Sylvain Souchaud, Géographie de l’atelier. Confection, migration, urbanisation à São Paulo
Sylvain Souchaud, Géographie de l’atelier. Confection, migration, urbanisation à São Paulo, IHEAL/IRD, Paris, 2019, 369 p.
Texte intégral
1Sylvain Souchaud propose avec cet ouvrage une étude très complète des ateliers de confection de São Paulo, à la suite d’une enquête de longue haleine réalisée entre 2007 et 2010. Le sujet est central pour la compréhension de l’économie et de la société de la première agglomération brésilienne. La confection est en effet un rouage essentiel du système économique pauliste ; c’est également un employeur important grâce auquel s’organise depuis les années 2000 l’essentiel des migrations de travail depuis le Paraguay et la Bolivie. Enfin, et c’est là tout l’intérêt du regard du géographe, la confection dépend des dynamiques urbanistiques tout en contribuant à les façonner. L’auteur mobilise des perspectives à la fois historiques, géographiques, démographiques, économiques et sociologiques pour décrire à partir de plusieurs focales le fonctionnement interne des ateliers aussi bien que leur insertion dans le tissu social et économique régional.
2Ainsi, alors que la production textile s’est éloignée du centre de la ville pour se développer en périphérie, la confection de vêtements bon marché reste concentrée dans les vieux quartiers du centre de São Paulo. La main-d’œuvre brésilienne souvent issue des régions pauvres du Nordeste est peu à peu remplacée par des travailleurs venus d’abord de Corée, puis de Bolivie et du Paraguay. Les raisons tiennent notamment à la situation démographique et sociale du Brésil : fin de la transition démographique, augmentation du taux d’activité féminin, hausse des qualifications et de la scolarisation des Brésiliens, même pauvres. Le secteur de la confection qui repose sur l’emploi non déclaré et exige de longues journées de travail a donc dû se tourner vers la main-d’œuvre migrante. Les Coréens ont peu à peu délaissé la fabrication pour privilégier les activités plus lucratives et moins risquées de la conception et de la commercialisation, et ce sont désormais les Boliviens et les Paraguayens qui sont les acteurs essentiels du secteur. Des réseaux solidement établis drainent des contingents importants de travailleurs jeunes, directement vers le centre de São Paulo, où ils savent pouvoir trouver logement, contacts et emplois.
3Si l’atelier, d’implantation ancienne, a résisté à l’urbanisation et à l’industrialisation, c’est que le sweatshop, auquel l’auteur l’assimile a été le précurseur de la flexibilité dans la seconde moitié du xxe siècle à São Paulo. Les fabricants achètent le tissu, conçoivent les modèles et confient aux petits entrepreneurs la tâche d’assurer l’assemblage avec parfois des délais très courts. Les risques sont ainsi en grande partie externalisés. Les assembleurs parviennent à assurer la rentabilité du système en abaissant les coûts de la main-d’œuvre grâce à l’allongement de la journée de travail, au refus des congés payés et des droits sociaux et à l’absence de syndicats. La production peut ainsi facilement s’adapter à de petites commandes ou à des modes changeantes. Les ouvriers, qui exécutent des tâches répétitives, sont rémunérés à la pièce et surveillés de près. En échange, ils sont généralement logés sur place, sans confort, mais dans les zones les plus centrales d’une ville où il est particulièrement difficile de trouver à louer un appartement, en particulier quand on n’est pas Brésilien. Ces quartiers centraux disposent, au premier étage des vieux immeubles, d’appartements que l’on peut facilement transformer en atelier sans attirer l’attention depuis la rue. Ils réduisent aussi la distance avec les magasins et les marchés de rue et rapprochent ainsi concepteurs, fabricants, ouvriers et clients.
