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Mélanges

L’anéantissement symbolique des Afro-brésiliens par l’Empire du Brésil dans les expositions universelles (1867-1889)

Daniel Malanski
p. 187-204

Résumés

Pendant la seconde moitié du xixe siècle, les expositions universelles étaient les plus grands méga-événements au monde. Les nations périphériques, les empires européens et leurs anciennes colonies partagent un espace physique dans lequel ils peuvent exposer fièrement leurs avancées sociales et technologiques vers un modèle utopique de société moderne. L’Empire du Brésil (1822-1889), récemment créé, a profité de ces occasions pour forger sa propre identité. Néanmoins, les comités organisateurs brésiliens de ces événements n’étaient pas à l’aise avec le fait que le pays était l’une des dernières nations de l’hémisphère occidental à n’avoir pas aboli l’esclavage. Dans cet article, nous avons utilisé le concept d’anéantissement symbolique (un terme qui vient des sciences de la communication) pour analyser les moyens utilisés par les comités brésiliens pour éluder le sujet de l’esclavage.

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Notes de la rédaction

L’article a été soumis pour évaluation le 10 juillet 2020 et a été accepté pour publication le 4 décembre 2020.

Texte intégral

  • 1 Rydel, Robert, All the World is a Fair: Visions of Empire at American International Expositions, 18 (...)

1Pendant la seconde moitié du xixe siècle, les expositions universelles étaient plus que de simples lieux où les entrepreneurs agricoles et industriels pouvaient exposer leurs produits et découvrir de nouvelles technologies pour développer davantage leur production. Les expositions universelles étaient également des arènes à partir desquelles les puissances impériales européennes dictaient les tendances mondiales dans différents domaines des expressions humaines, élargissant ainsi leurs influences, et aussi des lieux à partir desquels les nations nouvellement fondées tentaient d’introduire leurs identités souhaitées – conformément à leurs aspirations et à leurs besoins – dans le monde occidental1.

  • 2 Von Martius, Karl Friedrich, « Como se deve escrever a História do Brasil », Revista de História de (...)
  • 3 Malanski, Daniel, « As narrativas sobre os indígenas brasileiros nos megaeventos mundiais do século (...)

2Malgré son nom, l’Empire du Brésil s’inscrit dans ce dernier groupe (c’est-à-dire le groupe périphérique des jeunes pays). Pour le Brésil de la fin du xixe siècle, un pays qui n’avait obtenu son indépendance du Portugal que quelques décennies auparavant, ses participations aux expositions étaient essentielles dans la mesure où elles étaient considérées comme des lieux à partir desquels l’empire pouvait se différencier des autres nations latino-américaines et établir sa propre identité. Par conséquent, l’étude des participations brésiliennes dans les expositions de la fin du xixe siècle est essentielle pour comprendre comment certains mythes de fondations nationales brésiliennes – comme, par exemple, la théorie des trois races de Von Martius (dans laquelle la civilisation brésilienne serait la fusion des cultures portugaise, amérindiennes et africaines2) et l’indianisme (un mouvement littéraire et artistique brésilien caractérisé par le fait d’avoir toujours un Amérindien comme protagoniste) – ont été négociés pour mieux s’intégrer dans l’agenda politique et intellectuel international et pour dresser un bilan positif des faits concernant le passé, le présent et l’avenir de la nation3.

  • 4 Barbuy, Heloísa. « O Brasil vai a Paris em 1889: Um lugar na Exposição Universal », Anais do Museu (...)
  • 5 Schuster, Sven, « Envisioning a “Whitened” Brazil: Photography and Slavery at the World’s Fairs, 18 (...)

3En conséquence, de nombreux auteurs ont analysé la représentation du Brésil et des Brésiliens dans les expositions universelles du xixe siècle. Parmi eux, Barbuy, par exemple, a exploré le rôle central que les Amérindiens ont joué dans l’exposition de Paris 1889 lorsqu’ils étaient représentés comme la personnification des rivières brésiliennes dans six sculptures placées à l’extérieur du pavillon du Brésil, symbolisant ainsi l’énergie, la viabilité et la fertilité du pays4. Par ailleurs, Schuster a souligné le fait qu’à Londres en 1862 la représentation de la population brésilienne était considérablement réduite en se concentrant strictement sur des Brésiliens d’ascendances européennes : « les quelques photographies et peintures incluses dans la collection […] ne représentaient que des membres de la famille impériale ainsi qu’une série de personnalités illustres »5. Néanmoins, aucun de ces travaux n’a systématiquement évoqué la représentation des esclaves africains – ou, plus précisément, son manque – et la banalisation des conditions précaires dans lesquelles vivaient les Afro-brésiliens en captivité dans le pays dans le cadre des expositions universelles.

  • 6 Gerbner, George et Gross, Larry, « Living with Television: the Violence Profile », Journal of Commu (...)
  • 7 Eichstedt, Jennifer et Small, Stephen, Representations of slavery: Race and ideology in southern pl (...)

4Conscients de la tâche difficile qui consiste à faire référence à quelque chose qui manque, qui n’est pas – ou qui n’était pas – présent dans le discours, nous utiliserons la notion d’anéantissement symbolique (symbolic annihilation) comme un outil théorique pour soutenir notre analyse. Ce terme a été utilisé pour la première fois dans les années 1970, par Gerbner et Gross, pour décrire le manque de représentation ou la sous-représentation de certains groupes dans les médias comme moyen de maintenir, consciemment ou non, l’inégalité sociale. Selon Gerbner et Gross « la représentation dans le monde fictif signifie l’existence sociale, l’absence signifie l’annihilation symbolique »6. Le concept, qui a été appliqué pour révéler les préjugés sous-jacents (principalement envers les femmes, les Afro-descendants et les homosexuels) de la société nord-américaine à travers l’analyse d’émissions de télévision, a été, au début des années 2000, appliqué aussi à la (non) représentation et/ou à la sous-représentation des souvenirs liés à des esclaves afro-américains dans des musées de plantations du sud des États-Unis7.

  • 8 Ibid., p. 270.

