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Comptes rendus

Pilar García Jordán, Relatos del proyecto civilizatorio en Guarayos. Para la representación de guarayos y sirionós 1825-1952

Lima, IFEA-Plural editores, 2019, 340 p.
Bernard Lavallé
p. 217-219
Référence(s) :

Pilar García Jordán, Relatos del proyecto civilizatorio en Guarayos. Para la representación de guarayos y sirionós 1825-1952, Lima, IFEA-Plural editores, 2019, 340 p.

Texte intégral

1Spécialiste bien connue de l’Orient bolivien, Pilar García Jordán a consacré, au cours des vingt dernières années, plusieurs ouvrages qui ont fait date aux populations des régions. Il en est question dans celui-ci qui est une somme et une histoire des regards successivement posés sur les Guarayos et les Sirionós depuis la seconde décennie du xixe siècle, par les voyageurs étrangers, dont le Français d’Orbigny, les missionnaires (surtout franciscains), les générations bolivienne positiviste puis indigéniste. L’ouvrage va jusqu’au milieu du xxe siècle, 1952 plus précisément, année évidemment de toute première importance dans le devenir du pays avec l’arrivée au pouvoir du MNR qui a marqué de façon durable, dans ce domaine comme dans bien d’autres, une césure historique majeure.

2Dans ce livre, le thème central qui unit ces différentes époques est l’histoire de la construction d’une image de l’Autre, dans un contexte bien particulier, celui de l’État-nation bolivien d’alors, où les Blancs et les métis se considéraient supérieurs aux populations premières, et plus encore lorsque celles-ci habitaient des territoires dits « sauvages », opposés dans l’imaginaire collectif à ceux « civilisés » des terres hautes andines qui avaient constitué le cœur du pays depuis sa création à l’époque coloniale.

3Les processus étudiés sous cet angle montrent les difficultés, parfois même l’impossibilité, de la société blanche et métisse, comme l’écrit l’auteure dans son introduction, quand il s’agissait de « nombrar, percibir y representar a las poblaciones de las tierras bajas como bolivianas ». Au-delà des relations socio-économiques et politiques sous-jacentes (déjà étudiées dans d’autres ouvrages par l’auteure), l’explication réside aussi dans le système de représentation de ces peuples au sein de l’État et des instances nationales. Le présent livre se donne donc pour objectif d’en étudier et montrer la genèse, les contenus, les continuités, voire les ruptures tout au long de l’époque étudiée.

4Le livre est subdivisé logiquement en trois parties grosso modo chronologiques. La première va de 1825 à 1880 au cours de laquelle les voyageurs étrangers et les missionnaires franciscains, entre autres, ont construit les premières images de la région et de ses habitants et comme le dit l’auteure, ont pour l’essentiel « réinventé » les Guarayos.

5La deuxième (1880-1926) correspond aux décennies d’expansion de l’État-nation bolivien, dominé par l’oligarchie minière, et des groupes dirigeants régionaux désireux de développer une politique d’expansion des frontières économiques appuyée sur un projet civilisateur dont ils se disaient porteurs. Pilar García Jordán en voit la fin au milieu des années 1920 lorsque, sous le président Hernando Siles, l’action civilisatrice des missions commença d’être mise en cause tandis que le courant indigéniste alors à ses débuts appelait à une « rédemption » de la population première, celle des hautes terres andines mais aussi, par glissement, des régions orientales du pays. Au cours de cette période, de nombreux témoignages de voyageurs souvent étrangers (italiens, espagnols, allemands ou suédois) mais aussi d’une nouvelle génération de missionnaires, commencèrent à laisser un ensemble de témoignages de très grande valeur complétés, fait nouveau, par des photographies des groupes guarayos et sirionós. Ils ont joué un rôle très important pour la diffusion de la représentation de ces groupes mais aussi pour la visualisation de la constitution dans la collectivité de deux images bien distinctes, celle du premier groupe, en voie de civilisation, et du second, toujours « sauvage ».

6La troisième et dernière phase (1926-1952) est celle du processus qui en 1939 sera marqué par la sécularisation des missions dans un contexte de profonds changements dans la politique bolivienne, avec un rôle plus visible des militaires, par le recul de l’oligarchie minière et du système qu’elle avait implanté dans le pays, enfin par la montée du populisme, et ce jusqu’en 1952, année césure dont on a déjà dit l’importance dans l’immédiat et la durée.

7Ce passionnant travail est fondé, de manière classique, sur des archives (plus d’une vingtaine pour la plupart boliviennes mais aussi vaticanes) ayant conservé des correspondances, des mémoires souvent destinés aux autorités scientifiques, civiles ou religieuses, selon l’emploi de leurs auteurs respectifs. Certaines de ces archives, régionales, voire paroissiales, d’accès parfois difficile et aléatoire, ont livré une information souvent inédite et de très grande valeur. Pilar García Jordán a aussi puisé dans la presse, surtout de la région de Santa Cruz et du Béni dont les traces sont maigres et inégales, mais qui, sur certains points, sont heureusement compensées par la presse nationale publiée à La Paz, néanmoins en général assez chiche d’information sur ces régions, à la mesure de son manque d’intérêt pour ces lointaines contrées. Enfin, la presse religieuse des ordres missionnaires a été bien sûr une source de première importance.

8Il est à signaler aussi que ce beau travail fait une grande place aux images, gravures et photographies, suivant en cela ce que D. Poole a appelé « l’économie visuelle » puisque les actes sociaux de représentation et individuels de visualisation se situent à l’évidence dans des réseaux spécifiques de relations de groupes qui leur donnent un sens et une utilité. Il n’est donc pas étonnant qu’une large place soit faite aux photographies, plus de 80, chose très rare dans ce genre d’ouvrage.

9Il faut remercier Pilar García Jordán pour ce livre très neuf, d’une grande richesse et de bout en bout passionnant, où la recherche factuelle est sans cesse éclairée et rendue signifiante grâce à une solide formation théorique dans plusieurs sciences humaines. On doit signaler à cet égard une abondante bibliographie précieuse sur l’histoire des régions concernées mais aussi sur les questions de représentation collective comme matérialisation des conceptions culturelles dans le cadre de configurations intellectuelles déterminées de la réalité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Lavallé, « Pilar García Jordán, Relatos del proyecto civilizatorio en Guarayos. Para la representación de guarayos y sirionós 1825-1952 »Caravelle, 116 | 2021, 217-219.

Référence électronique

Bernard Lavallé, « Pilar García Jordán, Relatos del proyecto civilizatorio en Guarayos. Para la representación de guarayos y sirionós 1825-1952 »Caravelle [En ligne], 116 | 2021, mis en ligne le 18 août 2021, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/11030 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.11030

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