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Comptes rendus

Beatriz Bragoni, San Martín. Una biografía política del Libertador

Buenos Aires, Edhasa/Biografías argentinas, 2019, 235 p.
Frédérique Langue
p. 222-224
Référence(s) :

Beatriz Bragoni, San Martín. Una biografía política del Libertador, Buenos Aires, Edhasa/Biografías argentinas, 2019, 235 p.

Texte intégral

1Quelles que puissent être les nouvelles interprétations avancées par les historiens à l’occasion du premier Bicentenaire des révolutions d’Indépendance hispano-américaines, la production éditoriale récente continue de mettre en avant des figures clefs de la formation des États-nations sur l’ensemble du continent. La collection dans laquelle figure cet ouvrage (2e édition au cours de l’année de publication, 2019) en témoigne aisément. Le thème des « Libérateurs », très porteur en cette conjoncture de commémorations renouvelées (non plus les années 1810 mais autour de 1821-1830 selon les pays) fait écho dans de nombreux cas à une situation politique actuelle contrastée pour ne pas dire difficile, dans laquelle l’option démocratique se heurte à des tendances beaucoup plus autoritaires. À travers ces biographies qui mettent en exergue l’exemplarité des héros et la revendication des identités nationales, ce retour aux « pères fondateurs » se transforme presque en une relecture, d’événements beaucoup plus récents, réalisée entre les lignes ou sur le mode plus direct de la réappropriation du mythe.

2Dès lors, dans quel camp ranger les Libérateurs ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que les histoires officielles à l’œuvre, du moins les plus offensives, tendent à réécrire l’histoire et ses mythes nationaux sur un mode binaire, si ce n’est manichéen. Dans le cas argentin, une spécificité s’impose par ailleurs : le « deuxième Bicentenaire » et son cortège de célébrations n’a pas le sens qui est donné à l’événement dans les pays voisins et sa pertinence n’est guère avérée si l’on se réfère aux travaux de l’auteure elle-même sur la question. Fine connaisseuse de l’histoire politique de son pays, Beatriz Bragoni propose avec cette « biographie politique » un itinéraire circonstancié à travers la vie politique et militaire de San Martín, depuis sa naissance en 1778 dans les missions jésuites du Paraguay, sa formation et son action, les sociabilités du Río de la Plata révolutionnaire et des sociétés secrètes de Cadix à son escale à Londres et au rôle joué par la loge Lautaro dans la « libération de l’Amérique ». Elle nous conduit jusqu’aux campagnes militaires au Chili et au Pérou, l’étape du gouvernorat de Cuyo, et même à son passage à Paris, cet « ostracisme volontaire ». Sont également abordés les « usages publics » de San Martín y compris dans le « passé politique récent », en passant par les innombrables et incontournables campagnes militaires qui ont fondé la renommée du héros mais également ses traversées du désert.

3L’historien est, de fait, posé en arbitre et interprète des différentes mémoires en présence, plus précisément à travers une citation de Pierre Nora, et ce afin d’affronter la permanence du mythe. Au sommet de sa gloire, un autre Libérateur, Simón Bolívar, reconnaissait d’ailleurs en ce pair le libérateur du Pérou, qu’il considérait toutefois comme porté par sa « bonne fortune », alors que lui-même poursuivait son épopée continentale. Après Guayaquil – la rencontre entre les deux Libertadores, en 1822 –, l’intéressé avait choisi en revanche de se retirer de la scène publique, renonçant à sa charge de Protecteur du Pérou. La vertu et la fortune inspirent en effet nombres de biographies de l’époque ou de récits de voyageurs. Sarmiento lui-même y sacrifia, attribuant toutes les « immoralités » et « révolutions » à la période qui suivit précisément le renoncement du héros. La geste héroïque sanmartiana va désormais régner sur les rayons des bibliothèques, inspirer les manuels scolaires et autres œuvres artistiques dédiées au « père de la Patrie », sans compter, désormais, une multiplicité de sites web faisant l’apologie de celui que Mitre considérait comme le héros de Chacabuco et de Maipú.