5Dans leur livre, Representations of Slavery : Race and Ideology in Southern Plantation Museums (2002), Eichstedt et Small ont décrit différentes façons d’anéantissement symbolique appliquées à l’esclavage : l’effacement symbolique total de l’esclavage (ou des références très brèves à celui-ci), sa banalisation (à travers des versions aseptisées sur les conditions de vie des esclaves, destinées à rendre une aura de normalité et de trivialité à l’esclavage) et sa déviation (quand le récit se concentre sur la bienveillance des propriétaires de plantations plutôt que sur la souffrance des esclaves). À travers leurs recherches, Eichstedt et Small ont montré que l’expérience de l’esclavage était systématiquement évitée dans les principaux récits qui lient l’idée d’ethnicité aux identités nationales. Les auteurs ont conclu que « si les histoires qui sont racontées vont de pair avec les injustices qui existent dans la plus grande culture, alors ces sites [comme le musée des plantations qu’ils ont analysé] fonctionnent comme des agents de l’injustice sociale, c’est-à-dire qu’ils perpétuent la domination et l’oppression »8.

  • 9 Ibid., p. 147.
  • 10 Ces rapports officiels ont été élaborés par les comités organisateurs brésiliens. Ils étaient desti (...)

6Dans cet article, nous discutons la manière dont l’Empire du Brésil (1822-1889) a pratiqué l’annihilation symbolique des Afro-brésiliens asservis (en ignorant leur existence ou en les représentant superficiellement), ainsi que la banalisation et la déviation de l’esclavage au Brésil, à travers le « mensonge de l’esclave heureux et reconnaissant »9 dans les expositions universelles et internationales de 1867 à 1889. Pour ce faire, nous avons analysé des œuvres présentées par les comités organisateurs brésiliens de ces événements ainsi que les rapports officiels de Paris 1867, Vienne 1873, Philadelphie 1876, Saint-Pétersbourg 1884 et Paris 188910.

7À travers notre analyse, nous voulons éclairer la duplicité des représentations de l’esclavage dans le cadre des expositions internationales du xixe siècle. De telles représentations diffusaient des versions aseptisées et biaisées de la vie d’une partie importante de la population brésilienne qui a été opprimée au profit d’une partie considérable des élites nationales. En fin de compte, l’anéantissement symbolique de l’esclavage au Brésil dans le cadre d’expositions universelles du xixe siècle fait partie d’une plus large tradition brésilienne d’éluder et de minimiser la discussion sur les conséquences sociales de l’esclavage dans le pays ; une tradition qui, à différents moments du Brésil républicain, a développé le mythe que le Brésil serait une démocratie raciale, soutenant ainsi les mouvements contre les mesures correctrices d’inégalités ainsi que les théories révisionnistes concernant les conditions de vie des Afro-brésiliens en esclavage.

  • 11 Alonso, Angela, « Apropriação de Idéias no Segundo Reinado », in Grinberg, Keila et Salles, Ricardo (...)

8Il est important de noter qu’au cours des 22 années comprises dans notre analyse, le Brésil a été distingué comme l’un des derniers endroits de l’hémisphère occidental (avec Porto Rico et Cuba) à n’avoir pas encore aboli complètement l’esclavage. Pendant la période où les réformes, qui visaient à préparer le pays et les propriétaires fonciers à la transition d’un complexe économique fondé sur l’esclavage, les monocultures et le latifundia11, ont eu lieu (de 1850 à 1888), l’Empire du Brésil a constamment évité de représenter l’esclavage dans le pays – une stratégie pour présenter le pays comme une nation occidentale moderne dans les tropiques, n’ayant besoin que d’immigrants (européens) pour réaliser son plein potentiel.

La signification des expositions au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique latine

  • 12 Pesavento, Sandra, Exposições Universais. Espetáculos da Modernidade do Século XIX, Sáo Paulo, Huci (...)
  • 13 Ibid.

9Dans un contexte latino-américain, les expositions ont servi de vitrines pour montrer les avancées des jeunes nations vers la modernité. Comme « la modernité et la technologie étaient des obsessions d’une partie de l’élite éclairée de l’Amérique latine »12, les expositions universelles ont également servi aux élites latino-américaines de plate-forme pour exposer leurs avancées vers la modernité, en cherchant la reconnaissance du monde développé dans l’espoir d’être considérées comme leurs égales. Selon Pesavento, au xixe siècle « [un] objectif et un rêve latino-américains se sont construits, pour c’est-à-dire : être moderne, participer à la voie du progrès, devenir une grande nation, défaire l’image de l’exotisme tropical du retard et de l’inertie »13.

10Néanmoins, il y avait un certain conflit d’intérêts sur l’image de soi que les nations latino-américaines voulaient montrer dans ces méga-événements. Si, d’une part, la bourgeoisie latino-américaine souhaitait être reconnue comme faisant partie d’une élite occidentale, d’autre part, les élites latino-américaines devaient également montrer la proximité de leur pays avec la nature brute, leur propre sous-développement et leur retard technologique relatif, afin de présenter la région comme une terre d’opportunités, avec un énorme potentiel – ne manquant que de bras et de capitaux européens pour prospérer en tant que société moderne. Au Brésil, cela s’est traduit par des pavillons qui affichaient généralement un mélange de spécimens de flore exotique, de produits agricoles (tels que le bois, le maté, le cacao, le caoutchouc, le sucre et le café) avec des produits fabriqués, des outils industriels et des œuvres d’art brésiliennes de haut niveau.

  • 14 Von Martius, Karl Friedrich, « Como se deve escrever a História do Brasil », Revista de História de (...)
  • 15 Malanski, Daniel, « Cannibals, Colourful Birds, and Exuberant Nature: The Representation of Brazili (...)

