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Lectures

Luis Galanes Valldejuli, Tourism and Language in Vieques. An Ethnography of the Post-Navy Period

Lanham, Lexington Books, 2018
Christian Girault
p. 267-270
Référence(s) :
Luis Galanes Valldejuli, Tourism and Language in Vieques. An Ethnography of the Post-Navy Period, Lanham, Lexington Books, 2018, 157 p.

Texte intégral

1Vieques est une petite île d’une superficie de 130 km2 située immédiatement à l’est de Porto Rico, à laquelle elle est rattachée en tant que municipe (9 300 habitants recensés en 2010). L’île possède sur sa côte méridionale quelques-unes des plus belles plages de la Caraïbe, mais ces plages sont interdites aux baigneurs, la Marine américaine ayant utilisé une grande partie de ce territoire insulaire comme champ d’exercice et de tir jusqu’en 2003. Cette année-là, les militaires se retirent après de nombreuses protestations et manifestations des insulaires – les Viequenses –, des Portoricains et de militants internationaux, ce qui contribue alors à faire connaître cette île au passé colonial complexe, peuplée par les Taïnos pendant plusieurs millénaires, puis conquise par les Espagnols, fréquentée par des flibustiers, exploitée par des planteurs esclavagistes et utilisée enfin par la US Navy pendant plus de soixante ans.

2L’étude de Luis Galanes Valldejuli, professeur d’anthropologie à l’université de Porto Rico (Cayey), commence au moment où la Marine se retire de son importante base navale de Roosevelt Roads, près de Fajardo, sur l’île principale, et abandonne ses terrains de manœuvre de l’île de Vieques, qui a perdu alors tout intérêt stratégique. Les Viequenses célèbrent leur victoire, mais ils ne peuvent utiliser pour le moment les anciens terrains militaires : il faut vider les entrepôts d’armements et, surtout, nettoyer les terrains, y compris les plages et les fonds marins, des centaines de tonnes d’obus (explosés et non explosés) – une tâche longue et coûteuse confiée au département fédéral du Wildlife Service (USFWS). Le changement est brutal dans l’île, qui s’ouvre immédiatement à la spéculation immobilière et au tourisme. Le choc est d’autant plus fort que la population locale souffre d’un taux de chômage élevé et d’une formation scolaire et professionnelle limitée. De nombreux résidents étant des occupants sans titre, l’espoir jaillit de pouvoir s’installer sur les terres « libérées » via des occupations plus ou moins négociées avec les autorités municipales – opérations qui connaîtront peu de succès.

3Dans l’esprit de tous, c’est bien le tourisme qui doit assurer l’avenir de Vieques, à l’image de la Grande Île (Porto Rico) où le secteur s’est développé depuis cinq décennies. Cependant, dès le début, la désillusion est grande. Les projets de grands hôtels, sans doute peu adaptés à la géographie d’une île qui ne dispose pas de ressources en eau potable et doit l’importer par une canalisation depuis Porto Rico, ne se réalisent pas. La dépollution des terrains naguère utilisés pour l’entreposage des matériels militaires avance lentement. Enfin, les maisons secondaires possédées par de riches Américains qui ne les occupent que de manière saisonnière emploient peu de personnel.

4Luis Galanes Valldejuli, en bon connaisseur de l’économie du tourisme, rappelle dans son étude les débats anciens sur les bilans positifs ou négatifs de l’activité touristique dans l’espace caraïbe, et plus généralement dans les pays du sud. Il discute aussi avec pertinence des nouvelles tendances de l’écotourisme et de la revitalisation des sites touristiques dégradés. Son approche, très informée, s’éloigne de l’analyse classique en anthropologie en termes de relations entre hôtes et visiteurs, qui aboutit immanquablement aux concepts de domination et d’exploitation des populations locales dans le cadre d’une économie des « néo-plantations », les hôtels remplaçant les exploitations sucrières d’autrefois. Avec finesse, il place le phénomène touristique dans le cadre plus adapté du « champ social » tel que le pensait Bourdieu, où les agents touristiques, et notamment les intermédiaires – agents immobiliers, financiers, politiques, etc. – sont engagés dans des relations dialectiques avec les locaux. Cependant, pour l’auteur, les langages promotionnels faisant appel à l’imaginaire exotique des « plages vierges » et du climat tropical « paradisiaque » tentent de faire taire l’expression des populations locales (p. 75-77).

