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Information scientifique

Christine Chivallon. La diaspora noire des Amériques. Expériences et théories à partir de la Caraïbe

Paris, CNRS Éditions, 2004, 258 p.
Oscar A. Quintero Ramírez
p. 163-166
Référence(s) :
Christine Chivallon. La diaspora noire des Amériques. Expériences et théories à partir de la Caraïbe, Paris, CNRS Éditions, 2004, 258 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage de l’anthropologue et géographe Christine Chivallon constitue un effort de synthèse théorique sur l’étude des populations noires des Amériques à partir du cas particulier de la Caraïbe. Pour ce faire, l’auteur se sert d’un concept très attractif, mais également discutable – et discuté par l’auteur : celui de « diaspora », pour désigner les descendants des Africains déportés aux Amériques à partir du XVIe siècle. Ce concept, qui est accepté presque unanimement lorsqu’il s’agit des populations juives, arméniennes ou chinoises, présente des différences et divergences dans son usage pour les populations noires. Ainsi, l’auteur illustre comment il est représentatif du clivage entre les théories « modernes » et « postmodernes », ces dernières proposant de dépasser la pensée scientifique traditionnelle, catégorisante et binaire par une compréhension fluctuante – plutôt qu’essentielle – des identités. L’auteur nous rappelle également que ces clivages théoriques dépendent de contextes scientifiques différenciés : le concept de diaspora est mieux accueilli dans les espaces universitaires anglophones, alors qu’il est un quasi-tabou côté francophone – même si le postmodernisme doit beaucoup à la philosophie française de Foucault, de Derrida ou Deleuze.

2L’ouvrage est organisé en trois grandes parties. La première décrit le contexte historique de la traite, proposée par l’auteur comme « l’événement fondateur » de la diaspora noire des Amériques. Christine Chivallon expose le processus de découverte et de colonisation des Amériques, les caractéristiques du trafic négrier, ainsi que l’univers des plantations esclavagistes, leurs origines économiques et leurs conséquences culturelles. La description est suivie d’une analyse des enjeux moraux de l’esclavage à l’époque, perçus au travers de la religion, de la philosophie et des sciences à partir desquelles s’est formée une idéologie dominante des rapports sociaux de nature raciale – voire raciste –, qui aurait continué dans la période postabolitionniste. Finalement, cette partie de l’ouvrage décrit ce que l’auteur définit comme la « deuxième strate » de la diaspora : celle-ci est formée par les migrations contemporaines vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. Cette expérience migratoire, massive au cours du XXe siècle, présente néanmoins des situations contrastées selon l’origine des immigrants et les lieux d’arrivée. Selon l’auteur, la deuxième strate de la diaspora réactualiserait les rapports sociaux issus de la première strate, avec de nouvelles formes de racisme symbolisées par la ségrégation urbaine et l’augmentation des inégalités sociales.

3Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur présente une synthèse des trois principales thèses sur l’étude des cultures afro-américaines, tout en rappelant qu’au-delà des clivages purement théoriques, l’adoption de telle ou telle interprétation par les chercheurs n’est pas exempte d’enjeux idéologiques autour de la qualification des cultures noires dans les Amériques. Ainsi, la controverse fondatrice des différentes théories a consisté à poser la question du caractère « africain » des peuples noirs du Nouveau Monde et sa signification en termes d ‘ identité. À cet égard, une première thèse est celle de la « continuité » d’un héritage africain : il s’agit de proposer des échelles d’intensité des africanismes en indiquant la plus ou moins forte rétention de la culture africaine. La deuxième grande thèse est celle de la « créolisation », selon laquelle les sociétés des populations noires des Amériques résultent de changements culturels issus de la rencontre entre univers différents. L’auteur considère que ces deux thèses ne sont pas contradictoires, mais proposent des angles de vue différents : continuité et créolisation sont constitutives des cultures noires du Nouveau Monde. La troisième grande thèse est celle de « l’aliénation », selon laquelle l’institution esclavagiste crée des modes « d’improduction » culturelle et « d’asocialité » qui privent les esclaves de toute capacité de création ou de continuation culturelles.