4Voici le modèle de base du système de la confection. Mais Souchaud montre que le détail des situations peut révéler plus de complexité. Les critères habituels de séparation des unités en fonction de la position dans la chaîne de production ou du rapport au travail familial ont ainsi facilement tendance à s’estomper. Il existe un continuum entre l’atelier et le domicile. Une même personne peut être patron à domicile, ou assembler pour un donneur d’ordres et avoir des salariés, et parfois vendre soi-même une partie de sa production. Les concepteurs sont souvent d’anciens assembleurs qui ont laissé leurs ouvriers s’installer à leur compte en échange d’une sorte d’exclusivité. Ce qui ressemble à du travail à domicile peut ainsi correspondre en fait à une situation de quasi-indépendance. Par ailleurs, la confection a également débordé les quartiers centraux et s’est étendue à la banlieue, au fil de la réussite sociale de certains immigrés. Loin du centre, des assembleurs mieux établis peuvent acquérir des locaux plus spacieux et des logements plus confortables à bas coûts, mais ils réduisent les effets de proximité. Le vieux centre est en effet entouré de « quartiers d’appui » dans lesquels on trouve facilement à acquérir les machines, la mercerie, les mannequins. Des transporteurs assurent également la circulation d’une partie de la main-d’œuvre et l’envoi de chutes de tissus vers les zones rurales du Pernambouc où la confection a également prospéré.
5Mais, en plus de s’attacher à décrire avec précision un système complexe, le livre de Sylvain Souchaud nous fait également pénétrer à l’intérieur des ateliers, grâce à l’adhésion de l’auteur à une démarche ouvertement ethnographique. Les photos et les descriptions nous permettent de voir ainsi les hommes et les femmes au travail dans de petites pièces encombrées de machines et de pans de tissus. Souchaud décrit la convivialité de lieux de travail qui sont aussi des lieux de vie avec parfois des enfants circulant d’une pièce à l’autre. Les comptes rendus d’entretiens nous permettent également de comprendre les stratégies migratoires et professionnelles. Les Paraguayens et Boliviens viennent ainsi à São Paulo dans le but explicite de travailler dans la confection, en général sur indication de parents. Issus de certaines régions plutôt que d’autres, ce sont plus souvent des hommes qui transitent par des villes importantes de leur propre pays avant de rejoindre le Brésil. Certains se contentent d’accumuler un petit capital leur permettant de retour chez eux de concrétiser un projet foncier ou professionnel. D’autres, plus rares, acquièrent des compétences recherchées dans la confection, notamment celles de mécaniciens sur machines à coudre, voire se lancent dans l’installation à leur compte. La surexploitation des débuts est donc supportée comme le prix à payer pour l’insertion dans l’économie pauliste et l’accumulation d’un capital financier, relationnel et technique. L’auteur relativise donc les accusations d’esclavagisme qui accablent le secteur dans la presse brésilienne. Si les conditions de travail sont dures, elles sont acceptées comme un pis-aller et sont souvent compensées par des formes de paternalisme destinées à limiter le turn-over selon des logiques qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le BTP. On peut cependant remarquer que l’aspect politique du fonctionnement du système de la confection a peu intéressé Sylvain Souchaud qui insiste plutôt sur les relations entre l’espace et l’activité. De même, s’il montre bien comment ce secteur, à l’instar du BTP, organise l’entrée et l’adaptation des migrants, il porte son attention de préférence sur les étrangers alors que les Brésiliens et notamment les Nordestins y sont encore nombreux.
6Au final, l’ouvrage de Sylvain Souchaud s’impose cependant comme un travail de premier ordre sur le sujet. Les cartes, les tableaux et les descriptions fournissent pour chaque aspect envisagé une démonstration toujours particulièrement convaincante. Les données historiques complètent les analyses géographiques et les descriptions ethnographiques et organisent la présentation d’un véritable système dans toute sa complexité. La logique de l’ensemble est décrite dans ses évolutions et certaines de ses conséquences avec un luxe de détails qui ralentit parfois la lecture, mais qui assure une compréhension en profondeur des phénomènes envisagés. Cette Géographie de l’atelier s’impose donc comme une référence incontournable pour tout brésilianiste, non seulement sur le secteur de la confection mais également sur les dynamiques urbaines et démographiques de São Paulo.
Pour citer cet article
Référence papier
Christophe Brochier, « Sylvain Souchaud, Géographie de l’atelier. Confection, migration, urbanisation à São Paulo », Cahiers des Amériques latines, 93 | 2020, 205-207.
Référence électronique
Christophe Brochier, « Sylvain Souchaud, Géographie de l’atelier. Confection, migration, urbanisation à São Paulo », Cahiers des Amériques latines [En ligne], 93 | 2020, mis en ligne le 10 mars 2021, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cal/11086 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cal.11086
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