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Lectures

Franck Gaudichaud & Thomas Posado (dir.), Gouvernements progressistes en Amérique latine (1998-2018). La fin d’un âge d’or

Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection des Amériques, 2021
Christian Girault
p. 293-296
Referência(s):
Franck Gaudichaud & Thomas Posado (dir.), Gouvernements progressistes en Amérique latine (1998-2018). La fin d’un âge d’or, Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection des Amériques, 2021, 266 pages

Texto integral

1Cet ouvrage collectif tente d’établir un bilan d’étape de la vie politique en Amérique latine quelques années après la fin d’un « âge d’or » où la gauche et les gouvernements progressistes étaient au pouvoir dans de nombreux pays. Le terme d’« âge d’or » est assurément hyperbolique et les directeurs du volume, dès l’introduction, l’écrivent avec raison entre guillemets. Avec une quinzaine de contributions, dont certaines reprises d’articles publiés antérieurement dans les revues Recherches internationales, Nueva Sociedad et La Revue nouvelle, le volume offre un bilan honnête d’une période analysée comme celle de réelles avancées sociales, mais suivie de reculs et de désillusions, qui s’achève en 2018 par la victoire à l’élection présidentielle brésilienne de Jair Bolsonaro.

2Après une brève introduction qui plante le décor, l’ouvrage aborde le contexte international de cette époque de transition dans une première partie qui semble insuffisante. Le texte sur les relations avec les États-Unis (mal) traduit de l’anglais est rédigé par M. P. Friedman qui n’est pas un spécialiste de l’Amérique latine et reprend des schémas dépassés, à partir de la doctrine de Monroe, sur « l’hégémonie américaine ». Les efforts désordonnés de Trump pour rétablir une certaine autorité à travers les embargos, ainsi que les sanctions contre Cuba et le Venezuela, sont mentionnés, mais le virage autoritaire pris par N. Maduro à partir de 2015 n’est pas pris en compte. La contribution de F. Thomas, analyste au CETRI de Louvain, montre quant à elle les effets pervers de l’exportation massive de produits de base (minerai de fer, bauxite, soja, etc.) vers la République populaire de Chine, qui devient durant cette période l’agent catalyseur de « l’extractivisme » en Amérique latine, à l’égal de ce qu’ont été les États-Unis par le passé. Ici, on peut regretter que le tableau des relations économiques internationales ne soit pas complété par l’analyse du rôle de l’Union européenne, acteur traditionnel dans la région. Par ailleurs, une analyse des processus d’intégration, qui furent foisonnants dans la décennie 2000-2010 et suscitèrent beaucoup d’espoirs (l’ALBA de Chávez comme fer de lance de l’anti-impérialisme, l’UNASUR promue par Lula pour l’Amérique du Sud, la CELAC lancée en 2010-2011 qui connaissent un arrêt brutal pendant la décennie suivante), aurait été bienvenue.

3La deuxième partie, riche de sept chapitres, constitue le cœur de l’ouvrage. On y trouve une analyse des modèles de développement mis en œuvre par les gouvernements de gauche et des mouvements sociaux qui leur ont été associés, dont le ton est nettement critique. P. Salama présente ainsi une analyse serrée des années Lula au Brésil et des Kirchner en Argentine, insistant sur les erreurs qui ont été commises par les gouvernements du Parti des Travailleurs brésilien et du Parti Justicialiste argentin et qui se sont souvent retournées contre les populations. Dans une contribution consacrée à l’Équateur, E. Cicozzi discute la notion de « néo-extractivisme » et montre combien certains gouvernements, comme ceux de R. Correa ou de H. Chávez, se sont fourvoyés en utilisant sans retenue la manne apportée par l’exportation des produits de base. De son côté, M. Le Quang examine la crise économique qui a frappé l’Équateur et le revirement politique spectaculaire qui s’est joué en 2017, avec le départ en exil de R. Correa et la volte-face de son ancien vice-président L. Moreno qui lui succède au pouvoir. À partir de notes de terrain prises à l’occasion des élections à l’Assemblée nationale du Venezuela en décembre 2015, Y. Bracho traite des relations entre les mouvements populaires de certains quartiers de Caracas et le gouvernement bolivarien, insistant sur l’impuissance de ces mobilisations largement dépendantes du palais de Miraflores et la résistance sourde qui ne peut pas s’exprimer. Toujours sur le Venezuela, T. Posado analyse « la convergence manquée du mouvement syndical et des gouvernements progressistes » tandis que P. Rouxel, à partir d’une étude des relations de travail dans une usine de la banlieue de Buenos Aires, met le doigt sur les relations ambiguës entre la CGT argentine et le pouvoir péroniste. L’instrumentalisation continue opérée par les gouvernements des époux Kirchner aboutit à un affaiblissement durable du syndicalisme dans ce pays frappé par une crise de grande ampleur. Sur le Chili enfin, R. Torres montre combien les frustrations de la jeunesse n’ont fait que s’accroître durant vingt ans, y compris pendant les gouvernements de la coalition de la Concertación qui ont persisté dans des politiques éducatives néolibérales, et comment les mobilisations successives des élèves et des étudiants ont contribué aux grandes manifestations de l’estallido social de 2019.