11En ce qui concerne la présentation de sa société, l’Empire du Brésil a constamment présenté des représentations de deux des trois piliers de la civilisation brésilienne selon Von Martius14 : le caractère portugais, qui incarnerait les liens intimes du Brésil avec l’Europe et donc un lien avec la société moderne occidentale ; et le caractère amérindien, qui, à son tour, incarnerait la différence brésilienne avec son ancien colonisateur, rendant une certaine exception à la seule monarchie d’Amérique du Sud, et qui représenterait également la pureté d’une terre vivant encore dans son Aetas Aurea, un territoire presque vierge qui pourrait être exploré au profit de la société occidentale15. Malgré leur apparente incompatibilité, ces deux représentations du Brésil (celle de la monarchie occidentale en plein développement sous les tropiques et celle du paradis terrestre intact au potentiel inexploité) coexistaient grâce aux efforts de l’empire brésilien pour représenter la nation comme une terre de taille continentale où ces deux réalités n’étaient pas seulement possibles mais complémentaires. Alors qu’une troisième représentation du pays (celle basée sur la dure réalité du troisième pilier ethnique de la nation, les Afro-brésiliens) était systématiquement évitée par les comités brésiliens d’organisation des expositions universelles.

L’anéantissement symbolique des Afro-brésiliens et de l’esclavage dans les expositions

  • 16 Schuster, Sven, « The Brazilian Native on Display: Indianist Artwork and Ethnographic Exhibits at t (...)
  • 17 Gobineau, Arthur de, Sur l’inégalité des races humaines, Paris, Éditions Pierre Belfond, 1967, 878 (...)
  • 18 Marx, Karl et Engels, Friedrich, « Review: May-October 1850 », Neue Rheinische Zeitung Revue, 1850, (...)

12Les références picturales aux Afro-brésiliens étaient rares dans les pavillons brésiliens des foires mondiales16. Cela pourrait s’expliquer par différentes raisons : (a) l’embarras causé par le retard du Brésil à abolir l’esclavage africain alors que la plupart des pays du Nouveau Monde l’avaient fait au début du siècle ; (b) malgré le fait que l’esclavage ait été aboli dans les décennies précédentes dans de nombreux pays européens, une grande partie de l’intelligentsia européenne croyait encore et annonçait la supériorité des Caucasiens au détriment de ce qu’ils appelaient les types négroïdes et mongoloïdes ; (c) certains eugénistes européens, comme le comte de Gobineau, pensaient que le mélange entre personnes de différentes couleurs de peau, comme celui qui se déroulait au Brésil, était une dégénérescence17 ; (d) le fait que la majorité de la population brésilienne était, déjà au xixe siècle, ethniquement mélangée pouvait être utilisé comme preuve – par ceux qui croyaient en la supériorité caucasienne – de la propension de la nation à l’échec ; et, enfin, (e) le fait que les expositions universelles, qui célébraient l’industrie et le système capitaliste moderne, étaient des méga-événements faits pour (et par) la société bourgeoise, qui dépendait de la main-d’œuvre rémunérée comme moyen de poursuivre le développement du marché capitaliste18.

  • 19 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1867, 1867.

13Par conséquent, les premiers étalages brésiliens aux expositions universelles ont complètement ignoré (ou ont été trop peu centrés sur) la présence d’Afro-descendants et d’esclaves sur le territoire du pays. À Paris 1867, quelques lignes du volume de 360 pages du catalogue d’exposition de l’Empire du Brésil étaient dédiées aux « 1 400 000 esclaves »19 dans un pays d’un peu moins de douze millions d’habitants. Le malaise de l’empire par rapport à la question de l’esclavage au Brésil semble être net non seulement par le faible volume d’informations qu’il présente sur la vie de plus d’un dixième de la population du pays (estimée par le même catalogue à 11 780 000 habitants) mais aussi par le ton apologétique utilisé par le comité d’organisation en abordant le sujet :

  • 20 Ibid., p. 29.

Cette institution a été imposée au Brésil par la force de circonstances particulières qui datent des premières années de sa découverte. Les questions de la solution desquelles dépend sa suppression occupent sérieusement l’attention du gouvernement ; il a manifesté sa résolution à cet égard dans la réponse faite dernièrement à l’Association d’émancipation française20.

14Le catalogue a également présenté un récit banalisé de l’esclavage au Brésil, généralisant – et assainissant – les conditions de vie des esclaves dans le pays à une époque où il y avait peu de surveillance du mode de vie auxquelles étaient confrontées les Afro-brésiliens contraints de travailler dans l’arrière-pays :

  • 21 Ibid.

Les esclaves sont traités avec humanité, généralement bien logés et bien nourris. Dans la plupart des plantations, ils sont même autorisés à cultiver pour leur propre compte, et disposent librement de leurs récoltes. Leur travail est aujourd’hui modéré et d’ordinaire n’a lieu que de jour ; les soirées sont destinées au repos, en partie à des pratiques religieuses, ou à des divertissements21.

  • 22 Ibid.

15Par conséquent, dans les quelques paragraphes sur le sujet, le comité brésilien de Paris 1867 a tenté de dissimuler la routine des travailleurs forcés, en banalisant leur condition de vie difficile et en présentant un compte rendu positif de leurs vies quotidiennes. De plus, le comité de Paris 1867 a aussi cherché à tenir pour responsable les anciens colonisateurs de l’adoption de l’esclavage dans le pays : « cette institution a été imposée au Brésil par la force des circonstances particulières qui datent des premières années de sa découverte »22.

  • 23 Ibid.

16Dans le même catalogue, le comité brésilien déclare que « les questions de la solution desquelles dépend sa suppression occupent sérieusement l’attention du gouvernement [du Brésil] »23. Ces questions concernant la solution à la répression de l’esclavage au Brésil étaient, en grande partie, d’ordre économique. Le Brésil dépendait toujours du travail forcé pour maintenir productives ses plantations de canne à sucre et de café. Cependant, afin de moderniser son économie, d’élargir son marché intérieur et de mettre fin à une pratique dépassée qui était maintenant moralement rejetée et considérée comme barbare dans le monde civilisé, en 1871, quatre ans après l’exposition susmentionnée, l’Empire a pris la première mesure d’abolition de l’esclavage au Brésil : la Lei Rio Branco, également connue sous le nom de Loi du Ventre Libre (Lei do Ventre Livre).

  • 24 Senado Federal do Brasil. Abolição no Parlamento: 65 anos de luta. vol. II, Brasília, Senado Federa (...)