4Après cette synthèse, l’auteur suggère que, pour dépasser ce débat théorique, il est nécessaire de modifier le questionnement de la recherche. Plus que de déterminer si un élément est africain ou non, l’importance est de savoir si les populations aujourd’hui revendiquent ou non leur africanité : autrement dit, la question de l’origine est supplantée par celle du contenu. Pour démontrer cette thèse, l’ouvrage revient sur un objet empirique précis : l’institution familiale antillaise. Ainsi, cette deuxième partie finit par établir des parallèles entre les thèses sur les cultures afro-américaines et le développement de trois modèles théoriques sur le concept de diaspora. La « diaspora classique », définie par le triptyque identité-territoire-mémoire, correspondrait donc à la thèse de la continuité africaine ; la « diaspora hybride », reconnaissant l’hétérogénéité et la diversité, s’ajusterait à la thèse de la créolisation ; le modèle de la « non diaspora », qui résulte du non usage du terme (notamment dans les sciences sociales francophones), correspondrait à la thèse de l’aliénation.

5Face à cette multiplicité de conceptualisations de la diaspora, l’auteur pose qu’un tel concept présente néanmoins une certaine valeur heuristique permettant d’étudier les populations noires des Amériques comme une communauté liée par une expérience historique singulière, mais jamais réductible à la formulation d’un projet collectif central, en tant qu’élément fédérateur dans la construction communautaire. Ainsi, la compréhension de la diaspora noire des Amériques est présentée sous le concept de « communauté a-centrée », qui constitue l’objet de la dernière partie de l’ouvrage. Cette nouvelle conception est exemplifiée au travers de matériaux empiriques comme le panafricanisme et le nationalisme noir, entendus en tant que projets d’une unité durable fondée sur la ressource de la terre ancestrale : l’Afrique. Cependant, le nationalisme noir ne correspond pas à l’idée de diaspora comme communauté a-centrée, car il n’est pas une référence centrale pour l’ensemble du corps social noir des Amériques. L’auteur observe une pluralité d’idéologies et de projets, suggérée par l’hétérogénéité des messages religieux au sein des groupes nationalistes. Cette pluralité communautaire est décrite au travers d’exemples illustratifs comme ceux des Antillais à Bristol et à Brooklyn, alors que le contexte de constante création religieuse est lui analysé à la Jamaïque où le Rastafarisme peut être entendu comme une figure allégorique de la communauté a-centrée. À cet égard, le concept de diaspora gagnerait en précision s’il parvenait à se dégager des habitudes langagières qui mêlent des minorités dominantes et des minorités dominées. Pour les populations noires des Amériques, ce concept incite à reconnaître la définition raciale des rapports sociaux issue de l’expérience commune de la traite. La communauté a-centrée exprimerait ainsi le résultat de cette dynamique quand aucun récit ne parvient à se constituer en métarécit. Cependant, il nous reste l’impression que c’est justement ce concept de diaspora qui est proposé à l’heure actuelle comme un métarécit pour designer les populations noires des Amériques, notion qui peut avoir aussi une valeur heuristique pour l’étude des populations noire de l’Amérique latine.

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Pour citer cet article

Référence papier

Oscar A. Quintero Ramírez, « Christine Chivallon. La diaspora noire des Amériques. Expériences et théories à partir de la Caraïbe »Cahiers des Amériques latines, 50 | 2005, 163-166.

Référence électronique

Oscar A. Quintero Ramírez, « Christine Chivallon. La diaspora noire des Amériques. Expériences et théories à partir de la Caraïbe »Cahiers des Amériques latines [En ligne], 50 | 2005, mis en ligne le 16 août 2017, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cal/8088 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cal.8088

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Auteur

Oscar A. Quintero Ramírez

Université Rennes II/IRD

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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