réforme dans la capitale, et bien que sa représentation iconographique ait été inventée37. Concernant María de los Angeles Miranda, Salvadorienne ayant participé aux mouvements du 5 novembre 1811, le Chilien Luis Vergara Ahumada avait incorporé son portrait dans une peinture de grandes dimensions réalisée en 1957 pour célébrer l’événement historique. Si le tableau, exposé dans le salon d’honneur de la Maison Présidentielle de San Salvador, a connu une diffusion certaine, ce n’est pas le cas du nom du personnage féminin38. Et c’est tout récemment, en 2004, qu’un monument rendant hommage aux próceres de l’indépendance érigé dans les installations du musée militaire de San Salvador a inclus le nom de plusieurs femmes salvadoriennes39.
- 40 Serrano, Emilia, Americanos célebres, Barcelona, Imp. Sucesores de N. Ramirez y Ca,1888, t. 2.
18Les femmes ayant obtenu une reconnaissance nationale, voire régionale, proviennent-elles aussi de l’élite créole. Leur héroïsation s’est fondée sur une vision traditionnelle de la place de la femme dans la société, soumise à la volonté des hommes et liée à la sphère privée. Cela peut s’expliquer par la prédominance des hommes dans le champ historiographique, mais certaines femmes ont aussi pris la plume pour alimenter cette culture héroïque. C’est le cas d’Emilia Serrano, espagnole ayant visité le continent américain et publié un ouvrage intitulé Americanos célebres. Morazán y figurait selon la vision libérale traditionnelle, mais le portrait choisi proposait des proportions beaucoup moins élégantes que le profil diffusé à grande échelle et présentant des similitudes évidentes avec Bolívar (les pattes de la barbe notamment)40. Ce profil, devenu icône, a été utilisé pour faire de Morazán un représentant des racines occidentales de la « race », montrant ainsi l’importance de la physionomie dans le culte héroïque.
- 41 Arroyo Calderón, Patricia, “Liberalismo, catolicismo y romanticismo: la construcción discursiva de (...)
- 42 Gómez Lacayo, Juan Pablo, “Cuerpos: masculinidades / feminidades / catolicismo / nación (Nicaragua (...)
19À partir du début du xxe siècle et la remise en question du récit national homogène et excluant, des comités féminins sont créés pour revendiquer des droits politiques et sociaux. La constitution de la république tripartite de 1921 est d’ailleurs la première à octroyer le droit de vote aux femmes en Amérique latine41. Toutefois, les représentations patriarcales restent en vigueur et la femme est toujours considérée avant tout en tant que mère ou épouse. Au Nicaragua dans les années 1930, J.-P. Gómez considère que se met en place « la configuration d’une femme-intermédiaire, autrement dit une féminité orientée de manière à ce que l’homme atteigne l’idéal de pureté masculine et avec elle son salut religieux42 ».
Histoire et Genre : enjeux actuels en Amérique Centrale
- 43 Vélez Osejo, Anarella, « Mujeres al margen de la Historia. Violencia e invisibilización en la vida (...)
- 44 Castañeda de Machado, Elvia, La batalla del amor, María Josefa Lastiri, Tegucigalpa, Academia de G (...)
20La vision des femmes comme adjuvantes des hommes a perduré dans l’écriture des histoires nationales jusque tard dans le xxe siècle. Mettre en avant les femmes dans l’Histoire peut avoir un double objectif, académique et social. En plus de travaux scientifiques, certaines historiennes comme A. Vélez alimentent des blogs destinés au grand public pour une diffusion large des recherches sur le sujet et pouvant servir des causes politiques d’actualité. Dans un article portant sur María Josefa Lastiri, elle mentionne une enquête réalisée à l’Université Nationale Autonome du Honduras en 2012 qui montre à quel point diffèrent les connaissances portant sur Morazán, encore aujourd’hui héros national hondurien, et celles portant sur son épouse43. Certaines publications récentes continuent d’ailleurs d’alimenter la vision traditionnelle et romantique d’une figure féminine totalement dévouée à son époux44.