17Bien que, dans la durée, la loi soit apparemment une avancée notable vers les droits des Afro-brésiliens, car elle considère comme libres tous les enfants nés d’une mère esclave après sa date de mise en œuvre (28 septembre 1871), sa valeur pratique n’a que peu d’importance par rapport à la qualité de vie des nouveau-nés, car ils restaient normalement jusqu’à l’âge de 21 ans sous l’autorité des maîtres de leur mère et étaient effectivement traités comme des esclaves24. Néanmoins, la Loi du Ventre Libre, conjointement avec la Loi Eusébio de Queiroz (déclarée en 1850, qui interdisait l’entrée de nouveaux esclaves dans le pays), signifiait que l’esclavage avait ses jours comptés au Brésil. Ces deux lois ont également confirmé le discours réformiste de l’Empire car il pouvait désormais affirmer au monde que l’abolition de l’esclavage dans le pays n’était qu’à l’autre bout d’un processus graduel et réformiste.

  • 25 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1873, 1873, p. 63.
  • 26 Ibid.

18En conséquence, deux ans après la proclamation de la Loi du Ventre Libre, une version révisée du catalogue de l’exposition brésilienne à Vienne 1873 contient quelques lignes en plus concernant les « esclaves brésiliens » (cela a été fait malgré l’absence d’un recensement actualisé de la population brésilienne qui a empêché l’Empire d’afficher des chiffres révisés en fonction de la composition de sa société). Les lignes présentaient une réalité aseptisée – une copie presque exacte du catalogue de Paris (1867) – en se référant à la qualité de vie des esclaves brésiliens et en attribuant l’esclavage aux idiosyncrasies du passé colonial brésilien. Néanmoins, quelques phrases ont été ajoutées exclusivement au nouveau catalogue. Ces lignes faisaient référence à la loi de 1871 en disant que « en vertu de la loi du 28 septembre 1871, personne ne nait plus esclave au Brésil »25 et que « l’esclavage a tendance à disparaître [au Brésil] en quelques années »26.

  • 27 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1876, 1876, p. 97.
  • 28 de Lima Marques, Lorena. « Muito além do 13 de maio: o Ceará tornava-se a primeira província brasil (...)

19Une copie presque exacte de ce texte se trouve également dans le catalogue brésilien de l’Exposition Internationale du centenaire de 1876 à Philadelphie. Cependant, dans le catalogue brésilien de la première exposition internationale officielle tenue en dehors de l’Europe, une phrase concernant la nature philanthropique des Brésiliens a été ajoutée. Par conséquent, dans le rapport brésilien à Philadelphie de 1876, après la brève description susmentionnée des conditions relativement bonnes dans lesquelles les esclaves brésiliens vivaient dans le pays et la mention de la loi du ventre libre, une phrase concernant la nature philanthropique des Brésiliens (qui ont fait des dons à un fond d’émancipation) a été ajoutée : « la philanthropie des habitants du Brésil, qui tous les ans, offre spontanément la liberté, à un nombre considérable d’esclaves »27. Il est important de noter qu’un tel récit collabore à la compréhension dominante qui décrit « les esclaves en tant que victimes passives de l’esclavage, qui n’avaient pas de voix et n’ont pas tenté de résister à l’esclavage. [Alors que] les abolitionnistes, en général, étaient représentés comme des hommes blancs non conformistes mécontents de l’exploitation des corps noirs »28.

  • 29 Schuster, Sven, « The Brazilian Native on Display: Indianist Artwork and Ethnographic Exhibits at t (...)

20Néanmoins, l’anéantissement symbolique des Afro-brésiliens dans l’arène internationale du xixe siècle est allé au-delà des catalogues de l’exposition, car « les images de noirs et d’esclaves libres étaient extrêmement rares dans le contexte des expositions internationales »29. À cet égard, les expositions de peintures de l’Académie brésilienne des beaux-arts (AIBA) dans les pavillons brésiliens à Vienne 1873 et Philadelphie 1876, plus précisément les tableaux de Pedro Américo et Victor Meirelles – respectivement Batalha de Campo Grande (1871) et Combate Naval do Riachuelo (1872) – peuvent être considérées comme des exemples primordiaux de la façon dont les comités brésiliens chargés d’expositions universelles ont sélectionné des représentations picturales mettant en avant des récits historiques dans lesquels les Afro-brésiliens étaient considérablement sous-représentés.

  • 30 Cardoso, Rafael, « Ressuscitando um velho cavalo de batalha. Novas dimensões da pintura histórica d (...)

21Le tableau Batalha de Campo Grande (1871) était considéré par les critiques d’art brésiliens des années 1870 comme une œuvre d’art qui « établissait la relation entre la civilisation [brésilienne] et la barbarie [paraguayenne] »30. Cela était dû en grande partie au fait qu’on peut voir dans la peinture un groupe de Brésiliens blancs, dans un uniforme militaire de style européen, victorieux devant des Amérindiens torse nu représentant l’armée paraguayenne. À la tête des troupes impériales victorieuses, la figure triomphale du comte d’Eu d’origine française, qui était également le prince consort du Brésil à l’époque. Néanmoins, ce qui attire l’attention dans ce célèbre tableau est le manque total de soldats noirs du côté brésilien, qui, à l’époque, représentaient une part considérable de l’armée impériale brésilienne.

  • 31 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1867, 1867, p. 3.

22Cette représentation picturale de la guerre du Paraguay a été considérée comme une démonstration de la supériorité de l’armée brésilienne sur ses pays voisins, et a également rappelé la raison pour laquelle le Brésil n’a pas pu envoyer une exposition satisfaisante à Paris 1867 une fois que l’Empire était engagé dans une des guerres les plus meurtrières de l’histoire de l’Amérique latine31. Plus important encore, en montrant les Brésiliens comme une population de type européen, habillés à la mode militaire du vieux continent, prenant d’assaut les barbares Paraguayens d’apparence guarani, l’exposition de Batalha de Campo Grande visait également à montrer la nation comme l’héritière naturelle de la civilisation européenne dans une Amérique latine peu civilisée.

  • 32 Williams, Daryle, Culture Wars in Brazil – The First Vargas Regime, 1930-1945, Durham, Duke Univers (...)
  • 33 Schuster, Sven, « Envisioning a “Whitened” Brazil: Photography and Slavery at the World’s Fairs, 18 (...)

