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Recensions

Lady Mary Wortley Montagu. Une épistolière au siècle des Lumières. Justine Dupouy. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 2022, 290 p.

Marianne Charrier-Vozel
Bibliographical reference

Lady Mary Wortley Montagu. Une épistolière au siècle des Lumières. Justine Dupouy. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, ISBN 979-10-320-0393-0, 290 p.

Editor's notes

Index nominum
Jean Bernouilli, Charles de Brosses, Justine Dupouy, Lady Mar, Madame de Sévigné, Lady Mary Wortley Montagu, Sir Edward Wortley Montagu

Full text

1Dans Lady Mary Wortley Montagu : Une épistolière au siècle des Lumières, Justine Dupouy met en lumière les répercussions profondes du voyage en Turquie sur la pensée et sur l'écriture de Lady Montagu. Du recueil publié pour la première fois en 1763, peu de temps après son décès, sous le titre Letters of the Right Honourable Lady M--y W-----y Montagu, written during her travels in Europe, Asia, and Africa, to persons of distinction, men of letters, & c., in different parts of Europe Which contain, among ther curious relations, accounts of the policy and manners of the Turks, drawn from sources that have been inacessible to other travellers, Justine Dupouy a retenu cinquante-deux lettres composées pendant le voyage d’Angleterre à Constantinople entre 1716 et 1718. Elle a complété cet ensemble avec les écrits traitant de la condition des femmes et de la vaccination contre la variole en faveur de laquelle Lady Wortley Montagu s’engagea avec force.

2Justine Dupouy envisage cet ensemble de lettres comme un récit de voyage épistolaire et comme l’expression affirmée d’une auteure qui écrit pour la postérité : utilisant une forme traditionnellement attribuée aux femmes tout en faisant l’expérience de l’exploration et du voyage traditionnellement attribués aux hommes, Lady Wortley Montagu offre une vision originale et unique dont la portée sociale et politique est intemporelle. Le sous-titre de l’étude, « Une épistolière au siècle des Lumières », nous invite à reconstituer le contexte dans lequel Lady Wortley Montagu a choisi la forme épistolaire pour revendiquer sa légitimité d’auteure dans le monde des Lettres dominé par les hommes et pour s’imposer dans la tradition du récit de voyage en Orient. Justine Dupouy reconstitue sur une carte les étapes du voyage qu’entreprend Lady Mary en compagnie de son époux et qui mène le couple de Londres à Constantinople où Sir Edward a été nommé ambassadeur britannique auprès de l'Empire ottoman. Cette carte met en perspective les étapes, leur durée ainsi que l’activité de l’épistolière afin de faire apparaître le lien étroit entre le voyage et l’écriture des lettres.

3Au XVIIIe siècle, les lettres ne sont pas des écrits intimes ; elles sont souvent lues en public, copiées, recopiées et recomposées avant d’être publiées. À la croisée de l’individuel et du social, les lettres de Lady Wortley Montagu expriment le regard d’une véritable ethnographe sur la condition des femmes dont elle compare le sort dans la société turque et dans la société anglaise. Le voyage, dont le Grand Tour constitue alors un modèle, revêt une fonction pédagogique et formatrice ; il permet, en découvrant de nouvelles cultures, d’éveiller une réflexion sur l'humanité dans son ensemble.

4Dans The Turkish Embassy Letters, l’auteure présente au lecteur l’autoportrait d’une femme érudite confiante dans les progrès de la science et avide de connaissances et de découvertes. L’écriture épistolaire remplit plusieurs fonctions : entretenir le lien avec les destinataires ; narrer la découverte d’un autre monde ; d’un ailleurs et partager avec ses lecteurs la découverte de cet ailleurs qui les invite à s’interroger en miroir sur leur propre monde ; enfin, suivant une dimension réflexive parler de soi, confier ses émotions et témoigner d’une transformation intérieure. Justine Dupouy inscrit le recueil épistolaire dans la tradition du Bildungsroman : l’objet de son étude n'est pas « l'échange épistolaire en tant que tel mais davantage le portrait de l'auteure et de la société que dévoile l'étude des lettres » (10-11).