- 45 http://www.pasosdeanimalgrande.com/index.php/es/contexto/item/919-colectivo-josefa-lastiri-un-espa (...)
- 46 Iraheta, Patricia et Las Dignas, “Salvadoreñas en la independencia centroamericana”, op. cit.
- 47 Idem.
21Le nom de Maria Josefa Lastiri a été choisi par une association féministe hondurienne dans une volonté de rehausser le rôle des femmes en tant qu’actrices historiques45. Et c’est grâce aux gestions réalisées par la Ligue Féministe Salvadorienne associée à d’autres entités civiles, que María de los Ángeles Miranda a été déclarée héroïne de la Patrie en 197646. Le collectif féministe « Las Dignas » au Salvador a aussi publié en 2012 un texte visant à visibiliser les femmes ayant participé au processus indépendantiste en considérant que: « Peut-être qu’aucune signature d’une grande femme ne se trouve imprimée dans l’acte d’indépendance, mais la contribution de beaucoup de femmes centraméricaines à la cause libertaire a fait partie du processus et est digne de souvenir aujourd’hui et pour toujours47 ». Plusieurs femmes sont nommées, telles que María Antonia Arce et María Felipa Aranzamendi, mais là encore il s’agit d’épouses ayant lutté pour la libération de leurs maris emprisonnés (Domingo Antonio de Lara et Manuel José Arce). Leurs noms ont pu être récupérés à travers les juicios por infidencia, conservés dans les Archives générales d’Amérique Centrale de la capitale guatémaltèque. C’est ainsi une généalogie héroïque féminine qui est établie, intégrant Prudencia Ayala, suffragiste salvadorienne du début du xxe siècle et candidate à la présidence, comme un jalon important.
- 48 De la Cruz, Vladimir, “Un monumento a la mujer costarricense”, La República, 15 juillet 2020 [http (...)
- 49 Ortemberg, Pablo, “Monumentos, memorialización y espacio público…”, op. cit.
22Au Costa Rica, un collectif féministe a également pris le nom de « Pancha » Carrasco, connue pour sa participation à la lutte contre les flibustiers et déclarée héroïne nationale en 1994, mais aussi exaltée pour sa revendication de droits citoyens. Pancha Carrasco est célébrée dans la Galerie des héros nationaux et certains considèrent qu’il s’agit « d’une reconnaissance de toutes les femmes, qui anonymement ont participé dans ces événements [la guerre contre les flibustiers] et qui avec leur travail ont contribué à soutenir les troupes dans leurs combats »48. Dans cet article d’opinion datant de 2020, il est demandé la construction d’un Monument à la femme costaricienne, le singulier étant frappant, d’autant plus qu’il lie les événements de l’indépendance et de la Campagne nationale. Dans tous les cas, la visibilisation des femmes dans l’espace public est devenu un sujet médiatisé dans l’Amérique hispanique. En 2015, la sculpture de Juana Azurduy offerte par le gouvernement bolivien à l’Argentine, a même remplacé la statue de Christophe Colomb, reflétant un changement des mentalités et la volonté de la rendre présente dans l’histoire officielle49.
- 50 “Tres Héroes y una heroína, luchadores por la dignidad y la soberanía, incorporados en el preámbul (...)
- 51 Gómez Lacayo, Juan Pablo, Autoridad / Cuerpo / Nación…, op. cit.
- 52 Voir notamment : Randall, Margaret, Sandino’s daughters: testimonies of Nicaraguan women in strugg (...)
- 53 Baltonado, Mónica, Memorias de la lucha sandinista, Managua, IHNCA-UCA, 2010.