23De même, le tableau Combate Naval do Riachuelo (1872) est également critiqué pour sa représentation déformée de l’armée brésilienne dans la guerre du Paraguay. Selon Williams, « la convention académique et la politique de mémoire hautement raciste de l’empire ont donné à Meirelles la liberté de déformer les aspects historiques clés de la bataille, diminuant la présence d’un grand nombre d’Afro-brésiliens dans la force navale brésilienne »32. Par conséquent, ces deux tableaux ont exclu le soldat afro-brésilien de la représentation de la guerre, comme s’il n’était pas là. En conséquence, leur affichage public pendant les expositions internationales des années 1870 a permis à l’agenda impérial de dépeindre la nation comme une extension tropicale de la civilisation européenne, établissant la victoire brésilienne sur les « hordes barbares du Paraguay » comme « un accomplissement blanc dans l’historiographie et l’iconographie officielles »33.

  • 34 Schuster, Sven et Buenaventura, Alejandra, « Entre blanqueamiento y paraíso racial: el Imperio de B (...)
  • 35 Ibid., p. 86.

24De plus, une photo, prise par le photographe germano-brésilien Albert Henschel, appelée « Frucht-Verkaunferin à Rio de Janeiro » (1869), connue aussi comme A Baiana Quitandeira, représentant une escrava de ganho (esclave de gain) qui vendait des fruits, a été présentée dans le pavillon brésilien à Vienne (1873). Escravos de ganho étaient des esclaves qui étaient envoyés pour mener de petites affaires dans les villes et donner leur profit à leurs maîtres. Cette pratique était peu connue des visiteurs autrichiens qui souvent avaient l’impression que « les noirs brésiliens faisaient des affaires d’une manière apparemment libre et indépendante »34. La photographie soutient l’idée selon laquelle l’esclavage dans le pays n’était moins sévère qu’ailleurs dans le monde, que les esclaves brésiliens vivaient dans une période de transition qui avait commencé avec a Loi Eusébio de Queiroz et aboutirait bientôt à leur émancipation complète. Dans le domaine des médias, Schuster et Buenaventura nous rappellent que le fait que la Baiana Quitandera était une photographie, considérée à l’époque comme un nouveau média bien plus objectif que les formes de reproduction plus anciennes, a ajouté un « effet de réalité » à l’idée que les esclaves brésiliens étaient plutôt libres et indépendants par rapport aux esclaves d’autres pays35.

25Le catalogue général de l’exposition internationale de Saint-Pétersbourg 1884 représente une rupture par rapport aux catalogues des expositions universelles des années précédentes car il apporte un texte complètement différent concernant l’esclavage au Brésil. Le texte semble être écrit à nouveau mettant fin aux quelques paragraphes constamment révisés concernant les Afro-brésiliens et l’esclavage des catalogues de l’exposition de Paris (1867), Vienne (1873) et Philadelphie (1876). Peut-être en raison de la confiance croissante dans le fait que la loi du ventre libre était internationalement comprise comme le début de la fin de l’esclavage au Brésil, le livre de 120 pages donne beaucoup plus d’informations sur la composition ethnique du peuple brésilien, un compte rendu plus détaillé sur l’histoire de l’esclavage dans le pays ainsi que sa répartition actuelle (en 1884) sur le territoire.

  • 36 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1884, 1884, p. 4.
  • 37 Ibid., p. 5.
  • 38 Ibid.

26En ce qui concerne la composition ethnique du peuple brésilien, le catalogue la divisait en un tiers de « race pure caucasienne », un tiers de « race africaine ou indienne » et un tiers de « métis »36. En ce qui concerne l’esclavage, un tableau détaillé séparait la population de chaque État entre personnes libres et esclaves – montrant 1 318 978 esclaves pour un total de 10 654 000 habitants37 (5). Le tableau était suivi d’un texte indiquant que : « la population esclave n’est plus aujourd’hui (1884) que [de] 318 978. D’après les dernières données statistiques, le nombre des esclaves se réduit à 1 150 000 et le chiffre de la population libre a considérablement augmenté. En 1873, le nombre des esclaves était de 1 540 796. Il y a donc eu en dix ans une réduction de 390 000 »38.

27Le catalogue résume aussi à ses lecteurs l’historique des réformes des lois sur l’esclavage qui conduisent le pays à sa situation en 1884 :

  • 39 Ibid., p. 6.

La traite des esclaves a été abolie dès 1851. Une loi du 28 septembre 1871 a déclaré libre désormais tout enfant né de parents esclaves et a affecté le produit de certains impôts à la libération des esclaves nés antérieurement à la loi. Et depuis cette époque les grands propriétaires ruraux et le peuple brésilien tout entier, secondant les généreux efforts du Gouvernement Impérial, aident à l’œuvre de l’affranchissement39.

  • 40 Ibid.

28Il est intéressant de noter que le catalogue attribue au gouvernement impérial le rôle moteur dans le processus graduel de l’abolition de l’esclavage dans le pays. Le rôle des Afro-brésiliens libérés ou encore réduits en esclavage dans un tel processus (à travers leur participation à des associations abolitionnistes, la tenue d’événements artistiques pour recueillir des soutiens, l’introduction de poursuites devant les tribunaux ainsi que leur soutien aux révoltes et évasions d’esclaves) était minimisé par le catalogue qui dissimulait quelque peu ces actions en plaçant leur rôle dans l’abolition côte à côte avec le rôle joué par leurs anciens maîtres (les grands propriétaires ruraux) et avec le groupe plutôt générique de « peuple brésilien tout entier »40. En ne décrivant pas le rôle joué par les Afro-brésiliens dans le processus de leur propre abolition, le comité brésilien de l’exposition de 1884 a pratiqué l’annihilation symbolique des Afro-brésiliens dans le processus de leur propre émancipation, en faisant apparaître que l’abolition de l’esclavage au Brésil était une initiative gouvernementale ainsi qu’un projet d’hommes blancs.

  • 41 Da Silva-Prado, M. E., « Immigration », in Santa-Anna Nery, Frederico José (dir.) Le Brésil en 1889 (...)