5Après avoir montré dans une première partie consacrée au contexte culturel, social et politique, en quoi l’enfance de Mary l’a conduite à poser un regard décalé sur la société de son temps, Justine Dupouy s’intéresse à la construction de son identité ; elle met au jour le rôle du voyage et celui de l’écriture épistolaire dans l’évolution de cette identité. Dans cette deuxième partie, elle retrace à partir des lettres qu’elle envisage dans leur filiation avec le récit de voyage et le journal intime, les étapes qui mènent Lady Mary en Turquie et les émotions éprouvées par la voyageuse face à la découverte d’un nouveau monde. La rencontre avec la femme orientale invite la voyageuse, qui a grandi dans une vision héritée du monde occidental, à poser un nouveau regard sur son identité et à s’interroger sur la place des femmes dans la société anglaise. Selon Justine Dupouy, ce nouveau regard trouve son fondement dans les points communs entre l’Empire ottoman et l’Occident chrétien que les écrivains opposent habituellement. L’étude stylistique approfondie d’un échantillon composé de quatre lettres (lettre du 14 septembre 1716, deux lettres du 1er avril 1717, 18 avril 1717 retranscrites en annexe) met au jour des procédés d’écriture littéraire que l’auteure met au service de la persuasion du lecteur. Ces quatre lettres présentent le point commun d’être adressées à des femmes, trois d’entre elles ayant été écrites à l’attention de Lady Mar, la sœur de Mary. Justine Dupouy identifie des routines épistolaires dont le caractère topique aurait pu être mis en perspective avec d’autres recueils de lettres de voyage fondateurs d’un genre littéraire qui connut un grand succès dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, songeons par exemple aux Le président de Brosses en Italie : lettres familières écrites d'Italie en 1739 et 1740 de Charles de Brosses ou bien aux Lettres d’un voyage en Allemagne, la Suisse, la France méridionale et l'Italie, 1774-1775 de Jean Bernouilli. Une mise en perspective avec les modèles de la lettre de relation présentés dans les manuels secrétaires aurait pu apporter des développements stimulants. La revendication de l’authenticité des lettres constitue en effet un stéréotype du recueil de lettres de voyage qui s’inscrit dans la problématique plus générale du roman épistolaire, des mémoires et du « mentir-vrai » au XVIIIe siècle ; il n’est pas significatif de l’expression d’une voix au féminin. Justine Dupouy consacre une longue étude à la vingt-sixième lettre du recueil qui est la pièce la plus célèbre du recueil ; dans cette lettre, la voyageuse raconte la découverte des bains turcs. Justine Dupouy montre comment Lady Wortley Montagu utilise les ressources de sa plume pour convaincre les lecteurs de la légitimité de sa place en tant qu’experte qui dispose d’un savoir ; cette lettre repose en effet sur un relativisme culturel que l’auteure met au service d’une vérité anthropologique et qu’elle destine aux lecteurs des siècles futurs. La troisième partie s’intéresse à la figure de Lady Wortley Montagu et à ses représentations en tant qu’auteure à partir du XVIIIe siècle. Cette figure ne se réduit pas à celle de l’écrivaine proto-féministe que de nombreux critiques ont retenue ; elle dessine également le portrait d’une femme engagée dans le progrès des sciences et qui joua un rôle actif dans le développement de la vaccination contre la variole.

6Alors que de nombreux travaux ont été consacrés au recueil de Lady Wortley Montagu, l’étude que propose Justine Dupouy nous invite ainsi à nous interroger sur les pratiques d’écriture et sur les positions d’une auteure qui entendait, non sans ambiguïté, se démarquer de la grande Madame de Sévigné dont les lettres étaient devenues, aux yeux de ses contemporains, des modèles de style : “Well turn’d periods or smooth lines are not the perfection of Prose or verse ; they may serve to adorn, but can never stand in the Place of good Sense. Copiousness of words, however rang’d, is allwaies false Eloquence, thô it will ever impose on some sort of understandings. How many readers and admirers has Madame de Sevigny, who only gives us, in a lively manner and fashionable Phrases, mean sentiments, vulgar Prejudices, and endless repetitions! Sometimes the tittle tattle of a fine Lady, sometimes that of an old Nurse, allwaies tittle tattle” (Lettre du 20 juillet 1754 à Lady Bute, 201).

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References

Electronic reference

Marianne Charrier-Vozel, Lady Mary Wortley Montagu. Une épistolière au siècle des Lumières. Justine Dupouy. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 2022, 290 p.”Caliban [Online], 71-72 | 2024, Online since 20 August 2024, connection on 13 November 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/caliban/13144; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12dmu

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Marianne Charrier-Vozel

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