23Au Nicaragua, des femmes sont aussi entrées dans le panthéon national récemment : la loi de création du titre d’héroïne nationale de 2013 fait référence à Rafaela Herrera qui lutta contre l’invasion britannique sur le fleuve San Juan au xviiie siècle, et Blanca Aráuz, épouse de Sandino, est nommée dans le préambule de la Constitution50. Mettre en avant les « grandes femmes » de la nation alimente une histoire monumentale même si sa féminisation la transforme. Il s’agit d’une histoire officielle dont Juan Pablo Gómez a souligné le patron d’autorité unissant le régime de Daniel Ortega à la dictature somoziste51. Pourtant, la participation des femmes aux mouvements révolutionnaires des années 1970 et 1980 a promu un nouveau modèle d’héroïsation féminine collective. La révolution sandiniste pouvant être considérée comme un autre moment fondateur de la nation nicaraguayenne, de nombreux travaux se sont penchés sur la question52. La révolution a aussi été écrite par des femmes ayant occupé des postes importants au sein du Front Sandiniste de Libération nationale (FSLN), comme Mónica Baltodano qui a publié ses mémoires en 4 tomes53.
- 54 Lacombe, Delphine, « ‘Pas d’émancipation de la femme sans la révolution’. Les enjeux de genre de l (...)
- 55 Plaza Azuaje, Penélope, “Madre armada y niño. Representación de la mujer nueva en los murales de l (...)
24D. Lacombe, qui a étudié la place des femmes dans la révolution sandiniste, a mis en avant le diptyque mère-guérillère : l’engagement était identifié à la maternité, car la transgression des rôles était sous contrôle masculin. Elle fait par exemple référence à un discours d’un dirigeant sandiniste qui utilise l’adjectif possessif « nos femmes » qui montre l’appropriation collective par les hommes. D. Lacombe souligne la mise à disposition sexuelle des combattantes et met en relation violence politique et héroïsation virile. A propos du passage de l’AMPRONAC (Asociación de Mujeres ante la Problemática Nacional) à l’association de masse féminine sandiniste AMNLAE (Asociación de Mujeres Nicaragüenses “Luisa Amanda Espinoza”), elle conclut : « Paradoxalement légitimateur de l’égalité mais aussi du maintien de la domination masculine, le régime sandiniste constituera dès lors le lieu de déploiement d’une nouvelle expression féministe nicaraguayenne, durablement partagée entre sa loyauté à l’égard de la révolution et son aspiration à exister en dehors de ses référents disciplinaires et idéologiques54. » Une photographie prise à Matagalpa en 1984 par Orlando Valenzuela représentant une combattante avec un bébé dans les bras et un fusil à l’épaule est d’ailleurs devenue une icône internationale de la « Femme Nouvelle ». Cette image était un motif récurrent des peintures murales commissionnées par AMNLAE mais qui diffusaient donc une conception traditionnelle de maternité et de féminité55.
- 56 Boutron, Camille, Femmes en armes, Itinéraires de combattantes au Pérou (1980-2010), Presses Unive (...)
- 57 Falquet, Jules, “El movimiento de mujeres en la “democratización” de posguerra en El Salvador”, Re (...)
25La participation des femmes dans la lutte armée engendre une ambiguïté entre possibilité d’émancipation et instrumentalisation des femmes, comme le souligne également C. Boutron dans le cas du Pérou56. D’autres femmes révolutionnaires ont connu une reconnaissance régionale, voire internationale comme la salvadorienne Mélida Anaya Montes (assassinée en 1983 par ses propres camarades de lutte), ou la guatémaltèque Ribogerta Menchú qui a de plus introduit la dimension ethnique dans le débat. Dans le cas du Salvador, J. Falquet a montré que le mouvement féministe s’est véritablement constitué durant le processus de « pacification », ou plus exactement de transition vers un régime néolibéral, à partir du moment où les femmes ayant participé au mouvement révolutionnaire ont fait de la revendication de leurs droits une priorité57.
Conclusion
26Les héros accompagnent la fabrique des États-nation dès leur apparition. Ils sont des éléments clés de l’Historia Patria, courant historiographique né au début du xixe siècle en Amérique Latine dans un besoin éprouvé par les élites locales de légitimer leur indépendance vis-à-vis de l’Espagne et de démontrer leur spécificité face aux voisins. Le processus indépendantiste en Amérique Centrale, malgré (ou étant donné) sa particularité, a pu être considéré comme un enchaînement d’événements dans une vision téléologique de l’Histoire, ce qui a permis de créer des liens entre les différentes figures incarnant la nation à travers le temps. La vigueur actuelle de certains cultes comme celui de Morazán au Honduras montre à quel point la figure historique elle-même a su mettre en scène ses actions et ses valeurs pour fixer une mémoire héroïque face à la postérité, les acteurs du culte des générations suivantes pouvant actualiser la narration selon les défis au présent.