29L’exposition universelle de Paris en 1889 a eu lieu le 6 mai 1889 – un an après la Loi d’or (Lei Auréa), qui a finalement aboli l’esclavage au Brésil – et s’est terminée le 31 octobre 1889 (quelques semaines avant la proclamation de la république). Le catalogue brésilien de l’exposition (qui était considérablement plus grande que les précédentes) célébrait la fin de l’esclavage dans le pays sur plusieurs pages. Néanmoins, la même tendance à représenter les Afro-brésiliens comme les victimes passives de l’esclavage et à placer les hommes blancs comme les principaux acteurs de l’abolition de l’esclavage a été mise en avant. Cependant, cette fois, un nouveau groupe inattendu a été décrit comme l’un des héros de l’abolition de l’esclavage au Brésil : les immigrés blancs. Selon le catalogue, « sans l’immigration blanche et sans le grand nombre d’ouvriers européens qui faisaient valoir les terres l’abolition n’y aurait pu se faire en 1888 de l’admirable manière qu’ont applaudie, dans un accord qui est bien rare en de pareilles matières, tous les esprits pratiques et tous les cœurs généreux »41.

  • 42 Santa-Anna Nery, Frederico José. Le Brésil en 1889 – avec une carte de L’Empereur, Paris, C. Delegr (...)

30Il est important de noter que l’un des principaux objectifs de la participation brésilienne à l’événement était d’attirer des immigrants européens dans le pays en tant que remplaçants de la main-d’œuvre afro-brésilienne récemment libérée : « [l]e Brésil est venu à Paris […] surtout pour donner confiance à tous ceux qui seraient prêts à le choisir pour leur nouvelle patrie, à y porter leur travail ou à y faire fructifier leurs capitaux »42. Par conséquent, on peut affirmer que la déclaration susmentionnée dans laquelle l’immigration européenne est considérée comme décisive pour l’abolition de l’esclavage dans le pays était un moyen de faire en sorte que l’immigrant potentiel se sente comme un acteur potentiel de l’histoire civilisatrice du Brésil. Néanmoins, une telle déclaration – ainsi que la divulgation de l’objectif principal de l’exposition brésilienne à Paris 1889 – révèle également le préjugé racial répandu au sein de l’empire, car il semble que la possibilité d’inclure les anciens esclaves dans le nouveau Brésil à la nouvelle classe ouvrière n’a pas été sérieusement envisagée.

31De plus, le catalogue présente les impressions – écrites quelques décennies avant, en 1854 – d’un diplomate belge, le comte Auguste van der Straten-Ponthoz, sur le racisme au Brésil et aux États-Unis. Sa présence dans le catalogue semble être une tentative de minimiser le racisme dans le pays sud-américain :

  • 43 Van der Sraten-Ponthoz, 1854. Apud. Santa-Anna Nery, Frederico José. Le Brésil en 1889 – avec une c (...)

Chez les Américains il n’y a point de compromis possible entre les deux races. Plus l’homme de couleur se rapproche de l’homme blanc, plus il rencontre d’antipathie et de répulsion. Les mœurs ont une cruauté excédent la rigueur de la loi qui fait l’esclave et rendant illusoire la loi qui l’émancipe. Au Brésil, l’affranchissement est une réalité politique et sociale. La couleur n’excite aucune répugnance, et la tolérance des mœurs va encore plus loin que la libéralité de lois 43.

  • 44 Ibid.

32Selon l’avis de Van der Straten-Ponthoz, qui a été endossé par le comité brésilien à Paris 1889, le caractère « non ségrégationnel » des Brésiliens – et celui du type d’immigrant que le pays voulait attirer – aiderait à construire la population brésilienne du futur : « la race blanche doit reprendre la prépondérance numérique par le contingent que lui donnera l’immigration européenne, et simultanément celle-ci favorisera la réhabilitation de l’esclave. […] À côté de l’immigrant, tout esclave doit devenir brésilien dans sa descendance »44.

  • 45 Skidmore, Thomas E. « Brazilian intellectuals and the problem of race (1870- 1930) », The Graduate (...)
  • 46 Ibid.
  • 47 Piza Duarte, Evandro; Scotti, Guilherme et de Carvalho Netto, Menelick. « Ruy Barbosa e a queima do (...)

33Pour l’Empire du Brésil, l’attraction des immigrés européens était donc perçue comme un moyen d’augmenter « l’élément blanc (parfois défini en termes culturels) »45 du Brésil. En le faisant, « l’élément purement noir devait disparaître et la population brésilienne blanchissant progressivement »46. Dans la longue durée, cette stratégie a ainsi caractérisé une tentative de faire passer l’anéantissement symbolique de l’esclavage du niveau de la représentation au monde réel. Plus qu’une simple décision fondée sur des préjugés raciaux, le blanchiment de la population brésilienne a été compris comme un moyen de réparer la rupture « socio-ségrégationnelle » causée par des siècles d’esclavage dans le pays. De plus, il peut également être considéré comme une stratégie pour empêcher le gouvernement brésilien de rendre compte de sa complicité vis-à-vis de l’oppression de millions de citoyens brésiliens aux yeux des générations futures. Bien que ce dernier argument puisse être considéré comme une déclaration un peu osée, il convient de rappeler que, quelques mois après la fin de Paris (1889), le ministre des Finances, Ruy Barbosa, ordonne de brûler les documents officiels sur l’esclavage, rendant ainsi plus difficile pour les Afro-brésiliens de se battre pour des indemnités et d’autres droits de compensation47.

Conclusion

34Les comités d’organisation des pavillons brésiliens aux expositions universelles du xixe siècle étaient en phase avec l’agenda officiel de l’Empire du Brésil en ce qui concerne l’image que le pays voulait montrer à l’étranger. Concernant le portrait de sa population, les comités brésiliens ont systématiquement évité le sujet de l’esclavage et, dans une certaine mesure, la représentation des Afro-brésiliens lors de ces événements. Les techniques utilisées pour éluder le sujet ou minimiser la dureté de l’esclavage dans le pays, allant de l’effacement complet (l’annihilation symbolique) de l’image des soldats noirs dans les événements clés de l’histoire brésilienne, l’exposition de photos montrant des esclaves brésiliens apparemment engagés dans des pratiques (telles que le commerce) qui sont normalement exécutées par les gens libres et la présentation de récits aseptisés concernant les bonnes conditions dans lesquelles les esclaves ont été trouvés dans le pays.