5Conscient des dangers de l’essentialisme, Luis Galanes Valldejuli propose une analyse dépassionnée reposant sur l’étude du changement social dans des contextes de tensions ethniques. Le tourisme demeure à ses yeux le seul axe de développement qui puisse apporter rapidement des emplois et des liquidités bien nécessaires. De 2000 à 2010, le revenu moyen dans l’île passe de 3 000 à 8 000 dollars. Mais le taux de pauvreté se situe toujours au-delà de 50 %. Dans le cas de Vieques, la stratégie des responsables politiques et des intermédiaires se heurte à de nombreux obstacles nombreux. L’auteur rappelle les obstacles structurels – la carence en eau, les terres polluées et le manque de formation des personnels hôtelier et de restauration –, mais il s’intéresse surtout à la réaction des locaux face à ce qui peut être perçu comme l’imposition d’un modèle extérieur conduisant à une « invasion » du territoire insulaire ; en effet, le tourisme résidentiel est essentiellement le fait de gringos qui ne veulent pas parler l’espagnol et manifestent un ostracisme souvent méprisant vis-à-vis des locaux.

6Plus grave encore, les hôteliers et les restaurateurs préfèrent utiliser pendant la saison touristique une main-d’œuvre venue des États-Unis, des jeunes gringos et gringas, plus expérimentés que les locaux. L’ethnographe a recueilli les paroles des Viequenses – qui admettent adopter une attitude distante vis-à-vis du travail régulier et préfèrent pasarla bien (avoir du bon temps) – et des patrons – qui critiquent l’absentéisme des employés locaux et le parasitisme de cette société insulaire. D’où un antagonisme patent dans la communauté la plus touristique, Esperanza, au sud de l’île, où les meilleurs sites commerciaux du Malecón ont été accaparés par des propriétaires américains (p. 102-106). De là à craindre que les locaux soient chassés et obligés de s’exiler à Porto Rico ou aux États-Unis, il n’y a qu’un pas qui sera vite franchi si l’emprise des gringos vient à s’affirmer à la faveur de la politique locale (une maire affiliée au parti de droite PNP, favorable aux investisseurs, a été élue à l’élection municipale de 2009).

7Les éléments d’un affrontement aux composantes ethniques – sur la base de la couleur de peau, de la race, de la langue (espagnol contre américain) et des coutumes – sont dès lors réunis. La situation coloniale de Porto Rico, État associé aux États-Unis, dont le statut constitutionnel ambigu fait toujours l’objet de contestations, n’est pas faite pour rassurer. Luis Galanes Valldejuli revient sur la crise économique et financière qui sévit actuellement dans la Grande Île et l’émigration accélérée de sa population active. Il paraît difficile dans ces conditions que Vieques échappe aux difficultés annoncées : un déclin démographique accentué par la surmortalité due aux cas de cancers qui seraient liés à la pollution terrestre et marine par les métaux lourds – ce problème est l’objet d’actions devant les tribunaux et de demandes de réparation – et, plus récemment, l’accroissement de la criminalité (cambriolages des résidences secondaires) et des homicides liés aux réseaux des trafiquants de drogues, très actifs sur ces côtes.

  • 1 « Paisaje, educación y turismo en la isla de Vieques », dans Manuel Antonio Zárate Martín (dir.), 2 (...)

8Luis Galanes ne veut cependant pas céder totalement au pessimisme et, surtout, se démarque de la posture de l’intellectuel engagé parlant au nom et à la place de la population concernée. Dans sa conclusion, il fait part de ses interrogations et estime que c’est par une prise de parole des habitants de Vieques eux-mêmes que l’on pourra imaginer des solutions. Il rejoint ici la proposition de la géographe María del Carmen Zorrilla Lassus, de l’université de Porto Rico (Río Piedras), qui, dans une étude récente, plaide pour une meilleure éducation des jeunes dans cette île et une véritable appropriation du territoire et de ses richesses patrimoniales (préservation de l’héritage taïno et des paysages naturels et culturels de l’île, peu mis en valeur ou maltraités jusqu’à ce jour)1. Finalement, cette étude ethnographique de Vieques, équilibrée, riche de réflexions utiles sur les problématiques du tourisme, les positions et les discours des « subalternes », parfois en rébellion contre les forces structurelles du capitalisme, complète heureusement les nombreuses études de cas disponibles sur les pays des Caraïbes.

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Notes

1 « Paisaje, educación y turismo en la isla de Vieques », dans Manuel Antonio Zárate Martín (dir.), 2016, Paisajes culturales a través de casos en España y América, Madrid, Uned, p. 313-349.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christian Girault, « Luis Galanes Valldejuli, Tourism and Language in Vieques. An Ethnography of the Post-Navy Period »Cahiers des Amériques latines, 94 | 2020, 267-270.

Référence électronique

Christian Girault, « Luis Galanes Valldejuli, Tourism and Language in Vieques. An Ethnography of the Post-Navy Period »Cahiers des Amériques latines [En ligne], 94 | 2020, mis en ligne le 30 avril 2021, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cal/11769 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cal.11769

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Auteur

Christian Girault

Directeur de recherche émérite en géographie, Creda – UMR 7227

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