27Les héros nationaux du xixe siècle proviennent pour la plupart des élites créoles. Le cas du costaricien Juan Santamaría faisant figure d’exception puisque le soldat provenait des classes populaires. C’est au xxe siècle que les modèles héroïques commencent à se décliner autant socialement que culturellement, notamment avec Sandino et les caciques indigènes Tecún Umán, Atlacatl, et Lempira. Le caractère ethnique des figures héroïsées est donc interrogé, de même que leur dimension genrée. Car si le patriarcat est la domination des pères, le culte des héros nationaux, les Pères de la patrie, a légitimé cet ordre social. Quelques épouses de grands hommes ont été célébrées dès le xixe siècle selon un modèle de dévouement sacré, et les mouvements révolutionnaires des années 1980 ont permis aux femmes d’accéder à une héroïsation collective, peut-être plus horizontale ou moins hiérarchisée, dans une tentative de mettre fin à l’histoire monumentale et élitiste. Pour autant, l’image maternelle n’a pas été abandonnée. La lutte pour le droit à l’avortement reste d’ailleurs d’une actualité cruciale en Amérique Centrale, même si d’autres droits ont été obtenus comme la légalisation du mariage entre personnes de même sexe au Costa Rica en 2020. De près ou de loin, les mouvements féministes et LGBTIQ+ tendent en tout cas à impacter les débats historiographiques.
- 58 Rodríguez Sáenz, Eugenia, “Los estudios de las mujeres y de género en Centroamérica y Chiapas: ava (...)
- 59 Gazalé, Olivia, Le mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes, Paris, Ed. Robert Laffont, (...)
28Dans un article publié en 2019, E. Rodríguez, historienne costaricienne pionnière des études de genre en Amérique Centrale, rappelle que ce champ doit questionner la perspective traditionnelle tendant à mettre l’accent sur quelques figures féminines « exceptionnelles » et souligne l’importance de développer les études sur les masculinités en vue de promouvoir une société démocratique et égalitaire58. Mettre en avant le lien entre culture héroïque et virilité permet d’interroger la masculinité dominante, tout en prêtant attention aux marges. Selon O. Gazalé : « Être un homme, c’est obéir à un faisceau d’injonctions, comportementales et morales, et faire sans cesse la démonstration de leur parfaite intériorisation, si bien que la virilité constitue une sorte de performance imposée, un idéal hautement contraignant59. » Aussi, rendre visibles les hommes et les femmes qui résistent au piège de la virilité permettrait sans doute d’ouvrir d’autres voies possibles.
Notes
1 « Catalina, la mujer de la bandera » (13 min.) [https://www.youtube.com/watch?v=CwlkGqRRyaA (consulté le 21/06/2021)]. Sur cette figure, voir l’article de M. Caminotti et P. Ortemberg dans ce numéro.
2 Voir notamment : Jelin, Elizabeth, et Lorenz, Federico Guillermo (comp.), Educación y memoria. La escuela elabora el pasado, Madrid, Siglo XXI, 2004, p. 2-3 ; et Vovelle, Michel, « La revolución francesa: ¿Matriz de la heroización moderna? », in Chust, Manuel et Mínguez, Víctor (ed.), La construcción del héroe en España y México (1789-1847), Valencia, Ed. Universidad de Valencia, 2003, p. 19-29.
3 Sommer, Doris, Foundational Fictions: The National Romances of Latin America, University of California Press, 1991 ; et Curiel, Ochy « Crítica poscolonial desde las prácticas políticas del feminismo antirracsita », Nómadas, n° 26, 2007, p. 92-101.