35Les récits sur l’esclavage contenus dans les catalogues des expositions brésiliennes peuvent être divisés en deux groupes distincts. De 1867 à 1876, le texte sur les esclaves et l’esclavage était fondamentalement le même : à quelques paragraphes près, qui tentaient de minimiser la dureté des conditions dans lesquelles les esclaves afro-brésiliens vivaient dans le pays. D’une exposition à l’autre, ces paragraphes ont été constamment édités pour ajouter les récentes réformes du pays à propos de l’abolition de l’esclavage. Dans les années 1880, lorsque l’abolition officielle, qui est finalement venue avec la loi d’or en 1888, était sur le point de se produire (en 1884) ou venait de se produire (en 1889), les catalogues compilaient considérablement plus d’informations sur le sujet que lors des expositions précédentes. Néanmoins, comme on peut l’attendre d’une exposition qui vise à véhiculer une image positive de la nation pour ses pairs, le texte des catalogues de Saint-Pétersbourg (1884) et Paris (1889) s’est concentré sur l’abolition de l’esclavage et pas forcément sur son existence. De plus, la fin de l’esclavage légal dans le pays a été célébrée comme la victoire d’un projet mené par des hommes blancs qui souhaitaient que le passé puisse être oublié avec le blanchiment de la population brésilienne.

  • 48 Gilberto de Mello Freyre (1900-1987) était un socio-anthropologue brésilien né à Recife. Fils d’un (...)
  • 49 Freyre, Glberto, Maîtres et Esclaves – La Formation de la Societé Brésilienne, Paris, Gallimard, 19 (...)

36Une caractéristique qui était commune aux récits sur l’esclavage dans les catalogues d’exhibition entre 1867 et 1889 était la banalisation de l’esclavage dans le pays et sa déviation. Il est intéressant de noter qu’une telle approche de la nature du travail forcé dans le pays, c’est-à-dire les revendications dissimulées concernant les conditions des esclaves africains au Brésil ainsi que la générosité de leurs maîtres ont été reproduites au sein des théories sociales du xxe siècle qui (en comparant les conditions de l’esclavage aux États-Unis et au Brésil) décrivaient une relation paternaliste et presque amicale entre l’esclave et le maître esclavagiste – comme on le voit dans le classique de Gilberto Freye48, Maîtres et Esclaves – La Formation de la Societé Brésilienne 49.

  • 50 Munanga, Kabengele. Rediscutindo a mestiçagem no Brasil, Belo Horizonte, Autêntica, 2004, 150 p., p (...)

37Ces théories ont conduit au mythe social selon lequel une soi-disant démocratie raciale, qui existerait dans la République du Brésil (1889-), avait de profondes racines socio-culturelles historiques, construites à travers plus de trois siècles d’esclavage. En minimisant la sévérité de l’esclavage dans le pays et en idéalisant la relation entre maîtres et esclaves, ces récits continuent de mal informer l’opinion publique. De plus, selon Kabengele Munanga, l’idée de la démocratie raciale brésilienne « exalte l’idée d’une coexistence harmonieuse entre les individus de toutes les couches sociales et ethniques, permettant aux élites dominantes de cacher les inégalités et d’empêcher les membres des communautés non blanches de prendre conscience des mécanismes subtils d’exclusion dont ils sont victimes dans la société »50. Pour cette raison, afin de réparer les conséquences sociales de l’esclavage, il faut aborder les inégalités qu’il a causées ainsi que les processus qui finissent par les dissimuler.

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Notes

1 Rydel, Robert, All the World is a Fair: Visions of Empire at American International Expositions, 1876-1916, Chicago, The University of Chicago Press, 1984, 338 p.

2 Von Martius, Karl Friedrich, « Como se deve escrever a História do Brasil », Revista de História de América, n°42, decémbre 1956, p. 433-458.

3 Malanski, Daniel, « As narrativas sobre os indígenas brasileiros nos megaeventos mundiais do século XXI », Revista Extraprensa - Cultura e Comunicação na América Latina, n° 13(1), décembre 2019, p. 208-226.

4 Barbuy, Heloísa. « O Brasil vai a Paris em 1889: Um lugar na Exposição Universal », Anais do Museu Paulista: História e Cultura Material, n° 4(1), janvier 1996, p. 211-261.

5 Schuster, Sven, « Envisioning a “Whitened” Brazil: Photography and Slavery at the World’s Fairs, 1862-1889 ». Estudios Interdisciplinarios de América Latina y el Caribe, n° 26(2), décembre 2015a, p. 17-41, p. 21.

6 Gerbner, George et Gross, Larry, « Living with Television: the Violence Profile », Journal of Communication, n° 26(2), juin 1976, p. 172-199, p. 182.

7 Eichstedt, Jennifer et Small, Stephen, Representations of slavery: Race and ideology in southern plantation museums, Washington DC, Smithsonian Institution Press, 2002, 300 p.

8 Ibid., p. 270.

9 Ibid., p. 147.

10 Ces rapports officiels ont été élaborés par les comités organisateurs brésiliens. Ils étaient destinés aux diplomates, aux autorités politiques, aux investisseurs étrangers et à ceux qui auraient un intérêt particulier dans le pays. Ils étaient généralement publiés en portugais, en français (la langue de la diplomatie à l’époque) et dans la langue du pays où se déroulerait l’exposition. Ils étaient généralement imprimés à Rio de Janeiro, mais, dans certains cas, ils étaient imprimés dans le pays hôte (afin d’éviter des coûts supplémentaires de transport). De nos jours, ces rapports se trouvent, par exemple, au Bureau International des Expositions – BIE (à Paris) et à la National Library (à Washington DC aux États-Unis). Certains d’entre eux ont été numérisés et mis en ligne par la Bibliothèque Nationale de France – BNF. Veuillez consulter la bibliographie de cet article pour plus d’informations sur chacun d’eux.

11 Alonso, Angela, « Apropriação de Idéias no Segundo Reinado », in Grinberg, Keila et Salles, Ricardo (dir.), Coleção O Brasil Império Vol III (1870- 1889), Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 2009, p. 83-118, p. 98.