4Le choix d’en proposer une biographie politique obéit par conséquent à la volonté de dépoussiérer l’une des mythologies nationales les plus conséquentes du xixe siècle, sa valeur d’exemple et ses images convenues sur le thème des chefs de guerre de l’Indépendance. L’insertion du héros dans la vie publique de son temps, la mémoire familiale et son itinéraire personnel sont indissociables de sa participation aux guerres révolutionnaires, de la redéfinition et de la création d’identités politiques, sur la base d’une documentation profuse, produite en partie et ordonnée par San Martín lui-même et qui en font un témoin de choix dans le contexte révolutionnaire des Provinces unies, au Chili et au Pérou. L’ouvrage dépasse par conséquent les frontières nationales et les clivages territoriaux pour s’inscrire dans un « long xixe siècle » continental tout en s’appuyant sur les nouvelles perspectives offertes par l’historiographie des Indépendances. Il s’insère également dans les nouveaux champs de réflexion ouverts par l’histoire politique voire conceptuelle, y compris à l’endroit des armées révolutionnaires, des victoires du républicanisme et de l’État-nation voire des relations avec les rivaux, tel le Chilien José Miguel Carrera.

5D’où la structure de l’ouvrage, qui rend compte de ces questionnements et du rôle joué par les sources, fussent-elles secondaires, et la multiplicité d’essais publiés dans la période récente. Le périple guerrier et, dans une certaine mesure, politique, de San Martín, fait l’objet des cinq premiers chapitres, avant que ne soient abordées les circonstances de son renoncement, de son héritage politique, et de l’inclusion du héros dans le panthéon national argentin, et, enfin, les usages publics plus contemporains d’une figure historique oscillant entre « mythologie nationale » et « liturgie d’État ». San Martín fut-il une « victime », dont l’ « l’expatriation fut une expiation » et rendait nécessaires de nouvelles biographies et apports historiques, comme le souligna Sarmiento dans une lettre à Alberdi après la disparition du héros, survenue en 1850 à Boulogne-sur-Mer ?

6La fin de l’oubli est indissociable du retour des restes du héros en 1880, à la veille d’une commémoration nationale et de la Révolution de 1880 qui opposa les provinces argentines à la capitale. L’événement ouvre alors la voie à l’accentuation des usages publics de San Martin, dans la ligne des éloges formulés par Mitre. Nombre de réalisations et publications à caractère historique ou patrimonial, sans compter les hommages académiciens dans les années 1950, ont ainsi contribué à l’ « argentinisation » de l’héritage sanmartiano au cours du xxe siècle, depuis des trajectoires intellectuelles, politiques et institutionnelles très diverses comme le souligne l’auteure. Y contribuèrent érudits, libéraux, socialistes, révisionnistes, « tous unis par une sensibilité nationaliste », péronistes et militaires inclus. La lecture de cet ouvrage s’avère par conséquent incontournable pour qui s’intéresse à « l’âge des révolutions », et au-delà des circonstances strictement commémoratives que constituent les Bicentenaires des Indépendances hispano-américaines. L’indispensable bilan historiographique qui l’accompagne sous-tend utilement la réflexion d’ensemble. Ce bel ouvrage permet enfin d’appréhender les usages publics du passé dans un cadre non seulement national mais continental, ainsi que les réécritures plurielles de l’histoire auxquelles ceux-ci donnent lieu immanquablement.

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Pour citer cet article

Référence papier

Frédérique Langue, « Beatriz Bragoni, San Martín. Una biografía política del Libertador »Caravelle, 116 | 2021, 222-224.

Référence électronique

Frédérique Langue, « Beatriz Bragoni, San Martín. Una biografía política del Libertador »Caravelle [En ligne], 116 | 2021, mis en ligne le 18 août 2021, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/11045 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.11045

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