4 Corbin, Alain ; Courtine, Jean-Jacques et Vigarello, Georges (dir.), Histoire de la virilité, 2e tome : « Le triomphe de la virilité. Le xixe siècle », Paris, Seuil, 2011, introduction, p. 9.
5 Cité dans Molina Jiménez, Iván, La estela de la pluma, cultura impresa e intelectuales en Centroamérica durante los siglos xix y xx, Heredia, Editorial Universidad Nacional, 2004, p. 347.
6 Lacaze, Catherine, Francisco Morazán, le Bolivar de l’Amérique Centrale ?, Rennes, PUR, 2018.
7 López Bernal, Carlos Gregorio, Mármoles, Clarines y Bronces. Fiestas cívico-religiosas en El Salvador, siglos xix y xx, San Salvador, Editorial Universidad Don Bosco, 2011, p. 13-14.
8 Thibaud, Clément, Républiques en armes, les armées de Bolivar dans les guerres d’indépendance du Venezuela et de la Colombie, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 265-270.
9 Tábora, Rocío, Masculinidad y violencia en la cultura política hondureña, Tegucigalpa, Centro de Documentación de Honduras, 1995.
10 García Buchard, Ethel, Política y Estado en la sociedad hondureña del siglo xix (1838-1872), Tegucigalpa, Instituto Hondureño de Antropología e Historia, 2009, p. 233.
11 Fumero, Patricia, « De la iniciativa individual a la Cultura oficial: el caso del General José Dolores Estrada, Nicaragua, década de 1870 » et Molina Jiménez, Iván, « “Marte en un Bochinche” Guerra, Modernismo y Nación en la Nicaragua de 1896 », in Kinloch Tijerino, Frances (comp.), Nicaragua en busca de su identidad, Managua, IHNCA-UCA, 1995, p. 307-349 et p. 351-380.
12 Acuña Ortega, Víctor Hugo, “Costa Rica: la fabricación de Juan Rafael Mora (siglos xix-xxi)”, Caravelle, n° 104, 2015, p. 31-46; Díaz Arias, David et Molina Jiménez, Iván (ed.), El héroe de la discordia. Juan Rafael Mora y la cultura costarricense, San José, UCR - CIHAC, 2021.
13 Palmer, Steven, « Sociedad Anónima, Cultura Oficial: Inventando la Nación en Costa Rica, 1848-1900 », in Molina Jiménez, Iván, et Palmer, Steven (ed.), Héroes al Gusto y Libros de Moda. Sociedad y cambio cultural en Costa Rica (1750-1900), San José, Ed. Porvenir, Plumsock Mesoamerican Studies, 1992, p. 169-205; Díaz Arias, David, « Héroes, dioses y credos: el centenario del héroe costarricense Juan Santamaría (1931) », AFEHC, n° 46, 2010.
14 Carrera Damas, Germán, « Del heroísmo como posibilidad al héroe nacional-padre de la patria », in Chust, Manuel et Mínguez, Víctor (ed.), La construcción del héroe en España y México…, op. cit., p. 31-48.
15 Molina Jiménez, Iván, « “Marte en un Bochinche”… », op. cit.
16 Herrera Mena, Sajid, « Una religiosidad cuestionada: los liberales frente a la Iglesia salvadoreña (1880-1885) », in Moallic, Benjamin (coord.), Las figuras del enemigo, alteridad y conflictos en Centroamérica, San Salvador, Secretaría de Cultura/UEES, 2012, p. 88.
17 Payne Iglesias, Elizet, « La historia oficial. Orígenes de la historiografía liberal Centroamericana (1832-1960) », Primer congreso centroamericano de Historia, Tegucigalpa, 1994.
18 Ramírez Fuentes, José Alfredo, « De caciques a héroes nacionales », Identidades, 2016, n° 10, p. 11-34.
19 Euraque, Darío, « Antropólogos, arqueólogos, imperialismo y la mayanización de Honduras: 1890-1940 », Revista de Historia, 2002, n° 45, 2002, p. 73-104.