12 Pesavento, Sandra, Exposições Universais. Espetáculos da Modernidade do Século XIX, Sáo Paulo, Hucitec, 1997, 232 p., p.16.

13 Ibid.

14 Von Martius, Karl Friedrich, « Como se deve escrever a História do Brasil », Revista de História de América, n° 42, decémbre 1956, p. 433-458.

15 Malanski, Daniel, « Cannibals, Colourful Birds, and Exuberant Nature: The Representation of Brazilian Nationalism and its Tropical Modernity in the 2016 Rio Olympics », Journal of Sport and Social Issues, n° 44(2), avril 2020, p. 175-196, p. 179.

16 Schuster, Sven, « The Brazilian Native on Display: Indianist Artwork and Ethnographic Exhibits at the World’s Fairs, 1862-1889 », Riha Journal, n° 127, septembre 2015b, p. 1-23.

17 Gobineau, Arthur de, Sur l’inégalité des races humaines, Paris, Éditions Pierre Belfond, 1967, 878 p.

18 Marx, Karl et Engels, Friedrich, « Review: May-October 1850 », Neue Rheinische Zeitung Revue, 1850, 5-6, [www.marxists.org/archive/marx/works/1850/11/01.htm (consulté 23/05/2020)]

19 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1867, 1867.

20 Ibid., p. 29.

21 Ibid.

22 Ibid.

23 Ibid.

24 Senado Federal do Brasil. Abolição no Parlamento: 65 anos de luta. vol. II, Brasília, Senado Federal, Subsecretaria de Arquivo, janvier 2012, 706 p., p. 180.

25 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1873, 1873, p. 63.

26 Ibid.

27 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1876, 1876, p. 97.

28 de Lima Marques, Lorena. « Muito além do 13 de maio: o Ceará tornava-se a primeira província brasileira a abolir a escravidão » Palmares, mars 2019, [http://www.palmares.gov.br/?p=53715 (consulté 06/06/2020)]

29 Schuster, Sven, « The Brazilian Native on Display: Indianist Artwork and Ethnographic Exhibits at the World’s Fairs, 1862-1889 », Riha Journal, n° 127, septembre 2015b, p. 1-23, p. 27.

30 Cardoso, Rafael, « Ressuscitando um velho cavalo de batalha. Novas dimensões da pintura histórica do Segundo Reinado ». DezenoveVinte (19&20). n° 2(3), 2007, p. 1-20.

31 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1867, 1867, p. 3.

32 Williams, Daryle, Culture Wars in Brazil – The First Vargas Regime, 1930-1945, Durham, Duke University Press, 2001, 372 p., p. 33.

33 Schuster, Sven, « Envisioning a “Whitened” Brazil: Photography and Slavery at the World’s Fairs, 1862-1889 ». Estudios Interdisciplinarios de América Latina y el Caribe, n° 26(2), décembre 2015a, p. 17-41, p. 24.

34 Schuster, Sven et Buenaventura, Alejandra, « Entre blanqueamiento y paraíso racial: el Imperio de Brasil y la legitimación visual de la esclavitud en las exposiciones universales », in Schuster, Sven, Quiñones, Hernández and Daniel, Óscar (dir.), Imaginando América Latina: história y cultura visual, siglos XIX-XXI. Bogotá, Editorial Universidad del Rosario, 2017, p. 58-91, p. 82.

35 Ibid., p. 86.

36 Commission du Brésil à L’Exposition Universelle de 1884, 1884, p. 4.

37 Ibid., p. 5.

38 Ibid.

39 Ibid., p. 6.

40 Ibid.

41 Da Silva-Prado, M. E., « Immigration », in Santa-Anna Nery, Frederico José (dir.) Le Brésil en 1889 – avec une carte de L’Empereur, C. Delegrave, Paris, 1889, p. 473-507, p. 491.

42 Santa-Anna Nery, Frederico José. Le Brésil en 1889 – avec une carte de L’Empereur, Paris, C. Delegrave, 1889, 699 p., p.x.

43 Van der Sraten-Ponthoz, 1854. Apud. Santa-Anna Nery, Frederico José. Le Brésil en 1889 – avec une carte de L’Empereur, Paris, C. Delegrave, 1889, 699 p., p. 490.

44 Ibid.

45 Skidmore, Thomas E. « Brazilian intellectuals and the problem of race (1870- 1930) », The Graduate Center for Latin American Studies, Vanderbilt University, Occasional Paper. n°6, mars 1969, p. 1-8, p. 3.

46 Ibid.

47 Piza Duarte, Evandro; Scotti, Guilherme et de Carvalho Netto, Menelick. « Ruy Barbosa e a queima dos arquivos: as lutas pela memória da escravidão e os discursos dos juristas », Universitas JUS, n° 26(2), decémbre 2015, p. 23-39.

48 Gilberto de Mello Freyre (1900-1987) était un socio-anthropologue brésilien né à Recife. Fils d’un juge et professeur d’université brésilien, Freyre a étudié à l’Université de Columbia où il a rencontré Franz Boas, qui deviendra sa principale référence intellectuelle. Dans son livre le plus connu, Maîtres et Esclaves (1933), Freyre a développé un récit des relations sociales dans la vie coloniale brésilienne et a rappelé ce que la culture brésilienne doit à ses racines africaines.

49 Freyre, Glberto, Maîtres et Esclaves – La Formation de la Societé Brésilienne, Paris, Gallimard, 1978, 550 p.

50 Munanga, Kabengele. Rediscutindo a mestiçagem no Brasil, Belo Horizonte, Autêntica, 2004, 150 p., p. 89.

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Pour citer cet article

Référence papier

Daniel Malanski, « L’anéantissement symbolique des Afro-brésiliens par l’Empire du Brésil dans les expositions universelles (1867-1889) »Caravelle, 116 | 2021, 187-204.

Référence électronique

Daniel Malanski, « L’anéantissement symbolique des Afro-brésiliens par l’Empire du Brésil dans les expositions universelles (1867-1889) »Caravelle [En ligne], 116 | 2021, mis en ligne le 18 août 2021, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caravelle/10953 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/caravelle.10953

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Daniel Malanski

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