4La troisième partie présente une série de six contributions qui portent sur des « conjonctures nationales spécifiques ». R. Chávez revient à nouveau sur le cas de l’Équateur avec une contribution très critique sur les gouvernements de Correa. L’auteur montre notamment, à travers le cas du fiasco de la Cité scientifique de Yachay, que l’usure du pouvoir et les scandales de corruption ont miné le régime, ce qui explique pourquoi « la forteresse corréiste » s’est effondrée « comme un château de cartes ». La contribution de D. Larrouqué et de L. Rivera-Vélez est particulièrement bien venue, car elle aborde le cas finalement le plus réussi de la « vague rose » : celui du Frente Amplio en Uruguay au pouvoir pendant trois mandats entre 2005 à 2019. Les auteurs notent en particulier que l’Uruguay est le seul pays où la population n’est pas descendue dans la rue pour manifester contre le gouvernement et que la défaite électorale de 2019 s’est jouée de très peu (la différence avec le ticket gagnant de droite n’étant que de 37 000 voix). Quant à H. Roux, elle interroge la notion de « droits sociaux dans la rhétorique sandiniste » au Nicaragua et dépeint un sandinisme de plus en plus marqué par l’autoritarisme – les émeutes de 2018 et la répression qui s’est déchaînée ensuite ayant d’ailleurs contraint l’auteure à ajouter un postdata à son texte. Cette évolution brutale a d’ailleurs été confirmée par la réélection à la présidence du couple D. Ortega et R. Murillo en novembre 2021, dans des conditions défiant toutes les libertés publiques. Dans un article repris de la revue Nueva Sociedad, S. Arconada Rodríguez et E. Lander témoignent des difficultés à analyser la situation depuis Caracas, faute de données fiables, et présentent les effets de la corruption sans toutefois pouvoir les quantifier avec précision. Ils notent aussi l’augmentation de la violence politique et « l’usage éhonté des mécanismes autoritaires et clientélistes » par le gouvernement vénézuélien, qui s’est maintenu au pouvoir en utilisant toutes les « ficelles » antidémocratiques possibles. P. Stefanoni présente une analyse fine de la situation politique de la Bolivie, qui s’arrête malheureusement sur le référendum constitutionnel raté de février 2016 qui devait permettre à E. Morales de se représenter à l’élection présidentielle malgré ses deux mandats complets déjà effectués. On sait que c’est le non-respect de cette décision qui a conduit aux événements de 2019, avec le départ contraint de Morales et l’installation d’un régime réactionnaire à La Paz. Enfin, L. Delcourt brosse trop rapidement les « raisons d’une débâcle démocratique au Brésil ». Si le fond de son analyse emporte la conviction en montrant que la pression des « intérêts dominants » et la « radicalisation des classes moyennes » constituent les principales causes de la crise démocratique brésilienne, ce cas aurait mérité beaucoup plus d’attention dans la mesure où les évolutions que connaît le Brésil donnent souvent le ton pour l’ensemble de la région.

5Confiée à M. Lang, professeure à l’université andine Simón Bolívar de Quito, la conclusion penche vers les positions de théoriciens comme A. Quijano et E. Lander, qui ont accompagné les dérives romantiques et populistes de la gauche au pouvoir, et prêche pour un renforcement des pratiques de « démocratie directe ». Ne reposant que sur trois cas, ceux de l’Équateur, de la Bolivie et du Venezuela, ce chapitre final ne joue pas le rôle de synthèse que l’on pouvait attendre et conclut maladroitement l’ouvrage. Alors qu’une nouvelle vague de gauche caractérise actuellement la région latino-américaine et caribéenne, après les victoires électorales en Argentine, en Bolivie, au Honduras et, surtout, au Chili et en Colombie, des réflexions plus approfondies sur les politiques économiques et sociales à l’heure de la transition écologique, sur le rôle de l’État ou sur l’articulation entre forces politiques et mouvements sociaux auraient été bienvenues.

6Au terme de cette lecture, ce projet éditorial ne paraît qu’à moitié réussi en ce qu’il ne pousse pas assez loin la logique comparatiste. De quelle manière les régimes de gauche ont-ils tenu leurs objectifs, du moins partiellement ? Serait-il possible d’en dresser une typologie afin de dépasser le sentiment d’une extrême diversité des expériences ? Pourquoi, au bout du compte, semblent-ils avoir échoué dans leur grande majorité ? Aurait-il été possible de répondre à ces questions au-delà de l’analyse monographique ? Par ailleurs, la couverture du sujet aurait pu être plus large en abordant les cas du Mexique d’A. M. López Obrador et de certains pays centraméricains comme le Costa Rica et le Honduras, qui ont connu également une alternance gauche-droite. Et Cuba ? S’agit-il encore d’un pays « progressiste » ? Les auteurs ne se sont pas aventurés sur ce sujet alors même que, dans le rejet de la gauche par une partie de l’opinion et du monde médiatique, l’axe La Havane-Caracas-Managua a de toute évidence joué un rôle de « repoussoir ». Enfin, aborder le bilan des gouvernements progressistes depuis la puissante offensive des droites à partir du milieu des années 2010 aurait pu permettre de déplacer le regard : dans la mesure où les nouvelles formes de conservatisme et de réaction s’alimentent de thématiques comme la corruption (à partir des « méga-scandales » comme l’opération Lava Jato ou le scandale Odebrecht), l’ordre moral (à propos des transformations sociétales liées aux questions de genre) ou l’essor de la criminalité rampante, que peut-on en déduire sur les angles morts ou les échecs de la vague progressiste des deux premières décennies du xxie siècle ?

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Christian Girault, «Franck Gaudichaud & Thomas Posado (dir.), Gouvernements progressistes en Amérique latine (1998-2018). La fin d’un âge d’or»Cahiers des Amériques latines, 99 | 2022, 293-296.

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Christian Girault, «Franck Gaudichaud & Thomas Posado (dir.), Gouvernements progressistes en Amérique latine (1998-2018). La fin d’un âge d’or»Cahiers des Amériques latines [Online], 99 | 2022, posto online no dia 01 março 2023, consultado o 08 dezembro 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cal/15130; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cal.15130

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Christian Girault

(CNRS/CREDA UMR 7227)

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