20 Casaús Arzú, Marta Elena et García Giráldez, Teresa, Las redes intelectuales centroamericanas: un siglo de imaginarios nacionales (1820-1920), Guatemala, F & G Editores, 2005.
21 Arias Mora, Dennis, « Vicente Sáenz: el antifascismo itinerante o los fantasmas del patriarca », inter. c.a.mbio, année 3, n° 4, 2006, p. 15-38.
22 Corbin, Alain, Courtine, Jean-Jacques et Vigarello, Georges (dir.), Histoire de la virilité, 3e tome : « La virilité en crise ? xxe-xxie siècles », Paris, Seuil, 2011, introduction, p. 9.
23 Gómez Lacayo, Juan Pablo, Autoridad / Cuerpo / Nación. Batallas culturales en Nicaragua (1930-1943), Managua, IHNCA-UCA, 2015.
24 Lacaze, Catherine, Francisco Morazán, le Bolivar de l’Amérique Centrale ? op. cit., p. 255-256.
25 Pailler, Claire, Mitos primordiales y poesía fundadora en América Central, Paris, CNRS, 1989, p. 37 ; et Wünderich, Volker, Sandino, una biografía política, Managua, IHNCA-UCA, 2010, p. 7.
26 Cañas Dinarte, Carlos, Historias de mujeres protagonistas de la independencia (1811-1814). Insurgencia, participación y lucha de las mujeres de la Intendencia de San Salvador por lograr la emancipación del Reino de Guatemala, San Salvador, 2010 [https://docplayer.es/7908447-Historia-de-mujeres-protagonistas-1811-1814-de-la-independencia.html (consulté le 21/04/2021)].
27 Godineau, Dominique, « De la guerrière à la citoyenne. Porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution française », Clio. Histoire « femmes et sociétés, n° 20, 2004 [http://clio.revues.org/1418 (consulté le 20 septembre 2016)].
28 Ortemberg, Pablo, « Monumentos, memorialización y espacio público: reflexiones a propósito de la escultura de Juana Azurduy », TAREA, n° 3, 2016, p. 96-125.
29 Morant, Isabel (dir.), Historia de las mujeres en España y América latina, 3e tome : “Del siglo xix a los umbrales del xx”, Madrid, Cátedra, 2006. Introduction signée par Gabriela Cano et Dora Barrancos.
30 Agulhon, Maurice, Marianne au pouvoir : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989, p. 344.
31 Idem, p. 349.
32 Gutiérrez Viñualez, Rodrigo, Monumento conmemorativo y espacio público en Iberoamérica, Madrid, Cátedra, 2004.
33 Díaz Arias, David, « Mujer, madre y nación: el ángel de la independencia costarricense », Mesoamérica, n° 53, 2011, p. 226-236.
34 « Programa de la función fúnebre que se hará en el recibo, exequias e inhumación de los restos mortales del general don Francisco Morazán », Gaceta de El Salvador, t. 7, nº 37, 11 septembre 1858.
35 Revista del Archivo y Biblioteca Nacionales de Honduras, t. XXI, n.º 1-2-3, juillet-août-septembre 1942.
36 Idem. Voir l’article sur le livre de Salvador Turcios.
37 « Dolores Bedoya no es como la pintan », Prensa Libre, Guatemala, 14 septembre 2017 [https://www.prensalibre.com/hemeroteca/dolores-bedoya-no-es-como-la-pintan/ (consulté le 21/04/2021)].
38 Iraheta, Patricia et Las Dignas, « Salvadoreñas en la independencia centroamericana », 2014 [http://www.lasdignas.org.sv/wp-content/uploads/2014/09/SALVADORENAS_EN_LA_INDEPENDENCIA_CENTROAMERICANA.pdf (consulté le 21/04/2021)].
39 Cañas Dinarte, Carlos, Historias de mujeres protagonistas de la independencia…, op. cit.
40 Serrano, Emilia, Americanos célebres, Barcelona, Imp. Sucesores de N. Ramirez y Ca,1888, t. 2.
41 Arroyo Calderón, Patricia, “Liberalismo, catolicismo y romanticismo: la construcción discursiva de la identidad femenina en América Central (1880-1922)”, in Casaús Arzú, Marta Elena (comp.), El lenguaje de los ismos: algunos conceptos de la modernidad en América Latina, Guatemala, F&G editores, 2010.
42 Gómez Lacayo, Juan Pablo, “Cuerpos: masculinidades / feminidades / catolicismo / nación (Nicaragua, 1930-1943)”, Revista Realidades, n° 145-146, 2015, p. 99-110.
43 Vélez Osejo, Anarella, « Mujeres al margen de la Historia. Violencia e invisibilización en la vida de Josefa Lastiri Lozano”, [https://histounahblog.wordpress.com/2012/11/24/1296/ (consulté le 21/04/2021)].
44 Castañeda de Machado, Elvia, La batalla del amor, María Josefa Lastiri, Tegucigalpa, Academia de Geografía e Historia de Honduras, 1991.
45 http://www.pasosdeanimalgrande.com/index.php/es/contexto/item/919-colectivo-josefa-lastiri-un-espacio-para-fortalecer-la-libertad-de-expresion [consulté le 22/06/2021].
46 Iraheta, Patricia et Las Dignas, “Salvadoreñas en la independencia centroamericana”, op. cit.
47 Idem.
48 De la Cruz, Vladimir, “Un monumento a la mujer costarricense”, La República, 15 juillet 2020 [https://www.larepublica.net/noticia/un-monumento-a-la-mujer-costarricense (consulté le 21/04/2021)].
49 Ortemberg, Pablo, “Monumentos, memorialización y espacio público…”, op. cit.
50 “Tres Héroes y una heroína, luchadores por la dignidad y la soberanía, incorporados en el preámbulo de la constitución”, Prensa Asamblea Nacional, Managua, 13 décembre 2019 [https://noticias.asamblea.gob.ni/tres-heroes-y-una-heroina-luchadores-por-la-dignidad-y-la-soberania-incorporados-en-el-preambulo-de-la-constitucion/ (consulté le 21/04/2021)].
51 Gómez Lacayo, Juan Pablo, Autoridad / Cuerpo / Nación…, op. cit.
52 Voir notamment : Randall, Margaret, Sandino’s daughters: testimonies of Nicaraguan women in struggle, Vancouver, New Start Book, 1981; et Kampwirth, Karen, Women in guerrilla movements. Nicaragua, El Salvador, Chiapas, Cuba, Philadelphie, Penn State University Press, 2002.
53 Baltonado, Mónica, Memorias de la lucha sandinista, Managua, IHNCA-UCA, 2010.
54 Lacombe, Delphine, « ‘Pas d’émancipation de la femme sans la révolution’. Les enjeux de genre de la révolution sandiniste », Ethnologie française, n° 2, vol. 49, 2019, p. 357-371.
55 Plaza Azuaje, Penélope, “Madre armada y niño. Representación de la mujer nueva en los murales de la Revolución Sandinista en Nicaragua”, Apuntes 23, n° 1, 2010, p. 8-19.
56 Boutron, Camille, Femmes en armes, Itinéraires de combattantes au Pérou (1980-2010), Presses Universitaires de Rennes, 2019.
57 Falquet, Jules, “El movimiento de mujeres en la “democratización” de posguerra en El Salvador”, Revista del CESLA, n° 4, 2002, p. 194-212.
58 Rodríguez Sáenz, Eugenia, “Los estudios de las mujeres y de género en Centroamérica y Chiapas: avances y desafíos (1957-2015)”, Diálogos Revista Electrónica de Historia, n° 20/2, 2019, p. 150-184.
59 Gazalé, Olivia, Le mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes, Paris, Ed. Robert Laffont, 2019.
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Référence papier
Catherine Lacaze, « Quelle évolution de la place des femmes dans la culture héroïque centraméricaine ? », Caravelle, 118 | -1, 73-86.
Référence électronique
Catherine Lacaze, « Quelle évolution de la place des femmes dans la culture héroïque centraméricaine ? », Caravelle [En ligne], 118 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 05 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/12374 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.12374
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